C’est toujours à recommencer

«Je me sens sans pays. Comme francophone hors Québec, j’ai pu de place.»

Le même utilisateur du mystérieux compte YouTube qui avait mis en ligne le documentaire J’ai besoin d’un nom qui nous avait complètement jetés à terre en février vient d’afficher un nouveau vidéo. C’est toujours à recommencer, est un court documentaire produit en 1980 par André Gladu et Michel Brault pour Radio-Canada dans le creux de l’hiver nord-ontarien. C’est froid, c’est sec et c’est pas facile à regarder.

Bien qu’assez misérabiliste comme portrait du fait français à Hearst et à Kapuskasing dans les années 1980, le film présente tout de même quelques points intéressants: la naissance de l’identité «bilingue» chez la plus jeune génération et le sentiment d’être un «peuple sans pays» après la Révolution tranquille au Québec.

Des airs de country à des reels de violon, la musique balise le documentaire. À 3:05, un bûcheron chante son quotidien dans le Nord de l’Ontario dans la pièce titre du documentaire C’est toujours à recommencer.

«J’avais 15 ans avant de m’apercevoir que les Français étaient minoritaires en Ontario. Moi, je pensais que partout en Ontario c’était français comme à Moonbeam.»

‎L’extension naturelle du Québec

Vers la fin des années 1910, le gouvernement ontarien fait une campagne en Europe pour recruter des Néo-Canadiens dans le but de peupler le Nord. Les gens sont venus s’établir dans le Nord de l’Ontario, encore très peu défriché. En même temps, comme il y avait beaucoup de chômage et un manque de terres au Québec, les prêtres colonisateurs du Nord recrutaient en disant que le Nord de l’Ontario «c’était l’extension naturelle du Québec. C’était facile pour les gens d’y croire parce que quand ils s’en venaient s’établir ici c’était français partout, alors ils se sentaient chez eux, ils se sentaient au Québec, en Ontario.» (5:20)

On parle de la manière dont les ouvriers francophones étaient obligés d’apprendre l’anglais pour travailler dans les régions de l’Ontario où ils étaient majoritaires (10:38), des luttes scolaires, de la problématique des conseils scolaires dans les années 1980 (12:30) et de l’émergence d’une nouvelle culture en Ontario français; la culture «bilingue» (16:08). À la fin, le documentaire touche à un point très sensible: le sentiment qu’ont certains francophones hors Québec d’être sans pays suite à la Révolution tranquille au Québec (22:00).

«Je me sens un peu comme la Sagouine. Elle à le savait par exemple ce qu’elle était. Moi, je l’sais pas. J’pense qu’il faut que je le dise que j’suis Franco-Ontarienne parce que moi j’ai vécu toute ma vie dans l’Nord de l’Ontario. Ça m’appartient. C’est mon pays. Je ne sens pas aucune identification avec le Sud de l’Ontario, ça c’est un monde à part. Mais le Nord de l’Ontario, géographiquement, pis le monde qui vivent ici, j’aime, pis c’est moi. Mais je me sens pas du tout comme Canadienne française. Ça fait pas mal longtemps de ça.

Quand j’étais jeune, j’avais le rêve d’un Canada bilingue, d’une mer à l’autre. Monsieur Trudeau, c’était l’exemple parfait de ce que ça pouvait être, le Canada. Mais depuis ce temps là, je me sens sans pays parce que je me sens pas vraiment Québécoise. J’pense que le Québec a fait un cheminement que nous autres on n’a pas pu faire, on peut pas faire, parce qu’on n’a pas les mêmes ressources, on n’a pas de frontières. J’ai l’impression que si j’allais vivre au Québec j’aurais de la difficulté à m’adapter au Québec. Je me sens sans pays. Comme francophone hors Québec, j’ai pu de place.»

Ce documentaire de Radio-Canada répond à très peu de questions, mais en pose plusieurs très percutantes.

Est-ce que le Nord de l’Ontario est vraiment si différent du Nord québécois? Est-ce le Québec oublié? Qu’est-ce qui nous empêche de faire nos valises et de déménager au Québec? Est-ce qu’une «culture bilingue» est possible ou souhaitable? L’assimilation pose-t-elle problème dans le Nord ontarien? Est-ce que les choses ont changé? Est-ce les gens de Kap se sentent franco-ontariens? Does it even matter? Est-ce même un enjeu? Est-ce qu’on y réfléchit? Avons-nous trouvé notre nom? Cherchons nous encore un pays?

Bonne réflexion, cher toi.

«Il n’est pas injuste de rappeler aux francophones qu’ils sont une race de vaincus et que leurs droits n’existent que grâce à la tolérance de l’élément anglais, lequel, avec tout le respect dû à la minorité, doit être considéré comme étant la race dominante.»

– George Drew, premier ministre de l’Ontario, 1943

La rue et la démocratie

À 16h vendredi dernier, après ma semaine de travail, je suis allé manifester avec ma conjointe et mes enfants. On avait décidé de participer à «Sudbury-darité» (fort heureusement rebaptisé, en cours de route, «Casseroles Sudbury»), une marche qui visait à exprimer de la solidarité avec le mouvement étudiant québécois, à dénoncer l’infâme loi 78 et à chercher à provoquer une réflexion de ce côté de l’Outaouais. L’accessibilité à l’éducation est, après tout, une question qui se pose partout, au premier chef dans la province ayant les plus hauts frais de scolarité du pays. La liberté d’expression, bien sûr, est une question tout aussi universelle, question qui s’est posée avec acuité ici aussi tard que l’an dernier, lors du sommet du G-20, lorsque la province et sa police n’ont pas eu besoin de loi spéciale pour remettre en cause son importance. Puis Harper, ben, n’en parlons même pas (ça mérite un ou deux billets en soit, vous ne trouvez pas?)

Durant les derniers jours, peut-être semaines, ma conjointe et moi avons eu l’impression de sentir le vent tourner au sein de l’opinion publique canadienne. Les manifestants québécois, généralement traités d’enfants gâtés – voire d’enfants-rois – au début du conflit, gagnaient un nouveau respect, il nous semblait. Ou, au moins, ils bénéficiaient d’une appréciation moins caricaturale et moins homogène. Il nous a semblé qu’une certaine idée se répandait selon laquelle ce mouvement représentait peut-être, après tout, des doléances légitimes. Des doléances ne se limitant pas aux frais de scolarité qui en sont la raison d’être officielle et le symbole. Ce «printemps érable» toucherait donc à un malaise dans la société contemporaine, malaise auquel il n’est pas nécessairement facile de mettre des mots, mais qu’il est néanmoins important de commencer à explorer et exprimer. Malaise vis-à-vis nos modèles économiques, qui font passer la productivité et la croissance avant tout le reste, sous prétexte de compétitivité. Malaise avec le fonctionnement de nos régimes politiques, qui malgré leurs structures de démocratie représentative semblent souvent être redevables à des pouvoirs autres que celui du peuple. Devant nos yeux, dans les médias du ROC, le printemps érable est passé de caricature à question sociale brûlante, qui divise l’opinion ici comme au Québec. L’amorce d’un débat de société, quoi. C’est pour cette raison qu’on a décidé de participer à cette marche. Parce que ce malaise, on le ressent aussi. Parce que cette conversation publique, on veut l’avoir. Parce que les méfaits du gouvernement Harper valent bien ceux de celui de Charest, selon nous.

La difficulté avec les manifestations, c’est qu’elles n’attirent pas toujours uniquement des gens intéressés à tenir des débats de société. Qui dit «débat» dit forcément «dialogue». Vouloir un débat de société, c’est vouloir exprimer quelque chose mais, encore davantage, c’est vouloir être entendus. C’est donc tendre une perche; c’est donner la main. Sinon aux autorités, au moins à la masse de nos concitoyens, afin de tenter de les convaincre, afin de tenter de leur faire entendre raison. Malheureusement, il y a souvent quelques individus, dans une manif’, qui s’intéressent finalement peu à faire passer  un message, mais qui s’intéressent beaucoup à jouer des rôles préconçus. À se donner le beau rôle. À proclamer, d’une manière ou d’une autre, leur supériorité morale ou intellectuelle. Ou alors, à simplement rejeter «le système».

La manif de vendredi a très bien débuté. Le groupe, qui devait faire environ 75 personnes, était assez varié. On y trouvait jeunes, vieux, hommes, femmes, enfants. L’ambiance était festive et bon enfant. Nous avons commencé à marcher dans les rues du centre-ville de Sudbury, occupant une moitié de la rue, du trottoir jusqu’à la ligne jaune. En d’autres mots, nous bloquions la circulation derrière nous. C’était spontané et, selon moi, justifié. Une manifestation, c’est-à-dire une prise de parole collective en public, peut légitimement perturber l’ordre public, temporairement et dans des limites raisonnables. Cela fait partie de la prise de parole. Crier fort, mais au milieu de la forêt, voire du Parc Bell, n’aurait pas attiré beaucoup d’attention. Dans le centre-ville, les inconvénients qu’on causait, quoique réels, étaient raisonnables, puisqu’après quelques minutes, au plus, les voitures derrière nous avaient l’option d’emprunter une rue ou ruelle transversale pour nous semer. D’ailleurs, aucun automobiliste ne s’est plaint pendant tout le segment «centre-ville» de la marche. Les seuls klaxons entendus exprimaient du soutien pour la manifestation. J’ai donc fièrement marché au milieu de la voie publique, tenant ma fille préscolaire par la main. (Elle s’amusait comme une folle au milieu des casseroles.)

Bien que rien de dramatique n’ait eu lieu, il n’est pas faux de dire que la situation s’est corsée une fois que nous sommes arrivés sur le «pont des nations», long viaduc raccordant les parties nord et sud de la ville, au-dessus de la cour de triage du Canadien Pacifique. Au début, tout allait bien. La procession bloquait l’une des deux voies en direction sud, ce qui ralentissait sensiblement la circulation, sans pour autant paralyser les déplacements complètement en cette heure de pointe. Pour les besoins de notre cause, c’était suffisant. En ralentissant la circulation, on manifestait notre présence, on exprimait un malaise, on appelait l’attention du public à celui-ci. Ce but était, d’ailleurs, déjà atteint, puisque trois ou quatre journalistes couvraient la manifestation, prenant des photos, filmant et faisant des entrevues.

Quelques minutes plus tard, je constatais avec déception, mais sans grande surprise que, pour certains, ralentir le trafic sur l’un des axes principaux de la ville n’était pas assez. Une petite bande de trois ou quatre manifestants, tenant une énorme banderole, se sont mis à marcher dans la deuxième voie en direction du sud. Impossible pour les automobilistes de passer. Impossible, aussi, pour eux de faire demi-tour, étant donné la séparation au milieu du pont. Et même s’ils avaient réussi, le détour occasionné pour se rendre dans la partie sud de la ville aurait fait plusieurs kilomètres. C’était, pour moi, dépasser la limite que nous octroyait le droit à la liberté d’expression. Je n’affirme pas qu’il ne soit jamais légitime de penser bloquer un pont. Mais pour une première (ou deuxième) marche de solidarité, avec un message politique général et ne visant pas à régler une crise immédiate, c’était de l’overkill. Pis: c’est ce genre d’action qui démobilise bien des gens qui seraient autrement prêts à se joindre à des manifestations.

Bien sûr, il n’y a pas que des manifestants zélés qui peuvent ne pas comprendre la nature d’une vraie manifestation, dans le sens démocratique du terme. Ça peut être le cas des forces de l’ordre, aussi. Ce point a été illustré quelques minutes plus tard, lorsque les premiers policiers sont arrivés sur les lieux. C’était après que les zélés aient libéré la voie de gauche, convaincus par les organisateurs, plus raisonnables. Le premier agent sorti de sa voiture (qui était aussi le dernier sorti de l’académie, vu qu’il n’avait que quelques poils au menton) s’est mis à gueuler de manière fort désagréable “Get on the sidewalk. Get, get! Get on the sidewalk!”. Beuglements accompagnés de grands signes de bras. Quand quelqu’un lui a demandé, d’un ton plutôt neutre: “What will happen otherwise?”, il a répondu de manière bête, “You’ll get arrested!”. Ce policier zélé commettait la même faute que les gars à la banderolle, mais dans le sens inverse. En nous demandant de nous enligner à la queue-leu-leu sur le trottoir, il nous réduisant au statut de «piétons». Il nous refusait en fait toute légitimité à l’usage de l’espace public. La liberté d’expression n’entrait pas dans son équation. Or, le droit à manifester en public est un rouage de la démocratie, au même titre que les élections. Les corps policiers qui travaillent dans des démocraties actives le savent et le reconnaissent. Le problème, c’est que la démocratie canadienne est dans un état atrophié. On n’en a plus l’habitude. Ni les manifestants, ni le public, ni les policiers.

En fin de compte, la manifestation s’est globalement bien passée. Reste qu’une (ré)éducation démocratique s’impose. Et les manifestants peuvent y contribuer. En sensibilisant leurs membres, d’abord. Puis la police. Et, surtout, le public en général, pour qu’il n’associe plus le mot «manifestation» à un idéalisme hippy déconnecté, à un reliquat du passé. Un mouvement qui veut devenir influent, qui veut rejoindre tous les progressistes de la ville, n’a pas intérêt de mettre l’accent sur le rejet de l’autorité plutôt que sur son message. Je suggérerais à «Casseroles Sudbury» que l’on crée l’ambiance la plus festive possible lors des prochaines manifs. Costumes, chants, etc. peuvent rendre le mouvement plus attirant. La vaste majorité des gens progressistes ne sont pas intéressés à simplement prendre la posture de «ceux qui ont raison» envers et contre tous. Ils veulent encourageer le changement. Et on ne fait pas cela avec 50-75 personnes. Il faut grandir, montrer la pleine ampleur de l’opposition sudburoise aux tendances néolibérales et «harperiennes». Alors, peut-être, on réussira à participer à la transformation du mouvement québécois en mouvement pan-canadien. Alors, peut-être, les rues de Sudbury pourront-elles ressembler à ceci.

Aparté – La paix éternelle

Lundi 19 mars 2007, six heures cinquante-cinq!

Le train ne part jamais avant d’avoir obtenu son bloc et, lorsqu’il l’obtient, il n’a pas le choix, il s’éloigne forcément du quai. Jusqu’à tout dernièrement, je ne savais pas de quoi il s’agissait, car l’expression anglaise « block and tackle » me bloquait littéralement l’esprit. Si l’anglais s’insinue parfois entre nous et la réalité, il nous permet aussi de traverser le miroir, de voir et de décrire l’envers du décor. Dans le Never Neverland de mon monde parfaitement bilingue, j’imaginais un système de poulies et de « blocks » qui s’activait automatiquement au son du sifflet du conducteur, telles les immenses machines sur lesquelles s’articulent les décors mobiles au théâtre. Mais, dans le réel, il n’y a aucun palan qui tire les trains de cour à jardin et encore moins de l’intérieur à l’extérieur de la gare. Il s’agit plutôt d’un bloc horaire qui permet à l’ingénieur de lancer son train sur le réseau ferroviaire avec l’assurance qu’il ne rencontrera pas une autre locomotive sur son chemin… de fer. Un train qui manque son bloc doit attendre qu’une autre case horaire se libère; il est en attente comme un mourant que l’on arrache à la mort, il n’est qu’en sursis.

Dieu n’est pas un aiguilleur ni un régisseur, il ne décide de rien, le destin est une invention commode de l’homme, comme l’horaire d’un train, pour l’aider à accepter l’inévitable, c’est-à-dire la finalité de sa propre vie. Lorsque la mort se glisse dans le corps d’un grand malade, le sujet devient l’objet, il passe la parole à gauche, au narrateur qui, dans les circonstances, passe de l’imparfait au passé simple.

Je me demande comment Robert Dickson se porte. Hier, à grands coups d’imparfait, on m’a annoncé qu’il était sur son lit de mort. Dans la mesure du possible, il semble que Robert a choisi le lieu de son départ. Il s’est retiré dans sa maison jaune, dans sa petite chacunière accrochée au roc noir du Bouclier canadien, celle-là même qui surplombe un merveilleux jardin que plusieurs femmes ont mis à leurs mains. C’est dans ce décor, le sien, qu’il s’est présenté aux portes de l’absurde.

Il n’était pas pratiquant – il préférait l’écriture aux incantations, les métaphores aux bénédictions, les figures de style aux formules magiques. Il a voulu tout finir en beauté, dans son écritoire, sans importuner qui que ce soit.

Le train s’ébranle, le ciel est sombre et bas, des pans de nuages tiennent lieu de frises théâtrales et, comme il se doit, des voiles lourds et violets recouvrent les figurants de ce sanctuaire littéraire. Deus ex machina, au lointain le ciel s’ouvre, serait-ce la main de Dieu qui intervient? De puissants rayons de soleil, véritables jets de lumière, tombent et se détachent en clair-obscur sur une toile de fond urbaine. Saint-Henri, le quartier de Gabrielle Roy, s’embourgeoise au rythme des usines qui se transforment en condos. Sur cette grande scène, au travers des nuages, un seul et unique follow spot solaire illumine l’enseigne de la manufacture des Farines Five Rose qui, en plein jour, perd son charme nocturne, son ascendant et son auréole poétique, ses néons rouges n’étant pas aussi lumineux que le soleil.

J’entends des cloches…

Pourtant, il n’est que sept heures, l’angélus du matin a sonné et midi est encore loin. Des cloches? Serait-ce le grincement des roues et le crissement des wagons, la plainte du fer qui roule de plus en plus vite sur un chemin de fer qui tiendrait lieu de cloche?

On n’a pas démoli l’ancien pont tournant du canal Lachine. Il est toujours là, entouré d’eau, suspendu en position « off » au-dessus de son pilastre de béton. Je voyage en classe confort. De mon hyperbole économique, je crois apercevoir de la slague entre les traverses des rails. Le préposé m’offre un café. Ce n’est qu’un café filtre mais, au-dessus du fumet, l’horizon s’estompe… Tristesse et glissement de conscience : jadis, le café que Robert me servait dans sa Cuisine de la poésie avait une odeur d’Expresso italien et un arrière-goût d’herbes de Provence.

La poésie nous permet de voyager plus vite qu’un train et même d’abolir l’horizon… Absence, silence, souvenance… Un bloc horaire, une parenthèse anachronique s’ouvre pour me laisser voir, là-bas, au-dessus de la gare de triage de Sudbury, un homme poète qui, accoudé au parapet d’un pont, regarde, hume et écoute les convois ferroviaires. Sur un fond brun de rouille, d’odeur de mine, de minerai noir et nickelé, de mazout, de charbon et de sueur d’homme. Le Vieux Pont de fer de Sudbury est si loin, perdu dans le temps… et pourtant si proche, car grâce à la poésie, un long trait d’union de fer métonymique le relie aux voyageurs qui roulent sous le Sudbury Iron Bridge. Un ange passe, le temps se referme sur lui-même et il me semble que j’entends au-dessus de moi voleter l’Imaginaire d’un poète mourant, d’un homme en voie de partance.

Quand Paul-André est mort, je demeurais sur la rue Nelson, à deux pas de chez Robert Dickson, à trois pas du Pont de fer. Je l’ai appris immédiatement, car quelques minutes après sa mort, son âme angoissée planait au-dessus de mon lit tandis que la lame de la grande Faucheuse tournoyait au-dessus de sa dépouille. Les suicidés ne meurent pas en paix. Leur trop grande douleur reste vive et douloureuse; orpheline, elle squatte dans quiconque est proche de la dépouille.

En ce lundi… tout est si tranquille que je pressens qu’en amont un autre poète a pris le train en même temps que moi, je sais qu’il est parti vers Pouce coupé, vers les montagnes Rocheuses, vers les pêches miraculeuses des lacs du Grand Nord. Là où il n’y a pas de limite de pêche, là où il n’y a qu’une seule langue poétique. Ces amis n’ont pas à craindre : son âme, elle repose en paix, bientôt ils se rassembleront pour lui souhaiter ce qu’elle a déjà… la paix éternelle.

Requiescat in pace
Robert Dickson
1944-2007


Ce texte paraîtra en avril 2012 dans Le grand livre aux Éditions Prise de parole.

Photo: Jules Villemaire