Le “coming out” de l’homme invisible

Dans le cadre du Salon du livre du Grand Sudbury, taGueule parrainera une table ronde sur l’absence du français dans la place publique le samedi 12 mai 2012 à 15 h. Venez en discuter avec nos panélistes.


En 2009, ma famille et moi déménagions à Sudbury. Nous avons rapidement adopté la ville, qui a su nous plaire de multiples manières. On y est bien, et on arrive à s’y projeter dans l’avenir.

Parmi les choses importantes pour nous dans le choix d’une ville où habiter, il y avait la possibilité de vivre en français. Oh, pas à 100%. Non, ça, ce n’est pas mon idéal. En fait, j’aime la mixité linguistique, comme beaucoup de gens. J’aime les va-et-vient entre nos deux langues nationales. C’est tout ce que j’ai ever connu. Ça fait partie de qui je suis. J’peux pas imaginer ne pas être exposé aux idées et à l’humour de chacune des deux grandes sphères culturelles du pays. Je ne voudrais me priver ni de l’une, ni de l’autre. Non, décidément, le monolithisme linguistique, c’est très peu pour moi. Quelque chose me manquerait si je vivais, mettons, au Saguenay ou à Saskatoon.

Avec Sudbury, sur le plan linguistique, j’ai vite constaté qu’on était bien servis, ma famille et moi. C’est la ville ayant la deuxième plus grande minorité de langue française «hors Québec» en termes de proportion de la population. On peut y éduquer nos enfants en français de la maternelle jusqu’au doctorat. On y retrouve une foule d’organismes et d’institutions francophones très dynamique. Au niveau des produits culturels en français aussi, on n’est pas dans la dèche – musique, édition, théâtre, salon du livre, etc. Certes, il y a des défaillances. La librairie Grand ciel bleu, qui a fermé les portes l’an dernier, a laissé un grand vide, par exemple. En termes de cinéma, il faut se satisfaire de la portion congrue d’un festival annuel bilingue. Mais somme toute, on a tout ce qu’il faut pour que le français ait une vraie présence dans la vie quotidienne.

Sudbury est-elle donc un éden du bilinguisme et du biculturalisme, une ville où les deux cultures sociétales du pays rayonnent également? Hélas non. Il manque un morceau. Un gros morceau. Ce manque, il m’a sauté aux yeux dès mon arrivée, et il me semble tout aussi évident aujourd’hui. Il s’agit de la faible présence du français dans l’espace public. Les Franco-Ontariens d’ici ont su créer et maintenir des organisations et des institutions dynamiques et efficaces, des institutions qui sont dans bien des cas des piliers de la vie civique sudburoise. Ils ont su, aussi, obtenir des services gouvernementaux dans leur langue. Ce qu’ils ne sont pas arrivé à faire, jusque maintenant, c’est de rendre légitime l’usage de leur langue en dehors de ces institutions. Dans la rue, dans les commerces, sur les panneaux d’affichage, sur les champs de soccer des enfants même, le français se fait rare.

Pour un monctonnien transplanté, qui pourtant, forcément, a eu sa part de “I don’t speak French” balancées à la figure dans sa vie, cette réalité est frappante. Je n’ai, par exemple, pas encore vu de menus bilingues dans un restaurant de la ville. Nulle part! Cette situation est donc clairement «normale», c’est-à-dire considérée comme la norme. Pis, cette norme n’est même pas contestée pour l’instant par une poignée de restaurateurs rebelles. Autre exemple, parmi tant d’autres possibles: on ne retrouve pas de jeux pour enfants, de livres ou de cartes de souhaits de langue française dans les magasins «normaux» de la ville. Visiblement, ces choses sont considérées comme étant des produits de spécialité. Ou, peut-être même comme un produit ethnique, analogue aux légumes inconnus qu’on retrouve chez l’épicier chinois. Il faut trouver une boutique spécialisée pour en acheter. En ce qui concerne l’affichage commercial, n’en parlons même pas. Toutefois, la preuve la plus probante du quasi monopole de l’anglais dans l’espace public est de nature intangible. J’aurai du mal à vous la communiquer par écrit. Il faut la vivre. Il s’agit des diverses réactions que l’on reçoit lorsqu’on s’adresse d’abord en français à un préposé de vente dans un commerce. Mettons que, pour un étudiant en sociologie, il s’agit souvent d’une très belle illustration de ce que Pierre Bourdieu décrit avec son concept de «violence symbolique». Parfois, on a droit à un regard foudroyant, accompagné d’un silence qui semble durer une éternité. D’autres fois, on n’a droit qu’à ce silence et un regard vitreux, comme si on n’avait absolument rien dit, ou comme si on avait parlé en Mandarin, ou comme si on était… l’homme invisible. On devient tout de suite très conscients qu’on a transgressé une norme sociale. Franchement, à ces moments, il m’est arrivé de m’ennuyer des “Sorry, I don’t speak French!” de mon enfance.

Le message envoyé par tout ça – les menus, les cartes de souhait, l’accueil dans les magasins, l’affichage – est clair: ici, dans l’espace public, c’est en anglais que ça se passe. Et que ni la présence historique des francophones dans la ville, ni leur poids démographique ne saurait changer ça. Et vous savez quoi? Ça marche, la violence symbolique. Ça use. Mon comportement altéré en est une preuve. Car je dois vous le confier: aujourd’hui, la plupart du temps, je commence tout au plus avec un «Allo» relativement discret. C’est vraiment un tout petit marqueur linguistique de rien du tout, cette légère variation du “Hello”. C’est un minuscule signal, pratiquement un code secret. Bien timide, comme affirmation. J’suis loin de me considérer un héro. Mais c’est mieux que rien, je suppose.

On pourrait se dire «et alors?». Après tout, on a nos écoles et nos cercles d’amis. Puis après tout, la plupart d’entre nous pouvons très bien communiquer en anglais. Quecé ça change, donc? C’est tentant de prendre cette attitude. Qui veut passer sa vie à s’ostiner ou à se faire dénigrer dans les magasins, après tout? Et pourtant, je ne suis pas tranquille. Trop de questions demeurent. Le paysage linguistique de notre ville reflète une norme, mais est-il pour autant normal? N’y a-t-il pas un décalage important entre ce paysage et la complexité réelle de notre milieu? Ne pourrait-on pas s’attendre à autre chose? Quels effets le paysage linguistique actuel a-t-il sur les enfants de Sudbury – quelle que soit leur langue maternelle – sur leur motivation d’apprendre et d’utiliser le français? Je suis convaincu que le message qu’il envoie est le suivant : le français, ça peut être important pour certains sur le plan de l’héritage, mais c’est pas vraiment utile. On peut vivre sans lui.

Doit-on laisser tomber la question? N’y a-t-il rien à faire? Et si on œuvrait collectivement, par des petites mesures cumulatives, à changer les attitudes? Si on visait, simplement, pour commencer, à ce que ça ne soit pas une drôle d’occurrence de voir un menu ou une affiche bilingue, ou alors une publicité en français en ville? … et que ce ne soit pas weird d’entendre une chanson franco-ontarienne dans un commerce? Et si on arrivait à donner aux diplômés d’immersion, au moins, l’envie de pratiquer leur français quand ils nous servent dans les magasins? À défaut de pouvoir rendre tous les anglophones bilingues du jour au lendemain, si on visait à modifier la façon standard de dire “Sorry, I don’t speak French”, de sorte que l’accent soit placé non sur le “don’t”, mais sur le “sorry”? (Parce que, croyez-le ou non, il y a une manière gentille de dire ces mots! Une manière tellement gentille qu’on n’en veut même pas à la personne qui les itère!)

Vous conviendrez qu’on n’est pas dans l’utopie révolutionnaire ici. N’empêche que ce serait déjà une sacrée amélioration, vous ne trouvez pas?  Ce serait peut-être même assez pour faire sortir plusieurs hommes invisibles du placard (et des femmes aussi, bien entendu). Et si cela arrive, qui sait, cela pourrait déboucher sur un nouveau script des comportements linguistiques “normaux” dans tout le Nouvel-Ontario. Un script dans lequel le français prend la place qui lui revient dans l’espace public.

Vous avez des idées sur des moyens concrets d’opérer ce changement de mentalité, ou sur l’opportunité d’essayer? Venez les partager avec nous au Salon du livre, ou dans les commentaires ci-bas.

Dérape de la Francophonie

En cette Journée de la Francophonie, je partage avec vous un vidéo qui est dans la même veine que C’est un amour, sauf que celui-ci vient de l’Ontario et les saxs kitch des années ’80 ont été remplacés par des «Yo! Yo! On est francos!», des «Francoquoi?» et des «C’est cooool».

On peut-tu s’il vous plaît arrêter de pervertir la Francophonie avec des quétaineries aussi insipides? On a d’l’air désespéré!

Oui, le contenu est pertinent, mais si le médium est le message, on est notre propre source d’assimilation.

Ça me rappelle un peu (mais un peu!) ceci.

La francophonie au Maine

Le Franco-américain? Qui est-il? Une espèce en voie de disparition dites-vous? Pourtant, il mérite tout de même qu’on s’intéresse à lui. Au 19e siècle et au début du 20e siècle, nombreux ont été ceux qui ont quitté le Québec (et par extension l’Acadie) pour la Nouvelle-Angleterre pour travailler dans les usines de textiles, notamment. En fait, de nos jours, il semblerait que près de la moitié de la population de cette région des États-Unis auraient des racines canadiennes-françaises quelconques.

Au Maine, près d’un tiers de la population déclare avoir des racines francophones et près de 7% de la population, surtout concentrée dans trois régions : le nord, le centre et le sud, parlent toujours le français à domicile. De son côté, le comté d’Aroostook compte même plusieurs communautés majoritairement francophones. Fait intéressant, car en 2014, le comté sera l’un des trois hôtes du prochain Congrès mondial acadien qui se tiendra également dans le Madawaska (Nouveau-Brunswick) et le Témiscouata (Québec).

Jason Parent est un fier francophone de cette région. Il est également président du comité organisateur du

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Maine pour cet événement. J’ai profité de cette occasion pour en savoir davantage sur cette communauté francophone méconnue. Quoique parfaitement bilingue, l’entretien suivant est en anglais pour la simple raison que M. Parent affirme avoir plus de facilité à s’exprimer en anglais à l’écrit (l’entretien a eu lieu par courriel).


Briefly, could you paint me a portrait of the present situation of the francophone population in Aroostook County (and the state of Maine).

Maine has the second highest percentage of French Americans in the U.S. Only New Hampshire has a higher percentage of French Americans. In Aroostook County (particularly the St. John Valley region of Aroostook County) many Acadians still speak French at home. See the percentage of French speaking people as cited below in some of the larger communities in the St. John Valley:

Madawaska, Maine (pop. 4,534) – 84% French-speaking

Fort Kent, Maine (pop. 4,233) – 61% French-speaking

Van Buren, Maine (pop. 2,631) – 79% French-speaking

Frenchville, Maine (pop. 1,225) – 80% French-speaking

Eagle Lake, Maine (pop. 815) – 50% French-speaking

St. Agatha, Maine (pop. 802) – 80% French-speaking

St. Francis, Maine (pop. 577) – 61% French-speaking

Grand Isle, Maine (pop. 518) – 76% French-speaking

Saint John Plantation, Maine (pop. 282) – 60% French-speaking

Hamlin, Maine (pop. 257) – 57% French-speaking

The French that is spoken in many of the homes in the St. John Valley is an old world French that is most often mixed with English in the same sentence. For example it would be uncommon for someone in the Valley to refer to a computer by its French term ordinateur – rather the person speaking would likely say the word computer in the middle of an otherwise French sentence.

How has the situation evolved over the years?

The history of a supportive climate for speaking French in Maine has swung from extreme to extreme over the generations and has somewhat settled in a lukewarm place. In the early part of the last century, Maine had the highest percentage of people registered as members of the Klu Klux Klan in the United States. Unlike in the south where the KKK was forwarding an anti-African American agenda, in Maine the KKK was positioned against the French and Catholics. In the middle part of the last century laws were passed by the state prohibiting the speaking of French in schools. If mobile casino French was heard on the playground, students in my parent »s generation were punished for speaking the language and required to write repeatedly on the chalkboard « I will not speak French at school. »

In the 1990″s a revival of sorts happened as a successful grant was written to the Federal Government Department of Education to introduce a new French Immersion Program into schools in the St. John Valley. The immediate results were mixed as not all school districts in the Valley signed on with the project. The schools (particularly those in the western part of the Valley) that didn »t take advantage of the program didn »t do so largely because the damage had already been done by nearly a century of discrimination of the French people. For some, the French Heritage was not something you ran up the flagpole – rather many families chose to hide their ancestry by anglicizing their last name. For example some Roys became Kings, Levesques became Bishops, LeBlancs became Whites, etc. Unfortunately, funding for the project ran out within the last decade. Without funding, the French immersion project is far less effective and has all but disappeared in some of the schools.

Are the younger generations still speaking it?

There is a bubble of youth in the communities that engaged in the French Immersion Program that do speak French quite well. Otherwise, you do hear French spoken by the younger generation on occasion. Much like their parents and grandparents, the French is a unique Valley Franglais.

Do they still have close connections to their heritage?

The coming of the World Acadian Congress has provided a resurgence of sorts for the Acadian Heritage in northern Maine. The youth have a very keen understanding of what it means to be Acadian. They don »t feel that speaking French is a litmus test for being Acadian. They understand that geopolitical decisions, made long before they were even imagined, have dictated the current situation with the erosion of the French language in our region.

Are the older generations still passing it down?

Yes, especially the grandparents. What is particularly heartwarming is that they are passing down the unique local French spoken here to their grandchildren. The youth hear the difference from the more formal French they are learning in school. It sparks an interesting dual learning opportunity and cross cultural experience of sorts.

How often could a visitor hear the french language in public spaces?

Everyday and at all times. It is very dominant in the St. John Valley. What one should expect to hear is that Franglais I noted — a unique blend of French and English that is seamless within the same sentence and seemingly understood by all.

Theoretically, would it be possible to live only in french in certain communities?

Yes. Some more elderly members of the community do live and speak only in French. Government and social agencies have hired personnel accordingly to interface with such citizens in the St. John Valley.

Do you believe that the World Acadian Congress will help advance the situation?

Most certainly. I have always been a believer that economic incentives are the only true motivational force. The St. John Valley has never in my lifetime had such a tremendous opportunity to realize such tremendous economic windfall on the basis of our culture and language. I spoke only French at home before I was enrolled in grade school. From that point forward English became my dominant language because the world around me dictated it be.

From my perspective, cultural and linguistic enlightenment, much like enlightenment on issues pertaining to conservation and the environment, are only realized altruistically by a few « die hards » who really believe in the cause above all else. For the rest, it is not truly embraced until it makes sense to their pocketbook or will benefit their immediate situation. When Maine added a return deposit for beverage containers, nearly the entire population separated its bottles and cans and now bring them religiously to their local redemption center. Had that not been instituted you can bet that the percentage of those recycling would be negligible today. I believe the Congres Mondial Acadien will be the bottle deposit bill for the Acadian Culture and French Language in our region. Like the bottles and cans, our culture its about to find its way to redemption!

What are some of your hopes?

My greatest hope is that we not only save and bolster our French – but renew a pride and confidence in our Brand of French. That we take this opportunity when the Acadian and French World comes to our doorstep to understand and demonstrate that we are just as good as our fellow French speakers around the world. I also hope that our participation as one of the three regions in the International territory of Acadian of the Lands and Forests brings light to the fact that not speaking French is not a disqualifier to being Acadian. There are some people that live in the Valley and other Acadians in Maine and around the United States that don »t speak

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French largely because of the hand that history has dealt them. In all that we do to bring the Acadian Congress to our region, we want for our event in 2014 to say to the World that you are not ex-communicated from the family if you don »t speak French. Our history with the dominant English speaking population in Maine and the efforts to strip us of our pride as citizens of our own state and country because we were different dictates that we understand and have learned that the stick approach is wrong and the carrot approach is much more effective.

And finally, why should one be interested in learning about the history of the francophone population in Aroostook county?

Fundamentally because it is so unique. It is a story defined by triumph over repeated tragedy. The mere fact that we exist as we do today is testament to the spirit of our people. The history of the Acadians in Maine »s St. John Valley is marked with one upheaval after another. From the deportation from Acadie and subsequent migrant people that again lost their homes in present day Fredericton to the separating of families and a people into two different countries after the Bloodless Aroostook War to the hostilities afforded French speakers in Maine in the last century – it is amazing that we are here to tell the story. Moreover, it is exciting that the center of the Acadian universe will be here in just two short years!


Lecture recommandée

Voyages: A Maine Franco-American Reader


Photo: Souper à la résidence de Monsieur J.H. Dubé, fermier de patates, Wallagrass, Maine.
Photographe: Jack Delano, Octobre 1940, National Library of Congress

La grenouille sans le bœuf

Cette réflexion sur la place publique du drapeau franco-ontarien est parue originalement dans le journal Le Voyageur en février 2009. Dans l’esprit de la relance de taGueule, la voici en intégrale.


La grenouille sans le bœuf

L’Ontario français est à l’ère des drapeaux. Il y en a des petits, il y a en a des gros. Il y en a des sobres devant les caisses populaires, Le Voyageur, les écoles françaises, le Centre de santé communautaire, sur les joues des enfants le 25 septembre et à la St-Jean, sur des épinglettes et même en étiquettes sur le dos des livres franco-ontariens en bibliothèque. Notre drapeau a même un livre qui lui est consacré et qui en fait l’étonnante histoire et le récit d’un symbole loin d’avoir fait l’unanimité à son origine. Comme le drapeau canadien!

De l’AFO à la FESFO en passant par le chapelet de sites franco.com en Ontario, Montfort et L’écho d’un peuple, aucune institution franco-ontarienne, tant s’en faut, n’omet d’arborer fièrement le drapeau franco-ontarien. En ce sens, comme tout drapeau, il remplit admirablement bien sa fonction : il fédère.

Même les francos d’Ottawa n’ont pas manqué de s’en servir pour ériger leurs monuments de la francophonie. Ce récent accès de fierté, manifesté par l’érection de drapeaux géants, était une réponse forte à un contexte particulier à Ottawa : cette ville ne veut pas s’avouer francophone. C’est une honte nationale et la population francophone de la grande région a réagit fortement à ce mauvais vent : nous sommes ici et d’ici, fiers, debout et in your face!

C’est pourquoi je pardonne la laideur des monuments et l’ostentation qui les accompagne. À un moment donné, il faut dire «whoa!». Avec un monument, on avait compris, avec six, je me suis dit «je ne suis pas sourd, pis j’en r’viens bien des stèles funéraires et des pierres tombales géantes, on n’est pas mort encore!».

À Sudbury, j’aurais souhaité qu’on aille un pas plus loin qu’Ottawa dans l’expression de notre fierté. Après tout, le maire John Rodriguez a hissé unilatéralement le drapeau à l’hôtel de ville et en a reconnu le statut officiel. Moi, ça me suffit et je passerais volontiers à un autre combat. Que d’autres éprouvent le besoin de redire «icitte, c’est chez nous» et d’inculquer cette fierté à la population et surtout à la jeunesse, je peux comprendre l’enjeu de la démonstration. Et sincèrement je les en félicite.

Or, j’entends dans le vent qu’on voudrait monter un autre drapeau, encore plus gros que tous les autres. Là, messieurs dames, on entre dans une autre logique qui n’a rien à voir avec la fierté et encore moins la dignité. On appelle ça de la pantométrie et on glisse vers un curieux penchant pour les records. Ma foi dit Lafontaine : «La grenouille qui voulait devenir plus grosse que le bœuf». Il y a des enflures qu’il vaut mieux ne pas contracter. L’enflure du drapeau, c’est comme de l’enflure verbale : plus personne n’écoute quand tu cries.

Malgré toute cette fierté affichée, des pièges nous guettent : le piège de rester en surface, le piège de banaliser à force de dire qu’on a non seulement un drapeau, mais qu’il est gros, et surtout le piège de n’avoir à offrir que peu de choses à voir. Quand vous allez à Québec allez-vous voir flotter le drapeau québécois ou le château Frontenac? À Ottawa, les Japonais s’arrêtent-ils sous l’araignée géante de Louise Bourgeois ou sous le drapeau franco-ontarien? À Toronto, vous vous faites photographier assis à côté du bronze de Glenn Gould ou sous le drapeau de l’Ontario… avec un chandail des Leafs devant le vieux Gardens? Passons…

Enfin, donner à voir n’est pas tout et attirer les touristes non plus. Il me semble que si l’Ontario français veut participer à quelque fanfare des nations que ce soit, il faudra s’élever au niveau de l’art. Et si cet art était public et franco-ontarien, ma foi, les drapeaux auraient une raison de plus de flotter sans même risquer de nous éclabousser de viscères de batraciens!

Le Collège Boréal a vu juste en annonçant récemment un vrai monument commandé à l’artiste Colette Jacques. Je souhaite de tout cœur que cette initiative culturelle ouvre un nouveau chapitre sur nos représentations collectives. Et pourquoi pas un bronze du folkloriste Germain Lemieux sur le bord d’une route qu’il a sillonnée avec son enregistreuse? On lui fera porter un chandail du Canadien… Devenu vieux, j’aurai de quoi conter.