Faut qu’ça bouge encore… ‘stie!

Depuis l’annonce de la programmation partielle de la 40ème Nuit sur l’étang, je sens comme un malaise. Le premier malaise vient des petits ragots, des critiques feutrées. Le deuxième malaise vient du manque d’enthousiasme, ou pour être plus juste, du je-m’en-foutisme caractérisé de la communauté par rapport à cet anniversaire. Je sais que certains ont leurs doutes, leurs ras-le-bol de cette «grande messe» où on serait sommé de dire «Amen» au drapeau vert et blanc, fleurdelisé et fleurtrillé, leurs envies de meurtre, leurs rancœurs et autres mesquineries. Ce qui me choque c’est que personne ne semble voir que cet anniversaire – et son succès – dépasse, de très loin, nos petits égos.

En disant cela, je ne tombe pas dans le discours narratif mythifié ou nostalgique d’une grande époque perdue. Bien au contraire, je crois que nous avons devant nous, en face de nous, en nous, la première génération de jeunes Franco-Ontariens aussi brillants que la gang de CANO.  Est-ce que les Patricia Cano, David Poulin, Cindy Doire, Tricia Foster de ce temps ont quoi que ce soit à envier à un Robert Paquette? Un Christian Pelletier qui se démène comme un fou dans la communauté, l’homme invisible visible qui brasse les cages, les idées, et surtout réalise de beaux projets (We Live Up Here) n’a rien à envier à un Gaston Tremblay. Nos jeunes poètes, Daniel Aubin, Sonia Lamontagne, Daniel Groleau-Landry, Guylaine Tousignant, n’ont rien à envier à ceux qui sont devenus – bien plus tard – des monstres sacrés, les Dalpé, Dickson et Desbiens. Ce que font Mélissa Rockburn et Miriam Cusson avec les Productions Roches Brulées, et la prestation extraordinaire de France Huot sur les planches vaut largement les débuts sur scène d’un André Paiement. Pourquoi nier l’évidence? D’où vient cette espèce de déni, voire de dénigrement, on se croirait en présence de clones de Kafka.

Est-il nécessaire de rappeler que si la gang de CANO a autant marqué son époque, c’est parce que tout était à faire, tout était à construire, alors qu’aujourd’hui il s’agit de pérenniser nos institutions, défi bien plus difficile à relever? Faut-il rappeler que le contexte culturel était fort plus accueillant à la création, en plein milieu du mouvement de la contre-culture américaine, alors qu’aujourd’hui nous devons faire face à un mouvement d’anti-culture? Est-il nécessaire de souligner que la gang de CANO n’aurait pu exister sans quelques jésuites allumés alors qu’aujourd’hui les universités sont devenues des boites à fric où les pseudo-compétences professionnelles priment, et de loin, sur les savoirs et la culture? Faut-il rappeler que bien sûr à l’époque le monde participait en masse parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire que d’aller au seul parté en ville, alors qu’aujourd’hui le monde est vautré dans son fauteuil devant un écran?

Est-ce que personne ne se rend compte que certains Anglos, que les ministères, que les traitres, coincés le pied dans le cadre de la porte, n’attendent qu’une chose : qu’on se plante, et si possible de façon monumentale? Nous n’avons jamais été à un moment aussi important de notre histoire. Si nous ne pouvons réussir au moment même où nos artistes brillent, alors la messe est dite. Et dans 40 ans, il n’y aura pas de 80ème anniversaire. Moi j’ai fait le choix de rester à Sudbury; j’ai fait le choix de me définir Franco-Ontarienne, pas seulement par souvenir pour Robert, pas seulement parce que je tripe à lire Jean Marc; parce que je crois en vous et que vous êtes une belle gang; parce que je veux que mes filles dans 40 ans, elles soient sur scène à déclamer du Daniel Aubin, à performer un «freedom frogs have survived» ou à chanter du Patricia Cano.

Vivre en français – le 11 janvier 1971

On a trouvé ceci, et on trouve que 40 ans plus tard, on est encore en train parler des mêmes maudits enjeux. Quand l »auteur parle de télévision, pensons plutôt à Internet. Quand il parle de Canadiens-français catholiques, pensons aux Franco-ontariens «pure-laine». Quand il parle de sauver la «race», pensez à nous qui essayons de «sauver la culture» en l’institutionnalisant.  Quand vous voyez 1971, pensez à 2013. Ensuite, pensez à 2051. Nous, dans 40 ans, on aimerait bien ça pouvoir dire qu »on a progressé. 


Vivre en français

Le Voyageur, le 11 janvier 1971

Le passé n »a rien de particulièrement impressionnant pour les jeunes d »aujourd »hui, eux que la télévision, entre autres, a formé à l »actuel et au raisonnablement possible, eux à qui la télévision offre de faire valoir immédiatement leurs idées ou réalisations pour autant que celles-ci s »insèrent naturellement dans un contexte à la fois utile et humanitaire.

Et, pour ces mêmes jeunes, l »enseignement à outrance, l »enseignement «coûte que coûte» de divers principes d »où brille par son absence toute connotation actuelle, n »a pas plus de valeur ou de signification qu »un éléphant dans un bol de soupe.

Ça, ce sont des comportements observables, qui ne sont pas sujets à discussion. Devant eux, on adopte deux attitudes : bien on regarde, on cherche, et l »on comprend ou alors on fait l »autruche et, forcément on ne comprend rien à rien.

Pour la jeunesse franco-ontarienne, ces problèmes d »incompréhension – déjà lourds à assumer – se doublent d »un autre, non moins lourd à supporter : celui des instruments naturels de communication et de la langue en particulier.

Pour un jeune Franco-Ontarien, parler français ça veut souvent dire faire un effort. Probablement que si la chose était possible, il trouverait plus aisé de parler «mathématique». En tout cas, il lui est plus naturel de parler en anglais. Et comment oserait-on lui reprocher ce comportement qu »il tient de la nature même de son environnement? Communiquer, comme on s »en doute bien, c »est essentiel. Et probablement que le jeune Franco-Ontarien trouve plus de bonheur à mal communiquer en anglais [certaines choses changent, quand même!] qu »à ne pas réussir à communiquer du tout en français!

De bonnes âmes de patriotisme tout imbues, tentent malgré tout de sauver la «race», ignorantes toutefois des données élémentaires capables de stimuler véritablement le désir chez ces jeunes de tout d »abord, vouloir vivre en français, et, ensuite, de faire les efforts nécessaires pour normaliser une situation que l »histoire a laissé se détériorer.

Encore en 1971, on fait appel à «la fierté d »être un Canadien catholique d »expression française». Puis sans faire ni un ni deux, on se gargarise à pleine gorge des nobles motifs qui devraient assurer la naissance et l »explosion de cette fierté : «notre passé: nos aïeux et leur oeuvre; notre survivance; nous-mêmes et nos qualités; notre mission et la Providence»!

Et voilà qu »on se surprend ensuite à ne pas comprendre cette jeunesse qui online casino nederlandsegokken s »entête à ne pas vouloir être fière! Quelle ingratitude, en effet! «Nous portons bien haut le flambeau et l »idéal de la race, et voilà que cette jeunesse pour qui nous le faisons nous trahit, ajoutant à cela l »arrogance d »un sourire narquois qui pourrait nous faire croire que ce que nous disons ou faisons relève de l’imbécillité pure».

De l »imbécilité, assurément non. Mais l »intransigeance de la jeunesse face à ses propres valeurs, fait que trop souvent elle crée l »intolérance face à celles de ceux qui l »ont précédée.

Et l »on peut se demander à ce point-ci, qui doit faire l »effort de comprendre qui. La réponse semble évidente.

Véritable effort de compréhension, voilà sûrement l »essentiel. Compréhension de la jeunesse elle-même, compréhension surtout du contexte qui la forme et dans lequel elle doit vivre. Compréhension, entre autres, d »un fait capital : les valeurs et les instruments traditionnels, à plusieurs niveaux et particulièrement à celui de la langue pour les Franco-Ontariens, n »ont plus d »impact – si toutefois ils en ont jamais eu!

Les valeurs du passé? Non. Ce sont les valeurs du temps actuel, de l »Action actuelle qu »il faut faire ressortir. Et, quand c »est nécessaire, favoriser cette action actuelle, animer le dynamisme de cette jeunesse.

Il n »y a vraiment plus qu »une fierté que cette jeunesse-là peut acquérir, et c »est la fierté d »elle-même, de ses propres actes : c »est la marque de notre temps. Le reste devient accessoire et s »acquiert au gré des besoins, des gestes, des réflexions.

– Hubert Potin, éditeur en chef du journal Le Voyageur, 1971


Dans la vie, il y a des choses qui ne changent jamais.

Faudrait s’en parler…

Un premier coup d’oeil sur les données linguistiques du recensement de 2011 indique clairement que les choses ne s’améliorent pas pour la francophonie ontarienne. Pas que la situation se soit dramatiquement détériorée au cours des cinq dernières années, mais les tendances au déclin du français se confirment à peu près partout, même dans les régions où les francophones restent majoritaires.

On peut toujours se draper, comme il est devenu l’habitude de le faire en milieux officiels, dans les savantes – et jusqu’à un certain point, pertinentes – pondérations statistiques qui permettent de gonfler un peu artificiellement, à mon avis, la force de la francophonie au Canada (y compris au Québec). Mais quand on regarde les chiffres bruts, la réalité nous revient, implacable, et appelle une intervention rapide pour sauver les meubles.

Le discours optimiste des « lunettes roses » ne fait que masquer une détérioration très réelle. On n’a qu’à regarder sans enrobage les réponses à la question du recensement sur la langue d’usage (la langue la plus souvent parlée à la maison) pour s’en convaincre, au regard des données sur la langue maternelle.

De 2006 à 2011, selon les profils des communautés des deux recensements, le nombre de francophones de langue maternelle a augmenté de près de 5000 seulement (488 815 à 493 300) tandis que le nombre de personnes ayant le français comme langue d’usage a diminué de 5 000 (de 289 035 à 284 115).

Pour avoir une idée de l’accélération de l’assimilation, regardons les chiffres du recensement de 1971, qui donnaient 482 045 francophones selon la langue maternelle, et 352 465 selon la langue d’usage ! Si on compare celui de 1971 aux deux recensements les plus récents (langue maternelle et langue d’usage), on arrive à des taux respectifs de persévérance de la langue de 73,1% en 1971, 59,1% en 2006 et 57,6% en 2011. Évidemment, ces chiffres sont trompeurs et il faut vraiment regarder de région en région, de ville en ville, de village en village pour comprendre la réalité. C’est grand, l’Ontario.

Si, au sud, dans les régions de Penetanguishene, Welland ou Windsor, les taux de persévérance sont à peine de 25% à 35%, ils dépassent régulièrement le seuil des 90% dans des régions de l’Est et du Nord ontarien. À certains endroits, ils frisent le 100 % et le dépassent même dans trois villages. À Jogues, Mattice et Val-Cöté, tous dans la région de Hearst, ce sont les francophones qui assimilent les anglophones… Entre les deux, il y a les agglomérations urbaines d’Ottawa et de Sudbury, où les taux de persévérance sont plus inquiétants, à près de 70% (Ottawa), voire alarmants à près de 55% (pour le Grand Sudbury).

Je retiens, dans un premier temps, avant d’approfondir davantage l’analyse, trois constats :

Premier constat

Il existe donc en Ontario trois zones où les francophones ont des taux de persévérance très, très élevés (90% et plus) :

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[li]le corridor de la route 11, entre Smooth Rock Falls et Hearst[/li]
[li]le secteur Nipissing Ouest, entre Sturgeon Falls et Sudbury[/li]
[li]le secteur de Prescott-Russell, à l’est d’Ottawa[/li]
[/arrow-list]

Ce sont essentiellement des petites municipalités et des secteurs ruraux, ayant une population limitée, mais dont le caractère majoritairement francophone se maintient pour le moment.

Deuxième constat

En Ontario, plus de 35% des francophones (selon la langue d’usage) demeurent à Ottawa (86 000) et Sudbury (14 000). À Ottawa (je ne sais pas pour Sudbury), ils sont cependant plus dispersés que jadis. Alors qu’auparavant il existait des quartiers canadiens-français, les francophones sont maintenant minoritaires dans tous les quartiers de la capitale. Ils sont cependant nombreux.

Troisième constat

Les taux d’assimilation ont atteint des niveaux dramatiques dans des endroits comme Welland et Windsor, et même Cornwall où, il y a un demi-siècle, les francophones formaient près de la moitié de la population.

Faut s’en parler…

Quand j’étais à l’ACFO, années 60, début années 70, ce phénomène était déjà perceptible, quoique bien moins accentué, mais les moyens de communication entre les différentes communautés étaient presque nuls, et les distances immenses. Il était difficile de concevoir et mettre en application des stratégies coordonnées. Aujourd’hui, avec l’Internet et les médias sociaux, les distances s’estompent.

Pendant qu’il est encore temps, il faut souhaiter que puissent s’amorcer des échanges, sur Facebook, sur Twitter, entre Franco-Ontariens de différentes régions et à l’intérieur de différentes régions, entre Franco-Ontariens et Québécois, entre Franco-Ontariens et Acadiens et francophones de l’Ouest, pour qu’à partir d’analyses réalistes, les enjeux linguistiques (et autres enjeux) fassent l’objet d’un forum permanent en ligne. Le simple fait de créer des contacts par l’intermédiaire du Web aura, j’en ai la conviction, des effets appréciables.

Où cela peut-il mener? Pas la moindre idée. Mais ce peut être un point de départ utile…


Ce texte a originalement été publié le 6 novembre 2012 sur le blogue de Pierre Allard.

J’veux pu worryer mon brain avec ça…

Aujourd’hui, je vous parle de la «controverse» qui a eu lieu entourant le texte de Christian Rioux dans le Devoir. Vous l’avez déjà lu, celui où il s’empresse de traiter le chiac d’une «sous-langue d’êtres handicapés en voie d’assimilation». Bon. On est peut-être arrivés un peu en retard à la game, mais fuck it.

Pourquoi prenons-nous le temps de revenir sur un débat essentiellement clos (Rioux est dans les patates, c’est lui qui n’a pas compris)? Parce qu’on se sent obligé de le faire et parce que le français au Canada a d’autres chats à fouetter que celui-là. Rendu en 2012, on penserait qu’on serait rendu à un point où ce genre de texte ne paraîtrait jamais dans un des plus grands journaux du pays.

Peu importe, je ne suis pas sociolinguiste. Je suis un gars de Sudbury (d’Azilda!) qui a grandi avec une mère originaire de l’Abitibi (mais installée avec sa famille depuis l’âge de 5 ans à Sudbury… ses parents n’ayant toujours pas maîtrisé l’anglais) et un père originaire de Sudbury (d’Azilda!).

Si Rioux parle des Acadiens en tant qu’êtres handicapés, c’est qu’il considère le chiac comme étant une crutch. Mais comprend-il la réalité de l’Acadie? Comprend-il que dans le cas de certains Acadiens, ne pas parler le chiac chez soi, c’est l’équivalent d’un anglophone du Nouveau-Brunswick qui adopterait un accent britannique juste parce qu’il trouve son dialecte régional «inaccessible» pour les anglophones de l’Alberta?

Transposons-nous en Ontario français, plus spécifiquement à Sudbury (je me limite à Sudbury parce que je ne veux pas faire des généralisations grossières au sujet de régions qui me sont moins familières. Même Sudbury n’est pas monolithique à cet égard) où le français de la rue est essentiellement composé d’une majorité de mots français, (mais aussi de mots anglais) parfois familiers et détenant un mélange de syntaxe anglaise et française. Si un mot veut escaper en anglais par exemple, on ne se gêne pas de le dire pis de switcher back au français tusuite après. Nous, ces mots-là, on ne les voit pas en italiques dans nos têtes! On me prendra peut-être pour un clown, mais c’est comme ça que je parle avec ma famille, c’est comme ça que je parle avec ma blonde et c’est comme ça que je suis au naturel. Ça ne m’empêche pas de parler un français standard quand il le faut, ni d’écrire avec un niveau de langue digne d’être lu.

La réalité de nos milieux, minoritaires ou pas, fait en sorte qu’on fait des emprunts linguistiques, et ce, tant à Shédiac, qu’à Moncton, qu’à Chelmsford, qu’à Saint-Boniface et même qu’à Montréal ou à Québec. On s’en crisse pas mal, puis on se sent très bien dans notre peau.

Et ça va de même en anglais. Mise en situation : Je suis étudiant à la maîtrise en histoire à l’Université Laurentienne. Les étudiants du cycle supérieur partagent un bureau. Certains parmi eux étudient en français (2) et certains étudient en anglais (6). Quand je parle à mes collègues anglophones (du moins ceux qui ne comprennent pas le français, parce que certains d’entre-eux le comprennent et le parlent effectivement) je ne me gêne pas d’aller piger un mot en français s’il véhicule mieux l’idée que j’ai en tête. Parfois je dois l’expliquer, mais la plupart du temps, ils comprennent la nuance entre les deux mots. Tout le monde dort moins niaiseux en conséquence. Peut-être est-ce une réalité propre à mon milieu, mais le monde académique semble avoir tendance à emprunter aisément des mots comme l’establishment ou le globalism alors que des termes «équivalents» existent également en français. On ne se gêne pas non plus de citer des phrases entières dans des langues étrangères par crainte de déformer les idées de l’auteur initial au moment de la traduction!

Dans le texte de Joseph Edgar, publié le 5 novembre, il nous dit «Le chiac, c’est pas le français universel ». Mais là, le franglais de Sudbury, le joual de Rouyn, la langue de la rue de Montréal puis le làlàlage du Saguenay non plus.

Suivez-moi.

«Et si on veut participer à un monde francophone et se faire comprendre dans ce monde francophone, on pourrait peut-être songer à être un peu plus humble et faire un effort pour mieux se faire comprendre». Ici, je suis d’accord! Mais peut-on laisser de la place aux deux? Est-ce vraiment si inconcevable de maintenir son dialecte régional (dans une forme correcte… c’est-à-dire en évitant les calques et en conjuguant ses verbes correctement, etc.) tout en apprenant la «bonne façon» de dire quelque chose? Est-ce mal de continuer à rouler son R au moment d’une présentation si le vocabulaire et la syntaxe sont corrects?

Suis-je le seul à voir quelque chose de beau dans les régionalismes? Suis-je le seul à trouver ça cute d’entendre le «so-sisse» des Abitibiens ou bien le R roulé de Sturgeon Falls? Est-ce vraiment inconcevable de dire «ah vous dites « vidéo » au féminin? À Sudbury on le dit généralement au masculin» alors que ce ne soit pas nécessairement le cas dans le restant du monde?

On pourrait-ti arrêter de worryer nos brains avec ça pis juste vivre en paix?

L’éléphant dans l’école

C’est l’éléphant dans la salle. Il est impossible à ignorer. On chuchote souvent dans son dos. Pas vraiment par peur. Car parfois, il est vrai, on en parle de vive voix. Toutefois, c’est généralement sans grande conviction, avec une certaine lassitude. Il fait partie du paysage. Il semble immuable. On s’y est habitué. On a nommé, bien sûr, la division du système scolaire ontarien en une branche publique et une branche catholique.

Voilà des années qu’un débat sur le sujet mijote en Ontario français… mais à feu bas. TFO vient tout juste de soulever le couvercle en espérant, on suppose, provoquer une discussion. taGueule salue l’initiative, et veut bien aider à brasser ce breuvage suspect. S’il y a un sujet sur lequel il est nécessaire, pour les Franco-Ontariens, d’avoir un débat de société dans le sens le plus civil du terme, c’est celui-ci. Les positions sont déjà polarisées. C’est un thème qui touche au personnel. On l’avoue – oui, nous – qu’un coup de gueule, ici, pourrait faire plus de tort que de mal. Reste à voir s’il y a moyen d’avancer ensemble, de rompre l’immobilisme qui sévit depuis des décennies. Visionner cette vidéo serait un bon départ.

Quatre ans de plus…

Four more years…

Barack Obama a remporté les élections. Grand bien lui fasse. Mais qu’est-ce le peuple américain, lui, a gagné? Et, nous, de l’autre côté de la frontière, en quoi devons-nous applaudir la victoire démocrate?

Je suis fasciné par l’intérêt toujours indéfectible et presqu’obsessionnel  de certaines personnes pour les élections aux États-Unis. Lorsqu’ils sont américains, passe encore, mais ici, au Canada, ça me dépasse. Il y a quatre ans, je dois l’avouer, je me suis laissé prendre au jeu. Personne ne m’accusera de manquer de transparence: j’avoue ici et maintenant que j’étais moi-même un fan de cette grande et onéreuse manifestation de la democracy.

Non, ce qui me sidère, c’est de voir tant de gens s’investir autant dans ces élections après quatre ans d’administration Obama.  Comprenez-moi bien: je préfère de loin Barack Obama à Mitt Romney. Le démocrate est certainement supérieur à son vis-à-vis républicain, humainement et professionnellement. J’inviterais Barack Obama à venir prendre une bière chez moi demain matin, mais certainement pas Mitt Romney. Il n’empêche que mon respect pour l’homme ne me fera pas oublier le bilan des années qu’il a passé au pouvoir. Le président Obama n’a pas livré la marchandise. Il ne l’a pas livré malgré lui, peut-être, mais il ne l’a pas livré quand même.

Le président Obama, je le pense, a fait tout ce qu’un politicien modéré et respectueux de l’establishment peut faire pour changer les choses. Ses bonnes intentions n’ont pas suffit, et personne n’obtient la note passage pour ses efforts. La plus grande réalisation de l’homme a été de prouver que le système politique américain est arrivé au bout de son chemin. Au bout de sa durée de vie utile. Barack Obama a démontré qu’un véritable changement aux États-Unis, et même que tout progrès dans ce pays, demeure impossible sans une refonte radicale de l’appareil gouvernemental.

Voilà pourquoi je suis toujours franchement étonné, et je ne suis pas le seul, de voir que tant de gens qui persistent à croire que voter Barack Obama puisse avoir des conséquences autres que marginales sur la vie du commun des mortels.  Ralph Nader, activiste bien connu (et 5 fois candidat indépendant aux élections présidentielles), a passé sa vie à tenter de le faire comprendre à ses compatriotes. Leur système est caduque. Point à la ligne. «La seule différence entre les démocrates et les républicains» a-t-il dit très justement, «c’est la rapidité avec laquelle leurs genoux touchent le sol lorsque le monde des affaires frappe à leur porte.»

Oui, Barack a fait beaucoup mieux que George W. Bush mais qui aurait fait pire? Oui, il a dirigé le pays pendant l’une des pires crises économiques de son histoire, mais d’autres présidents l’ont fait et ont mis en place des mesures au moins aussi progressistes pour améliorer les choses. Oui, Barack Obama n’a pas lancé le pays dans une autre expédition guerrière coûteuse et meurtrière, mais nous pourrions dire à peu près la même chose de Bill Clinton ou de Ronald Reagan.

Rappelons quelques faits trop souvent occultés par le camp de l’espoir. Quelques exemples pêle-mêle.  Commençons par la politique internationale: en 4 ans au pouvoir, non seulement Barack Obama n’a pas réussi à fermer comme il l’avait promis le centre de détention de Guantanamo Bay, mais il a même donné un second souffle à la prison en signant l’année dernière le National Defense Authorization Act. Guerre en Irak: les troupes américaines ont été retirées, vrai, mais seulement en 2011. La guerre s’est donc terminée ni plus ni moins rapidement que si les Républicains avaient été au pouvoir. Doit-on rappeler aussi que les États-Unis sont toujours en Afghanistan, comme le Canada de Stephen Harper d’ailleurs.

Digne de mention pour un président récipiendaire d’un prix nobel de la paix: Barack Obama a ordonné à ses forces spéciales d’assassiner Oussama Ben-Laden au mépris de la souveraineté pakistanaise, et de répandre ses cendres dans l’Océan indien pour que sa tombe ne devienne pas un point de ralliement pour les terroristes. Qu’aurait fait George W. Bush? La même chose. Ah, et j’oubliais: les dépenses militaires sous Obama demeurent plus élevées qu’elles ne l’étaient durant la Guerre froide et la Guerre du Vietnam.

Politique interne, maintenant. Parlons du fameux Obamacare, le symbole par excellence de la lutte du président pour les plus humbles.  Je l’admets d’emblée et tout à fait franchement: c’est sans doute la plus grande réalisation de Barack Obama. Mais est-ce assez pour lui donner le bon Dieu sans confession? Le Patient Protection and Afordable Care Act de 2010 a certainement permis à près de 30 millions d’Américains d’obtenir une couverture médicale, mais il n’en laisse pas moins 25 millions dans l’oubli. La formule demeure entre les mains du secteur privé -et donc toujours sujet à une dynamique de profit-, et oblige la majorité de ses bénéficiaires à payer une cotisation drôlement plus salée que la controversée taxe santé québécoise.

Mentionnons aussi que la protection est minimale: dans certains cas, elle ne couvre pas même la moitié des frais encourus par le patient. Et que dire du fait que Barack Obama ait signé un décret qui garantit que la réforme ne changera rien aux restrictions fédérales sur l’utilisation de fonds pour les avortements. Quand même, c’est mieux que rien direz-vous. Vous avez raison. J’ajouterai par contre que tout est une question de mesure. Obamacare est certainement un bon coup, il n’empêche que nous sommes encore loin de la réforme historique.  Lyndon Johnson, que d’aucuns ne qualifient de porte étendard du progrès, avait permis la mise en place de mesures beaucoup plus radicales en terme de santé dans le cadre de sa guerre contre la pauvreté. Il avait alors créé à la fois le Medicare et Medicaid.

Et que dire du plan de relance économique? 831 milliards de dollars consacrés à plusieurs mesures visant relancer l’économie, dont la plus importante sera… l’allégement du fardeau fiscal des individus et des compagnies. Un plan démocrate qui valait bien un plan républicain. Par ailleurs le président Obama a lui-même prolongé les exemptions d’impôt imaginées par l’administration Bush, pourtant jugées par plusieurs comme l’un des plus importants facteurs d’inégalité au pays. Il a bien tenté de mettre en place le Buffet Rule, après la surprenante sortie du milliardaire Warren Buffet contre le traitement de faveur offert aux plus riches, mais en vain. Il a été incapable d’imposer un niveau d’imposition minimal de 30% aux contribuables gagnant plus de 1 million de dollars par année. C’est la faute de la majorité républicaine à la Chambre? Oui, mais c’est bien ce que je disais: politicien bien intentionné et respectueux des règles -mêmes pipées en faveur des puissants-, Barack Obama a démontré mieux que personne les limites fondamentales du système politique américain.

Hope hangs on, «l’espoir s’accroche» pouvait-on dans certains journaux au lendemain des élections. Peut-être, mais l’espoir a un prix. Et il est aussi élevé pour les Républicains que pour les Démocrates. Même qu’en bout de ligne, «l’espoir» Obama aura coûté plus cher à faire avaler aux Américains que celui de Romney. Le New York Times estime à 852 millions de dollars les dépenses électorales du camp présidentiel, contre 752 millions pour celui du challenger. En plus d’être franchement dégoûtants, ces chiffres nous rappellent encore une fois à quel système nous avons à faire. Les supporters d’Obama, qui ont la fâcheuse habitude des déclarations à l’emporte pièce du style «Romney est le candidat des riches», devront tempérer leur enthousiasme.

La politique est l’art du possible. Pour beaucoup, aux États-Unis comme ailleurs, c’est ce qu’a compris Barack Obama. Qu’il faut être raisonnable et faire ce que l’on peut. Sans doute, mais c’est aussi ce que disent les cyniques. Et à ce compte là, on finira par se féliciter d’être immobile.

Avant que tout’ disparaisse

« Les gouvernements nous insultont. Les ignorants nous disont qu’on parle mal, they can all go fuck themselves »

– Gérald Leblanc, Comme un otage du quotidien, 1981

Bon, le chiac redevient sujet de l’heure. Je dis bien « redevient » car, en voulez-vous des discours, des entrevues, des débats, des films, des articles et des thèses portant sur le chiac, il y en a des tonnes. Bien avant Carol Doucet, il y a eu de grands noms acadiens et non acadiens, artistes et académiciens, qui l’ont défendu, qui ont tenté de l’expliquer et le justifier à travers les temps. De Marguerite Maillet à Gérald Leblanc, de Raymond Guy Leblanc à France Daigle, de Marie-Jo Thério à moi-même quand j’étais tout jeune au sein du groupe Zéro˚Celsius et, enfin, jusqu’à Lisa LeBlanc et mes amis de Radio Radio, on a tous voulu défendre que le chiac est né d’une façon de faire survivre le français au sud-est du Nouveau-Brunswick et ailleurs, là où la majorité anglophone tentait et tente parfois encore aujourd’hui, en vain, de nous étouffer une fois pour toute. Nous avions tous raison de le justifier et les contributions des derniers jours à mettre les « élites » linguistiques à leurs places ont bien été menées par une nouvelle panoplie de sympathiques à la cause et parmi eux je tiens à féliciter Carol Doucet et Gabriel Malenfant pour avoir réussi à très bien participer à cette bataille dans des tribunes radiophoniques à très hautes cotes d’écoutes. Mais, en particulier, je veux souligner le texte écrit avec brio par Martin Leblanc Rioux publié sur le site web du Voir. Tout y est!

Par contre, pour qu’on ne se fasse pas trop d’illusions, je veux donner un petit reality check.

Lorsque nous parlons ou chantons en chiac, pour ou avec des gens qui ne connaissent pas cette façon de s’exprimer (donc presque 99% du reste du monde francophone) ils ne nous comprennent pas. Et dans les coulisses, dans les foules, aux shows de Radio Radio et Lisa LeBlanc et autres, j’entends souvent souvent «crisse c’est bon, mais qu’est-ce qu’ils disent?» Et moi, l’Acadien près d’eux, tente de leurs expliquer les petits codes qui sont imprégnés dans cette manière de dire. Mais, parfois, je laisse faire et je ris tout simplement. « What’s the point? Ils vont pas mieux comprendre. » Ils rient souvent eux aussi.

Donc oui, défendons le chiac. Parlons-le, chantons-le, écrivons-le, justifions-le. Mais, avant tout ça, assumons que lorsqu’on s’exprime de cette façon, la grande majorité du monde ne pogne qu’une partie des propos. En fait, le monde, plus souvent qu’autrement, ne prend malheureusement même pas la peine d’écouter et comprendre le fond du message et ils s’arrêtent à: « c’est cute, c’est drôle, c’est cool « . Ils aiment le feel, et souvent pour eux c’est assez. J’imagine mal le journaliste Christian Rioux fumer un p’tit joint dans son salon et groover aux sons tout court et trouver que le feel, c’est assez. C’est pour ça qu’il a été dans l’analyse sociolinguistique et non pas artistique. Mais en disant ça, j’assume connaître qui est vraiment Christian Rioux, comme lui assume connaître le sort et l’état actuel de l’Acadie.

oehttp://www.onf.ca/film/eloge_du_chiac

En gros, ce débat existe depuis le début des temps. Si on regarde le film Éloge du chiac à l’ONF, du cinéaste québécois Michel Brault, sorti en 1969, et que l’on compare le chiac de ce temps là au chiac d’aujourd’hui, M. Rioux n’a peut-être pas complètement tort de craindre le pire. En même temps qu’on proclame faussement que le français n’a jamais tant été en forme en Acadie du sud-est du Nouveau-Brunswick, à l’Île-du-Prince-Édouard et en Nouvelle-Écosse, la réalité est plutôt que le français se fait estomper par un chiac qui est de plus en plus parsemé de mots anglais. Et ça, vous pouvez tenter de le nier tant que vous voulez, vous êtes dans les patates! Ce n’est pas un jugement que je fais, mais un constat. Souvent, très très souvent, je vois des Acadiens « chiac » venir à Montréal et devenir frustrés que tous les Québécois pensent automatiquement qu’ils sont anglophones. Et au lieu de faire le « switch » au français universel, ils y vont avec l’anglais. Pas par malice, mais par l’impossibilité et parfois aussi le refus de s’exprimer à la Molière.

«Non, non man, tu get pas, j’parle right out le français!»

«Yes, but (h)I can speaked (h)english for you…»

«Non c’est alright, worry pas, stickons sur le français.»

«Stickons?»

«Euh… c’est right claire, stickons, get tu pas?»

«(H)uhm… sorry… what would you like (h)in your coffee?»

«Ahhhhh… OK… whatev… double-double!»

Nous avons raison de trouver ça «trou-de-tchu» de quelqu’un de dire que les Acadiens parlent mal, surtout quand ils mettent le blâme sur les artistes et leur donne la responsabilité d’assurer la survie d’une chose aussi grandiose qu’une langue. Un artiste n’a pas à porter et ne devrait jamais porter le fardeau d’assurer la survie de quoique ce soit! Ça c’est un jeu de bouc émissaire complètement mal mené qui ne fait que mettre de l’huile sur un feu brûlant. Par contre, nous n’avons pas raison de ne pas écouter et réfléchir un peu sur ce qu’ils nous disent ou essaient de nous dire dans leurs messages. Le chiac, c’est pas le français universel. Et si on veut participer à un monde francophone et se faire comprendre dans ce monde francophone, on pourrait peut-être songer à être un peu plus humble et faire un effort pour mieux se faire comprendre. Si on choisit de ne pas le faire, on doit complètement assumer les conséquences de cette décision et les réactions que ça peut déclencher. Sinon, nous sommes ceux qui forcent les autres à faire la majorité de l’effort. Nous devenons aussi nombrilistes que les autres. Pis ça c’est pas right. Pis si on ne fait pas l’effort et qu’ils ne nous comprennent pas, on n’a pas le droit de se pisser off. Point picot. C’est pas leur faute. Ils ne viennent pas de notre petit coin de la planète à 100 000 de population.

Mais, de toute façon, dans le gros portrait des choses, est-ce vraiment si important que ça défendre le français? Bottom line, peu importe ce que nous parlons, on va toujours réussir à manger, boire et dormir. La base. Et comme l’a dit le grand poète Christian Roy, pour établir l’autre base:

«Je ne comprends ta langue / que lorsque qu’elle tourne / autour de la mienne»

– Christian Roy

Dalton et la nouvelle ère technocratique

On ne sait toujours pas trop pourquoi il a pris la poudre d’escampette, mais finalement peu importe à ce point-ci, il s’agit avant tout d’en faire un premier bilan, qui pourra être inspirant suivant ses aspirations futures.

Je suis une néo-Ontarienne qui a quasiment toujours vécu sous le régime McGuinty, c’est une place de choix pour faire ce bilan. En même temps, je vis constamment depuis une décennie avec les terribles histoires sur les horribles années Rae et Harris.

Globalement, je suis perplexe. Si je parle comme francophone, il faut bien avouer que ce fut la voie du statu quo qui a été choisie: pas de recul, pas de progrès non plus. Toujours aussi difficile de se faire servir en français dans les hôpitaux; système scolaire d’un niveau inqualifiable (ce qui équivaut à mes yeux à une forme d’assimilation institutionnalisée).

D’ailleurs, je veux m’arrêter un instant sur ce sujet parce qu’on va me dire «oui mais la maternelle pour tous c’était bien». Sans aucun doute, je viens d’un pays où les enfants commencent l’école à trois ans, la moitié à deux ans et demi. Mon argument n’est pas là. Mais rappelez-vous le scénario. Les maternelles à temps plein ont été ouvertes d’abord pour les francophones. Super avons-nous dit, c’est la preuve que McGuinty était un bon premier ministre pour nous. Mais que nenni.

Bilan: on s’est retrouvé avec plein de petits anglophones (adorables au demeurant) dans nos classes de maternelle. Du coup, nos petits francophones ont pu développer leur apprentissage de la langue de Shakespeare encore plus tôt. Bravo, très bonne idée! Ah mais non, j’ai oublié ce que nos têtes pensantes dans les conseils scolaires se sont dit: on va mettre deux petits Anglos, deux petits Francos sur des tables de quatre pour que ces derniers aident les premiers à se franciser. Qu’ils sont marrants ces conseils scolaires. Moralité: mes filles parlent anglais, et j’attends toujours les chèques de paie de mes filles pour les cours de francisation qu’elles ont donnés.

Bon je me suis un peu écartée du sujet : le paradoxe, voilà ce que je vais retenir de McGuinty. D’un côté, j’ai vu en lui un chef d’État, un homme politique (à la différence d’un politicien) le jour où il a reçu l’infâme rapport Boyd préconisant la reconnaissance de la Sharia en matière de droit de la famille. Bon, à la base, ce n’était pas brillant de demander un rapport. Mais McGuinty a été couillu ce jour-là et il a dit «hé, oh, ça va pas la tête!». C’était le signe d’un grand homme qui savait dire non à l’air du temps, aux modes (les plus absurdes) et aux justifications pernicieuses de juristes en mal de sens.

Pendant longtemps du coup, je l’ai bien aimé ce type-là… et puis, les années passant, il s’est technocratisé, il a laissé la dictature des managers s’installer. Ce fut son erreur fatale, celle que je ne peux lui pardonner. Il y a eu le fameux, ou plutôt infâme, rapport Drummond. Et cela continue aujourd’hui même, avec des petits comités secrets qui sont en train de saper 700 ans d’histoire universitaire, par exemple, parce qu’ils sont médiocres et veulent être sûrs que la médiocrité sera désormais l’étalon. La solution: vous allez payer plus et en avoir moins pour votre argent.

En éducation, on augmente les frais, on embauche des managers, on ne remplace plus les profs. On crée des postes de managers pour recruter, mais il n’y a pas de professeurs pour enseigner les cours; des managers pour «améliorer la qualité», mais il n’y a plus personne pour faire le strict minimum: s’assurer que l’enseignant puisse au moins aligner trois mots sans faute. En santé, on intègre les services. En langage courant, cela veut dire qu’on dépense des centaines de millions de dollars pour des «réseaux» en tout genre où les managers se branlent le bigorneau soit disant pour trouver des solutions visant à réduire les dépenses, au lieu d’embaucher des docteurs et des infirmières et d’ouvrir des lits d’hôpitaux.

L’ère McGuinty restera celle où la démocratie ontarienne a été remplacée par la technocratie, et si encore les technocrates n’avaient pas été des médiocres…

Surprise, surprise

C’est presque rendu une joke plate que de dire que Radio-Canada devrait s’appeler Radio-Québec.

Et là, finalement, quelqu’un a décidé d’en faire part au CRTC. Merci.

Oui, c’est vrai que leur public est majoritairement québécois, et personnellement, je ne leur en ai jamais voulu de ne pas me reconnaître dans leurs talk-shows (no offence Patrice Lécuyer), dans leurs émissions de variétés (encore, désolé Patrice) ou dans leurs fictions (même quand c’est Roy Dupuis, l’ultime closet-Franco-Ontarien, qui est à l’affiche).

Mais là où j’ai toujours eu de la misère à avaler ça, c’est les nouvelles, les informations, le journalisme. Ces nouvelles, qui, malgré le mandat «national» de la Société Radio-Canada, ne m’ont jamais vraiment parlé. Et là, je vais vous faire la faveur de ne pas ressortir le vieil argument du boulevard Métropolitain parce que je suis prêt à avouer que du côté anglophone, on parle beaucoup de Toronto.

Par contre, j’ai toujours trouvé que les informations de Radio-Canada me parlaient comme s’il n’y avait que le Québec qui comptait. Si on me donne des statistiques, ce sont des statistiques du Québec. Si on me parle d’un enjeu mondial, on me dit en quoi il affecte le Québec. Si on me parle du Canada, c’est d’habitude pour chialer ou pour souligner que ça ne se passe pas comme ça au Québec, ou encore, de temps en temps, pour me parler de l’Acadie (no offence les Acadiens, mais les Québécois semblent vous aimer ben plus que nous autres à l’ouest de l’Outaouais).

Si la vallée du Richelieu est inondée, j’en entends parler à la SRC pendant des semaines. Si le sud du Manitoba est inondé, il faut que j’écoute les nouvelles en anglais si je veux en avoir pour plus de trente secondes. Si Rio Tinto met ses travailleurs en lock-out, inquiète-toi pas, je le sais, mais il fallait écouter en anglais pour savoir si les mines de Sudbury allaient rouvrir pendant un des plus importants conflits de travail de l’histoire du Canada. Si je veux des nouvelles sur n’importe quelle équipe de hockey à part le Canadien (ou le Lightning), il faut que je passe à l’anglais.

Je ne crois pas être le seul à faire plus confiance aux Mansbridge et aux Robertson de ce monde qu’aux Derome, Galipeau et Durivage du Québec.

Quand on fait du journalisme, il faut faire des choix au niveau du contenu. Ces choix  finissent tôt ou tard par définir la ligne éditoriale, et à long terme, le cadre de référence des téléspectateurs. Ce qui me ramène à cet article du Huffington Post Québec (ou encore l’article semblable en anglais dans le Globe and Mail) où on relève une citation qui exprime parfaitement pourquoi la québécisation de Radio-Canada me fait peur:

«Les Canadiens syntonisant l’édition nationale du Téléjournal sont généralement exposés à une vision partiale et potentiellement non représentative de la réalité canadienne.»

– Extrait du rapport déposé à la CRTC par le sénateur Pierre de Bané

Canadiens. Pas juste Québécois. Parce que, oui, c’est triste que les Québécois soient fermés d’esprit, mais même si Radio-Canada n’avait rien à se reprocher, il y a toute une industrie médiatique qui répète constamment à la population/nation/audimat que leur nombril c’est le plus beau. Oui, c’est triste pour les Québécois qui se regardent le nombril, mais c’est encore plus triste, selon moi, pour les centaines de milliers de francophones/philes au pays, qui se forcent pour comprendre quelque chose qui ne les concerne pas, qui ne les concernera jamais. La volonté d’ouverture envers le français, et envers le symbole de la SRC, que l’on soit francophone hors Québec, french-but-I-don’t-speak-it, ou simplement canadien ouvert d’esprit, se transforme rapidement en aliénation, et on se retourne vers CTV ou CBC parce qu’on veut être informé de ce qui se passe dans notre pays.

Et maintenant, j’arrive à la partie de mon texte où je fais des grandes généralisations et où vous allez me dire que je suis plein de marde, que je suis démagogue, que je ne sais pas de quoi je parle, et (si j’ai bien calculé) vous allez essayer de me prouver que j’ai tort.

Les médias québécois (dont fait partie de facto Radio-Canada) ont avantage à ce que le public québécois reste québécois. On chiale contre Pierre Elliot Trudeau (ou Justin, tiens), contre les écoles passerelles, contre l’école d’immersion anglaise, contre les noms de marque anglophones, contre les immigrants qui parlent anglais… Et c’est vendu comme la réalité. Rares sont les bulletins de nouvelles québécois qui vont établir un lien entre la situation au Québec et la situation (souvent très semblable) ailleurs au Canada. Montréal s’assimile? Sudbury aussi! Stephen Harper? On l’aime pas plus nous autres! Gaz de schiste, je te présente sable bitumineux. Selon les médias, l’exceptionnalisme québécois est un fait accompli, irréversible et coulé dans le ROC.  Et ensuite on se demande pourquoi les Québécois semblent se câlisser du Canada…

Ce mot qu’on n’ose prononcer

Comme vous l’avez vécu en direct, ou appris le lendemain matin en écoutant la radio, la soirée électorale au Métropolis s’est mal terminée. Quelles sont les données factuelles dont nous disposons? Qu’un homme dans la soixantaine, anglo-québécois de son état, a tiré sur deux personnes et aurait pu continuer son jeu de massacre si son arme ne s’était pas enrayée. Il a également mis le feu. La police a par ailleurs retrouvé pas moins de cinq armes. Arrêté, l’homme a vociféré «les Anglais se réveillent».

A date, il existe une unanimité dans tous les médias établis du pays – et une telle unanimité médiatique n’est jamais un bon signe pour la démocratie – pour dire que cet homme est un fou. Les journalistes ont parfois employé le terme «attentat», on a entendu «assassinat». Mais en aucun cas, le mot «terrorisme» n’est apparu dans la bouche de nos faiseurs d’histoires bien-pensants.

C’est tout simplement hallucinant!

Déconstruisons tout d’abord le concept d’assassinat. Un assassinat est un meurtre prémédité et ciblé. Quand il vise un homme politique, on parle d’assassinat politique. Les deux personnes touchées n’ont pas été victimes d’un assassinat. De deux choses l’une, soit Richard Bain voulait faire le plus de victimes possibles, et dans ce cas-là, ce n’est pas ciblé, donc ce n’est pas un assassinat. Soit, comme certains l’avancent, il voulait effectivement assassiner Pauline Marois et était prêt à tuer tous ceux qui, sur son passage, l’empêcheraient d’atteindre sa cible. Il faudra attendre les résultats de l’enquête pour se prononcer sur ce point.

Cependant, il a mis le feu, ce qui indique clairement, qu’il voulait faire «le maximum de dégâts». On s’entendra également sur le fait que ses motivations étaient doubles. Tout d’abord, ces actes sont clairement de nature politique. Deuxièmement, il est clair qu’il voulait faire passer un message; il n’a pas fait grand-chose pour ne pas être arrêté; il a fait des déclarations aux journalistes présents pendant son arrestation.

Or, bien qu’il n’existe pas de consensus sur la définition d’un acte terroriste (j’ai recensé plus d’une centaine de définitions); il y a plusieurs caractéristiques qui reviennent dans la plupart des définitions. Premièrement, l’acte terroriste est motivé politiquement. Deuxièmement, l’acte terroriste a pour but premier de faire passer un message, de mettre un problème politique sur l’agenda; bref, c’est un outil de communication. On dit souvent que le terrorisme «c’est la propagande par les actes». Troisièmement, le terrorisme se distingue de l’assassinat politique dans la mesure où il est indiscriminé; par conséquent, il vise souvent les «civils» ou des «innocents».

Considérant tout cela, il est tout simplement ahurissant qu’aucun journaliste ou politicien n’ait osé ne serait-ce que d’utiliser le mot terroriste, ne serait-ce que de poser la question! Je vois les bonnes intentions derrière cette prise de position unanime de la classe politique dans son entier (droite, gauche, provincial, fédéral: jamais dans l’histoire du Canada on n’avait vu ça!). Il s’agit bien sûr «d’apaiser les esprits»; de ne surtout pas «mettre le feu aux poudres»; de ne pas «réactiver des vieilles haines». On le sait, c’est tout le contraire qui se produira. Dire la vérité, oser poser les vrais questions sont les seuls moyens qui permettront à notre société de sortir de ce mauvais fourbis.

Alors, je vous entends dans vos chaumières, vous vous dites, comme tous les journalistes unis dans le même combat, «mais c’est juste un cas isolé», «c’est juste un fou». Et moi de vous répondre, croyez-vous vraiment que la douzaine de tarés responsables des attentats terroristes du 11 septembre ne sont pas des «cas isolés». Le milliard de musulmans sur la planète ne se fait pas exploser toutes les cinq minutes. Quant à la folie, peut-on s’entendre sur le fait que pour devenir terroriste, il faut quand même être un peu cinglé. Le Norvégien Breivik peut bien tenir des discours rationnalisant son acte ignoble; il peut bien y avoir réfléchi, il n’empêche que ce type est fou… et un terroriste! Au sens strict du terme, quelqu’un qui sème la terreur parce qu’il est aveuglé par sa haine de l’Autre (l’Autre étant le Juif, l’Arabe, le francophone, le socialiste, bref, dans la tête du terroriste, l’ennemi à abattre car il se trouve sur son chemin dans la réalisation de son monde à lui).

Une autre question me taraude: depuis quand un attentat, puisque le mot fut employé, n’est-il par, par définition, terroriste?

La terrible et inquiétante unanimité entourant cette affaire, les mots soigneusement choisis, la théorie adoptée rapidement du fou isolé visent deux choses: empêcher le débat, museler les citoyens, et donc empêcher que l’on se pose la seule et vraie question: comment et pourquoi en sommes-nous arrivés là? Comment et pourquoi dans un Canada qui se dit démocratique, un anglophone en est arrivé à ne pas accepter les résultats des élections et a décidé de transformer une arène politique et démocratique en stand de tir de foire? Comment et pourquoi est-on passé de la rivalité à la haine?