Four more years…
Barack Obama a remporté les élections. Grand bien lui fasse. Mais qu’est-ce le peuple américain, lui, a gagné? Et, nous, de l’autre côté de la frontière, en quoi devons-nous applaudir la victoire démocrate?
Je suis fasciné par l’intérêt toujours indéfectible et presqu’obsessionnel de certaines personnes pour les élections aux États-Unis. Lorsqu’ils sont américains, passe encore, mais ici, au Canada, ça me dépasse. Il y a quatre ans, je dois l’avouer, je me suis laissé prendre au jeu. Personne ne m’accusera de manquer de transparence: j’avoue ici et maintenant que j’étais moi-même un fan de cette grande et onéreuse manifestation de la democracy.
Non, ce qui me sidère, c’est de voir tant de gens s’investir autant dans ces élections après quatre ans d’administration Obama. Comprenez-moi bien: je préfère de loin Barack Obama à Mitt Romney. Le démocrate est certainement supérieur à son vis-à-vis républicain, humainement et professionnellement. J’inviterais Barack Obama à venir prendre une bière chez moi demain matin, mais certainement pas Mitt Romney. Il n’empêche que mon respect pour l’homme ne me fera pas oublier le bilan des années qu’il a passé au pouvoir. Le président Obama n’a pas livré la marchandise. Il ne l’a pas livré malgré lui, peut-être, mais il ne l’a pas livré quand même.
Le président Obama, je le pense, a fait tout ce qu’un politicien modéré et respectueux de l’establishment peut faire pour changer les choses. Ses bonnes intentions n’ont pas suffit, et personne n’obtient la note passage pour ses efforts. La plus grande réalisation de l’homme a été de prouver que le système politique américain est arrivé au bout de son chemin. Au bout de sa durée de vie utile. Barack Obama a démontré qu’un véritable changement aux États-Unis, et même que tout progrès dans ce pays, demeure impossible sans une refonte radicale de l’appareil gouvernemental.
Voilà pourquoi je suis toujours franchement étonné, et je ne suis pas le seul, de voir que tant de gens qui persistent à croire que voter Barack Obama puisse avoir des conséquences autres que marginales sur la vie du commun des mortels. Ralph Nader, activiste bien connu (et 5 fois candidat indépendant aux élections présidentielles), a passé sa vie à tenter de le faire comprendre à ses compatriotes. Leur système est caduque. Point à la ligne. «La seule différence entre les démocrates et les républicains» a-t-il dit très justement, «c’est la rapidité avec laquelle leurs genoux touchent le sol lorsque le monde des affaires frappe à leur porte.»
Oui, Barack a fait beaucoup mieux que George W. Bush mais qui aurait fait pire? Oui, il a dirigé le pays pendant l’une des pires crises économiques de son histoire, mais d’autres présidents l’ont fait et ont mis en place des mesures au moins aussi progressistes pour améliorer les choses. Oui, Barack Obama n’a pas lancé le pays dans une autre expédition guerrière coûteuse et meurtrière, mais nous pourrions dire à peu près la même chose de Bill Clinton ou de Ronald Reagan.
Rappelons quelques faits trop souvent occultés par le camp de l’espoir. Quelques exemples pêle-mêle. Commençons par la politique internationale: en 4 ans au pouvoir, non seulement Barack Obama n’a pas réussi à fermer comme il l’avait promis le centre de détention de Guantanamo Bay, mais il a même donné un second souffle à la prison en signant l’année dernière le National Defense Authorization Act. Guerre en Irak: les troupes américaines ont été retirées, vrai, mais seulement en 2011. La guerre s’est donc terminée ni plus ni moins rapidement que si les Républicains avaient été au pouvoir. Doit-on rappeler aussi que les États-Unis sont toujours en Afghanistan, comme le Canada de Stephen Harper d’ailleurs.
Digne de mention pour un président récipiendaire d’un prix nobel de la paix: Barack Obama a ordonné à ses forces spéciales d’assassiner Oussama Ben-Laden au mépris de la souveraineté pakistanaise, et de répandre ses cendres dans l’Océan indien pour que sa tombe ne devienne pas un point de ralliement pour les terroristes. Qu’aurait fait George W. Bush? La même chose. Ah, et j’oubliais: les dépenses militaires sous Obama demeurent plus élevées qu’elles ne l’étaient durant la Guerre froide et la Guerre du Vietnam.
Politique interne, maintenant. Parlons du fameux Obamacare, le symbole par excellence de la lutte du président pour les plus humbles. Je l’admets d’emblée et tout à fait franchement: c’est sans doute la plus grande réalisation de Barack Obama. Mais est-ce assez pour lui donner le bon Dieu sans confession? Le Patient Protection and Afordable Care Act de 2010 a certainement permis à près de 30 millions d’Américains d’obtenir une couverture médicale, mais il n’en laisse pas moins 25 millions dans l’oubli. La formule demeure entre les mains du secteur privé -et donc toujours sujet à une dynamique de profit-, et oblige la majorité de ses bénéficiaires à payer une cotisation drôlement plus salée que la controversée taxe santé québécoise.
Mentionnons aussi que la protection est minimale: dans certains cas, elle ne couvre pas même la moitié des frais encourus par le patient. Et que dire du fait que Barack Obama ait signé un décret qui garantit que la réforme ne changera rien aux restrictions fédérales sur l’utilisation de fonds pour les avortements. Quand même, c’est mieux que rien direz-vous. Vous avez raison. J’ajouterai par contre que tout est une question de mesure. Obamacare est certainement un bon coup, il n’empêche que nous sommes encore loin de la réforme historique. Lyndon Johnson, que d’aucuns ne qualifient de porte étendard du progrès, avait permis la mise en place de mesures beaucoup plus radicales en terme de santé dans le cadre de sa guerre contre la pauvreté. Il avait alors créé à la fois le Medicare et Medicaid.
Et que dire du plan de relance économique? 831 milliards de dollars consacrés à plusieurs mesures visant relancer l’économie, dont la plus importante sera… l’allégement du fardeau fiscal des individus et des compagnies. Un plan démocrate qui valait bien un plan républicain. Par ailleurs le président Obama a lui-même prolongé les exemptions d’impôt imaginées par l’administration Bush, pourtant jugées par plusieurs comme l’un des plus importants facteurs d’inégalité au pays. Il a bien tenté de mettre en place le Buffet Rule, après la surprenante sortie du milliardaire Warren Buffet contre le traitement de faveur offert aux plus riches, mais en vain. Il a été incapable d’imposer un niveau d’imposition minimal de 30% aux contribuables gagnant plus de 1 million de dollars par année. C’est la faute de la majorité républicaine à la Chambre? Oui, mais c’est bien ce que je disais: politicien bien intentionné et respectueux des règles -mêmes pipées en faveur des puissants-, Barack Obama a démontré mieux que personne les limites fondamentales du système politique américain.
Hope hangs on, «l’espoir s’accroche» pouvait-on dans certains journaux au lendemain des élections. Peut-être, mais l’espoir a un prix. Et il est aussi élevé pour les Républicains que pour les Démocrates. Même qu’en bout de ligne, «l’espoir» Obama aura coûté plus cher à faire avaler aux Américains que celui de Romney. Le New York Times estime à 852 millions de dollars les dépenses électorales du camp présidentiel, contre 752 millions pour celui du challenger. En plus d’être franchement dégoûtants, ces chiffres nous rappellent encore une fois à quel système nous avons à faire. Les supporters d’Obama, qui ont la fâcheuse habitude des déclarations à l’emporte pièce du style «Romney est le candidat des riches», devront tempérer leur enthousiasme.
La politique est l’art du possible. Pour beaucoup, aux États-Unis comme ailleurs, c’est ce qu’a compris Barack Obama. Qu’il faut être raisonnable et faire ce que l’on peut. Sans doute, mais c’est aussi ce que disent les cyniques. Et à ce compte là, on finira par se féliciter d’être immobile.