Décidément, il y a bien quelque chose de pourri au royaume du Danemark…

Dimanche, comme souvent, j’ai dû me rendre à l’aéroport de Sudbury et recevoir en plein dans la face la même claque — cette photo d’une ineptie sans borne. Pourquoi un conseil scolaire francophone se sentirait-il obligé de placarder des affiches en anglais un peu partout à travers la ville? Quelle bonne impression, quel beau message pour le francophone qui arriverait pour la première fois à Sudbury par avion!

Pour faire bonne mesure, il faut préciser que le conseil scolaire francophone catholique (déjà un reliquat du passé que l’on aimerait voir disparaître…) a lui aussi défiguré notre belle ville laide avec des affiches en anglais. Est-ce que quelqu’un a déjà vu les conseils scolaires anglophones imprimer des affiches en français? Étant donné le récent abandon de l’enseignement du français avant la 4ème année par le conseil anglophone publique, on peut en douter.

Je sais, les critiques me diront: «oui, mais il faut bien attirer des clients, les conseils reçoivent leur financement en fonction du nombre de clients inscrits!». Mais pourquoi faudrait-il accepter de se plier à cette logique marchande? L’éducation n’est pas une valeur marchande, ni au postsecondaire, et encore moins au secondaire et au primaire. Le droit à l’éducation en français nous est garanti par la Charte. Nous n’avons pas à recruter, en anglais, pour s’en sortir économiquement.

Plus ça va, plus je me dis que finalement, beaucoup d’acteurs au Canada travaillent très fort pour accomplir les recommandations de l’infâme rapport Durham. Certains le font consciemment, d’autres sont simplement trop idiots ou naïfs pour ne pas voir qu’ils marchent dans les combines des premiers et se rendent donc coupables du même crime. Enfin, un petit groupe constitue des collaborateurs zélés de ces assimilationnistes forcenés. Bizarrement, ils tendent à se concentrer dans le domaine de l’éducation.

D’autres critiques plus fervents m’accuseront de racisme. Mon propos n’a rien à voir avec la présence d’anglophones dans nos écoles. Je ne suis pas contre, au contraire je veux bien prendre tous les anglophones francophiles! Cela fait partie de la diversité et si on pouvait, comme à Hearst assimiler quelques anglophones, j’en serais ravie. En revanche, j’ai de très gros problèmes avec la manière dont les écoles gèrent la présence de ces chères têtes blondes anglophones dans nos classes mais ce sera pour une autre fois. Revenons-en à nos moutons. Ce que je trouve aberrant c’est que nos institutions — soit disant garantes de notre «vitalité», ou de notre «survie» pour être plus pessimiste, et en fait de notre lente mort programmée et organisée — s’expriment publiquement en anglais, et qui en plus est pour faire du recrutement! Le monde marche vraiment à l’envers. Sortons nos casseroles ou mettons-nous tout de suite à ne parler qu’en anglais; that’s it, that’s all; la messe est dite; comme dans Hamlet, on crèvera tous!

Quand on devient minoritaire dans sa propre école

Après avoir lu l’article « Perspective sociolinguistique sur le comportement langagier des Franco-Ontariens » de Raymond Mougeon, je me suis mis à réfléchir au problème des ayants droit dans les écoles de langue française en Ontario. Au contraire des écoles de langue anglaise de cette province qui divisent les classes en immersion et en « core French », tous les élèves des conseils scolaires de langue française sont envoyés dans les mêmes salles de classe — qu’ils soient de langue maternelle anglaise ou de langue maternelle française.

En fait, l’idée d’avoir des « ayants droit » qui ne parlent pas un mot de français dans les écoles de langue française est dérangeante en soi. Si l’école de langue française est le bastion qui espère pouvoir permettre un refuge et un endroit d’épanouissement pour les jeunes francophones de l’Ontario (malgré le fait que ce rôle imposé est déjà trop large pour une seule institution), pourquoi cherche-t-on constamment à diluer la francophonie au sein même de celle-ci? Si au moins l’école arrivait à former ses propres enfants dans la langue et culture de l’Ontario et du Canada français, il n’y aurait pas de problème. Comme ce n’est pas le cas, comment peut-on s’attendre à ce qu’elle le fasse avec les ayants droit?

« En effet, c’est en apprenant une langue de leurs parents [qui ne font pas toujours l’effort/ne ressentent pas le besoin d’immerger leurs enfants dans la langue française à la maison] ou des locuteurs natifs qui font partie de leur environnement [c’est-à-dire, leurs camarades de classe, trop souvent unilingues anglophones] immédiat que les jeunes enfants s’approprient les normes linguistiques de la communauté qu’ils deviennent ainsi eux-mêmes des locuteurs natifs de cette langue et qu’ils peuvent éventuellement à leur tour servir de modèle linguistique aux générations suivantes. »

Raymond Mougeon, Perspective sociolinguistique sur le comportement langagier des Franco-Ontariens

Comment alors, les jeunes francophones seraient-ils en mesure de retransmettre quoi que ce soit s’ils n’ont jamais eu la chance de bien acquérir la langue et sa culture associée dès le départ? De toute façon, quelle raison ces élèves auraient-ils pour vouloir l’acquérir tout court? Comme l’a expliqué Rosanna Leblanc en 1969 dans le documentaire de Michel Brault, Éloge du chiac, « parler français parce qu’on est Français, quelle résonance est-ce que ça a chez un enfant qui grandit, qui ne se fait pas de problème de philosophie sur qui il est »?

Déjà dès un jeune âge, l’enfant qui est de langue maternelle française est aliéné, et ce, dans sa propre institution. Ironiquement, c’est au sein de cette même institution qu’il sera écœuré par ses professeurs qui lui répètent « parle français », malgré le fait qu’elles et ils sont responsables pour le contexte poussant l’élève vers l’anglais.

Il ne faut pas oublier les « si vous parlez français, vous aurez des meilleures chances d’avoir un emploi! » fréquemment entendus dans les salles de classe. Comme si le fait de parler sa langue maternelle était justifiable seulement par le fait d’être mieux rémunéré qu’un voisin unilingue! Pourtant, les professeurs continueront à offrir ce raisonnement à leurs élèves parce qu’ils ne sont pas conscients de leur propre culture ou de l’histoire de leur pays. Oublient-ils comment l’union des deux Canada a été achevée? Se rendent-ils compte qu’il existe un autre monde à l’extérieur d’American Idol (laissez faire le défunt Canadian Idol), de UFC et de Jersey Shore?

Bien sûr, il y a des exceptions à la règle. Les bons professeurs existent. Ils exposent leurs élèves à ce qui formera au moins les éléments de base d’une culture générale. Si une faible proportion d’élèves décide de maintenir (au moins en partie) leur identité française, c’est en grande partie grâce aux efforts de ces trop peu nombreux enseignants intelligents et conscients. Ce n’est pas que la culture de langue anglaise est néfaste. Au contraire, la possibilité de s’immerger dans une deuxième langue enrichit sans doute la vie d’un individu. Cependant, si cet individu n’a jamais eu l’occasion de baigner dans la culture de sa première langue c’est certain qu’il la trouvera vide, plate, désuète, inutile, et en conséquence, il l’abandonnera. De toute façon, si on ne cherchait pas à attirer une clientèle anglophone, faudrait-il vanter le bilinguisme autant qu’on le fait actuellement ou pourrait-on insister sur l’excellence du français au lieu?

L’éducation de langue française en Ontario est en danger. Pas par la menace que pose l’anglais, mais par la menace que pose l’instruction par des acculturés et par la menace que pose un milieu anglophone au sein des écoles de langue française. Si on veut pouvoir continuer à vivre en français en Ontario (même si ce n’est pas dans la totalité des sphères de la vie quotidienne), il faudra d’abord former les enseignants en culture et en conscience franco-canadienne afin qu’ils soient en mesure de retransmettre celle-ci à leurs élèves. Apprendre qu’il y a des petits francophones à Shédiac au Nouveau-Brunswick, à Sherbrooke au Québec, à Winnipeg au Manitoba et ailleurs au Canada qui vivent des choses semblables à ceux de Sudbury (ou Ottawa, ou Kapuskasing, ou Hearst) en Ontario, ça peut influencer les choix et ouvrir l’esprit du jeune francophone. Également, il faudra veiller à ce que les élèves qui arrivent en maternelle soient accueillis dans un milieu qui est véritablement entièrement francophone, incluant la cour de récréation. Les conseils scolaires francophones de l’Ontario sauront-ils relever le défi?