Trop, c’est comme pas assez

Je suis une hybride, une métisse à la peau blanche.

Je suis, pour paraphraser une chanson de Jean Leloup, une fille d’Ottawa, grandi à Ste-Catherine, d’une mère franco-ontarienne et d’un père du bas de Lachine.

Trop québécoise pour les Canadians, trop ontarienne pour les Québécois, je suis entre deux chaises. Parfaitement bilingue, j’ai appris à parler l’anglais quand j’ai commencé à parler. Je suis donc trop anglaise pour les français, et trop française pour les anglais. Pas assez ontaroise, pas assez québécoise.

Je ne suis pas une vraie Québécoise selon les uns, je ne suis pas une vraie Canadienne selon les autres. Je suis une expatriée dans mon propre pays. Pourtant, sur papier, je suis la Canadienne modèle. Je suis le wet dream de Pierre Elliott Trudeau.

J’ai lu quelque part qu’on ne pouvait pas ne pas être indépendantiste si on connaissait bien son Histoire. Eh bien! Je connais mon Histoire sur le bout des doigts. Et parce que je connais mon Histoire, je ne suis pas souverainiste, ne le serai jamais. Être souverainiste, ce serait renier le pays de mes ancêtres, eux qui l’ont bâti, l’ont porté à bout de bras et me l’ont légué. Ce serait trahir leur mémoire. Être souverainiste, ce serait pour moi la même chose que déshériter mes enfants, les priver de leur bien le plus précieux. Ce serait écraser leur avenir. Être souverainiste, ce serait aussi renier une partie de moi-même, de mon identité.

Je crois au Canada, même si je ne crois pas au Canada ultra-militariste et born again de Stephen Harper. Les premiers ministres, les gouvernements, sont toujours remplacés, un jour ou l’autre. En attendant ce jour, je continue à bâtir ce pays, pour le léguer à mon tour à mes enfants.

N’en déplaise à ceux qui trouvent que je suis trop ceci, ou pas assez cela, je ne suis pas une french frog. Je ne suis pas une dead duck. Je ne suis pas une vendue, ni une colonisée. Je suis canadienne-française, et je le dis avec fierté.

Université du Québec à Sudbury

«Le Canada est à l’heure du choix. Ou bien le principe de l’égalité est traduit dans la réalité, c’est-à-dire dans la constitution et les institutions politiques du pays, ou bien l’on affirme ouvertement que l’égalité n’est pas possible et l’on reconnaît que Québec est le seul gouvernement qui soit apte à assurer le développement de la communauté française d’Amérique du Nord, même s’il encadre une partie de celle-ci seulement»

– Pour ne plus être sans pays, rapport du comité politique
de la Fédération des francophones hors-Québec, 1979

Ceux qui savent lire entre les lignes comprennent l’importance de cette phrase; on y affirmait de façon plus ou moins subtile qu’on devait choisir entre les philosophies fédéralistes de Trudeau et celles nationalistes de René Lévesque. On est en 1979, à l’aube du premier référendum du Québec. Ça ne fait pas longtemps que «Québécois» ça veut dire plus que «un gars qui vient de la ville de Québec». Le Québec est à l’ère des réformes, des projets de société, et de l’éveil culturel.

Le théorème de Thomas: Si les hommes définissent une situation comme réelle, alors elle est réelle dans ses conséquences

Plus de 30 ans après la publication du rapport, ce choix hante toujours les francophones hors-Québec.

D’un coté, le Canada, sous le leadership de Pierre Elliot Trudeau, a reconnu le français comme langue officielle partout au Canada, à titre égal devant la loi. Les choix politiques datant de cette période sont la fondation pour tous les fragiles acquis des communautés minoritaires du Canada, des jugements de la Cour Suprême et de Radio-Canada dans l’Ouest.

De l’autre coté, nos cousins québécois, pour des raisons qui leur sont propres, choisissent la deuxième option. Malgré la Reine sur leur argent, ils ont obtenu un certain niveau de souveraineté dans plusieurs domaines clés. Leurs choix de société réflètent qu’ils ont choisi la deuxième option dans le pari présenté par la FFHQ; que le gouvernement de Québec est le seul apte à assurer le développement du fait français en Amérique du Nord, même s’il n’encadre qu’une partie de celui-ci. Aujourd’hui, le Québec est devenu, dans les faits, une société distincte. La province du Québec n’a peut être pas le droit de se dire indépendante, mais le Québécois a certainement le droit se déclarer non-canadien. Même Harper le reconnait.

C’est bien beau tout ce blabla spéculatif. Arrivons à mon titre : Université du Québec à Sudbury.

Si, au lieu de s’obstiner à se séparer des Québécois, avec notre propre drapeau, nos propres institutions, nos propres comités, nos propres juges «bilingues»…, on s’était battu, en 1979, pour donner plus de pouvoir à ce gouvernement de Québec, pour se greffer à cette structure apte à protéger notre vitalité linguistique? Si on s’était battu, non pas pour le contrôle unilatéral de nos assises culturelles, mais plutôt pour un dialogue sain et une inclusion dans cette nouvelle société que l’on finissait justement d’imaginer? C’était bien trop dangereux que le Québec vienne s’imposer dans les compétences provinciales d’une autre province. L’Ontario n’avait pas envie de se faire assimiler, voyons donc!

Aujourd’hui, il est rendu beaucoup trop tard. Les deux modèles de société ont divergé, l’assimilation a décimé nos actifs, le nationalisme québécois a avorté le rêve du Canada français, et d’un coté ou de l’autre de la rivière des Outaouais, on arrive difficilement à se comprendre entre cousins, au niveau idéologique et linguistique, mais surtout sur le plan institutionnel. Peu importe la bonne volonté, le Franco-Ontarien et le Québécois vivent plus souvent qu’autrement un choc culturel la première fois qu’ils se rencontrent.

On s’est contentés, au lieu, face à l’abandon perçu de 90% de la nation, de se faire donner nos propres écoles, avec des curriculums traduits et des lois pour protéger les ayant-droits. Nos combats, pour les écoles, pour les conseils, pour les collèges, nous définissent aujourd’hui en tant que communauté. On ne sait pas grand-chose sur les Franco-Ontariens mais on sait qu’ils se battent pour leurs hôpitaux français, pour leurs collèges français et pour leurs écoles françaises. Comme l’a démontré un article publié au lancement de taGueule, la nécéssité et la possibilité d’une Université franco-ontarienne soulève encore des tollés.

Notre buddé Durham serait content

Selon moi, une telle université, c’est-à-dire pour les Franco-Ontariens, par les Franco-Ontariens, ne serait qu’un autre pas dans la mauvaise direction, un autre point de non-retour dans notre relation avec le Québec moderne. Un virage de plus vers le wet dream de Lord Durham.

Au lieu de s’obstiner à se doter d’une multitude d’institutions «à nous», pour s’inscrire dans la vision de Trudeau, pourquoi ne pas tenter d’harmoniser les systèmes d’éducation entre Québécois et FHQ, pour que partout au Canada, un francophone reçoive la même éducation? Pourquoi ne pas travailler sur une entente semblable à celle entre la France et le Québec pour qu’on puisse envoyer nos jeunes s’éduquer au Québec, dans leur patrie ancestrale? Pourquoi ne pas donner une désignation officielle de CÉGEP au Collège Boréal et à la Cité Collégiale? Pourquoi ne pas inclure la franco-ontarie dans le système universitaire bas-canadien, en adaptant le contexte et les conventions, mais en gardant le fond et le principe?

Les Gaspésiens n’ont pas «l’Université de la Gaspésie», le Lac-St-Jean n’a pas «l’Université des Saguenéens», mais plutôt l’Université du Québec à Rimouski et l’Université du Québec à Chicoutimi, respectivement. Je sais que ça ne se produira jamais, et je sais qu’il est trop tard pour espérer que cette idée attire un certain soutien populaire, mais reste que j’aimerais bien voir l’UQAS avant l’UFO.


Photo: Vue aérienne des installations de Vale à Sudbury, Bob Chambers/Kalmbach Publishing