L’éléphant dans l’école

C’est l’éléphant dans la salle. Il est impossible à ignorer. On chuchote souvent dans son dos. Pas vraiment par peur. Car parfois, il est vrai, on en parle de vive voix. Toutefois, c’est généralement sans grande conviction, avec une certaine lassitude. Il fait partie du paysage. Il semble immuable. On s’y est habitué. On a nommé, bien sûr, la division du système scolaire ontarien en une branche publique et une branche catholique.

Voilà des années qu’un débat sur le sujet mijote en Ontario français… mais à feu bas. TFO vient tout juste de soulever le couvercle en espérant, on suppose, provoquer une discussion. taGueule salue l’initiative, et veut bien aider à brasser ce breuvage suspect. S’il y a un sujet sur lequel il est nécessaire, pour les Franco-Ontariens, d’avoir un débat de société dans le sens le plus civil du terme, c’est celui-ci. Les positions sont déjà polarisées. C’est un thème qui touche au personnel. On l’avoue – oui, nous – qu’un coup de gueule, ici, pourrait faire plus de tort que de mal. Reste à voir s’il y a moyen d’avancer ensemble, de rompre l’immobilisme qui sévit depuis des décennies. Visionner cette vidéo serait un bon départ.

Pour un système scolaire sans ségrégation religieuse

En septembre 2011, je publiais ce billet sur mon blogue alors que l’Ontario était à la veille d’élire un gouvernement minoritaire libéral. Ce gouvernement vient de livrer son premier budget, lequel touche certains intérêts des Franco-Ontariens. Puisque le budget Duncan mènera à des fusions géographiques de conseils scolaires, ma réflexion sur les politiques scolaires de la province prend une pertinence nouvelle.


Pour une rentrée scolaire sans ségrégation religieuse

Si vous avez des enfants, inutile de vous rappeler que la rentrée scolaire est arrivée. Vous avez déjà englouti des sommes folles pour les fournitures scolaires et les vêtements de vos petits anges. Vous avez probablement rencontré plusieurs enseignants et réglé les nombreux détails de l’inscription.

Une tracasserie supplémentaire se présente si vous habitez l’Ontario. Votre progéniture fréquentera-t-elle une école du réseau 1) francophone publique, 2) francophone catholique, 3) anglophone publique ou 4) anglophone catholique?

Ne riez pas. Les contribuables ontariens financent bel et bien quatre systèmes scolaires distincts. Vous pouvez l’imaginer, ce morcellement pose de sérieux problèmes de gestion. Les chevauchements de ces multiples réseaux coûteraient près de 500 million de dollars par année.

Cela provoque des situations absurdes. Lorsque le nombre d’enfants décline dans une petite communauté, cela cause souvent une sous-occupation à la fois dans l’école publique et dans l’école catholique. Au lieu de regrouper tous les élèves dans une seule école commune, les conseils scolaires se voient alors forcés de fermer toutes les écoles locales. Ce sont les enfants qui en subissent les conséquences. Ils sont séparés de leurs amis de quartier et se voient imposer de longs trajets quotidiens en autobus.

Une atteinte à l’égalité et à la liberté de conscience

Je ne plaiderai pas pour un système unique. L’éducation de langue française est essentielle pour la survie de la minorité francophone. C’est un élément central du pacte fondateur canadien et le résultat de la longue lutte historique des Franco-Ontariens. En revanche, la ségrégation religieuse n’est pas indispensable. Il y a d’autres endroits que l’école pour apprendre les dix commandements. La grande majorité des parents dans la grande majorité des pays occidentaux transmettent leur foi en privé.

En fait, il y a d’importants principes qui militent pour la déconfessionalisation des écoles ontariennes. Pourquoi financer les Catholiques mais exclure les Musulmans, les Juifs ou les Protestants? La pratique est foncièrement discriminatoire. Elle attaque aussi la liberté de conscience de sept millions de non-catholiques en les forçant à subventionner les enseignements du Vatican, tout en leur empêchant d’être embauché dans ce même réseau scolaire.

La Commission des droits de l’homme de l’ONU a dénoncé cette iniquité à deux reprises, en statuant que le système scolaire ontarien viole le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Nous nous retrouvons ainsi dans le même club que la Corée du Nord, le Soudan et la Chine.

Quand les évêques s’en mêlent

Ce qui aggrave les choses, c’est que les réseaux catholiques abusent fréquemment de leurs privilèges. Ils forcent leurs enseignants à se référer à la Bible et au Catéchisme dans les cours de chimie et de biologie et ils empêchent leurs pupilles de s’exprimer librement sur la question de l’avortement.

Le plus décevant, c’est peut-être l’insensibilité des écoles catholiques à l’égard de leurs élèves gais et lesbiens. On se rappellera que le Conseil de Durham s’est battu bec et ongle pour interdire à l’un de ses étudiants d’assister au bal de fin d’étude en compagnie de son amoureux. Plus récemment, le Conseil scolaire de Halton et l’école St. Joseph de Mississauga interdisaient aux élèves gais et lesbiens de former des groupes de support. Le Conseil de Dufferin-Peele a poussé le ridicule jusqu’à censurer les images d’arc-en-ciel, jugées «trop politiques».

Pis encore, le Toronto District Catholic Board vient d’adopter une résolution qui défie l’esprit de la directive d’équité et d’inclusion du Ministère de l’éducation en stipulant que «lorsqu’il y a un conflit apparent entre les droits confessionnels et d’autres droits, le conseil favorisera la protection des droits confessionnels». C’est ainsi que des dispositions adoptées en 1867 pour protéger une minorité sont perverties pour harceler une autre minorité.

Neutralité de l’État et intégration citoyenne

Je ne veux quand même pas pointer les Catholiques du doigt. Toutes les religions ont leurs caprices. C’est le principe même d’une école à la fois publique et religieuse qui est aberrant.

L’État ne peut sanctionner un crédo particulier. Il doit surplomber les innombrables visions rivales de la vie bonne. Pour que chacun puisse vivre selon ses convictions particulières, l’État ne peut promouvoir que les grands principes nécessaires au vivre-ensemble, à la démocratie et à la liberté.  L’éducation publique ne saurait servir à l’endoctrinement sectaire.

Le système actuel nuit aussi à l’intégration des nouveaux Canadiens. La province qui accueille le plus d’immigrants est aussi celle qui sépare ses enfants le plus gravement, en multipliant les ghettos scolaires. En quoi cette ségrégation religieuse contribue-t-elle à la formation d’une citoyenneté commune?  Insensée pour la majorité anglophone, cette mesure est suicidaire pour la minorité francophone. Les Franco-Ontariens ne peuvent se permettre de diluer leurs ressources et d’éparpiller leurs enfants.

L’immobilisme des partis politiques

La saine administration, les droits de la personne, le respect des minorités et l’intégration des immigrants sont autant de bonnes raisons de mettre fin à la ségrégation religieuse. Sondage après sondage, les Ontariens confirment leur appui à cette solution. Pourtant, la question reste taboue. À quelques jours de la campagne électorale provinciale, les chefs évitent le sujet comme la peste. Scrutez les plateformes politiques à la loupe: aucun n’y fait allusion.

L’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 protège le réseau catholique, c’est bien vrai, mais rien n’empêche l’Ontario de procéder à un amendement bilatéral avec Ottawa. La procédure est légitime, simple, et a été utilisée par le Québec et par Terre-Neuve-et-Labrador. Non, les obstacles ne sont pas légaux, mais politiques. En Ontario, la question des écoles séparées a été explosive en 1985 et en 2007 et les trois grands partis favorisent maintenant le statu quo.

Le Parti Conservateur est l’allié traditionnel des groupes religieux et il ne peut heurter cette base électorale en défendant la laïcité. John Tory croyait avoir trouvé une solution équitable lors des dernières élections, en promettant de financer les écoles de toutes les religions. La proposition a provoqué un tollé qui a largement contribué à sa défaite électorale. Son successeur, Tim Hudak, a bien appris la leçon et évite scrupuleusement le sujet.

Depuis le règne de Mitchell Hepburn, les Libéraux bénéficient habituellement du vote catholique. Ils appuient donc le système actuel. L’administration McGuinty a élaboré une excellente politique d’équité et d’inclusion dans les écoles mais n’a pas osé l’imposer aux écoles récalcitrantes. Quand à Andrea Horwath, elle se montre tout aussi réticente, peut-être à cause de l’influence des syndicats d’enseignants catholiques au sein du NPD.

La ségrégation religieuse de nos enfants est onéreuse, rétrograde et inéquitable. Il est grand temps de déconfessionaliser les écoles anglophones et francophones de l’Ontario. Les politiciens tenteront à tout prix d’éviter le sujet. À nous de les interpeller pendant cette campagne électorale.


Photo : Les élèves de la classe de sixième année à l’École Duhamel (Ottawa) vers 1940.

La fusion des conseils scolaires devient finalement réalité

Grand Sudbury – Les élèves de la région de Sudbury avaient beaucoup à célébrer hier.

Le 26 juin 2030 n’était pas que la dernière journée de l’année scolaire; c’était la dernière journée d’existence des conseils scolaires francophones de l’Ontario. À partir de septembre prochain, l’éducation des Franco-Ontariens relèvera d’un nouveau réseau de commissions scolaires. Cette union surprenante entre les conseils scolaires catholique et publique existants est le résultat d’une grève générale en 2027 de tous les élèves, parents, professeurs, et personnel de soutien des écoles de la région qui réclamaient une réforme de l’éducation franco-ontarienne.

Cette unification, qui semblait impossible il y a seulement quatre ans, est maintenant un fait, et les chantiers de construction s’activent dans tous les coins de la ville. Des modifications seront apportées à 10 écoles primaires de la région du Grand Sudbury, afin d’accommoder environ le double du nombre d’élèves par école. Tous les postes d’enseignants seront maintenus, et la nouvelle commission s’est également engagé à créer 20 nouveaux postes par an pour les 5 prochaines années afin d’accommoder cet influx d’élèves. Le nombre d’écoles primaires francophones de la région passera de 26 à 10, sans toutefois changer le nombre d’élèves par classe.

Pour les écoles secondaires, c’est une réduction plus importante; deux seules écoles desserviront la région du Grand Sudbury, soit une au centre-ville de Sudbury et l’autre à Blezard Valley qui desservira la Vallée.

Premières pelletées de terre aux É.s. Robert-Dickson et É.s. J.-G.-Chuck-Labelle

La nouvelle école secondaire à multiple pavillons dans le Moulin à Fleur portera le nom du poète Robert Dickson. L’ancien Collège Notre-Dame servira de pavillon des sciences et des mathématiques. Le pavillon Sacré-Coeur sera rénové (la dernière fois, c’était lors de la fondation de l’École secondaire du Sacré-Coeur en 2003) et on en triplera la capacité. L’École secondaire Macdonald-Cartier, autre lieu imaginé de la nouvelle école, sera rénovée et deviendra une tour de bureau abritant la nouvelle commission scolaire et aura également un théâtre à l’étage principal.

La nouvelle école à Blezard Valley portera le nom de Jean Guy «Chuck» Labelle, musicien d’Azilda et récipiendaire de l’Oscar pour la meilleure chanson dans le dernier film de la réalisatrice Suri Cruise. Labelle est décédé l’an dernier lors d’un tragique accident de tondeuse à gazon.

Selon un porte-parole au nom da la nouvelle commission scolaire, cette densité d’étudiants permettra de faire baisser les taux d’assimilation.

«Ça va vraiment faire baisser les taux d’assimilation. On est toute ben ben content.»

– Marie-Noëlle Dubé-Rivard-Deschampain-Turcotte

Le Ministre de l’Éducation a aussi confirmé plus tôt cette semaine l’intégration des écoles d’immersion dans le système francophone tel que demandé par les grévistes. Cette intégration facilitera le transfert d’élèves maitrisant mal le français vers le système d’immersion . Le même principe s’appliquera également dans l’autre direction, et le système d’immersion servira à intégrer les francophiles dans la communauté francophone.

La nouvelle commission scolaire, toujours sans nom, a jusqu’en septembre 2032 pour compléter le processus d’amalgamation des écoles publiques et catholiques entamé en 2028.

Ce phénomène, qu’on appelle maintenant le printemps franco-ontarien, était caractérisé par une série de grèves et de pressions de la part des francophones qui demandaient des reformes sur la place des francophones dans la société ontarienne. Le gouvernement a cédé lorsqu’un mouvement anglophone parallèle s’est joint aux pressions des francophones pour une réforme en éducation. Ce qui semblait ridicule il y a seulement 4 ans, devient aujourd’hui une réalité.


Photo: Des éleves d’écoles élémentaires célèbrent leure victoire hier dans le stationnement du Home Dépot.

taGueule est de retour, pour le meilleur et pour le pire

Pourquoi relancer taGueule après 5 ans d’absence?

Parce qu’on se pose toujours les mêmes questions et on n’a pas plus de réponses.

Parce qu’on a des choses à dénoncer, parce qu’on n’est pas à l’aise, parce qu’on est tannés de ne pas en parler.

Parce qu’on est pas seul à penser ça.

Parce qu’avoir des acquis et gagner des batailles, c’est pas une raison d’arrêter de se questionner.

Parce que personne n’a vraiment raison.

Parce qu’on a souvent l’impression que notre milieu est trop petit pour prendre la critique; ce n’est tout simplement pas vrai, ni sain.

Parce que ce n’est pas parce que c’est franco-ontarien que c’est bon. Comment veut-on que les artistes d’ici se surpassent si l’on ne dénonce pas la médiocrité?

Parce qu’on n’a jamais arrêté de vouloir de susciter le débat public.

Parce qu’on est dû pour une bonne prise de conscience.

Parce qu’on veut repolitiser la réalité franco-ontarienne.

Parce que l’Ontario français n’a pas de webzine socio-culturel. Parce que les médias traditionnels ne répondent pas complètement à nos besoins. Parce qu’au risque de sonner cliché, on veut prendre notre place.

Parce que le discours culturel est devenu trop institutionnalisé, au point de la rendre stérile, plate et quétaine.

Parce qu’on est en état de crise et personne ne sonne l’alarme.

Parce que si on n’évolue pas comme peuple, on est faits! Parce que si on ne rejette pas le statu quo qui hante présentement l’Ontario français, on devient spectateur de notre suicide collectif. Parce qu’on a faussement l’impression que tout est cool, que tout va bien.

Parce que, malgré ça, on a espoir.

Parce que nous nous retrouvons aujourd’hui devant un Internet complètement différent qu’en 2004. Parce qu’on baigne dans ces nouveaux médias chaque jour. On connait les plateformes, les habitudes, et les conventions du web, et on a l’intention d’en prendre avantage. Parce qu’on voit en cette technologie, la possibilité de changer le discours, de sortir du mode de survie et d’assumer notre vie culturelle.

Parce que c’est plus grand que nous.

taGueule.ca est notre centrale. La nouvelle formule nous permet d’avoir la collaboration d’une trentaine de blogueurs d’un peu partout en province (avec quelques un en Acadie et au Québec) qui provoquera la discussion sur une peste de sujets. De l’éducation à la politique en passant par des critiques d’albums, des nécrologies et des billets du futur, taGueule ne gardera pas sa langue dans sa poche. Aucun tabou ne sera évité et aucune vache sacrée ne sera épargnée. Nous sommes un crachoir collectif. Consultez notre manifeste.

Contrairement à la version 2007, les discussions n’auront pas lieu strictement sur un forum de discussions central (malgré que, si vous voulez, l’ancien forum est toujours en ligne). Les discussions auront lieu partout… sur taGueule, sur Facebook, sur Twitter, dans les cafés, dans les salons des profs, dans les bars, partout.

Donc, pour revenir à la question initiale. Pourquoi relancer taGueule?

Parce qu’on se le doit. Parce que, comme l’a si bien dit Stéphane Gauthier, on se doit d’avoir une discussion publique à la hauteur de la complexité de notre milieu.

taGueule est de retour, pour le meilleur et pour le pire.