Sous respirateur artificiel

Ça commence par de petits gestes insignifiants. Une usine ferme ses portes. On ne peut quand même pas forcer une entreprise à demeurer ouverte si elle se dit au bord du gouffre. Tant que les bâtiments seront debout, on lui permet de garder ses droits de coupe. Puis au fil du temps, on négocie la conservation du droit de coupe, même si on démolit les bâtiments. Le bois ainsi coupé ira alimenter les usines de pâtes et papier au Québec. Puis, forte de ces négociations, l’entreprise s’attaque à une autre usine du coin. Du bois d’œuvre, cette fois.

Le gouvernement ne fait rien, ne bouge pas. Il ne cherche pas de solutions avec les citoyens, pour les citoyens. Il ne décourage pas les entreprises d’aller s’établir aussi loin dans le nord, mais ne fait rien pour les encourager non plus. On se dit: «Qui donc serait assez épais pour s’en aller là-bas volontairement? Tout coûte cher, en région éloignée. Les services sont limités. L’essence, le transport… On n’en parle même pas.» On pourrait offrir des crédits d’impôts aux entreprises. On pourrait le faire, mais le gouvernement ne le fera pas. Ben non, voyons!  Avec tous les profits générés par l’entreprise privée, on n’est quand même pas pour leur faire des cadeaux en plus! Résultat: les entreprises quittent la région, et ne sont pas remplacées.

Il y a donc régulièrement perte nette d’emplois, dans le nord ontarien. Les citoyens, ceux en âge de travailler, chercheront ailleurs. Certains réussiront à se trouver du travail dans la région. Parce que des emplois dans les mines, il y en a. Ce sont des emplois dans les villages qui manquent quand les forestières quittent. Les employés des minières prennent l’avion aux frais de leur nouvel employeur aux deux semaines. Ça coûte moins cher pour l’employeur, et ça apporte un  peu de stabilité aux familles qui demeurent dans leurs villages. Mais pour plusieurs, ces pertes d’emplois dans leurs villages se traduisent par un déracinement. Ils s’en vont là où se trouve le travail, avec leurs petites familles. Le gouvernement ne fait rien pour les retenir chez-eux. On ne peut quand même pas empêcher la mobilité des gens. Résultat: la moitié de la population quitte la région.

Puis, baisse du nombre d’enfants oblige, on élimine des postes d’enseignants dans les écoles, on regroupe les jeunes dans des classes multi-niveaux comme dans les écoles de rangs. Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus assez d’enfants pour garder une école ouverte. Quand ce jour arrivera, ils devront faire une heure de route en autobus pour aller en classe. Quand ce jour arrivera, les quelques familles restantes déménageront sûrement plus près de l’école. À moins qu’elles ne doivent déménager avant pour se trouver du travail ailleurs. Dans le sud. Résultat: il ne restera alors que des retraités dans les villages.

Ce sera ensuite au tour de l’hôpital local d’être menacé. Et s’il est fermé, non seulement n’y aura-t-il plus d’hôpital, mais la clinique médicale qui y est rattachée sera elle aussi fermée. Plus de médecin dans un village où la population est vieillissante. Par la force des choses.  Par manque de compassion. Par manque de vision.

Smooth Rock Falls, à l’image d’une bonne partie du nord-est ontarien, est sous respirateur artificiel. D’autres villes, autrefois vivantes, vibrantes, sont menacées. La plupart comptent une majorité de francophones. Qu’arrivera-t-il quand les écoles, les hôpitaux seront fermés? Qu’arrivera-t-il quand la dernière usine forestière fermera ses portes? Quand la population trop peu nombreuse forcera la fermeture du Collège Boréal, de l’Université de Hearst Qu’arrivera-t-il à tous ces francophones quand ils seront obligés de se relocaliser ailleurs, dans un milieu qui n’est pas le leur, et où les services en français ne seront peut-être pas assurés?

Le gouvernement ontarien a annoncé en mars dernier son intention de vendre la Ontario Northland, la compagnie ferroviaire qui assure le service de transport dans le nord de l’Ontario, sous prétexte qu’elle n’est pas rentable. Quelle entreprise privée accepterait d’acheter et d’opérer une compagnie de transport non rentable? Aussi bien dire que les gens du nord devront se passer du service de train.

Il me semble que c’est la raison d’être des services publics: s’assurer que tous les citoyens aient un minimum de services, même s’ils ne sont pas rentables, parce que l’entreprise privée n’y est pas intéressée. Mais ce ne sera pas si grave. Après tout, ce ne sera qu’un service public de moins, pour une poignée de Français et d’Autochtones dans une région éloignée où les gens du sud n’ont jamais mis les pieds.

Il y a une volonté politique de fermer le nord de l’Ontario qui me désole.  Alors qu’au Québec, le gouvernement de Jean Charest tente de revitaliser le nord de sa province, l’Ontario diminue les services offerts à sa population éloignée dans le but de fermer boutique. Zone non-rentable. D’ici quelques décennies tout au plus, le nord s’arrêtera à Sudbury. À moins que la population locale ne se soulève devant ce qui ressemble à une tentative déguisée d’assimilation.

Quand une inondation se déverse dans un complexe linguistique

Le 29 mai 1996. À Timmins, la rivière Mattagami débordait sous l’effet des crues du printemps. De nombreuses demeures étaient inondées. La nouvelle était assez grosse pour attirer les grands journaux, même du Québec.


Les inondations à Timmins ont mérité que pour une rare fois, le journal la Presse de Montréal envoie un journaliste dans le Nord ontarien et y consacre une pleine page. C’est bienvenu. Sauf qu’après avoir donné les faits sur la crue de la rivière, le reportage se dilue dans d’autres eaux. Le journaliste constate qu’il y a des francophones à Timmins et que leurs conversations passent spontanément du français à l’anglais. Il observe que francophones et anglophones s’entraident dans la catastrophe sans trébucher sur leurs langues. Et ainsi de suite jusqu’à la toute dernière phrase de l’article, qui rapporte le cri du cœur d’un sinistré : « Ça c’est ma propriété, pis j’t’assez proud de ça. Oh my God ! »

Bon, un journaliste a perdu le fil de sa nouvelle. Il n’y a pas encore de quoi faire un plat. Mais le rédacteur du gros titre, lui – qui n’est probablement pas le journaliste lui-même – a vu dans cette remarque-là la phrase clef de l’article. Donc quel est le gros titre en gros caractères de cette grosse nouvelle ? Eh, oui : « C’est ma propriété et j’t’assez proud de ça », en caractères trop gros et gras pour qu’on puisse les manquer.

C’est vrai que c’est le genre de « franglais » qu’on entend parfois en Ontario. C’est vrai que ça peut laisser une drôle d’impression. Mais comment se peut-il que dans toute cette catastrophe naturelle, c’est ce détail-là qui vole la vedette ? Si j’allais faire un reportage sur un des grands festivals touristiques de Montréal et que je l’intitulais, en gros caractères, « Des mendiants dans toutes les rues », même si c’est tristement vrai, n’est-ce pas que j’aurais l’air tendancieux ? Voilà pourtant où en sont ces journalistes québécois qui n’ont pas pu parler d’une inondation sans la déverser dans leur complexe linguistique. Et nous revoilà, pour la combientième fois, victimes de cette attitude si agaçante que tant de journalistes québécois avant celui-ci ont manifestée. Quand par un gros hasard ils sont amenés à parler de nous, c’est uniquement pour finir par dire, peu importe le prétexte, que hors le Québec, tout finit par l’assimilation. Même les inondations. Mais jamais n’est-il question pour eux de lever le petit doigt contre ça. Car nous ne sommes pas du bon pays.

Le Québec est bien loin d’imiter ce qui s’est passé en Allemagne, ce pays divisé par le rideau de fer et pourtant resté si solidaire qu’il est réuni aujourd’hui. Pendant la guerre froide, l’Allemagne de l’Ouest a trouvé toutes sortes de façons de commercer avec l’Allemagne de l’Est, de la soutenir économiquement, d’y injecter des fonds, d’entretenir des liens étroits, même si son voisin était en principe un pays souverain et hostile. Une entraide semblable s’est pourtant déjà vue entre Canadiens-Français, à une autre époque. Au tournant du siècle, de vieilles paroisses du Québec faisaient des collectes quand de jeunes paroisses françaises de l’Ontario connaissaient des malheurs. De nos jours, ce ne sont pas des idées pareilles mais des moqueries qui viennent à l’esprit des Québécois, même si c’est en Ontario que se joue en premier « leur » bataille pour la survie du français en Amérique.

Chers cousins Québécois, vous pourriez, si vous vouliez, être indépendantistes et en même temps soutenir vos cousins Canadiens-Français. Vous pourriez être souverainistes sans nous abandonner tout à fait, et surtout sans nous rabaisser à chaque occasion pour soulager votre mauvaise conscience. Mais vous semblez bien loin d’adopter une attitude aussi mature, confiante et conséquente. C’est pour ça que je vous le dis en grosses lettres majuscules : Oh ! mon dieu, je ne suis pas fier de vous.