À la recherche des étoiles du français

Mise en contexte. On est en 1988. Époque où il y a très peu de français à la télévision à Sudbury. TFO ne parle pas de Sudbury encore (ou très peu).

Que sont devenues les étoiles du français?

Je demande un rematch entre les anciennes étoiles du français et les jeunes dans nos écoles d’aujourd’hui.

Top 17 des meilleurs albums franco-ontariens

L’équipe de taGueule me propose de préparer un ambitieux palmarès; le Top 10 des meilleurs albums de l’histoire en Ontario français. Selon mes goûts personnels, évidemment.

En même temps, je lis sur taGueule que l’on commémore ces jours-ci les cent ans de l’infâme règlement 17.

Cela me donne l’idée de concocter plutôt  un Top 17 des meilleurs albums franco-ontariens.  Juste pour adapter un peu la formule à notre histoire.

Mais d’abord, je dois exclure certains disques que j’adore;

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[li]Il n’y a pas assez de chansons en français sur le superbe disque de Patricia Cano. Exclu. Snif![/li]
[li]Alexandre Désilets a passé quelques années à Kingston mais pas assez pour que je le considère Franco-Ontarien (même si j’aimerais bien pouvoir le faire). Exclu.[/li]
[li]Le charmant mini-disque d’Amélie est trop court pour être dans ce palmarès. Exclu. (J’ai bien hâte d’entendre ce qu’elle fera avec les Singes Bleus).[/li]
[li]Le disque de David Poulin n’est pas encore lancé. Je sens que ça va être fort. On attend.[/li]
[li]Francois Lemieux, Mastik, Les Chiclettes, Yvan Vollé, Paul Demers, Louis-Philippe Robillard, Mehdi Cayenne et plusieurs autres ont fait des chansons qui m’ont marqué. Mais leurs albums sont soit trop courts – soit trop inégaux pour que je les insère dans mon palmarès personnel. Dans le cadre d’une autre occasion, j’aimerais bien faire un palmarès de mes chansons franco-ontariennes préférées.[/li]
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Mon palmarès

17. Philippe Flahaut – Seul avec les autres

Un album que personne n’a remarqué. Pourtant, ce Torontois d’origine française est un brillant parolier, mélodiste et guitariste. Sa chanson du Baiser indélébile (sur l’amour maternel) est un bijou qu’aurait pu écrire Alain Souchon.


16. Deux Saisons – Plus ça change, moins c’est pareil

Un courageux changement de son pour le groupe à l’époque. Plus inégal que Le bal des bois mais avec plusieurs chansons solides.


15. Tricia Foster – 412

Plus le temps passe, plus j’aime ce disque, surtout les chansons plus politiques et altermondialistes.


14. Cindy Doire  – Chapeau de pluie

Si seulement Cindy peut, un jour, enregistrer un album francophone aussi efficace que ses disques anglais! Si le disque Sticks and mud était en français, il serait dans mon Top 5.


13. Robert Paquette – Dépêche-toi soleil

Sans Robert, y aurait-il eu tout le reste? Et son premier album demeure mon préféré, pour sa spontanéité et sa candeur.


12. Konflit Dramatik – Univers dissimulé

Le meilleur disque de rock de notre histoire. Excessif et immature mais puissant et provocateur.


11. Stef Paquette – Le Salut de l’arrière-pays

Comme tout le monde, j’aime la chanson de l’Homme exponentiel. Mais le Salut de l’arrière-pays est un disque magnifique d’un bout à l’autre, magnifiques mélodies, magnifiques arrangements et Stéphane qui chante avec cœur et sobriété sur des textes solides de Normand Renaud et Guylaine Tousignant. Un hommage aux petites villes du nord.


10. Tricia Foster – Commerciale

Surtout pour deux grandes chansons: Force ou faiblesse et Au nom de l’amour. En passant, son nouvel album Négligée n’est pas encore dans mon palmarès. Mais peut-être que dans six mois il y sera. Il me faut d’abord l’apprivoiser. Ca s’en vient!


9.  Deux Saisons  – Au bal des bois

Un grand groupe de party! Ginette Spraynet, Ottawa, Le verre de scotch, le Bal des bois… eh qu’on a eu du fun à chanter ca!!!


8. Andrea Lindsay – Les sentinelles dorment

Il faut le faire: une anglophone de Guelph qui écrit de si belles chansons en français. Et le charme dans la voix de cette fille là!!! Comment résister à Comment te le dire… Le temps de l’amour… Gin bombay… Le charleston?


7. En bref – Éponyme

Ils ont marqué une époque pendant leur trop courte carrière (qui a repris récemment). J’ai un faible pour Depuis toi. Et Ici dans le nord est la meilleure de nos chansons identitaire.


6. Marcel Aymar – Aymar

Il n’a fait qu’un disque solo en carrière. Mais quelle réussite, quelle voix… et les ambiances, les atmosphères… tout bricolé à la main! Jouissif.


5. Cano – Au nord de notre vie

Moins de grandes chansons que Tous dans le même bateau mais plus trippant, musicalement. Puis, il y a le doublé Au nord de notre vie et Spirit of the north….majestueux!


4. Damien Robitaille – L’homme autonome

Pratiquement aussi bon que le prochain album.


3. Damien Robitaille – L’homme qui me ressemble

Le compositeur de chanson le plus doué de l’histoire de l’Ontario français. Il y a les hits (Je tombe, Électrique, Porc Épic) et les grandes chansons (Dans l’horizon, Astronaute, Amnésie).


2. Konflit Dramatik – Éponyme (Tête de poisson)

Un album sous-estimé ici comme ailleurs. Un disque coup de poing. La chanson Tête de poisson me bouleverse à chaque écoute. La chanson de la «douche froide» est une réponse moderne à Dimanche après-midi de Cano. Et la reprise de God is an american est parfaite.


1. Cano – Tous dans le même bateau

Un grand groupe, un grand album, des chansons géantes… En plein hiver, Viens nous voir, Dimanche après-midi… etc.


PS: Par souci d’honnêteté intellectuelle et pour éviter toute apparence de conflit d’intérêt, j’aimerais préciser que j’ai officiellement – quoi que modestement – contribué aux textes de deux des disques de mon Top 17. Il s’agit des albums Chapeau de pluie de Cindy Doire et Univers dissimulé de Konflit Dramatik.

PS2: J’espère évidemment que la publication de Mon Top 17 fera gonfler les ventes des albums, re-stimulera la diffusion radiophonique des pièces auxquelles j’ai contribué et gonflera la somme des droits d’auteurs que me verse la SOCAN. Nous sommes dans une société capitaliste après tout. Au diable l’intégrité, vive la convergence !

PS3: Au fond, je peux bien vous le dire, c’est aussi moi qui a composé l’intégral des pièces de CANO. Mais ne le répétez pas, ça vexerait les musiciens du groupe. C’est une vieille entente entre eux et moi qu’on tient à garder secrète. Admirez ma modestie…

Notre piasse, pour un avenir meilleur (whoa-ou whoa-oh-oh!)

Je ne veux pas être de ceux qui semblent courir les pétitions. Vous les connaissez, ceux qui, semaine après semaine, vous demandent de signer un formulaire en ligne faute de quoi le monde cessera d’exister suite à une apocalypse remplie de grands fléaux, inondations, famine et autres. Bien que les pétitions en ligne soit beaucoup plus faciles à gérer que leurs homologues en papier, je ne suis pas certain qu’elles détiennent autant de poids que celles-ci.

Même si, comme le mentionnait au mois de mars Réjean Grenier, les lovefest franco-ontariens semblent circuler assez souvent sur Internet, je ne crois pas vraiment à leur utilité. Au contraire, je trouve qu’elle ressemble étrangement aux publicités web qui me promettent des millions de dollars si je réussis à tirer le petit canard en caoutchouc. Achalantes, criardes, et sans intérêt.

Mais là, on a affaire à une pétition qui a vu le jour la semaine dernière et qui vise à faire pression au gouvernement ontarien afin de réinstaurer la bourse pour étudier en français (valeur de 1500$), coupé dans la «restructuration budgétaire» de la province. Le RÉFO (Regroupement étudiant franco-ontarien), nouvellement réorganisé, a vu juste de parrainer cette cause.

Je ne vous dirai pas d’aller signer la pétition. Ça, c’est à vous de le faire (ou pas). De toute façon, le RÉFO s’occupe déjà de vous convaincre en faisant connaître certains points saillants sur la page qui héberge la pétition en ligne. Ce que je ferai, c’est féliciter le RÉFO de s’être enfin créé une présence en ligne respectable dans les réseaux sociaux. Par respectable, j’entends une présence qui n’est pas intrusive, mais qui est efficace. On n’abuse pas; on n’affiche pas le même message toutes les 15 minutes; on n’écoeure pas les gens, puis ça fait du bien. Enfin, on peut voir le RÉFO commencer à remplir son but ultime : la mobiliser (et j’ajouterais informer) les étudiants franco-ontariens envers des objectifs communs. Mais pourquoi est-ce différent? On ne fait pas appel à «la cause» comme raisonnement principal. On demande aux gens de signer la pétition en les convainquant par des arguments logiques plutôt qu’émotionnels.

C’est un bon début. Pourrions-nous suggérer au RÉFO d’élargir ses réseaux sociaux à des moyens plus publics tels Twitter et un blogue en ligne? Or, il faudrait également s’occuper de mettre à jour l’ancien site web (la dernière mise à jour date de 2009) ou de rediriger l’adresse vers le nouveau site web. Cela augmentera considérablement la vitesse à laquelle le RÉFO obtiendra des signatures pour sa pétition.

[button text=’ Consulter la pétition ici. ‘ url=’ https://www.change.org/fr/p%C3%A9titions/p%C3%A9tition-pour-r%C3%A9instaurer-la-bourse-pour-%C3%A9tudier-en-fran%C3%A7ais-en-ontario-2 ‘ color=’ #be1e2d ‘]

Pour plus d’informations concernant le RÉFO. Pour vous inscrire à l’AGA du RÉFO.

N.B. À des fins de transparence, l’auteur aimerait mettre de l’avant sa participation au sein de RÉFO.

Ce mouton n’a pas vu le loup

Le 7 février 1997. Les médias canadiens faisaient une belle place au lobbying d’Alliance Québec, organisme porte-parole des revendications des anglophones du Québec. Mais l’idée ne venait à personne de comparer leur condition à celle des francophones de l’Ontario.


Le groupe de pression anglophone Alliance Québec réussit encore ces temps-ci à ameuter l’opinion publique canadienne. Comme toujours, ces cris au loup résonnent avec ironie dans nos oreilles franco-ontariennes, tant nous savons que le péril est pire chez nous. Nous nous comparons si mal aux Anglo-Québécois à tant d’égards – écoles, hôpitaux, grands journaux, universités, services et droits acquis de tout genre – qu’il n’est pas surprenant que leur lobby aussi soit meilleur que le nôtre.

En comparant nos porte-parole aux leurs, on a l’impression de ne voir chez les nôtres que timidité, modération, bon-ententisme et à-plat-ventrisme. Des générations de chefs de file franco-ontariens se sont succédé sans jamais qu’on en ait vu un ayant la gueule d’un Howard Galganov, le mordant d’un Mordecai Richler ou l’aplomb d’un Michael Hamelin. Mais ayant dit tout ça, encore faudrait-il dire qu’en Ontario français, comme au Québec anglais, une attitude plus coriace serait plus efficace. Là dessus, j’avoue que je doute. Car la différence qui compte n’est pas dans les gorges chaudes des porte-parole, mais dans les têtes chaudes des sympathisants qui les écoutent.

Les mêmes médias qui font la place si belle à Alliance Québec l’ont faite aussi, il n’y a pas si longtemps, aux campagnes mensongères de l’Alliance for the Preservation of English in Canada et du parti Confederation of Regions. À cette époque, j’ai voulu corriger certaines des faussetés les plus choquantes que je lisais dans le courrier à l’éditeur du Sudbury Star et du Northern Life. Or, mes répliques publiées dans ces mêmes pages ont eu pour effet d’inspirer des ripostes encore plus nombreuses, plus mensongères et plus bêtes. Un soir j’ai eu le malheur d’en lire une avant mon repas. Je n’ai pas pu manger de la soirée. Telles sont les émotions qui viennent d’une telle discussion. J’ai vite compris dans quelle fosse puante je plongeais en portant ma cause sur la place publique. Quand j’ai écrit ma dernière lettre à ces journaux, c’était seulement pour annuler mon abonnement. Il faudrait que tous les Franco-Ontariens veuillent vivre ça ? Ils gagneraient vraiment à attaquer la bêtise de front ?

Il existe sans aucun doute, ce fond d’intolérance qui nourrit la fameuse menace de ressac, de backlash, par laquelle les gouvernements ontariens successifs ont toujours justifié leur inaction et leurs injustices. Il n’a pas si longtemps, un certain colonel Jock Andrews a rempli le Grand Théâtre de Sudbury pour dire devant mille personnes qui l’applaudissaient que si le sang devait couler dans les rues à cause du français au Canada, ce serait le sang des autres, pas le sien. La majorité silencieuse canadienne, elle, est plus pacifique. Elle trouve seulement que le français coûte cher, qu’il est inutile étant donné que tous les francophones parlent aussi anglais, et que s’il faut le subir en Ontario, c’est juste pour faire des accroires au Québec. Qui sait vraiment combien de tout ça s’exprime dans l’œil ferme et le ton froid de l’employé d’une agence désignée par la loi 8 sur les services en français qui vous répond : Sorry, I don’t speak French. Nous traitons nos porte-parole de poltrons ? Nous traitons les Franco-Ontariens de moutons ? Eh bien, on a raison. Car ce mouton-là a vu le loup.

Le paradoxe d’une minorité, c’est que son bien-être repose sur des principes politiques et que la politique est le règne de la majorité. C’est sur un tout autre principe de pouvoir qu’il faudrait se fonder pour donner à l’Ontario français une voix publique plus saine que la désinformation de l’APEC et plus forte que le bon-ententisme de l’ACFO. Que nos universitaires ou nos artistes se chargent enfin de le trouver. Quand on aura trouvé notre voix à faire entendre la justice, elle n’aura pas le ton de celle d’Alliance Québec. À l’entendre dénoncer si fort de si faibles torts, je suis sûr que Howard Galganov n’aurait pas fait vieux os s’il avait été Franco-Ontarien. Il aurait fait une extinction de voix suivie d’une dépression.

Il y a des indignations qui ne se disent qu’en anglais et des injustices qui ne se dénoncent qu’entre anglophones. Ça nous sert à rien d’envier les belles grosses vagues de sympathie que fait le lobbying d’Alliance Québec. Jamais nous ne pourrions rêver en faire de si belles. Au fait, ça se dirait comment, ACFO, en anglais ?

Le Règlement XVII: un arrêté lourd de conséquences

Aujourd’hui, lendemain de la Saint-Jean Baptiste, l’Ontario français reconnaît le 100e anniversaire du Règlement XVII, un arrêté de Queen’s Park qui visait à imposer l’enseignement de toutes les matières scolaires en anglais et limiter l’usage du français à quelques heures par jour en première et deuxième années exclusivement.

En juin 1912, les Conservateurs venaient d’être élus à Ottawa et réélus à Queen’s Park. À la suite d’une campagne francophobe, le gouvernement de James Whitney sentait qu’il avait le mandat de «résoudre» le «problème» des nouveaux arrivants qui avaient migré vers la province «loyaliste» dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Les 200 000 Canadiens-français composaient maintenant des majorités dans les cantons de Prescott, Russell, Nipissing et Temiskaming et avaient modifié le caractère des paroisses et des localités. Le sentiment d’«invasion», mais aussi le refus chez les Canadiens anglais de reconnaître une dualité quelconque (linguistique ou culturelle) moussa la volonté d’assimiler les gens de souche française comme n’importe quelle autre minorité ethnique. Pourtant, au Québec, une sorte de «réserve» pour les Canadiens-français, les Anglo-Protestants, minoritaires, s’attendaient à pouvoir gérer leurs écoles autonomes que le nombre le justifie ou non.

Le Règlement XVII a été dénoncé farouchement par l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario naissante, mais surtout par quelques commissions scolaires, des paroisses canadiennes-françaises, des parents, des instituteurs et des élèves. La mise en vigueur du Règlement en 1913 eut pour effet de suspendre le financement et de congédier les enseignantes qui insistaient de transmettre leur matière en français. Alors que les écoles du sud-ouest ont fléchi sous la pression de Queen’s Park et de leur évêque Michael Fallon, les écoles d’Ottawa et de l’est ont résisté par des manifestations, des chasses aux inspecteurs, des souscriptions auprès du Québec pour payer les enseignantes, des délégations furent envoyées à Rome et à Londres pour convaincre l’Église et le Conseil privé du bien-fondé du refus, sans compter les nombreuses répliques écrites et orales des Canadiens-français envers leurs coreligionnaires d’origine irlandaise qui voyaient chez eux des «foreign customs» ou un «racial mad party». Les écoles du nord ont aussi résisté à leur manière. À Sudbury, la Commission des écoles séparées a divisé les écoles mixtes, ouvrant des écoles distinctes «pour» les Canadiens-français qui disaient respecter le Règlement et ne sortaient leur anglais que lorsque l’inspecteur leur rendait visite.

On connaît la suite. Après le déploiement d’arguments pédagogiques, économiques, politiques et religieux auprès de l’Église, Queen’s Park et la société civile canadienne-anglaise, mais aussi l’ouverture d’une école pédagogique française (1923) et les gestes visant à convaincre les Ontariens qu’ils pourraient s’en sortir comme des héros du bon-ententisme, l’Ontario français a obtenu gain de cause. En novembre 1927, Toronto suspendait le Règlement, non pas parce qu’il reconnaissait la dualité du Canada ou la légitimité des Canadiens-français sur son sol, mais parce que le Règlement n’avait pas favorisé le bon apprentissage de l’anglais selon les méthodes employées par les nouvelles institutrices formées à l’école pédagogique (qui était toujours entièrement financée par l’Église et l’Université d’Ottawa). La conclusion du Ministre de l’Éducation à la fin du périple était que l’anglais serait enseigné toutes les années de l’instruction primaire dans les écoles «bilingues» et que d’autres matières pourraient être enseignées en français sans que cela nuise à l’apprentissage. «The official language of the province will be properly taught», concluait-il.

Cet épisode rappelle la précarité de l’existence de l’Ontario français, mais aussi les séquelles dont nous ressentons encore les effets. Il est difficile de déterminer combien de jeunes ont été perdus aux mains d’un système scolaire anglicisant. Les écoles primaires «bilingues» ne devinrent françaises qu’en 1963 (ce qui exigeait toujours l’enseignement de l’anglais, mais seulement à partir de la troisième année) et des écoles secondaires publiques françaises ne furent financées qu’à partir de 1969. Certains élèves du secondaire (par exemple, à Sault-Sainte-Marie, Hornepayne et Espanola) attendent toujours un édifice où ils seront autonomes et n’auront pas à subir la discrimination d’une majorité qui ne comprend pas la nécessité ou le sens d’une école indépendante. La grande majorité des Franco-Ontariens «parlent l’anglais de toute façon», estime-t-on, sans prendre en compte qu’ils l’ont acquis par obligation ou par osmose.

Durant les négociations pour un renouveau constitutionnel au début des années 1980, la dualité culturelle semblait seulement faire du chemin au Nouveau-Brunswick où le premier ministre Richard Hatfield reconnut l’égalité du français et de l’anglais et des deux cultures fondatrices du pays. Le Québec optait de plus en plus pour l’unilinguisme, même si les acquis de sa minorité anglophone n’ont jamais été menacés. L’Ontario, pour sa part, cherchait à plaire à son partenaire de la Confédération en faisant des gestes de bonne foi envers sa minorité canadienne-française (la construction de nouvelles écoles, l’obtention des services juridiques, la proclamation de la Loi sur les services en français – LSF), mais le premier ministre de l’époque, Bill Davis, a toujours refusé de reconnaître l’égalité du français par crainte d’un «ressac anglophone» dans sa province. Même Bob Rae avait promis de reconnaître l’égalité du français. Cela dit, il n’a pas posé de gestes concrets pendant son mandat (1990-1995).

Les exemples de ce refus persistent, que ce soit dans le cadre de la lutte pour faire flotter le drapeau franco-ontarien à l’hôtel de ville de Sudbury (2003), lutte pendant laquelle le député provincial Rick Bartolucci avait déclaré candidement que hisser ce drapeau exigerait que ceux de l’Italie et de tous les autres pays flottent à côté de lui (!). Et n’oublions pas le récent conflit à l’hôpital de Cornwall (2012) où des municipalités et des citoyens avaient suspendu leur financement à l’institution en raison de la désignation bilingue de nouveaux postes tel qu’exigé par la LSF. L’idée que l’Ontario français fasse partie d’une des deux nations majeures du Canada ou que sa population constitue une minorité nationale (avec les Québécois, les Acadiens et les autres Francos) au même titre que les peuples indigènes peine toujours à faire du chemin auprès de la population générale. L’Ontario n’est jamais parvenu à reconnaître une autonomie aux Franco-Ontariens (hormis la gestion scolaire obtenue en 1998) ou une égalité par rapport à la majorité anglophone. Les concessions à la minorité que les Orangistes avaient qualifiées de «un-British» continuent d’être vues ainsi par trop de gens. La majorité canadienne a beau adhérer à un bilinguisme symbolique, elle continue de refuser la substance de la dualité et celle des minorités nationales.

Panégyriques sur une casserole

Ce poème fut écrit à la suite des soirées de casseroles qui ont eu lieu à Sudbury. Que les manifs aient pris cette forme, et que cette expression particulière de solidarité soit celle qui a pris de l’ampleur partout au pays mérite, je crois, notre attention.


i.
là où j’l’ai échappée au sol
y a quelques soirées
soupers
semaines
petite concavité
aux frappes de la cuillère
résonne
«bonjour»
«réveille»
raisonne

taches noires
témoignent de la soirée
où on a brûlé
le spaghetti
le riz
les justes desserts
la sensibilité

(c’était quand même
par accident)

où sont-ils
les mille
milliards d’repas
que l’on expose
dans les boulevards…?

notre vaisselle
drum core arythmique
lavée dans la poussière
l’essence
l’essentialisme
le courant
dans la rue

je crie l’alarme
sur l’eraflure
qu’il a fallue
pour enlever
une croûte brûlée
de mélasse noire

et quelle sonate

poêle et cuillère
réchauffant bien
ce qu’on n’avalera
jamais

j’ai faim
mais beaucoup moins envie
de m’mordre la langue

j’ai l’goût du métal
inoxydable
le son du sang
le goût d’érable

 

ii.
nos vieilles photos:
faudra ‘xpliquer
à nos enfants
qu’on a eu tort

que leur cacaphonie
dans la cuisine
à trois, quatre ans

—on n’avait pas compris
encore
que c’est comme ça
la politique

faut fouiller dans l’cabinet
sous l’évier
pour trouver sa voix

C’est toujours à recommencer

«Je me sens sans pays. Comme francophone hors Québec, j’ai pu de place.»

Le même utilisateur du mystérieux compte YouTube qui avait mis en ligne le documentaire J’ai besoin d’un nom qui nous avait complètement jetés à terre en février vient d’afficher un nouveau vidéo. C’est toujours à recommencer, est un court documentaire produit en 1980 par André Gladu et Michel Brault pour Radio-Canada dans le creux de l’hiver nord-ontarien. C’est froid, c’est sec et c’est pas facile à regarder.

Bien qu’assez misérabiliste comme portrait du fait français à Hearst et à Kapuskasing dans les années 1980, le film présente tout de même quelques points intéressants: la naissance de l’identité «bilingue» chez la plus jeune génération et le sentiment d’être un «peuple sans pays» après la Révolution tranquille au Québec.

Des airs de country à des reels de violon, la musique balise le documentaire. À 3:05, un bûcheron chante son quotidien dans le Nord de l’Ontario dans la pièce titre du documentaire C’est toujours à recommencer.

«J’avais 15 ans avant de m’apercevoir que les Français étaient minoritaires en Ontario. Moi, je pensais que partout en Ontario c’était français comme à Moonbeam.»

‎L’extension naturelle du Québec

Vers la fin des années 1910, le gouvernement ontarien fait une campagne en Europe pour recruter des Néo-Canadiens dans le but de peupler le Nord. Les gens sont venus s’établir dans le Nord de l’Ontario, encore très peu défriché. En même temps, comme il y avait beaucoup de chômage et un manque de terres au Québec, les prêtres colonisateurs du Nord recrutaient en disant que le Nord de l’Ontario «c’était l’extension naturelle du Québec. C’était facile pour les gens d’y croire parce que quand ils s’en venaient s’établir ici c’était français partout, alors ils se sentaient chez eux, ils se sentaient au Québec, en Ontario.» (5:20)

On parle de la manière dont les ouvriers francophones étaient obligés d’apprendre l’anglais pour travailler dans les régions de l’Ontario où ils étaient majoritaires (10:38), des luttes scolaires, de la problématique des conseils scolaires dans les années 1980 (12:30) et de l’émergence d’une nouvelle culture en Ontario français; la culture «bilingue» (16:08). À la fin, le documentaire touche à un point très sensible: le sentiment qu’ont certains francophones hors Québec d’être sans pays suite à la Révolution tranquille au Québec (22:00).

«Je me sens un peu comme la Sagouine. Elle à le savait par exemple ce qu’elle était. Moi, je l’sais pas. J’pense qu’il faut que je le dise que j’suis Franco-Ontarienne parce que moi j’ai vécu toute ma vie dans l’Nord de l’Ontario. Ça m’appartient. C’est mon pays. Je ne sens pas aucune identification avec le Sud de l’Ontario, ça c’est un monde à part. Mais le Nord de l’Ontario, géographiquement, pis le monde qui vivent ici, j’aime, pis c’est moi. Mais je me sens pas du tout comme Canadienne française. Ça fait pas mal longtemps de ça.

Quand j’étais jeune, j’avais le rêve d’un Canada bilingue, d’une mer à l’autre. Monsieur Trudeau, c’était l’exemple parfait de ce que ça pouvait être, le Canada. Mais depuis ce temps là, je me sens sans pays parce que je me sens pas vraiment Québécoise. J’pense que le Québec a fait un cheminement que nous autres on n’a pas pu faire, on peut pas faire, parce qu’on n’a pas les mêmes ressources, on n’a pas de frontières. J’ai l’impression que si j’allais vivre au Québec j’aurais de la difficulté à m’adapter au Québec. Je me sens sans pays. Comme francophone hors Québec, j’ai pu de place.»

Ce documentaire de Radio-Canada répond à très peu de questions, mais en pose plusieurs très percutantes.

Est-ce que le Nord de l’Ontario est vraiment si différent du Nord québécois? Est-ce le Québec oublié? Qu’est-ce qui nous empêche de faire nos valises et de déménager au Québec? Est-ce qu’une «culture bilingue» est possible ou souhaitable? L’assimilation pose-t-elle problème dans le Nord ontarien? Est-ce que les choses ont changé? Est-ce les gens de Kap se sentent franco-ontariens? Does it even matter? Est-ce même un enjeu? Est-ce qu’on y réfléchit? Avons-nous trouvé notre nom? Cherchons nous encore un pays?

Bonne réflexion, cher toi.

«Il n’est pas injuste de rappeler aux francophones qu’ils sont une race de vaincus et que leurs droits n’existent que grâce à la tolérance de l’élément anglais, lequel, avec tout le respect dû à la minorité, doit être considéré comme étant la race dominante.»

– George Drew, premier ministre de l’Ontario, 1943

L’homo francophonensis ou l’histoire d’une coquille vide

Montréal, un 18 mars, il y a environ 5 ans. Nous sommes en plein défilé de la Saint-Patrick. Une journaliste est sur place pour décrire l’événement. Un travail impeccable, sauf pour une phrase qui m’avait, disons, agacé. En décrivant la foule qui s’était déplacée pour participer à la fête, elle tenait à souligner que toutes les communautés culturelles étaient représentées: «Il y avait des Irlandais, disait-elle, mais aussi des Écossais, des Haïtiens, des Chinois et des francophones…»

Ce n’était certainement pas la première fois qu’on me «francophonisait», mais c’est ce jour là que j’ai vraiment pris conscience de toute la portée de cette dernière invention de la rectitude politique. Le temps aurait pu enjoliver les choses et rendre le terme plus acceptable. Au contraire: ma «francophonité» m’irritait à l’époque. Aujourd’hui, elle me fâche. Pourquoi? Parce que le mot «francophone» réduit des millions de Canadiens français à un seul aspect de leur identité: la langue. Il fait du moine l’habit qu’il porte. Par ailleurs, le référant «francophone» n’est accepté que parce qu’il est utile, parce que la langue française est un outil de communication tangible et incontestablement unique en Amérique. Même les ténors de l’antinationalisme le plus primaire n’ont pas encore réussi à nous convaincre que la langue est une invention sociale.

La création de l’être «francophone» vide l’identité collective de près du quart de la population canadienne de toute sa substance. Tous les dictionnaires et tous les ouvrages de référence en témoignent. Leur définition du mot «francophone» est claire: «qui parle français». Rien sur les Franco-Ontariens, rien sur les Québécois, rien sur les Acadiens. Niet. Un francophone, ce n’est rien d’autre qu’un locuteur de la langue française. Bien entendu, le nom commun peut aussi se transformer en adjectif; il peut être attaché à un pays, ou à une nation. On peut parler d’un pays francophone par exemple, ou d’une nation francophone. Tout ce qu’il faut c’est qu’une partie au moins des gens auxquels ont fait référence parlent le français.

Mais voilà, au Canada, l’adjectif a pris la place du nom propre. Il a pris toute la place. Nous avons cessé d’être des gens «qui parlent le français» pour devenir strictement des… «parlent le français». Des francophones. Comme un Irlandais qui n’en est plus un parce qu’il parle anglais, ou gaélique. Il est anglophone, ou gaélophone. C’est vrai, il existe une différence importante: est Irlandais le citoyen de l’État d’Irlande, alors qu’il n’existe pas d’État souverain franco-ontarien, acadien ou québécois. Mais allez dire aux Cullen et aux O’Toole des États-Unis qu’ils ne sont pas irlandais parce que leur passeport n’est pas émis à Dublin. Allez dire aux Catalans qu’ils sont «catalophones» où tout simplement qu’ils ne sont pas catalans s’ils sont «hispanophones».

L’existence d’un État qui puisse donner corps à une identité nationale facilite certainement la définition d’une communauté. Reste qu’il est loin d’en être le seul élément constitutif. Même les plus farouches défenseurs du nationalisme dit «civique» le reconnaissent. Une certaine idée de la nation a traversé les siècles: celle qui se définit à travers une culture commune, une histoire commune, et un territoire commun. Canadien-français, vietnamien, gallois, arménien, bantou, wallon… La liste est longue comme l’Histoire du monde. Mais jamais jusqu’à maintenant un peuple ne s’était défini que par une langue.

Je suis francophone. Je suis un «qui parle français». Et si je parlais anglais? Je deviendrais alors un «qui parle anglais»? Non? Non. Je deviendrais alors un Canadian. C’est tout. Parce que cette façon de vouloir écraser notre identité nationale sous un vocable plus «inclusif» cache un profond malaise. Certains lui ont déjà donné un nom à ce malaise. L’historien Jacques Beauchemin l’a appelé «refus de soi».

Au Canada, la naissance du «francophone» comme référent identitaire quasi-exclusif est directement lié au déchirement du projet d’émancipation nationale: le mouvement indépendantiste québécois doit sa naissance à un désir de faire perdurer la «grande aventure des Français d’Amérique», des Canadiens français. Pourtant, déjà depuis la fin des années 1960, une frange toujours plus importante du mouvement a tenu à prendre ses distances par rapport au nationalisme dit «ethnique» canadien-français. Résultat: on vend l’identité «québécoise» plus civique, plus inclusive, dans l’optique de donner corps à une nation dont on nie l’existence. C’est l’aporie. Les Canadiens français nient leur existence propre pour continuer à exister! Le projet d’indépendance au Québec n’aurait aucun sens sans son moteur canadien-français ou franco-québécois, pour rester dans l’air du temps. D’ailleurs déjà, le mouvement commence à comprendre tout ce qu’il a perdu en troquant son héritage canadien-français pour le vocable plus «convenable» de francophone: sa raison d’être, et donc, son espoir de convaincre une majorité de Québécois d’adhérer à son projet.

Le Canada n’est pas le seul pays où l’on retrouve ce type de refus de soi motivé par un prétendu «patriotisme constitutionnel». L’Occident dans sa quasi-totalité est confronté à ce même «idéal civique» de l’identité nationale, totalement allergique à toute notion de communauté ancrée dans la mémoire, la culture et l’histoire. Né à gauche du spectre politique, c’est le rêve de l’égalité sans limite, quitte à nier l’histoire, l’héritage culturel, ou même jusqu’au bagage familial. Rien qui puisse provoquer le rejet de l’un, ou de l’autre, par l’un, ou par l’autre. Mais pour arriver à ce monde idéal de la feuille blanche, où tout individu peut se construire comme il le veut à partir de rien, il faut d’abord effacer tout relent d’Histoire. Tout ce qui pourrait créer un «nous» et un «eux»… Bref, purger toute la nation de sa substance pour ne laisser qu’une coquille vide.

C’est ça être francophone. C’est une coquille vide. C’est ce qui reste d’une communauté culturelle après que le vampire bien-pensant l’a vidée de toute sa substance culturelle et de toute sa mémoire. Fini le nationalisme trouble-fête qui vient ruiner la grande célébration du genre humain tout-le-monde-il-est-pareil-et-tout-le-monde-il-est-égal par le maintien d’une véritable diversité!

Oui! Le nationalisme est capable des pires crimes et des pires horreurs. Pas besoin de remonter très loin dans l’Histoire pour en avoir la preuve. Oui, l’idée est dangereuse, mais elle est aussi créatrice. Elle est aussi libératrice. L’art, les valeurs partagées, la mémoire collective: ce sont sans doute les dernières préoccupations des chiens et des chats, mais pour le genre humain, ce sont des planches de salut. En fait, notre attachement à ces abstractions est peut-être précisément ce qui fait de nous des Hommes.

J’ai peine à imaginer l’ennui d’un monde sans identité nationale «substantielle», sans histoire, sans mémoire et sans culture. Un monde sans «nous» fondé sur  l’utilitarisme, sur une langue pour nous comprendre, sur des lois pour ne pas nous taper dessus, et sur un territoire pour travailler et consommer. Et faire de l’argent. À mes yeux, dans sa définition actuelle être francophone c’est exactement ça. C’est réduire l’identité à un simple outil du vivre-ensemble. Ou plutôt, du vivre côte-à-côte.

Nous aurons un autre bel exemple de tout ce que je viens d’écrire à Toronto dans quelques jours, à l’occasion de la «Franco-Fête». Pour la fin de semaine du 24 juin. Eh oui! La Saint-Jean-Baptiste, c’était trop «canadien-français», c’était pas assez inclusif. La fête est devenue celle d’un peuple sans substance et sans mémoire. Et si l’idée vous prend de justifier cet abandon de la Saint-Jean parce qu’elle est devenue la «Fête nationale» des Québécois, ravisez-vous: 82% des Québécois sont aussi des Canadiens français confrontés à la même «francophonisation» de leur identité.

Mais prenez garde, chantres de la «francophonisation» du fait français en Amérique! Aussi nobles qu’aient été vos mobiles, l’enfer demeure pavé de bonnes intentions. À force de vouloir nier l’Histoire par souci d’inclusion, vous risquez de créer un mal plus grand encore que celui que vous souhaitiez éviter. Un retour du balancier. De Vancouver à St-John, sachez qu’ils sont encore nombreux ceux et celles qui savent très bien que la langue n’est pas la seule chose qu’ils partagent. Il ne suffit pas de nier l’existence d’un peuple pour le faire disparaître.

Tricia Foster : Marginale et triomphante

Ses fans habitués risquent d’être un peu déstabilisés. Tant mieux.

Négligée, le nouvel album de Tricia Foster, s’installe confortablement dans la marge de ce qui se fait habituellement en musique francophone au Canada. Une bouffée d’air frais.

Plongeant entre le trip-hop (Pendule), le drum & bass (M. Le Temps) et le jazz atmosphérique (Leaves), la grande fille avec une grande gueule née dans un trailer park près de North Bay dans le Nord de l’Ontario nous livre un album sombre, saupoudré de fébrilité et minimaliste à nous faire ronger les doigts. Gros phat beat qui fade out pendant une montée fulgurante de cor français. La négligée sait séduire.

Avec Olivier Fairfield (Timber Timbre, Iceberg) à la réalisation, on découvre une Tricia Foster complètement dans son élément. Sa livraison saccadée de texte sans retenue se colle parfaitement aux grooves planants, aux textures rudes et aux ambiances tendues créés par les cors français d’Erla Axelsdóttir et de Pietro Amato (Torngat, Bell Orchestre, Arcade Fire). La guitare se fait discrète, la voix est croustillante, les textes mûrs sont teintés d’images éclatantes, tout comme celle qui les chante. D’ailleurs, belle surprise : sur la deuxième pièce sur l’album, D’éclats de peines, Tricia chante un poème de Brigitte Haentjens tiré du recueil du même nom.

It grows on you. C’est un album qui passerait sous le radar à une seule écoute, mais qui s’avère triomphant après l’avoir dans l’casque pendant plusieurs semaines. Négligée marque clairement une renaissance pour l’artiste qui s’installe quelque part entre de l’early Ariane Moffatt et une Betty Bonifassi pré-Beast. L’artiste plonge entre le français et l’anglais sans hoquets et sans cérémonies, comme toute bonne Franco-Ontarienne. Les deux univers ne sont qu’un seul.

Tricia Foster nous livre son album le plus audacieux et authentique à ce jour. Un album pop percutant d’une grande dame qui mange du groove pour déjeuner, qui a peur de tout mais qui s’arrête à rien et qui ne mâche pas ses mots.

Reste à voir si l’Ontarienne qui a l’habitude de trop parler en show réussira à transposer l’atmosphère monastique en spectacle. Elle fera bien ce qu’elle voudra. C’est comme ça qu’on l’aime.

À écouter et réécouter trop fort et sur vinyle.

Pour les fans de

Betty Bonnifassi, Ariane Moffatt, Torngat

Moments forts

M. Le Temps, La 17, Pendule, D’éclats et de peinte

«Vidéo moche, mais musique intéressante» – Olivier Lalande, journaliste Nightlife et le Voir. Ditto.

Les autres l’emmerdent: ils coûtent trop cher

Depuis le printemps québécois qui perdure, il se manifeste bruyamment. On l’entend aussi fort que ces étudiants et les autres frappeurs de casserole. À coups de tweets et de petites phrases dans les courriers des lecteurs, il remplit l’espace public en devenir de ses mots afin de préserver le vide qu’il adore par-dessus tout.

Si je me souviens bien, j’ai lu quelque part qu’il nous vient des États-Unis. De la Californie, je crois. Je pense qu’il vient de bien plus loin. Au fond, son origine importe peu car, grâce à la démocratie qui l’exaspère,  il s’est propagé comme la peste sur le pauvre monde. Mais on ne peut pas vraiment le comprendre sans connaître sa nature profonde. C’est qu’il est d’abord et avant tout réactionnaire, ce créateur de trous noirs. Dire qu’il est réactionnaire est plus qu’une insulte; c’est un fait sociologique et historique. (J’utile des grands mots d’intellectuels comme «réactionnaire», «sociologique» et «historique» car cela aussi, ça le fait suer. Il transpire facilement, notre réactionnaire. Et sa présence fantomatique se fait sentir à des kilomètres à la ronde. Une odeur suffocante; une odeur qui pompe l’air plus qu’elle ne la pollue.)

Réactionnaire, donc, car il est né contre la modernité – celle du progrès, de la solidarité et de l’égalité. Il déteste notamment la solidarité. Il n’y a que des individus selon lui. Pas d’association, encore moins d’interdépendance. C’est qu’il conjugue seulement au «Je», le payeur de taxe. Il sait bien qu’il n’est pas seul au monde. Et c’est bien cela le problème. Sa nature d’animal social l’irrite au plus haut point. C’est que les autres, tous les autres, coûtent trop cher. Il rêve sans relâche d’être plus riche, mais il ne veut pas payer – comme il dit – pour les pauvres que ses fantasmes de richesse ne peuvent que créer. N’essayez pas de lui expliquer que l’enrichi doit être préservé de sa propre cupidité s’il veut garder ses biens si jalousement accumulés. Il se fout royalement des autres. Il se fiche de savoir si Keynes avait raison après la grande dépression des années 1930. Il ne veut rien savoir des bulles spéculatives. Il ne craint pas les révolutions. Il n’a aucune conscience historique et il n’en veut pas. Pour lui, la vie est simple: les autres coûtent. C’est tout. L’idée de congédier des employés et de couper à la hache et jusqu’à l’os l’excite au plus haut point. C’est un adepte de la «rationalisation des dépenses» (jamais les siennes, toujours celles des autres). Mais il a horreur des plaintes des malades qu’il cherche à soigner à coup de saignées. La voix des autres lui donne le goût du sang. Il veut du flic. Beaucoup de flics et encore plus de matraques, de gaz et de bras ou de bars cassés. Il veut une saignée qui se fasse dans l’ordre – un ordre des choses plutôt qu’une Cité des hommes et des femmes. Un ordre où il faut redresser à coup de barre de fer et de réformes «nécessaires» et donc indiscutables. Il fait davantage dans l’exigence que dans la délibération, le payeur de taxe. Lorsque son ordre des choses se fait attendre, lorsque les autres refusent d’être des investissements ou de la matière recyclable (ou jetable), le bruit des bottes le rassure, voire le fait jouir. Les bottes, les matraques et les prisons ne coûtent jamais trop chers pour le payeur de taxe.

En ce printemps québécois tumultueux, un printemps qui devient un été, le payeur de taxe a dit tout haut qu’il veut bien faire des enfants, mais à condition qu’ils ne lui coûtent rien. Qu’ils se démerdent, qu’ils investissent dans LEUR avenir. Bref, qu’ils dégagent au plus sacrant afin que le payeur de taxe et son épouse puissent enfin jouir de tout leur argent. (À moins que l’époux ou l’épouse devienne aussi trop dispendieux…) On peut bien lui rétorquer que sa progéniture pourrait également se définir comme des payeurs de taxe, mais aussi comme des payeurs de corruption, de hauts salaires injustifiables et d’égoïsme destructeur. On devrait lui dire que son manque total d’intelligence sociale nous coûte trop cher, à nous qui sommes d’abord et avant tout citoyens et citoyennes; à nous qui avons assez de maturité pour reconnaître que le monde ne tourne pas autour de nos désirs de consommation; à nous qui pourrions mieux vivre ensemble s’il finissait par grandir et finalement dépasser le stade égocentrique d’un enfant de deux ans. Est-ce aller trop loin que de lui suggérer de finalement dépasser la phase anale? Bah! Je veux bien lui laisser ses petits plaisirs clandestins à condition qu’il arrête de nous faire ch…

C’est cela le pire des dangers que nous fait courir le payeur de taxe. Il risque de tous nous entraîner dans son sillon – un mélange de phrases faciles et vulgaires, alimentées d’émotions menaçantes. C’est qu’il devient difficile à endurer le payeur de taxe. L’hiver risque d’être chaud s’il n’accepte pas d’être citoyen(ne).


Image : Hubris, Artact Qc