La Saint-Jean, vous souvenez-vous?

Le 24 juin se déroulera la 179e édition des festivités de la Saint-Jean à Montréal ou, devrait-on maintenant dire, de la Fête nationale du Québec à Montréal.

Il faut se rappeler que la Saint-Jean est la fête nationale seulement depuis que le gouvernement souverainiste du Parti québécois l’a déclarée ainsi en 1977. Il faut se rappeler, aussi, que c’est en 1834 que la fête de la Saint-Jean a pris son envol. À l’époque, les Canadiens français voulaient se doter d’une fête afin de faire comme leurs confrères irlandais, qui venaient d’inaugurer le défilé de la Saint-Patrick. Les Canadiens français de partout au Canada ont célébré cette fête pendant 143 années avant que le Québec ne la prenne en otage et oublie ses réelles racines.

Fait cocasse, c’est le 24 juin 1834 qu’est chanté pour la première fois l’Ô Canada! mon pays, mes amours, lors de la fondation officielle de la Société Saint-Jean-Baptiste, évènement qui rassemblait francophones et anglophones.

En 2013, le grand party, animé par Guy A Lepage, aura pour thème «Le Québec en nous, d’hier à demain» …  «D’hier»…parlons-nous ici de 1834 ou 1977? Les Québécois ont-ils vraiment oublié leurs véritables racines?

Grâce à l’ONF, retournons en 1959 afin de témoigner d’un «hier» non enseigné dans l’histoire récente de cette fête presque bicentenaire.

oehttp://www.onf.ca/film/jour_de_juin

Bonne Saint-Jean à tous les Canadiens français et bonne Fête nationale aux Québécois!

Vivre en français – le 11 janvier 1971

On a trouvé ceci, et on trouve que 40 ans plus tard, on est encore en train parler des mêmes maudits enjeux. Quand l »auteur parle de télévision, pensons plutôt à Internet. Quand il parle de Canadiens-français catholiques, pensons aux Franco-ontariens «pure-laine». Quand il parle de sauver la «race», pensez à nous qui essayons de «sauver la culture» en l’institutionnalisant.  Quand vous voyez 1971, pensez à 2013. Ensuite, pensez à 2051. Nous, dans 40 ans, on aimerait bien ça pouvoir dire qu »on a progressé. 


Vivre en français

Le Voyageur, le 11 janvier 1971

Le passé n »a rien de particulièrement impressionnant pour les jeunes d »aujourd »hui, eux que la télévision, entre autres, a formé à l »actuel et au raisonnablement possible, eux à qui la télévision offre de faire valoir immédiatement leurs idées ou réalisations pour autant que celles-ci s »insèrent naturellement dans un contexte à la fois utile et humanitaire.

Et, pour ces mêmes jeunes, l »enseignement à outrance, l »enseignement «coûte que coûte» de divers principes d »où brille par son absence toute connotation actuelle, n »a pas plus de valeur ou de signification qu »un éléphant dans un bol de soupe.

Ça, ce sont des comportements observables, qui ne sont pas sujets à discussion. Devant eux, on adopte deux attitudes : bien on regarde, on cherche, et l »on comprend ou alors on fait l »autruche et, forcément on ne comprend rien à rien.

Pour la jeunesse franco-ontarienne, ces problèmes d »incompréhension – déjà lourds à assumer – se doublent d »un autre, non moins lourd à supporter : celui des instruments naturels de communication et de la langue en particulier.

Pour un jeune Franco-Ontarien, parler français ça veut souvent dire faire un effort. Probablement que si la chose était possible, il trouverait plus aisé de parler «mathématique». En tout cas, il lui est plus naturel de parler en anglais. Et comment oserait-on lui reprocher ce comportement qu »il tient de la nature même de son environnement? Communiquer, comme on s »en doute bien, c »est essentiel. Et probablement que le jeune Franco-Ontarien trouve plus de bonheur à mal communiquer en anglais [certaines choses changent, quand même!] qu »à ne pas réussir à communiquer du tout en français!

De bonnes âmes de patriotisme tout imbues, tentent malgré tout de sauver la «race», ignorantes toutefois des données élémentaires capables de stimuler véritablement le désir chez ces jeunes de tout d »abord, vouloir vivre en français, et, ensuite, de faire les efforts nécessaires pour normaliser une situation que l »histoire a laissé se détériorer.

Encore en 1971, on fait appel à «la fierté d »être un Canadien catholique d »expression française». Puis sans faire ni un ni deux, on se gargarise à pleine gorge des nobles motifs qui devraient assurer la naissance et l »explosion de cette fierté : «notre passé: nos aïeux et leur oeuvre; notre survivance; nous-mêmes et nos qualités; notre mission et la Providence»!

Et voilà qu »on se surprend ensuite à ne pas comprendre cette jeunesse qui online casino nederlandsegokken s »entête à ne pas vouloir être fière! Quelle ingratitude, en effet! «Nous portons bien haut le flambeau et l »idéal de la race, et voilà que cette jeunesse pour qui nous le faisons nous trahit, ajoutant à cela l »arrogance d »un sourire narquois qui pourrait nous faire croire que ce que nous disons ou faisons relève de l’imbécillité pure».

De l »imbécilité, assurément non. Mais l »intransigeance de la jeunesse face à ses propres valeurs, fait que trop souvent elle crée l »intolérance face à celles de ceux qui l »ont précédée.

Et l »on peut se demander à ce point-ci, qui doit faire l »effort de comprendre qui. La réponse semble évidente.

Véritable effort de compréhension, voilà sûrement l »essentiel. Compréhension de la jeunesse elle-même, compréhension surtout du contexte qui la forme et dans lequel elle doit vivre. Compréhension, entre autres, d »un fait capital : les valeurs et les instruments traditionnels, à plusieurs niveaux et particulièrement à celui de la langue pour les Franco-Ontariens, n »ont plus d »impact – si toutefois ils en ont jamais eu!

Les valeurs du passé? Non. Ce sont les valeurs du temps actuel, de l »Action actuelle qu »il faut faire ressortir. Et, quand c »est nécessaire, favoriser cette action actuelle, animer le dynamisme de cette jeunesse.

Il n »y a vraiment plus qu »une fierté que cette jeunesse-là peut acquérir, et c »est la fierté d »elle-même, de ses propres actes : c »est la marque de notre temps. Le reste devient accessoire et s »acquiert au gré des besoins, des gestes, des réflexions.

– Hubert Potin, éditeur en chef du journal Le Voyageur, 1971


Dans la vie, il y a des choses qui ne changent jamais.

C’est toujours à recommencer

«Je me sens sans pays. Comme francophone hors Québec, j’ai pu de place.»

Le même utilisateur du mystérieux compte YouTube qui avait mis en ligne le documentaire J’ai besoin d’un nom qui nous avait complètement jetés à terre en février vient d’afficher un nouveau vidéo. C’est toujours à recommencer, est un court documentaire produit en 1980 par André Gladu et Michel Brault pour Radio-Canada dans le creux de l’hiver nord-ontarien. C’est froid, c’est sec et c’est pas facile à regarder.

Bien qu’assez misérabiliste comme portrait du fait français à Hearst et à Kapuskasing dans les années 1980, le film présente tout de même quelques points intéressants: la naissance de l’identité «bilingue» chez la plus jeune génération et le sentiment d’être un «peuple sans pays» après la Révolution tranquille au Québec.

Des airs de country à des reels de violon, la musique balise le documentaire. À 3:05, un bûcheron chante son quotidien dans le Nord de l’Ontario dans la pièce titre du documentaire C’est toujours à recommencer.

«J’avais 15 ans avant de m’apercevoir que les Français étaient minoritaires en Ontario. Moi, je pensais que partout en Ontario c’était français comme à Moonbeam.»

‎L’extension naturelle du Québec

Vers la fin des années 1910, le gouvernement ontarien fait une campagne en Europe pour recruter des Néo-Canadiens dans le but de peupler le Nord. Les gens sont venus s’établir dans le Nord de l’Ontario, encore très peu défriché. En même temps, comme il y avait beaucoup de chômage et un manque de terres au Québec, les prêtres colonisateurs du Nord recrutaient en disant que le Nord de l’Ontario «c’était l’extension naturelle du Québec. C’était facile pour les gens d’y croire parce que quand ils s’en venaient s’établir ici c’était français partout, alors ils se sentaient chez eux, ils se sentaient au Québec, en Ontario.» (5:20)

On parle de la manière dont les ouvriers francophones étaient obligés d’apprendre l’anglais pour travailler dans les régions de l’Ontario où ils étaient majoritaires (10:38), des luttes scolaires, de la problématique des conseils scolaires dans les années 1980 (12:30) et de l’émergence d’une nouvelle culture en Ontario français; la culture «bilingue» (16:08). À la fin, le documentaire touche à un point très sensible: le sentiment qu’ont certains francophones hors Québec d’être sans pays suite à la Révolution tranquille au Québec (22:00).

«Je me sens un peu comme la Sagouine. Elle à le savait par exemple ce qu’elle était. Moi, je l’sais pas. J’pense qu’il faut que je le dise que j’suis Franco-Ontarienne parce que moi j’ai vécu toute ma vie dans l’Nord de l’Ontario. Ça m’appartient. C’est mon pays. Je ne sens pas aucune identification avec le Sud de l’Ontario, ça c’est un monde à part. Mais le Nord de l’Ontario, géographiquement, pis le monde qui vivent ici, j’aime, pis c’est moi. Mais je me sens pas du tout comme Canadienne française. Ça fait pas mal longtemps de ça.

Quand j’étais jeune, j’avais le rêve d’un Canada bilingue, d’une mer à l’autre. Monsieur Trudeau, c’était l’exemple parfait de ce que ça pouvait être, le Canada. Mais depuis ce temps là, je me sens sans pays parce que je me sens pas vraiment Québécoise. J’pense que le Québec a fait un cheminement que nous autres on n’a pas pu faire, on peut pas faire, parce qu’on n’a pas les mêmes ressources, on n’a pas de frontières. J’ai l’impression que si j’allais vivre au Québec j’aurais de la difficulté à m’adapter au Québec. Je me sens sans pays. Comme francophone hors Québec, j’ai pu de place.»

Ce documentaire de Radio-Canada répond à très peu de questions, mais en pose plusieurs très percutantes.

Est-ce que le Nord de l’Ontario est vraiment si différent du Nord québécois? Est-ce le Québec oublié? Qu’est-ce qui nous empêche de faire nos valises et de déménager au Québec? Est-ce qu’une «culture bilingue» est possible ou souhaitable? L’assimilation pose-t-elle problème dans le Nord ontarien? Est-ce que les choses ont changé? Est-ce les gens de Kap se sentent franco-ontariens? Does it even matter? Est-ce même un enjeu? Est-ce qu’on y réfléchit? Avons-nous trouvé notre nom? Cherchons nous encore un pays?

Bonne réflexion, cher toi.

«Il n’est pas injuste de rappeler aux francophones qu’ils sont une race de vaincus et que leurs droits n’existent que grâce à la tolérance de l’élément anglais, lequel, avec tout le respect dû à la minorité, doit être considéré comme étant la race dominante.»

– George Drew, premier ministre de l’Ontario, 1943

L’homo francophonensis ou l’histoire d’une coquille vide

Montréal, un 18 mars, il y a environ 5 ans. Nous sommes en plein défilé de la Saint-Patrick. Une journaliste est sur place pour décrire l’événement. Un travail impeccable, sauf pour une phrase qui m’avait, disons, agacé. En décrivant la foule qui s’était déplacée pour participer à la fête, elle tenait à souligner que toutes les communautés culturelles étaient représentées: «Il y avait des Irlandais, disait-elle, mais aussi des Écossais, des Haïtiens, des Chinois et des francophones…»

Ce n’était certainement pas la première fois qu’on me «francophonisait», mais c’est ce jour là que j’ai vraiment pris conscience de toute la portée de cette dernière invention de la rectitude politique. Le temps aurait pu enjoliver les choses et rendre le terme plus acceptable. Au contraire: ma «francophonité» m’irritait à l’époque. Aujourd’hui, elle me fâche. Pourquoi? Parce que le mot «francophone» réduit des millions de Canadiens français à un seul aspect de leur identité: la langue. Il fait du moine l’habit qu’il porte. Par ailleurs, le référant «francophone» n’est accepté que parce qu’il est utile, parce que la langue française est un outil de communication tangible et incontestablement unique en Amérique. Même les ténors de l’antinationalisme le plus primaire n’ont pas encore réussi à nous convaincre que la langue est une invention sociale.

La création de l’être «francophone» vide l’identité collective de près du quart de la population canadienne de toute sa substance. Tous les dictionnaires et tous les ouvrages de référence en témoignent. Leur définition du mot «francophone» est claire: «qui parle français». Rien sur les Franco-Ontariens, rien sur les Québécois, rien sur les Acadiens. Niet. Un francophone, ce n’est rien d’autre qu’un locuteur de la langue française. Bien entendu, le nom commun peut aussi se transformer en adjectif; il peut être attaché à un pays, ou à une nation. On peut parler d’un pays francophone par exemple, ou d’une nation francophone. Tout ce qu’il faut c’est qu’une partie au moins des gens auxquels ont fait référence parlent le français.

Mais voilà, au Canada, l’adjectif a pris la place du nom propre. Il a pris toute la place. Nous avons cessé d’être des gens «qui parlent le français» pour devenir strictement des… «parlent le français». Des francophones. Comme un Irlandais qui n’en est plus un parce qu’il parle anglais, ou gaélique. Il est anglophone, ou gaélophone. C’est vrai, il existe une différence importante: est Irlandais le citoyen de l’État d’Irlande, alors qu’il n’existe pas d’État souverain franco-ontarien, acadien ou québécois. Mais allez dire aux Cullen et aux O’Toole des États-Unis qu’ils ne sont pas irlandais parce que leur passeport n’est pas émis à Dublin. Allez dire aux Catalans qu’ils sont «catalophones» où tout simplement qu’ils ne sont pas catalans s’ils sont «hispanophones».

L’existence d’un État qui puisse donner corps à une identité nationale facilite certainement la définition d’une communauté. Reste qu’il est loin d’en être le seul élément constitutif. Même les plus farouches défenseurs du nationalisme dit «civique» le reconnaissent. Une certaine idée de la nation a traversé les siècles: celle qui se définit à travers une culture commune, une histoire commune, et un territoire commun. Canadien-français, vietnamien, gallois, arménien, bantou, wallon… La liste est longue comme l’Histoire du monde. Mais jamais jusqu’à maintenant un peuple ne s’était défini que par une langue.

Je suis francophone. Je suis un «qui parle français». Et si je parlais anglais? Je deviendrais alors un «qui parle anglais»? Non? Non. Je deviendrais alors un Canadian. C’est tout. Parce que cette façon de vouloir écraser notre identité nationale sous un vocable plus «inclusif» cache un profond malaise. Certains lui ont déjà donné un nom à ce malaise. L’historien Jacques Beauchemin l’a appelé «refus de soi».

Au Canada, la naissance du «francophone» comme référent identitaire quasi-exclusif est directement lié au déchirement du projet d’émancipation nationale: le mouvement indépendantiste québécois doit sa naissance à un désir de faire perdurer la «grande aventure des Français d’Amérique», des Canadiens français. Pourtant, déjà depuis la fin des années 1960, une frange toujours plus importante du mouvement a tenu à prendre ses distances par rapport au nationalisme dit «ethnique» canadien-français. Résultat: on vend l’identité «québécoise» plus civique, plus inclusive, dans l’optique de donner corps à une nation dont on nie l’existence. C’est l’aporie. Les Canadiens français nient leur existence propre pour continuer à exister! Le projet d’indépendance au Québec n’aurait aucun sens sans son moteur canadien-français ou franco-québécois, pour rester dans l’air du temps. D’ailleurs déjà, le mouvement commence à comprendre tout ce qu’il a perdu en troquant son héritage canadien-français pour le vocable plus «convenable» de francophone: sa raison d’être, et donc, son espoir de convaincre une majorité de Québécois d’adhérer à son projet.

Le Canada n’est pas le seul pays où l’on retrouve ce type de refus de soi motivé par un prétendu «patriotisme constitutionnel». L’Occident dans sa quasi-totalité est confronté à ce même «idéal civique» de l’identité nationale, totalement allergique à toute notion de communauté ancrée dans la mémoire, la culture et l’histoire. Né à gauche du spectre politique, c’est le rêve de l’égalité sans limite, quitte à nier l’histoire, l’héritage culturel, ou même jusqu’au bagage familial. Rien qui puisse provoquer le rejet de l’un, ou de l’autre, par l’un, ou par l’autre. Mais pour arriver à ce monde idéal de la feuille blanche, où tout individu peut se construire comme il le veut à partir de rien, il faut d’abord effacer tout relent d’Histoire. Tout ce qui pourrait créer un «nous» et un «eux»… Bref, purger toute la nation de sa substance pour ne laisser qu’une coquille vide.

C’est ça être francophone. C’est une coquille vide. C’est ce qui reste d’une communauté culturelle après que le vampire bien-pensant l’a vidée de toute sa substance culturelle et de toute sa mémoire. Fini le nationalisme trouble-fête qui vient ruiner la grande célébration du genre humain tout-le-monde-il-est-pareil-et-tout-le-monde-il-est-égal par le maintien d’une véritable diversité!

Oui! Le nationalisme est capable des pires crimes et des pires horreurs. Pas besoin de remonter très loin dans l’Histoire pour en avoir la preuve. Oui, l’idée est dangereuse, mais elle est aussi créatrice. Elle est aussi libératrice. L’art, les valeurs partagées, la mémoire collective: ce sont sans doute les dernières préoccupations des chiens et des chats, mais pour le genre humain, ce sont des planches de salut. En fait, notre attachement à ces abstractions est peut-être précisément ce qui fait de nous des Hommes.

J’ai peine à imaginer l’ennui d’un monde sans identité nationale «substantielle», sans histoire, sans mémoire et sans culture. Un monde sans «nous» fondé sur  l’utilitarisme, sur une langue pour nous comprendre, sur des lois pour ne pas nous taper dessus, et sur un territoire pour travailler et consommer. Et faire de l’argent. À mes yeux, dans sa définition actuelle être francophone c’est exactement ça. C’est réduire l’identité à un simple outil du vivre-ensemble. Ou plutôt, du vivre côte-à-côte.

Nous aurons un autre bel exemple de tout ce que je viens d’écrire à Toronto dans quelques jours, à l’occasion de la «Franco-Fête». Pour la fin de semaine du 24 juin. Eh oui! La Saint-Jean-Baptiste, c’était trop «canadien-français», c’était pas assez inclusif. La fête est devenue celle d’un peuple sans substance et sans mémoire. Et si l’idée vous prend de justifier cet abandon de la Saint-Jean parce qu’elle est devenue la «Fête nationale» des Québécois, ravisez-vous: 82% des Québécois sont aussi des Canadiens français confrontés à la même «francophonisation» de leur identité.

Mais prenez garde, chantres de la «francophonisation» du fait français en Amérique! Aussi nobles qu’aient été vos mobiles, l’enfer demeure pavé de bonnes intentions. À force de vouloir nier l’Histoire par souci d’inclusion, vous risquez de créer un mal plus grand encore que celui que vous souhaitiez éviter. Un retour du balancier. De Vancouver à St-John, sachez qu’ils sont encore nombreux ceux et celles qui savent très bien que la langue n’est pas la seule chose qu’ils partagent. Il ne suffit pas de nier l’existence d’un peuple pour le faire disparaître.

Un conte de deux cités: impressions de la grève étudiante

J’habite l’arrondissement d’Outremont à Montréal, mais juste. À quelques rues à l’est, c’est le Plateau Mont-Royal. Dans ces rues limitrophes, il y a un grand nombre de familles juives hassidiques. Cela fait plusieurs années que j’habite le quartier et il faut dire que le contact est minimal. On a toujours l’impression, à tort ou à raison, que cette communauté ne s’intéresse pas à «nos» affaires.

Hier soir, j’avais décidé de descendre dans la rue à huit heures pour me joindre à la marche des casseroles du quartier. Depuis l’adoption de la loi spéciale il y a une semaine, ces manifestations «spontanées» se déroulent dans les divers quartiers de Montréal et dans d’autres villes du Québec. Gens de tout âge y sont présents. J’avais assisté brièvement à des marches de casseroles d’autres quartiers, notamment le quartier populaire de Hochelaga et dans le Quartier Latin, mais jamais muni de ma propre casserole.

Il y a presque deux mois, lorsque je vous ai écrit pour faire état de la grève étudiante au Québec, la grève suscitait relativement peu d’intérêt dans le ROC (Rest of Canada). À ce moment-là, Québec refusait toujours de négocier avec les étudiants alors qu’aujourd’hui on parle de négociations entre le gouvernement et les quatre associations étudiantes nationales (la Fédération étudiante collégiale, la Fédération étudiante universitaire, la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante et la Table de concertation étudiante). Une proposition de baisse de la hausse à déjà été faite par le gouvernement. C’est un début.

À ce moment-là, il n’y avait pas encore d’injonctions, de grande manifestation nationale pour la fête de la terre du 22 avril, d’augmentation de la hausse, d’entente bidon ni la démission de la ministre Beauchamp. Il n’y avait pas encore la loi spéciale (l’oie spéciale qui distribue des amandes salées), les manifestations nocturnes, les arrestations de masse qui augmentaient en nombre jusqu’à ce que, selon certains, la bureaucratie policière nécessite quelques soirs de répit avant de recommencer de plus belle. Le 22 mai, il y a eu une autre manifestation nationale contre la loi spéciale qui a réuni jusqu’à 400 000 personnes dans les rues de Montréal. Et bien sûr, il y a deux mois, Anarchopanda n’était qu’un autre prof contre la hausse. Aujourd’hui, le monde entier parle de nous.

Si les manifestations nocturnes demeurent essentiellement étudiantes, les concerts de casseroles rejoignent tous ceux qui sont contre l’atteinte aux droits fondamentaux et ceux qui en ont crissement marre de Charest et de son gouvernement. Et ceux-ci sont de tous les âges.

Je descendais donc dans la rue, armé d’une cuiller en bois et d’une casserole. C’est une expérience tout autre que celles des marches nocturnes. Les manifestations sont plus petites, la présence policière est moindre, donc moins violente. Il y a moins de colère, l’ambiance est plus festive. Pour une première fois, peut-être, les voisins se parlent, se sourient et côtoient. Il n’y a pas de juifs hassidiques dans notre défilé, mais il y en a plusieurs qui nous observent du coin de la rue ou de leur perron. Il y a des hommes qui sourient dans leurs longues barbes en nous voyant, ils doivent trouver ça drôle, étrange. Parfois, je remarque une femme qui tape dans ses mains. Les enfants nous regardent avec émerveillement. Mais il n’y a personne qui se joint à nous.

Après une petite pause concert devant la maison du maire de Montréal, nous poursuivons notre chemin pour enfin rejoindre l’artère principale, l’avenue du Parc. Rendu à l’angle Laurier, je décide de rentrer chez moi plutôt que d’aller jusqu’au centre-ville. Mes jambes me font mal, victimes du déménagement de ma blonde, la veille.

Devant la synagogue à deux pas de chez moi, un groupe d’«adolescents» hassidiques se tient, comme nous nous tenions jadis sur les marches de l’école après la fin des cours. Ils sont quatre ou cinq, ils ont tous l’air d’avoir 15 ou 16 ans. Il fait déjà nuit, le ciel est sombre. Alors que je passe devant eux, j’entends un «Hello».

Je réponds : «Hello».

Je m’apprête à continuer tranquillement mon chemin quand j’en entends un qui m’interpelle.

«Hey, we saw somebody with, under the red square, the black square. What does it mean?»

«It’s for the law»

«So the red is for the students and the black for the law?»

«Yes, against the law that was passed.»

Il explique en Yiddish pour un de ses camarades qui ne doit pas bien comprendre l’anglais.

Ensuite, il dit «We have one too» et il sort un petit carré rouge de la poche de son long manteau noir.

«Thank you» dis-je en souriant, puis «Good night», avant de monter chez moi.

C’est peut-être la plus longue conversation que je n’ai jamais eue avec ces jeunes qui vivent à deux pas de chez moi. Je ne sais pas ce qu’ils pensent vraiment de la grève, du mouvement étudiant. Mais ils sont certainement curieux.

Les choses ont changé au Québec.

Je sais qu’il ne s’agit que d’un fait anecdotique qui n’explique en rien ce qui se passe vraiment au Québec. Mais il est emblématique de l’omniprésence de ce mouvement dans tout ce qui se passe actuellement.

Il y a quelque chose dans l’air qu’il n’y a pas encore dans le ROC.

Alors qu’à l’Assemblée nationale, ceux et celles qui se déclarent la représentation légitime du peuple se préparaient à adopter une loi spéciale draconienne et sûrement anticonstitutionnelle et que dans les rues de Montréal, de Québec, de Sherbrooke et ailleurs, la résistance québécoise se préparait à une énième manifestation, je filais à l’anglaise vers le calme d’une province amorphe où le carré rouge que je portais fidèlement ne provoquait ni la peur aux bourgeois banlieusards ni la fierté aux vieux travailleurs dans les autobus municipaux.

Toronto était calme. Toronto n’était pas concernée par ce qui se passait alors et ce qui se passe toujours à Montréal. Les nouvelles circulaient aussi lentement que les autos des riches de Rosedale en direction de leur petit palais des Muskokas ou des Kawarthas pour fêter la reine du Canada avec une caisse de bière et un coup de soleil. On ne savait donc pas que la politice militarisée matraquait avec encore plus d’impunité. Que les politiciens rétrogrades font l’apologie de la violence sous prétexte que les têtes et les cerveaux d’un jeune ne valent pas la vitrine bien assurée d’une banque qui s’amuse à financer le meurtre par voie de fait minier d’un village entier en Amérique du Sud. Que les dispositions d’une loi matraque sont une machine à remonter dans le temps qui permettent à la ministre Courchesne de défaire et réinterpréter les lois de la province et au premier ministre de se donner des airs de Le Noblet.

Les oiseaux chantaient paisiblement, les gens marchaient dans les rues, désunies, sans scander de slogans. Je me suis permis le privilège d’une fin de semaine paisible alors que les miens étaient sur la place publique à revendiquer en risquant éventuellement de perdre leurs yeux, leurs oreilles ou leur liberté.

Malgré les tentatives d’étaler le beurre d’érable, je me ressentais d’autant plus étranger dans ma ville natale que d’habitude. Toronto avait quelque chose de mort. Il y a quelque chose de vivant dans la résistance, il y a quelque chose de vivifiant dans la revendication. J’espère que le Maple Spread réussit à libérer mon Ontario natal des griffes de Morphée pour qu’il ressente la liberté qui ne vient qu’en la réclamant. Pour le moment, le printemps n’est arrivé qu’au Québec. Mais les saisons ne connaissent pas les frontières.

Je ne sais pas vraiment où je veux en venir, à part vous faire part de quelques impressions. Pour les faits, il faudra aller ailleurs. Je vous laisse avec une chanson de notre chanteur populaire national, Damien Robitaille :


Photo: Steve Duchesne

Écoles catholiques, écoles publiques : une histoire de compromis bâtards (I)

En 2009, après le déménagement de ma famille dans le Nouvel-Ontario, je constatais finalement de visu, avec un certain amusement, ce que j’ai appris dans mes bouquins d’histoire : il y a effectivement quatre réseaux scolaires distincts dans toutes les régions de l’Ontario – anglais public, anglais «séparé» (c’est-à-dire confessionnel, catholique la très grande majorité du temps), français catholique et français public.

Bien que je connaisse les événements qui ont mené à cette configuration institutionnelle, la situation me semblait ahurissante. D’abord, parce que c’est inusité. Au Canada, seules deux autres provinces ont une telle quadruple structure, la Saskatchewan et l’Alberta (et encore, c’est moins poussé là-bas). Les autres pays occidentaux, pour leur part, ne mettent généralement pas les écoles confessionnelles sur le même pied que les écoles publiques et financent rarement l’éducation en langue minoritaire dans la même mesure. Ensuite, parce que c’est plutôt lourd, administrativement parlant. Dans le monde moderne, de tels dédoublements ne sont pas pris à la légère. Nous vivons, après tout, dans des sociétés qui cultivent un culte de l’efficience. Réserver des institutions publiques distinctes à différents ensembles de citoyens, ce n’est pas un réflexe spontané de nos bureaucraties.

Est-ce à dire que c’est forcément un mal? Certainement pas. On peut argumenter qu’il s’agit d’un exemple à suivre, d’un trop rare cas dans lequel la «machine» technocratique de l’État – normalement froide, impersonnelle et sans couleur – se plie à la réalité chaude et humaine de la population qu’elle doit, après tout, desservir.

Est-ce pour autant nécessairement un bien? Non plus. Même dans les cas où chacun des systèmes distincts (et par extension tous les individus qui y participent) est traité équitablement (contrairement aux systèmes de ségrégation raciale qu’on a pu trouver jusque dans le passé récent aux États-Unis ou en Afrique du Sud, par exemple), l’on pourrait avancer que de telles distinctions peuvent être néfastes, que dans certains cas, l’existence de structures distinctes peut ne représenter rien de plus qu’un produit de l’inertie. Les institutions, après tout, tendent à vouloir survivre. Si leur raison d’être initiale vient à disparaître, la survie peut devenir une mission en soi et pour soi, même inavouée. Au lieu de refléter des différences culturelles réelles que l’on a jugées bon de protéger, de telles structures peuvent devenir, en soi, des génératrices de divisions identitaires au sein de la population.

Dans quelle catégorie tombe chacun des quatre systèmes scolaires de l’Ontario? S’agit-il de réponses adaptées de l’État à des différences culturelles bien réelles, largement valorisées, et s’inscrivant dans un projet de société actuel? Ou plutôt de vestiges d’un consensus social du passé? La question est candide. Peut-être certains la trouveront-ils tendancieuse. Et pourtant, je l’ai exprimée dans des termes tout à fait neutres et « décontextualisés ». Si elle dérange malgré tout, serait-ce parce qu’elle touche à un nerf? Mais n’allons pas trop vite. Commençons par explorer les origines des écoles séparées en Ontario.

Le compromis bâtard No 1 – La constitution de 1867 et les «peuples fondateurs»

1864-1866. Trente-trois hommes blancs qui deviendront les «Pères de la Confédération» négocient ardemment les bases de la première constitution du pays, d’abord à Charlottetown, puis à Québec, et finalement à Londres. Parmi eux, on retrouve quatre Canadiens français, tous du Canada-Est, territoire qui deviendra bientôt la province du Québec. Malgré les nombreuses fêtes et les bals – ou peut-être grâce à eux – le travail est essentiellement achevé dès la fin de la seconde conférence. Ne reste qu’à régler quelques questions et à attendre que la métropole daigne confirmer le tout par un projet de loi à Westminster. Ce sera fait trois ans plus tard : l’Acte de l’Amérique du Nord britannique crée le «Dominion» du Canada.

Les Canadiens français ont longtemps voulu croire, à la suite d’Henri Bourassa (1868-1952), que ce moment fondateur du pays représentait un «pacte» entre deux «peuples fondateurs», le britannique et le canadien-français. Il s’agit d’une interprétation simpliste, qui néglige plusieurs autres facteurs ayant mené à cet exercice de construction étatique. (Des questions économiques, financières, militaires et géopolitiques ont aussi pesé lourdement). La «théorie du pacte» contient néanmoins une parcelle de vérité : il est vrai que l’aménagement des intérêts perçus des deux groupes ethnoculturels a joué un certain rôle dans l’élaboration de la constitution. Toutefois, si l’on veut être lucide, si on s’éloigne quelques instants de l’idée d’exploiter cette idée-force pour des fins de revendication politique, il faut avouer que si compromis il y eut, c’était un compromis bâtard. (Bancal, si vous préférez.)

Pour les Canadiens français, que trouvait-on dans cette constitution? Sans entrer dans les détails, cela se résume à ceci : un gouvernement fédéré distinct pour la majorité francophone et catholique de la nouvelle province du Québec (avec tout ce qui s’ensuit : une assemblée et des pouvoirs législatifs, un régime de droit civil distinct, etc.) et le bilinguisme parlementaire et judiciaire au niveau fédéral (bilinguisme ne s’appliquant pas à l’administration publique). C’est tout. That’s it, that’s all. Remarquez, après un quart de siècle sans province qui leur soit propre, ceci semblait n’être pas si mal pour une petite majorité de Canadiens français. Le Québec était né!

Aujourd’hui, on peut concéder le fait que, considérant qu’ils n’étaient que quatre, les «Pères» canadiens-français on fait du beau travail. De là à dire que l’arrangement constitutionnel au complet soit un pacte entre deux «peuples fondateurs», il y a un gouffre. Le Canada de 1867 était un pays britannique à demi-décolonisé, qui a concédé aux Canadiens français une province dans laquelle ils seraient majoritaires. Un carré de sable dans lequel jouer sans déranger les autres.

Cette interprétation n’est-elle pas mesquine? Sûrement qu’on a pensé aux minorités ethnoculturelles au sein des provinces? Vous faites bien de le souligner. On y a pensé, en effet. Encore une fois, de manière bancale (bâtarde, si vous préférez). Plus bancale encore que les dispositions générales de la constitution. Pour les protestants du Québec (qui, comme par hasard, étaient en énorme majorité des anglophones), on prévoit clairement et spécifiquement des écoles distinctes. On leur réserve aussi des sièges sénatoriaux fédéraux (tirés du total des sièges du Québec). On s’assure que la législature et les tribunaux de Québec soient officiellement bilingues. Finalement, par mesure de précaution, on donne une chambre haute au Québec – un sénat – pour s’assurer que la majorité démocratique (qui, comme par hasard, est francophone) n’utilise pas la chambre basse pour brimer les droits des minorités.

Pour une raison ou une autre, la vaste majorité de ces dispositions ne sont pas considérées comme nécessaires ailleurs. Pour les catholiques des autres provinces (majoritairement irlandais en Ontario à l’époque, en légère majorité des Acadiens dans les Maritimes), pas de sièges sénatoriaux fédéraux, pas de bilinguisme législatif ou judiciaire et pas de sénat provincial. Seulement, vaguement, on affirme dans l’article 93 que les «privilèges» conférées légalement aux écoles séparées par des provinces avant 1867 gagnent un statut constitutionnel, et devront donc être respectés. Or, dans les faits, cette dernière disposition touche seulement l’Ontario, la province ayant le plus bas taux de francophones à l’époque.

Les Acadiens sont donc largués. On a beau lire la constitution de long en large, on ne trouvera aucune disposition s’appliquant à eux. À peine une référence à leur existence. En Nouvelle-Écosse, le gouvernement avait créé un unique système public d’éducation avant même la Confédération (1864). Le Nouveau-Brunswick (1871) et l’Île-du-Prince-Édouard (1877) suivront de près. On mesure rapidement la faiblesse de l’article 93, puisque rien, dans la crise qui en résulte, ne saura faire reculer ces gouvernements provinciaux. Les Canadiens français de l’Ontario et leurs coreligionnaires, bien qu’outrés, poussent un soupir de soulagement. Ils ont quelque chose à quoi s’accrocher : leurs écoles catholiques sont clairement protégées par l’AANB.

Voilà donc l’origine des réseaux scolaires confessionnels que l’on retrouve en Ontario. Ils représentent, en fin de compte, une pâle imitation des faveurs concédées à la minorité protestante du Québec.

(à suivre)

Pour en savoir plus

Bellavance, Marcel. « La Confédération et ses opposants ». Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, n° 41, (1995), p. 32-36.

Gervais, Gaétan. « L’Ontario français (1821-1910) »,  dans Cornelius Jaenen, (dir.), Les Franco-Ontariens. Ottawa, Historical Studies Series/Presses de l’Université d’Ottawa, 1993, p. 49-64.

Martel, Marcel et Martin Pâquet. Langue et politique au Canada et au Québec : Une synthèse historique. Montréal, Boréal, 2010.

Migneault, Gaétan. Les Acadiens du Nouveau-Brunswick et la Confédération. Lévis, Les Éditions de la Francophonie, 2009.

Paquin, Stéphane. 2006. « Confédération : Pour en finir avec la théorie du pacte », dans Michel Venne (dir.) L’Annuaire du Québec 2007. Montréal, Fides, pp.194-199.

Paquin, Stéphane. L’invention d’un mythe. Le pacte entre deux peuples fondateurs. Montréal, VLB éditeur, 1999, 171 p.

Silver, A. I. The French-Canadian Ides of Confederation, 1864-1900. University of Toronto Press, 1997.


Image: Un tableau dépeignant les négociations qui menèrent à l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867

Commentaire sur le référendum du Québ–… de l’Écosse

Michael Ignatieff, ou Michel de Nostredame, dit Nostradamus?

Si on apprit lundi soir que Michael Ignatieff, l’ancien chef du Parti libéral du Canada, trouvait qu’une décentralisation plus accrue des pouvoirs fédéraux au Canada et au Royaume-Uni vers le Québec et l’Écosse mènerait éventuellement à l’indépendance de ces nations, il s’assura de nuancer ses propos peu de temps après par deux lettres adressées aux éditeurs du Globe and Mail et de La Presse, en anglais et en français respectivement. Peu importe, deux citations de l’entrevue m’ont beaucoup fait réfléchir à la situation du Canada et des Canadiens-français (ou minorités hors-Québec, et des Québécois, et/ou des Acadiens, et des… bon. Whatever, appelez-vous comme vous le voudrez).

“The Canadian example goes to show that you can devolve power down and get those Tory politicians from London out of your hair, and, run your own affairs short of being an independent country. And it’s a kind of waystation, you stop there for a while, but I think the logic eventually is independence, full independence.”

“I think if Scotland goes independent, a lot of other small nations in Europe will start accelerating their quest for independence. Spain, the Catalans and the Basques; Belgium, the Walloons and the Flemish; Quebec. Canada will listen and watch with baited breath for the outcome of this referendum, because if Scotland goes independent, then Quebec will renew its quest for independence. So it will have global effects.”

— Michael Ignatieff

Vraiment? Est-ce que les nationalistes des autres états/états-nations attendent que le vote référendaire en Écosse passe pour entamer les prochaines étapes de leurs plans? J’en doute fortement.

On habite un monde où l’information circule beaucoup trop rapidement pour ça. La preuve, c’est qu’au lendemain de la diffusion de l’entrevue avec BBC, les propos d’Ignatieff avaient déjà fait les manchettes de l’autre côté de la planète. Doit-on croire sincèrement que l’idée de la séparation de l’Écosse du Royaume-Uni ne se serait pas déjà rendue influencer le discours des souverainistes de ce côté de l’Atlantique? Doit-on penser que ces mêmes souverainistes n’ont pas déjà suffisamment de cas historiques pour pouvoir construire leurs propres raisonnements? Je ne pense pas. De toute façon, Ignatieff a bien précisé, le Royaume-Uni est un des pays multinationaux les plus vieux de la Terre. Le Canada n’est pas construit de la même façon, alors on s’inquiète pour rien; le Québec n’est pas, un État au même titre que l’est l’Écosse. N’est-ce pas?

«Puis nous autres dans tout ça?»

Puis pourquoi s’intéresserait un Franco-ontarien à tout ça? De toute façon, lui, il n’est pas Québécois. Admettons qu’Ignatieff avait raison; que le référendum en Écosse passait en 2014, et que ça renouvelait l’indépendantisme au Québec au point de nous mener à un autre référendum. Où retrouverions-nous par rapport à cet enjeu? Que peut nous apprendre l’histoire au sujet de la «rupture» du Canada français à la fin des années 60?

«À Sudbury, les lendemains des États généraux [et de] […] la « territorialisation » du discours nationaliste [canadien-français] au Québec […], sont des plus moroses. Les minorités, déclare-t-on, devront se rabattre sur elles-mêmes pour assurer leur développement, les Québécois ne leur seront plus d’aucun secours. La presse étudiante, qui accepte [initialement] avec plus d’enthousiasme et d’optimisme [que leurs aînés] le projet néonationaliste, conclut avec davantage de facilité à la désagrégation, pour ne pas dire à la caducité du « Canada français ».»

— Michel Bock, 2001, p. 86

Voyant comment, finalement, le Québec nous a pas vraiment abandonné suite à la crise du Canada français de la fin des années 60 (on n’a qu’à compter l’important nombre de «Franco-ontariens d’origine québécoise» qu’il y’a dans nos communautés, et, noter le montant d’énergie qu’ils investissent à son épanouissement), aurions-nous plus de facilité à accepter que, finalement, non seulement a-t-on besoin du Québec mais aussi des autres minorités francophones du pays, et oui, peut-être même du Canada anglais non pour survivre, mais pour bien s’épanouir et bien vivre? Est-ce qu’on appuierait le projet indépendantiste? Est-ce qu’on ferait nos valises? Monterait-on aux barricades pour dénoncer un tel projet?

Comme le Juif russe en 1948, ou l’Irlandais habitant à Londres en 1922, aurions-nous le réflexe «d’entrer au bercail», ou au contraire, considérerions-nous que cette «terre promise» ne serait pas la nôtre? Comme le disait Fernand Dumont en 1997, «Les Acadiens parlent français, mais ils ne s’identifient pas aux Québécois francophones même s’ils sont proches par des voisinages et si un grand nombre d’entre eux vivent au Québec». Pourrait-on faire une analyse aussi monolithique des Franco-ontariens par rapport au Québec? Et par rapport au Canada français? Et par rapport à la référence canadienne-française? En d’autres mots, les vestiges identitaires du Canada français d’autrefois, seraient-ils assez puissants pour nous attirer vers un État souverain «for French-Canadians»?

Références

Michel Bock, Comment un peuple oublie son nom – La crise identitaire franco-ontarienne et la presse française de Sudbury (1960-1975). Sudbury, Institut franco-ontarien/Prise de parole, 2001. 119 p.

Fernand Dumont, «Essor et déclin du Canada français ». Recherches sociographiques, vol. 38, no. 3, 1997. p. 419-467.

Vers une république canadienne?

Cette semaine on célébrait le 30e anniversaire d’un événement très important dans l’histoire canadienne; le rapatriement de la Constitution canadienne. La Constitution, ainsi que la Charte canadienne des droits et libertés qui y est attachée, ont ouvert la porte à plusieurs jugements décisifs pour les Canadiens (entre autres, l’avortement, le mariage gai et la gestion francophone des conseils scolaires). Il est étonnant de constater que malgré l’avant-gardisme de la Charte et le potentiel réformateur du rapatriement, on ait permis à deux institutions politiques de survivre telles qu’elles étaient. Je parle de la Couronne et du Sénat. Même s’il serait facile de m’attaquer à l’inutilité et le manque de représentativité du Sénat, d’autres ont déjà entrepris ce débat et ce n’est pas ce qui m’intéresse. Je m’attarderai surtout à la Couronne.

Le Canada vit sous la monarchie depuis sa colonisation, de la Nouvelle-France à aujourd’hui. Malgré l’indépendance qu’a obtenue le peuple canadien, cette monarchie continue à flotter au-dessus des têtes de nos politiciens, comme un grand symbole colonial et conservateur. Dans notre société moderne, la monarchie n’est plus qu’une simple relique du passé. Elle n’a absolument aucune utilité, sauf celle d’excuse gouvernementale pour éviter d’investir de l’argent dans le peuple. Elle demeure aussi un moyen de démontrer la prétendue supériorité du peuple anglo-saxon sur tous les autres, dont les Canadiens français, les Autochtones et les immigrants qui, plus souvent qu’autrement, ne s’identifient pas du tout à cette vieille dame britannique. Après tout, il ne faut pas oublier qu’elle dirige l’Église anglicane et qu’elle a tout simplement eu la chance de naître au bon endroit au bon moment, ce qui va à l’encontre des principes d’égalité contenus dans la Charte. Pour certains Canadiens-anglais, la Reine continue à représenter un certain attachement à leur Mère Patrie. Par contre, dans une société de plus en plus multiculturelle, l’idée même d’un monarque ne représentant qu’un seul groupe de Canadiens devient de moins en moins pertinente. Cette division nuit à l’unité du peuple canadien et l’empêche d’aller vers l’avant pour construire un Canada nouveau et uni.

L’idée d’une république canadienne n’est ni nouvelle, absurde ou impossible. Il y a 175 ans, Mackenzie et Papineau, avec leurs rebelles, patriotes et frères chasseurs tant au Haut qu’au Bas Canada, se battaient déjà pour des républiques canadiennes. Ces idées n’étaient pas les plus populaires, mais de nos jours, la majorité de la population ne voit pas l’utilité de la monarchie pour le Canada, on s’en tape simplement. Abolir notre monarchie serait très simple, mais rendus là, ce serait le système pour le remplacer qui serait fortement débattu. Celui de l’Irlande est un modèle fort intéressant. Cette république fonctionne sous un système très semblable au nôtre, sauf qu’elle fait élire son Président par suffrage universel. Ce Président n’est en réalité qu’un Gouverneur Général élu. Alors, on peut se demander d’où viennent les idées des monarchistes qui pensent que l’abolition de la monarchie ne mènerait qu’au chaos et à l’incertitude. En effet, ces idées ne sont aucunement fondées sur des principes logiques et ne servent qu’à effrayer la population, puisque l’élection d’un Chef d’État canadien ne causerait pas plus de chaos que n’importe quelle autre élection, et, serait beaucoup moins arbitraire que la simple nomination d’un Gouverneur général. En adoptant un système républicain, le Canada deviendrait plus démocratique sur papier et démontrerait vraiment l’indépendance et l’unité du Canada, ainsi que son désir d’aller de l’avant sans être enchaîné par le passé.

Le plus beau dans tout ça c’est qu’on n’aurait même pas besoin de demander aux Français d’emprunter leur guillotine. On n’a qu’à arrêter de faire semblant que ce vieux système est utile et de s’en débarrasser pour de bon. Tout comme on a poliment demandé notre constitution, on pourrait surement demander notre propre souveraineté.

Le Canada sans le sou

Ça y est! La pièce de un cent disparaîtra progressivement du paysage canadien à compter de l’automne prochain. Le ministre des Finances, Jim Flaherty, l’a annoncé jeudi en déposant son plus récent budget, précisant que cette décision permettra aux contribuables canadiens d’économiser 11 millions de dollars par année. Au dire du ministre, chaque pièce coûte 1,6¢ à produire, ce qui la rend obsolète.

Comme plusieurs de mes concitoyens, il fut un temps où j’avais une tirelire. C’est là que je déposais ces petits trésors qui, grâce à un peu de patience devenaient des dollars (ou je les dépensais au dépanneur du coin en m’offrant des friandises à un sou). Aujourd’hui, comme bon nombre de gens, je ne sais plus très bien quoi en faire. J’ai un pot qui déborde de ces pièces devenues quasi inutiles et je n’ai plus la patience que j’avais.

Le Canada n’est pas le premier pays à éliminer la pièce de un cent. Des pays comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont laissé tomber le cent il y a quelques années.

Une cenne. Cette petite pièce qui semble venir de nulle part et se multiplier à notre insu, encombrant nos tiroirs, nos sacs à mains, nos portemonnaies; qui nous laisse avec des trous dans nos poches ou qui fait retentir la sécheuse comme s’il s’agissait d’une arme de destruction… Et n’oublions pas l’aspect psychologique des sous noirs qui nous donnent parfois l’impression d’économiser sur tel ou tel produit. 9,99$ au lieu de 10$. Avouez que ce n’est pas du tout la même chose. Non, pour le meilleur et pour le pire, la pièce mal-aimée fait partie de notre quotidien, de l’inconscient collectif et de nos habitudes de consommateurs.

Certains aiment encore cette petite pièce. Les historiens, par exemple. Rappelons qu’au début du 19e siècle, les colonies britanniques d’Amérique du Nord, tout en faisant largement usage de pièces étrangères, avaient un système monétaire fondé sur la livre, le shilling et le penny. Vers 1850, toutefois, l’accroissement des échanges commerciaux avec les États-Unis et le grand nombre de pièces américaines et hispano-américaines en circulation dans ces colonies les amènent à se tourner vers un système monétaire décimal basé sur le dollar, le cent ou centième de dollar… La première des colonies qui parvient à adopter une loi en ce sens est le Canada, et la première pièce portant l’inscription «Canada» remonte à 1858, c’est-à-dire neuf ans avant la Confédération. Depuis, c’est toute la monarchie britannique — la reine Victoria, le roi Edward VII, le roi George VI et la reine Elizabeth II — qui y a passé. Oui, notre cent a toujours été très british.

Aujourd’hui, on dit que le cent ne vaut plus grand-chose. Mais attention! Avant de balancer vos sous noirs dans les fontaines de Rome ou de passer l’aspirateur entre les coussins de votre divan, il serait peut-être bon de vérifier les dates…, de consulter des spécialistes. D’abord, la valeur d’une pièce de monnaie abandonnée par son gouvernement et son peuple ne peut qu’augmenter. Et les collectionneurs le savent très bien. Puis, il y a la perle rare. Il y a deux ans, à une foire regroupant des numismates de partout au Canada, j’ai découvert une pièce d’un cent produite en 1905. Croyez-le ou non, il y avait foule autour de cette petite pièce sous verre (non, on ne touche pas!) dont on estimait la valeur à 2 000$. Et maintenant? Qui sait combien elle vaut!

Quoi qu’il en soit, la pièce de un cent ne sera plus frappée au Canada. Elle a cédé à l’inflation et à l’indifférence de la majorité qui l’accablaient depuis plusieurs années. Paix à son âme et… God Save the Queen!

P.-S.: Les dons en espèces à l’intention du Receveur général sont acceptés en tout temps.


Photo: Steve Farmer, 1,000,000 Pennies, installation de Gerald Ferguson

Coup de balai dans une école ontarienne

Le 12 juin, 1997. Les nouvelles rapportaient le cas d’un enfant francophone du Sud-Ouest ontarien qui perdait l’accès à l’école française, étant donné que ses parents n’étaient pas des « ayants-droit » selon la constitution.


Si jamais il me venait la grotesque idée de m’inscrire dans une école de ballet, je ne serais pas surpris qu’on me demande, d’un air compatissant : Monsieur, avez-vous déjà dansé le ballet ? Si jamais, (le ridicule ne tuant pas), cette école m’admettait, je ne serais pas surpris non plus qu’on me place dans une classe pour étudiants ayant besoin, disons, de beaucoup d’amélioration. Pour tout dire, je comprendrais que pour mon bien, on m’envoie ailleurs, dans un endroit mieux adapté à mes besoins. Un centre pour perdre du poids, par exemple. Après tout, le ballet, ça exige un minimum de prédispositions physiques.

En revanche, si vous voulez faire admettre votre enfant dans une école française du Canada, on ne voudra pas savoir à quel point il comprend ou il parle le français. Non : on voudra savoir si vous, le parent, avez déjà compris un peu de français, il y a déjà bien longtemps, avant de vous être assimilé et d’avoir tout oublié. On voudra savoir si vous, le parent, avez déjà fréquenté une école française au moins quelque temps dans votre lointaine jeunesse. On ne vous demandera surtout pas de parler français à la maison avec votre enfant. On ne posera pas non plus la question bien trop évidente : votre enfant parle-t-il français ?

Si on vous la posait, ne vous inquiétez pas, ce serait sans conséquence. Car la section 23 de la Charte des droits et libertés du Canada est ainsi faite qu’elle ouvre grand les portes des écoles françaises à pleins d’élèves qui ne parlent pas le français. Ajoutez à cette loi-là les politiques éducationnelles qui mettent tout le monde dans la même classe sans le moindre classement et vous obtenez quoi ? Une école française qui n’est française que par accident, quand elle l’est encore. Pour achever le portrait, mettez les écoles d’immersion sous l’égide des administrations scolaires anglaises plutôt que française, de sorte que les francophones n’aient pas ce moyen de trier la clientèle.

En Ontario, vous trouverez sans peine, dans une école soi-disant française, plein d’élèves anglais qui n’entendent jamais le français ailleurs que dans la bouche de leur professeur, surtout pas dans la leur. Ils sont là parce qu’ils croient que l’école française, c’est meilleur que l’immersion. Et vous trouvez, sans plus grande peine, dans une école d’immersion soi-disant anglaise, des élèves qui vous diront en un français tout à fait assuré qu’ils sont là parce que l’immersion est meilleure pour eux, tant leur français est faible. Ils sont là pour faire de bonnes notes plus facilement, ou pire, pour fuir une école française trop peu française.

Et à travers tout ça, vous trouverez deux parents anglophones du Sud-Ouest ontarien dont l’enfant parle très bien français sans avoir accès à une école française, une école qu’il a pourtant déjà fréquentée. Ce pauvre petit doit être le seul élève au pays que la loi a banni de l’école française. En fait, il n’est qu’une victime un peu plus ironique de la confusion généralisée qui passe pour de la politique éducationnelle, dans ce pays ou bilinguisme rime trop souvent avec politicaillerie. Les intérêts politiques ont tant pris le dessus sur les vrais besoins des communautés françaises et des enfants français que les parents ne savent plus faire de choix appropriés. Et les administrations scolaires les laissent faire.

Un jour, vous verrez, la politique organisera de la même façon le monde de la danse. Vous voudrez inscrire votre fille dans une école de ballet. On vous dira : elle est bienvenue, si vous avez déjà été concierge.


Ce texte fut publié dans le recueil de nouvelles De face et de billet, par Normand Renaud, aux éditions Prise de parole, 2002. Reproduit avec permission.