Appel à la mobilisation!

Le temps est venu pour que la communauté franco-ontarienne se mobilise à nouveau pour revendiquer son droit à une université de langue française en Ontario. Quand je parle de mobilisation, je ne parle pas juste d’une mobilisation étudiante, mais d’un véritable mouvement communautaire franco-ontarien. Une université autonome, créée et gérée par et pour les francophones, c’est une question de société essentielle à notre avenir collectif. Nous avons les nombres. Nous avons les compétences. Il ne manque qu’un signal clair et concerté des Franco-Ontariens que nous la voulons vraiment cette université.

Après avoir fait mon bac au sein d’une université bilingue, après avoir voyagé dans plusieurs villes de la province et avoir rencontré des étudiants d’un peu partout, après avoir animé de multiples consultations et événements en tant que coprésidente du Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO), pour moi le constat est clair : les institutions bilingues ne répondent pas aux besoins et aux aspirations de plusieurs étudiants francophones de cette province.

Fois après fois, j’ai entendu des témoignages du type :

«Ce n’est pas possible de terminer mon programme en français» ;
«Mon cours en français a été annulé» ;
«On m’a vendu un programme en français, mais j’ai reçu un programme bilingue» ;
«Mon programme n’est pas offert en français» ;
«La vie culturelle en français sur mon campus est limitée» ;
«La minorisation des francophones dans les instances décisionnelles de mon campus est visible» ;
«Je ne me sens pas 100 % à l’aise sur mon campus».

Nous méritons et avons droit à mieux que ça !

Si je me suis impliquée au sein du RÉFO, c’est parce que ces limites à nos choix, cette obligation de tolérer des programmes et services réduits alors que notre communauté fait face aux ravages de l’assimilation et de l’acculturation, ça ne me tente plus de l’accepter. Je crois que la question de la mise sur pied d’une université de langue française, gérée par et pour les francophones, doit devenir notre projet d’avenir, notre prochaine «Guerre des épingles», notre prochaine lutte pour les collèges, notre prochain Montfort. L’avenir de notre communauté en dépend. Le temps n’est plus à se demander si nous avons besoin de notre propre université, mais bien comment y arriver !

(Si les justifications derrière le besoin d’une université de langue française vous intéressent, je vous invite à visiter le site web du RÉFO.)

Maintenant, comment y arriver ? Comment rallier la communauté ? Comment demander au gouvernement de renverser l’injustice historique qui nous prive d’avoir accès à une université autonome comme l’ont les Acadiens, les Franco-Manitobains, les Anglo-Québecois ? On y a pensé longtemps (et on continue à y réfléchir).

Pour stimuler cette réflexion et mobiliser la communauté envers ce projet, le RÉFO lancera d’ici quelques semaines les États généraux sur le postsecondaire en Ontario français, c’est à dire un large processus de réflexion communautaire, qui se poursuivra jusqu’à l’hiver prochain. Ces États généraux rassembleront tou.te.s les actrices et les acteurs intéressé.e.s par la question : jeunes et aîné.e.s, étudiants et professeurs, parents et enseignants. Nous pourrons ensemble déterminer les besoins que nous devons adresser ensemble pour la prochaine décennie et des étapes à franchir pour faire de l’Université franco-ontarienne une réalité.

Et les institutions bilingues dans tout ça ? Je les invite à embarquer dans le projet, il faut joindre nos forces. Depuis des décennies, nous avons essayé le modèle bilingue et il est irréfutable qu’il comporte des failles. Mais cela n’est pas une raison de tout jeter à la poubelle. Nous avons plusieurs professeurs de qualité, des facultés francophones, des instituts et des chaires de recherche, des associations étudiantes… Sans compter tous les membres de l’administration que j’ai eu la chance de rencontrer et qui ont le cœur à la bonne place. Il y a une expérience et une expertise importante dans ces institutions : à nous de les utiliser intelligemment.

Chers lecteur et lectrices, l’Université de l’Ontario français est un projet essentiel pour notre avenir collectif. Je vous invite toutes et tous à participer activement à la discussion. À sortir de vos zones de confort et à revendiquer vos droits ! Pour les sceptiques et les cyniques, on veut aussi vous entendre. Rien n’a jamais été gagné en gardant le silence. C’est important de ne pas perdre le momentum. Assurons-nous que cette fois-ci soit la bonne !

Nous possédons déjà une gouvernance autonome au sein de nos conseils scolaires et nos deux collèges francophones. L’Université franco-ontarienne est la dernière brique dans notre pyramide éducative. C’est une étape nécessaire à l’épanouissement, à la pérennité et au rayonnement de la communauté franco-ontarienne dans le temps et dans l’espace.


taGueule a originalement publié ce texte avec une préface signé par son comité d’édition qui aurait pu être perçu comme une action pour discréditer les propos ci-haut. Ce n’était pas du tout son intention, et pour cette raison, nous avons effacé la préface maladroite. taGueule n’est pas parfaite.

600 000 raisons de se poser des questions

Ça fait depuis le début des temps (oui, vraiment) qu’on s’obstine à savoir combien il y a de francophones en Ontario. Dans nos cours d’histoire au secondaire, on a entendu tous les chiffres possibles entre 375 000 et 650 000 tout en sachant très bien qu’il y’avait une différence entre un Franco-Ontarien et un Ontarien francophone . Voilà que le malaise s’installe. Ça fait plus d’un an que ce texte est dans notre collimateur. Maintenant que d’autres commencent à s’intéresser à la question, on a jugé qu’il était temps de le publier et d’ouvrir la discussion. Let’s talk. 


Est-ce qu’il y a vraiment 600 000 Franco-Ontariens? 600 000 francophones en Ontario? 600 000 locuteurs de la langue française sur le territoire de la province de l’Ontario? Do 600 000 people actually give a fuck about the French language in Ontario?

Est-ce qu’on ne serait pas mieux de se dire 300 000 et se concentrer sur ceux-là? Est-ce qu’on devrait arrêter de dépenser notre énergie, nos resources et nos subventions gouvernementales sur les ayant-droits sans espoir, sur les anglophones opportunistes, et sur les franglo-Ontariens apathiques?

Est-ce qu’on ne serait pas mieux de se dire 150 000 et se concentrer que sur les gens qui ne vivent qu’en français, qui intériorisent leurs réalités en français, et qui n’ont rien à redouter de l’assimilation?

Est-ce qu’on est capable de trouver 75 000 Ontariens francophones avec la même réalité?


Est-ce que le bilinguisme officiel fonctionne? Est-ce qu’on force les anglophones à apprendre le français? Did you go to french school? Do you still speak french?

Est-ce que je vous frustre? Est-ce que j’ai le droit de poser ces questions là? Est-ce que je suis un franco-traître? Est-ce qu’on se souvient?

Est-ce que la Patente est dans la salle?


Est-ce qu’on devrait être plus honnêtes dans nos revendications? Est-ce qu’on devrait dire aux anglophones qu’on est capables de parler anglais, pour pouvoir leur faire comprendre qu’on veut plutôt parler français, au lieu de leur donner l’impression qu’on se plaint pour rien? Est-ce qu’on devrait leur dire qu’on n’a pas nécessairement les réponses? Est-ce qu’on devrait essayer de leur expliquer pourquoi l’assimilation nous fait peur, au lieu de s’entêter à poursuivre un dialogue de sourds? Est-ce que c’est en se battant contre des contraventions ou en poursuivant Air Canada ou en invoquant nos droits constitutionnels qu’on va réussir à se partir une vraie conversation? Entre qui devrait avoir lieu cette conversation?

Est-ce que c’est légal de vendre des faux drapeaux franco-ontariens? Est-ce qu’il y a une limite à la grosseur du drapeau? Do we deserve a flag? Do we need a flag?

Est-ce qu’on devrait s’allier aux Autochtones, aux Tamouls, aux Ukrainiens pour la reconnaissance d’une certaine diversité canadienne? Est-ce qu’on devrait se battre pour notre spécificité? Quelle spécificité? Est-ce qu’on devrait continuer nos combats identitaires internes, futiles et déjà perdus?  Est-ce qu’on devrait essayer de parler aux Québécois, en espérant qu’ils nous écoutent pour une fois?

Pourquoi, 30 ans plus tard, nos cadavres sont-ils encores chauds? Est-ce que les canards sont encore morts?

Est-ce qu’on est vraiment un peuple fondateur? Est-ce que Trudeau avait raison? Est-ce que Durham a réussi? Est-ce qu’on a un pays?

Est-ce qu’on est bien, dans le fond? Est-ce qu’on revendique pour rien? Can we prove an angryphone wrong?


Est-ce qu’on choisit mal nos luttes? Est-ce qu’on a une lutte? Est-ce qu’on s’est fait lutter?

Est-ce qu’on devrait tous déménager dans la même région? Est-ce qu’on devrait multiplier les contacts et les rencontres? Est-ce qu’on devrait se battre pour une autoroute entre Lafontaine et North Bay? Un TGV entre Ottawa, Toronto, et  Sudbury? Est-ce qu’on est capables de réunir assez de gens pour effectuer des vrais changements? Est-ce qu’on est capables, en tant que communauté, de prendre à cœur des causes qui ne touchent pas que la langue? Est-ce qu’on devrait?

Est-ce qu’on fête la Saint-Jean-Baptiste? Est-ce qu’on fête la fête du Canada? Est-ce qu’on fête le 4 juillet?


Quand on dit «nous», de qui on parle? Quand ils disent « they », de qui ils parlent? Quand on dit « we », est-ce que c’est « on »?

Est-ce que le verre est à moitié vide? À moitié plein? Est-ce qu’on a assez d’eau? Est-ce que le verre est trop grand?

Est-ce que j’écris pour rien? Est-ce que vous allez tout simplement vous dire «ah ok» et fermer cette page sans laisser de commentaires? Est-ce que vous savez qui a gagné la game hier soir?

Est-ce qu’il y aura encore des gens pour poser ces questions dans 30 ans?

 

 

Je l’sais pas.

Faudrait s’en parler…

Un premier coup d’oeil sur les données linguistiques du recensement de 2011 indique clairement que les choses ne s’améliorent pas pour la francophonie ontarienne. Pas que la situation se soit dramatiquement détériorée au cours des cinq dernières années, mais les tendances au déclin du français se confirment à peu près partout, même dans les régions où les francophones restent majoritaires.

On peut toujours se draper, comme il est devenu l’habitude de le faire en milieux officiels, dans les savantes – et jusqu’à un certain point, pertinentes – pondérations statistiques qui permettent de gonfler un peu artificiellement, à mon avis, la force de la francophonie au Canada (y compris au Québec). Mais quand on regarde les chiffres bruts, la réalité nous revient, implacable, et appelle une intervention rapide pour sauver les meubles.

Le discours optimiste des « lunettes roses » ne fait que masquer une détérioration très réelle. On n’a qu’à regarder sans enrobage les réponses à la question du recensement sur la langue d’usage (la langue la plus souvent parlée à la maison) pour s’en convaincre, au regard des données sur la langue maternelle.

De 2006 à 2011, selon les profils des communautés des deux recensements, le nombre de francophones de langue maternelle a augmenté de près de 5000 seulement (488 815 à 493 300) tandis que le nombre de personnes ayant le français comme langue d’usage a diminué de 5 000 (de 289 035 à 284 115).

Pour avoir une idée de l’accélération de l’assimilation, regardons les chiffres du recensement de 1971, qui donnaient 482 045 francophones selon la langue maternelle, et 352 465 selon la langue d’usage ! Si on compare celui de 1971 aux deux recensements les plus récents (langue maternelle et langue d’usage), on arrive à des taux respectifs de persévérance de la langue de 73,1% en 1971, 59,1% en 2006 et 57,6% en 2011. Évidemment, ces chiffres sont trompeurs et il faut vraiment regarder de région en région, de ville en ville, de village en village pour comprendre la réalité. C’est grand, l’Ontario.

Si, au sud, dans les régions de Penetanguishene, Welland ou Windsor, les taux de persévérance sont à peine de 25% à 35%, ils dépassent régulièrement le seuil des 90% dans des régions de l’Est et du Nord ontarien. À certains endroits, ils frisent le 100 % et le dépassent même dans trois villages. À Jogues, Mattice et Val-Cöté, tous dans la région de Hearst, ce sont les francophones qui assimilent les anglophones… Entre les deux, il y a les agglomérations urbaines d’Ottawa et de Sudbury, où les taux de persévérance sont plus inquiétants, à près de 70% (Ottawa), voire alarmants à près de 55% (pour le Grand Sudbury).

Je retiens, dans un premier temps, avant d’approfondir davantage l’analyse, trois constats :

Premier constat

Il existe donc en Ontario trois zones où les francophones ont des taux de persévérance très, très élevés (90% et plus) :

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[li]le corridor de la route 11, entre Smooth Rock Falls et Hearst[/li]
[li]le secteur Nipissing Ouest, entre Sturgeon Falls et Sudbury[/li]
[li]le secteur de Prescott-Russell, à l’est d’Ottawa[/li]
[/arrow-list]

Ce sont essentiellement des petites municipalités et des secteurs ruraux, ayant une population limitée, mais dont le caractère majoritairement francophone se maintient pour le moment.

Deuxième constat

En Ontario, plus de 35% des francophones (selon la langue d’usage) demeurent à Ottawa (86 000) et Sudbury (14 000). À Ottawa (je ne sais pas pour Sudbury), ils sont cependant plus dispersés que jadis. Alors qu’auparavant il existait des quartiers canadiens-français, les francophones sont maintenant minoritaires dans tous les quartiers de la capitale. Ils sont cependant nombreux.

Troisième constat

Les taux d’assimilation ont atteint des niveaux dramatiques dans des endroits comme Welland et Windsor, et même Cornwall où, il y a un demi-siècle, les francophones formaient près de la moitié de la population.

Faut s’en parler…

Quand j’étais à l’ACFO, années 60, début années 70, ce phénomène était déjà perceptible, quoique bien moins accentué, mais les moyens de communication entre les différentes communautés étaient presque nuls, et les distances immenses. Il était difficile de concevoir et mettre en application des stratégies coordonnées. Aujourd’hui, avec l’Internet et les médias sociaux, les distances s’estompent.

Pendant qu’il est encore temps, il faut souhaiter que puissent s’amorcer des échanges, sur Facebook, sur Twitter, entre Franco-Ontariens de différentes régions et à l’intérieur de différentes régions, entre Franco-Ontariens et Québécois, entre Franco-Ontariens et Acadiens et francophones de l’Ouest, pour qu’à partir d’analyses réalistes, les enjeux linguistiques (et autres enjeux) fassent l’objet d’un forum permanent en ligne. Le simple fait de créer des contacts par l’intermédiaire du Web aura, j’en ai la conviction, des effets appréciables.

Où cela peut-il mener? Pas la moindre idée. Mais ce peut être un point de départ utile…


Ce texte a originalement été publié le 6 novembre 2012 sur le blogue de Pierre Allard.

Ce mouton n’a pas vu le loup

Le 7 février 1997. Les médias canadiens faisaient une belle place au lobbying d’Alliance Québec, organisme porte-parole des revendications des anglophones du Québec. Mais l’idée ne venait à personne de comparer leur condition à celle des francophones de l’Ontario.


Le groupe de pression anglophone Alliance Québec réussit encore ces temps-ci à ameuter l’opinion publique canadienne. Comme toujours, ces cris au loup résonnent avec ironie dans nos oreilles franco-ontariennes, tant nous savons que le péril est pire chez nous. Nous nous comparons si mal aux Anglo-Québécois à tant d’égards – écoles, hôpitaux, grands journaux, universités, services et droits acquis de tout genre – qu’il n’est pas surprenant que leur lobby aussi soit meilleur que le nôtre.

En comparant nos porte-parole aux leurs, on a l’impression de ne voir chez les nôtres que timidité, modération, bon-ententisme et à-plat-ventrisme. Des générations de chefs de file franco-ontariens se sont succédé sans jamais qu’on en ait vu un ayant la gueule d’un Howard Galganov, le mordant d’un Mordecai Richler ou l’aplomb d’un Michael Hamelin. Mais ayant dit tout ça, encore faudrait-il dire qu’en Ontario français, comme au Québec anglais, une attitude plus coriace serait plus efficace. Là dessus, j’avoue que je doute. Car la différence qui compte n’est pas dans les gorges chaudes des porte-parole, mais dans les têtes chaudes des sympathisants qui les écoutent.

Les mêmes médias qui font la place si belle à Alliance Québec l’ont faite aussi, il n’y a pas si longtemps, aux campagnes mensongères de l’Alliance for the Preservation of English in Canada et du parti Confederation of Regions. À cette époque, j’ai voulu corriger certaines des faussetés les plus choquantes que je lisais dans le courrier à l’éditeur du Sudbury Star et du Northern Life. Or, mes répliques publiées dans ces mêmes pages ont eu pour effet d’inspirer des ripostes encore plus nombreuses, plus mensongères et plus bêtes. Un soir j’ai eu le malheur d’en lire une avant mon repas. Je n’ai pas pu manger de la soirée. Telles sont les émotions qui viennent d’une telle discussion. J’ai vite compris dans quelle fosse puante je plongeais en portant ma cause sur la place publique. Quand j’ai écrit ma dernière lettre à ces journaux, c’était seulement pour annuler mon abonnement. Il faudrait que tous les Franco-Ontariens veuillent vivre ça ? Ils gagneraient vraiment à attaquer la bêtise de front ?

Il existe sans aucun doute, ce fond d’intolérance qui nourrit la fameuse menace de ressac, de backlash, par laquelle les gouvernements ontariens successifs ont toujours justifié leur inaction et leurs injustices. Il n’a pas si longtemps, un certain colonel Jock Andrews a rempli le Grand Théâtre de Sudbury pour dire devant mille personnes qui l’applaudissaient que si le sang devait couler dans les rues à cause du français au Canada, ce serait le sang des autres, pas le sien. La majorité silencieuse canadienne, elle, est plus pacifique. Elle trouve seulement que le français coûte cher, qu’il est inutile étant donné que tous les francophones parlent aussi anglais, et que s’il faut le subir en Ontario, c’est juste pour faire des accroires au Québec. Qui sait vraiment combien de tout ça s’exprime dans l’œil ferme et le ton froid de l’employé d’une agence désignée par la loi 8 sur les services en français qui vous répond : Sorry, I don’t speak French. Nous traitons nos porte-parole de poltrons ? Nous traitons les Franco-Ontariens de moutons ? Eh bien, on a raison. Car ce mouton-là a vu le loup.

Le paradoxe d’une minorité, c’est que son bien-être repose sur des principes politiques et que la politique est le règne de la majorité. C’est sur un tout autre principe de pouvoir qu’il faudrait se fonder pour donner à l’Ontario français une voix publique plus saine que la désinformation de l’APEC et plus forte que le bon-ententisme de l’ACFO. Que nos universitaires ou nos artistes se chargent enfin de le trouver. Quand on aura trouvé notre voix à faire entendre la justice, elle n’aura pas le ton de celle d’Alliance Québec. À l’entendre dénoncer si fort de si faibles torts, je suis sûr que Howard Galganov n’aurait pas fait vieux os s’il avait été Franco-Ontarien. Il aurait fait une extinction de voix suivie d’une dépression.

Il y a des indignations qui ne se disent qu’en anglais et des injustices qui ne se dénoncent qu’entre anglophones. Ça nous sert à rien d’envier les belles grosses vagues de sympathie que fait le lobbying d’Alliance Québec. Jamais nous ne pourrions rêver en faire de si belles. Au fait, ça se dirait comment, ACFO, en anglais ?

Tricia Foster : Marginale et triomphante

Ses fans habitués risquent d’être un peu déstabilisés. Tant mieux.

Négligée, le nouvel album de Tricia Foster, s’installe confortablement dans la marge de ce qui se fait habituellement en musique francophone au Canada. Une bouffée d’air frais.

Plongeant entre le trip-hop (Pendule), le drum & bass (M. Le Temps) et le jazz atmosphérique (Leaves), la grande fille avec une grande gueule née dans un trailer park près de North Bay dans le Nord de l’Ontario nous livre un album sombre, saupoudré de fébrilité et minimaliste à nous faire ronger les doigts. Gros phat beat qui fade out pendant une montée fulgurante de cor français. La négligée sait séduire.

Avec Olivier Fairfield (Timber Timbre, Iceberg) à la réalisation, on découvre une Tricia Foster complètement dans son élément. Sa livraison saccadée de texte sans retenue se colle parfaitement aux grooves planants, aux textures rudes et aux ambiances tendues créés par les cors français d’Erla Axelsdóttir et de Pietro Amato (Torngat, Bell Orchestre, Arcade Fire). La guitare se fait discrète, la voix est croustillante, les textes mûrs sont teintés d’images éclatantes, tout comme celle qui les chante. D’ailleurs, belle surprise : sur la deuxième pièce sur l’album, D’éclats de peines, Tricia chante un poème de Brigitte Haentjens tiré du recueil du même nom.

It grows on you. C’est un album qui passerait sous le radar à une seule écoute, mais qui s’avère triomphant après l’avoir dans l’casque pendant plusieurs semaines. Négligée marque clairement une renaissance pour l’artiste qui s’installe quelque part entre de l’early Ariane Moffatt et une Betty Bonifassi pré-Beast. L’artiste plonge entre le français et l’anglais sans hoquets et sans cérémonies, comme toute bonne Franco-Ontarienne. Les deux univers ne sont qu’un seul.

Tricia Foster nous livre son album le plus audacieux et authentique à ce jour. Un album pop percutant d’une grande dame qui mange du groove pour déjeuner, qui a peur de tout mais qui s’arrête à rien et qui ne mâche pas ses mots.

Reste à voir si l’Ontarienne qui a l’habitude de trop parler en show réussira à transposer l’atmosphère monastique en spectacle. Elle fera bien ce qu’elle voudra. C’est comme ça qu’on l’aime.

À écouter et réécouter trop fort et sur vinyle.

Pour les fans de

Betty Bonnifassi, Ariane Moffatt, Torngat

Moments forts

M. Le Temps, La 17, Pendule, D’éclats et de peinte

«Vidéo moche, mais musique intéressante» – Olivier Lalande, journaliste Nightlife et le Voir. Ditto.

Deux polices de la langue très différentes

Le 23 septembre 1996. En réclamant davantage d’affichage commercial en français, l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO) tentait d’attirer sur elle un peu de l’attention médiatique dont profitait alors Howard Galganov d’Alliance Québec, qui contestait la loi québécoise limitant l’affichage commercial en anglais.


Je suis devenu assez vieux pour voir l’histoire se répéter et ça n’a rien de réjouissant. Les plus jeunes que moi n’ont qu’à feuilleter le livre Bâtir sur le roc, une histoire de l’ACFO du Grand Sudbury publiée par Prise de parole, pour se faire une mémoire d’emprunt.

En profitant du courant d’air déplacé par Howard Galganov, le militant qui réclame de l’affichage commercial en anglais à Montréal, voici que l’Association canadienne-française de l’Ontario à Sudbury et à Ottawa réclame à son tour des affiches en français. L’occasion est belle, après tout, de mettre l’émoi anglais au service du français. Or, ce n’est pas la première fois que l’ACFO de Sudbury s’y essaie. Ils ont déjà fait ce bel effort dans les années soixante-dix. Aujourd’hui, peu de traces en restent. Malgré les trente années de débat constitutionnel qui ont suivi, Sudbury ne s’affiche pas plus en français aujourd’hui. Car en vérité, une affiche commerciale française en Ontario, c’est au mieux une dépense inutile et au pire, un irritant inutile. Pour tout dire, même les commerçants francophones n’affichent pas en français.

On dit qu’il y a deux minorités de langue officielle au Canada. Parfois même, comme ces temps-ci, on prétend que leur cause est la même. C’est ainsi qu’un chroniqueur de la Montreal Gazette a pu reprocher aux Franco-Ontariens la timidité de leur version du brouhaha de Galganov. Eh bien, voilà justement la preuve que les deux minorités ont en vérité bien peu en commun à part leur nombre. Le gouvernement du Québec subventionne trois universités unilingues anglaises ; le gouvernement de l’Ontario, aucune université unilingue française. Il y a sept collèges anglais au Québec établis depuis longtemps, contre deux collèges tout récents en Ontario. Ne cherchez pas en Ontario l’équivalent des hôpitaux anglophones du Québec, des médias, des services, des commerces anglophones, et ainsi de suite.

Mais la plus grosse différence, la voici. Howard Galganov a pour cible une loi, qu’il juge injuste et oppressive peut-être, mais une loi formelle aux limites claires. Les Canadiens-Français d’Ontario, eux, ont pour cible une loi autrement difficile à contester : la loi des attitudes. En Ontario, les lois couchées sur papier sont de notre bord. La constitution canadienne garantit l’éducation en français. Or l’Ontario s’en balance sans que personne ne s’en indigne. De même, la loi 8 sur les services gouvernementaux en français peuvent rester fictifs sans que personne ne s’en offusque. En Ontario, on n’aura jamais besoin d’une loi officielle pour limiter le français comme on en a une au Québec pour limiter l’anglais. Ici la loi des attitudes est un frein bien suffisant. C’est une loi si bien ancrée dans les cœurs et les esprits de la majorité qu’elle se passe bien d’une police de la langue.

En dépit de leur forte population canadienne-française et en dépit de trente ans de discours sur le beau Canada bilingue, Sudbury, Timmins ou Kapuskasing demeurent des villes anglaises qui n’ont jamais voulu montrer leur visage français. On peut décrire la mentalité ontarienne de bien des manières, mais jamais on ne pourra dire qu’elle aime les « visage à deux faces ». Pour avoir deux faces, pour jouer le majoritaire minoritaire, il faut un Anglo-Montréalais comme Howard Galganov. Et pour ne pas perdre la face, l’ACFO s’en tiendra à des demandes timides et vite oubliées.


Ce texte fut publié dans le recueil de nouvelles De face et de billet, par Normand Renaud, aux éditions Prise de parole, 2002. Reproduit avec permission.

Photo: Bon Cop, Bad Cop

Discours de clôture de Jean Marc Dalpé au Salon du livre du Grand Sudbury

Salon du livre du Grand Sudbury, 13 mai 2012


D’abord et avant tout : Merci. Merci pour l’invitation, merci pour l’accueil. Et puis bravo. Bravo Guylaine, Bravo Pierre-Paul, Bravo Nathalie, Catherine, Normand, Stéphane, bravo à tous les bénévoles, aux exposants, aux auteurs, aux animateurs… Votre président vous salue et vous applaudit.

Voilà bien des années, j’ai lu et puis retenu une courte phrase de James Joyce qui m’est toujours restée et qui m’est revenue en apprenant que je devais prendre la parole ici en fin de Salon : «La littérature témoigne de l’esprit indomptable de l’homme.»

C’est ma traduction, donc c’est-tu vraiment ça qu’y’ a dit? Mais je vous la relance quand même : «La littérature témoigne de l’esprit indomptable de l’homme.»

Que nos histoires se déroulent à Dublin, Sudbury, Paris ou Nairobi.
Que nos héros soient blancs, noirs, rouges, verts, fourbes, fripons, enfirouapeurs, saints ou damnés
Qu’ils soient, en colère, en joualvère, en transit ou pris au fond d’une mine dans la noirceur
Que nos héroïnes soient sorcières, servantes, fortes, fragiles, blessées, blasées, bluesées, enceintes, en flammes, en chute libre, ou en amour
Ou encore en furie crissement fuckin fâchée raide man contre l’état du monde
Et comment ne pas l’être?

Il y a toujours quelque chose de pourri au royaume du Danemark.

Même quand le Danemark n’est pas le Danemark, mais Montréal, Hearst, Rouyn. Ou Batoche ou Sarajevo ou Gaza.
Même quand le Danemark n’est pas le Danemark, il y a toujours dans les couloirs du pouvoir des mon’onc Claudius et des mamans ma’tante Gertrude qui se pavanent qui se gavent et qui méprisent tous les Hamlet de ce monde.

Et si ton héroïne se nomme Antigone, son Danemark pourri sera Thèbes sous le joug de son oncle Créon; et si elle se nomme Anna Karénine, son Danemark pourri sera la Russie sous le règne des Tsars; et si elle se nomme par contre Philomena Moosetail, son Danemark pourri sera la réserve de Wasaychigan Hill…

Oui, que nos histoires, celles que nous lisons, que nous écrivons, que nous racontons
Se déroulent ici ailleurs dans le passé demain
Toutes les fictions nous rappellent qu’il y a quelque chose de pourri au Royaume
Que nous sommes mortels parmi les mortels, faillibles, souvent faibles
Mais en vie… calvaire, en vie!

Et ce Salon, fête et foire des fictions, témoigne aussi d’un esprit indomptable
Celui d’une communauté
Dont on a prédit Ô combien de fois qu’elle allait, devait s’éteindre :
On connaît la chanson
Et pourtant nous voici encore et toujours
Joyeusement broche à foin en temps de brosse
Rigoureusement stratégique et su’l piton
Quand une menace se pointe à l’horizon
Oui, nous voici encore ici plus déterminé que jamais
S’éteindre? Non merci. On a ben d’trop d’fun et tant à dire, à faire, à bâtir

Checkez vos claques. Vous avez rien vu encore mes pitous
Ça va swinger tantôt mes pitounes.
Et si cet esprit improbable perdure
C’est qu’il se renouvelle, se transforme, s’adapte
Se laisse chambouler et se fait chambouler
Par ceux et celles qui viennent se joindre à ce ‘nous’
Cette (dixit feu Dickson) belle gang de lucky too too
Je parle ici des nouveaux arrivants qui nous apportent leurs épices et leurs rythmes,
leurs accents et leurs vécus.
Je parle ici surtout des nouvelles générations,
Montantes, métissées, mondialisées, et en mouvance,
Celles qui sont déjà là, celles qui s’en viennent
Et qui nous apportent… ce qui est en train de devenir, et ce qui sera.
Comme les générations qui les ont précédées l’ont fait.

Et c’est pourquoi Mon’onc Jean Marc va se permettre de terminer son petit discours en s’adressant à vous, les jeunes :

Les aînés méritent le respect.
Sauf ceux qui ne le méritent pas!
Et tous ceux qui vous traitent avec mépris de ces jours-ci ne le méritent pas.
Et tous les mon’onc en complet cravate, toutes les ma’tantes en tailleur griffé
Qui hypothèquent votre avenir en vendant votre pays, votre territoire au plus offrant
Sans vous consulter, sans vous écouter, sans vous entendre… ne le méritent pas.

Tous ces messieurs dames très civilisés qui se présentent comme les parangons de la culture
N’ont qu’une culture : celle du profit, le leur. Celle du pouvoir, le leur.

Je sais. C’est pas nouveau.

Il y a toujours quelque chose de pourri au royaume du Danemark.

À vous de relever le défi maintenant de le nommer, à vous d’assumer la tâche, non le devoir, de résister à l’abêtissement à l’abrutissement et notamment en créant des œuvres percutantes qui oui témoignent de l’esprit indomptable des hommes et des femmes d’ici.

Cela dit… Ne vous trompez pas… Mon’onc Jean Marc n’est pas prêt à prendre son trou.
S’il y en a qui a l’idée de dire «Tasse toi Mon’onc!», on verra.

Merci beaucoup.


Photo: The Power of Books (2003), Mladen Penev

Le “coming out” de l’homme invisible

Dans le cadre du Salon du livre du Grand Sudbury, taGueule parrainera une table ronde sur l’absence du français dans la place publique le samedi 12 mai 2012 à 15 h. Venez en discuter avec nos panélistes.


En 2009, ma famille et moi déménagions à Sudbury. Nous avons rapidement adopté la ville, qui a su nous plaire de multiples manières. On y est bien, et on arrive à s’y projeter dans l’avenir.

Parmi les choses importantes pour nous dans le choix d’une ville où habiter, il y avait la possibilité de vivre en français. Oh, pas à 100%. Non, ça, ce n’est pas mon idéal. En fait, j’aime la mixité linguistique, comme beaucoup de gens. J’aime les va-et-vient entre nos deux langues nationales. C’est tout ce que j’ai ever connu. Ça fait partie de qui je suis. J’peux pas imaginer ne pas être exposé aux idées et à l’humour de chacune des deux grandes sphères culturelles du pays. Je ne voudrais me priver ni de l’une, ni de l’autre. Non, décidément, le monolithisme linguistique, c’est très peu pour moi. Quelque chose me manquerait si je vivais, mettons, au Saguenay ou à Saskatoon.

Avec Sudbury, sur le plan linguistique, j’ai vite constaté qu’on était bien servis, ma famille et moi. C’est la ville ayant la deuxième plus grande minorité de langue française «hors Québec» en termes de proportion de la population. On peut y éduquer nos enfants en français de la maternelle jusqu’au doctorat. On y retrouve une foule d’organismes et d’institutions francophones très dynamique. Au niveau des produits culturels en français aussi, on n’est pas dans la dèche – musique, édition, théâtre, salon du livre, etc. Certes, il y a des défaillances. La librairie Grand ciel bleu, qui a fermé les portes l’an dernier, a laissé un grand vide, par exemple. En termes de cinéma, il faut se satisfaire de la portion congrue d’un festival annuel bilingue. Mais somme toute, on a tout ce qu’il faut pour que le français ait une vraie présence dans la vie quotidienne.

Sudbury est-elle donc un éden du bilinguisme et du biculturalisme, une ville où les deux cultures sociétales du pays rayonnent également? Hélas non. Il manque un morceau. Un gros morceau. Ce manque, il m’a sauté aux yeux dès mon arrivée, et il me semble tout aussi évident aujourd’hui. Il s’agit de la faible présence du français dans l’espace public. Les Franco-Ontariens d’ici ont su créer et maintenir des organisations et des institutions dynamiques et efficaces, des institutions qui sont dans bien des cas des piliers de la vie civique sudburoise. Ils ont su, aussi, obtenir des services gouvernementaux dans leur langue. Ce qu’ils ne sont pas arrivé à faire, jusque maintenant, c’est de rendre légitime l’usage de leur langue en dehors de ces institutions. Dans la rue, dans les commerces, sur les panneaux d’affichage, sur les champs de soccer des enfants même, le français se fait rare.

Pour un monctonnien transplanté, qui pourtant, forcément, a eu sa part de “I don’t speak French” balancées à la figure dans sa vie, cette réalité est frappante. Je n’ai, par exemple, pas encore vu de menus bilingues dans un restaurant de la ville. Nulle part! Cette situation est donc clairement «normale», c’est-à-dire considérée comme la norme. Pis, cette norme n’est même pas contestée pour l’instant par une poignée de restaurateurs rebelles. Autre exemple, parmi tant d’autres possibles: on ne retrouve pas de jeux pour enfants, de livres ou de cartes de souhaits de langue française dans les magasins «normaux» de la ville. Visiblement, ces choses sont considérées comme étant des produits de spécialité. Ou, peut-être même comme un produit ethnique, analogue aux légumes inconnus qu’on retrouve chez l’épicier chinois. Il faut trouver une boutique spécialisée pour en acheter. En ce qui concerne l’affichage commercial, n’en parlons même pas. Toutefois, la preuve la plus probante du quasi monopole de l’anglais dans l’espace public est de nature intangible. J’aurai du mal à vous la communiquer par écrit. Il faut la vivre. Il s’agit des diverses réactions que l’on reçoit lorsqu’on s’adresse d’abord en français à un préposé de vente dans un commerce. Mettons que, pour un étudiant en sociologie, il s’agit souvent d’une très belle illustration de ce que Pierre Bourdieu décrit avec son concept de «violence symbolique». Parfois, on a droit à un regard foudroyant, accompagné d’un silence qui semble durer une éternité. D’autres fois, on n’a droit qu’à ce silence et un regard vitreux, comme si on n’avait absolument rien dit, ou comme si on avait parlé en Mandarin, ou comme si on était… l’homme invisible. On devient tout de suite très conscients qu’on a transgressé une norme sociale. Franchement, à ces moments, il m’est arrivé de m’ennuyer des “Sorry, I don’t speak French!” de mon enfance.

Le message envoyé par tout ça – les menus, les cartes de souhait, l’accueil dans les magasins, l’affichage – est clair: ici, dans l’espace public, c’est en anglais que ça se passe. Et que ni la présence historique des francophones dans la ville, ni leur poids démographique ne saurait changer ça. Et vous savez quoi? Ça marche, la violence symbolique. Ça use. Mon comportement altéré en est une preuve. Car je dois vous le confier: aujourd’hui, la plupart du temps, je commence tout au plus avec un «Allo» relativement discret. C’est vraiment un tout petit marqueur linguistique de rien du tout, cette légère variation du “Hello”. C’est un minuscule signal, pratiquement un code secret. Bien timide, comme affirmation. J’suis loin de me considérer un héro. Mais c’est mieux que rien, je suppose.

On pourrait se dire «et alors?». Après tout, on a nos écoles et nos cercles d’amis. Puis après tout, la plupart d’entre nous pouvons très bien communiquer en anglais. Quecé ça change, donc? C’est tentant de prendre cette attitude. Qui veut passer sa vie à s’ostiner ou à se faire dénigrer dans les magasins, après tout? Et pourtant, je ne suis pas tranquille. Trop de questions demeurent. Le paysage linguistique de notre ville reflète une norme, mais est-il pour autant normal? N’y a-t-il pas un décalage important entre ce paysage et la complexité réelle de notre milieu? Ne pourrait-on pas s’attendre à autre chose? Quels effets le paysage linguistique actuel a-t-il sur les enfants de Sudbury – quelle que soit leur langue maternelle – sur leur motivation d’apprendre et d’utiliser le français? Je suis convaincu que le message qu’il envoie est le suivant : le français, ça peut être important pour certains sur le plan de l’héritage, mais c’est pas vraiment utile. On peut vivre sans lui.

Doit-on laisser tomber la question? N’y a-t-il rien à faire? Et si on œuvrait collectivement, par des petites mesures cumulatives, à changer les attitudes? Si on visait, simplement, pour commencer, à ce que ça ne soit pas une drôle d’occurrence de voir un menu ou une affiche bilingue, ou alors une publicité en français en ville? … et que ce ne soit pas weird d’entendre une chanson franco-ontarienne dans un commerce? Et si on arrivait à donner aux diplômés d’immersion, au moins, l’envie de pratiquer leur français quand ils nous servent dans les magasins? À défaut de pouvoir rendre tous les anglophones bilingues du jour au lendemain, si on visait à modifier la façon standard de dire “Sorry, I don’t speak French”, de sorte que l’accent soit placé non sur le “don’t”, mais sur le “sorry”? (Parce que, croyez-le ou non, il y a une manière gentille de dire ces mots! Une manière tellement gentille qu’on n’en veut même pas à la personne qui les itère!)

Vous conviendrez qu’on n’est pas dans l’utopie révolutionnaire ici. N’empêche que ce serait déjà une sacrée amélioration, vous ne trouvez pas?  Ce serait peut-être même assez pour faire sortir plusieurs hommes invisibles du placard (et des femmes aussi, bien entendu). Et si cela arrive, qui sait, cela pourrait déboucher sur un nouveau script des comportements linguistiques “normaux” dans tout le Nouvel-Ontario. Un script dans lequel le français prend la place qui lui revient dans l’espace public.

Vous avez des idées sur des moyens concrets d’opérer ce changement de mentalité, ou sur l’opportunité d’essayer? Venez les partager avec nous au Salon du livre, ou dans les commentaires ci-bas.

Relief (2010-2012)

Il n’avait même pas toutes ses dents. Âgé de seulement 2 ans, la petite carcasse du fils du regretté Panorama fut retrouvé sur la rue College à Toronto plus tôt ce soir. À l’heure de publication, il n’est encore pas clair si Relief s’est étouffé sur sa langue suite aux blagues du chroniqueur Éric Robitaille ou s’il est décédé d’une crise cardiaque suite aux bombardements visuels des titres de l’émission.

«L’Être supérieur a non seulement tiré la plug sur Relief, vingt ans après l’arrivée au petit écran de son père Panorama, mais aussi sur le journalisme d’affaires publiques franco-ontariennes. Il est triste de penser que près de cent personnes devront maintenant aller chercher leurs informations ailleurs.», nous a annoncé la famille par voie de communiqué cette nuit.

Relief est précédé dans la mort par feu Volt, et est survécu par Mini-TFO, Ruby TFO, et l’émission de Michel Bénac. Les funérailles seront privées, de peur que personne ne se pointe. Il est encore trop tôt pour savoir si une nouvelle émission remplacera le défunt. La communauté, en offrant ses condoléances à la famille TFO, espère qu’un late-show franco-ontarien prendra la relève de l’émission sous peu.

À l’enseigne de l’égalité

Dans le cadre du Salon du livre du Grand Sudbury, taGueule parrainera une table ronde sur l’absence du français dans la place publique le samedi 12 mai 2012 à 15 h. Ce n’est pas d’hier qu’on en discute : le 25 octobre 1999, Normand Renaud livrait ce billet en réaction à la nouvelle qu’une cour du Québec avait jugé inconstitutionnelle une section de la loi québécoise qui exige la prédominance du français dans l’affichage commercial. Curieusement, ça lui a fait penser au hockey.


Imaginez un tournoi de hockey entre deux équipes très inégales, non pas à cause de leur talent, mais à cause du règlement. Dans le tournoi que j’imagine, une équipe a droit à trente joueurs, et l’autre, à trois. Que voulez-vous, c’est la règle du jeu. La saison commence et l’inévitable arrive. Malgré les efforts héroïques des minoritaires, l’équipe favorisée mène bientôt au classement avec 909 victoires et 2 défaites. Mais le jeu est juste, car on en suit le règlement.

Tout ça dure longtemps, mais ne fait qu’un temps. À la longue, la grosse équipe trouve le jeu aussi injuste que la petite. À force de réduire ses adversaires en purée, on se beurre de purée soi-même. Ça, ça s’appelle la mauvaise conscience. On en perd jusqu’au goût de gagner.

Ce n’est qu’après tout ça qu’un beau jour, les maîtres du jeu décideront de changer la règle. C’est dur à admettre, mais ils l’admettent : leur règle est déréglée, leur justice est injuste, leur gloire est une honte. Ils proclament donc une nouvelle règle révolutionnaire : le jeu à forces égales. Mais s’ils changent la règle, ils se gardent bien de changer le compte des points. Les meneurs auront toujours droit à l’avance qu’ils ont gagné fair and square sous l’ancienne règle. Et que le jeu continue !

Ce qui paraît absurde en parlant du hockey ne l’est pas du tout en parlant de la société. À la fin du 20e siècle, le Canada est encore pour beaucoup le pays que son passé de privilèges britanniques a façonné. Ce n’est pas par accident que le Canada est aujourd’hui un pays anglais et que les Canadiens-Français, majoritaires au départ, sont minoritaires à l’échelle du pays et dans toutes les provinces sauf une. Ce n’est pas par accident que le principe qui a affirmé l’égalité des deux langues officielles a aussitôt infirmé les efforts faits au Québec pour effacer les acquis du nationalisme britannique d’hier. Si la majorité a changé les règles du jeu politique, ce n’était pas pour y perdre aux éliminatoires. Alors que l’affichage commercial en français est absent partout au Canada, les lois qui le favorisent dans la seule province où il existe sont combattues. La loi du Québec sur l’affichage en français passe pour un affront à la règle suprême, généreuse et moderne de la société canadienne : l’égalité des deux langues officielles. Elle mérite l’intervention de l’arbitre judiciaire et des punitions majeures pour rudesse.

Mais si le Canada veut vraiment la justice à l’avenir, il lui faut corriger l’injustice du passé. C’est ce que le Québec essaie de faire. C’est ce que le reste du Canada pourrait faire à sa manière. Les grandes villes bilingues du pays, Ottawa-Carleton et Sudbury en tête, pourraient se donner des politiques pour promouvoir l’affichage commercial en français. Étant donné qu’elles voudraient l’égalité de droit pour la minorité anglo-québécoise, ces villes pourraient exiger l’égalité de fait pour leur propre minorité franco-ontarienne. Elles pourraient combattre l’entorse à la règle de l’égalité, quand c’est l’indifférence du peuple et non la loi du peuple qui l’impose. Ce serait une manière de ramener à sa destinée bilingue un pays que le jeu du privilège britannique a si longtemps dévoyé.

Si le Québec agace tellement l’opinion canadienne, ce n’est pas parce qu’il maltraite sa minorité. C’est parce qu’il exerce à son tour et à son compte le plus arrogant des privilèges en politique : celui de fixer les règles du jeu. On a beau dire autrement, en matière d’affichage commercial, le principe canadien de la liberté est au service du privilège universel qu’est la loi du plus fort. Le Québec n’accepte pas de jouer ce jeu-là. Sa politique sur l’affichage loge à l’enseigne de l’égalité. C’est une enseigne française.