Harper, père du Québec

Dans une cinquantaine d’années, le Québec célébrera peut-être ses 20 ou 25 ans d’indépendance. Pour l’occasion, on honorera les héros, René Lévesque, Jacques Parizeau et les autres qui sont encore inconnus mais qui, à force d’idéalisme trompeur, auront convaincu les Québécois de voter «oui». Mais je vous gage un ver de terre – dans 50 ans, c’est tout ce que j’aurai sous la main – que personne ne mentionnera celui qui aura fait le plus pour l’indépendance du Québec, Stephen Harper.

C’est Justin Trudeau qui le premier aura eu le courage de dire publiquement ce que plusieurs d’entre nous craignent. Harper est en train de faire du Canada un pays où même les plus ardents fédéralistes (québécois ou pas) ne se reconnaissent plus. Au diable l’entraide, les traditions, l’environnement, les droits des femmes, le respect du français, la Charte des droits, les Francos hors Québec. Les con-serviteurs de Harper n’aiment probablement même pas le sirop d’érable.

Tout ce qui compte pour ces disciples de l’école de Calgary ce sont les profits des banques et des pétrolières, la loi et l’ordre, le contrôle des citoyens, les médias serviles. Et tout ça sous l’oeil du même dieu mesquin adoré par la droite américaine et célébré ici dans de petites chapelles en plein Parlement. Peut-on être plus loin des valeurs québécoises et canadiennes-françaises?

Que ce soit le projet omnibus contre le crime qui favorise la prison plutôt que la réhabilitation, l’abolition du registre des armes à feu, le refus de financer des organismes caritatifs qui incluent la contraception et l’avortement dans les soins prodigués aux femmes du Tiers-Monde; que ce soit la nomination d’un vérificateur général incapable de répondre aux questions des députés francophones, l’installation d’un juge unilingue à la Cour Suprême, le retour du qualificatif «royal» dans la marine et l’aviation militaire canadiennes, le remplacement d’une toile du grand peintre canadien Alfred Pellan par un portrait de Her Majesty, il est clair que ce gouvernement se crisse des Canadiens français.

Dans le Québec social démocrate et nationaliste – même les fédéralistes se croient une nation – les indépendantistes n’ont pas été long à identifier cette brèche et à s’y engouffrer. Depuis quelques mois, la leader du PQ, Pauline Marois, ne fait plus campagne contre le Premier ministre du Québec, Jean Charest, mais plutôt contre le gouvernement Harper. Elle et ses stratèges ont compris que Harper est leur plus grand allié. À force de démontrer comment ce gouvernement est loin des valeurs québécoises – et, on l’a vu plus haut, la job n’est pas dure – ils assimilent Harper à Ottawa. Ottawa, donc le fédéralisme, devient ainsi l’empêcheur de danser en rond, la source de tous les malheurs des Québécois. Il suffit de marteler ce message simple assez longtemps et la flamme indépendantiste s’embrasera.

Afin d’éviter la catastrophe, il faudrait que Harper change mais je ne vois malheureusement pas pourquoi ce démagogue ferait ainsi; il n’a pas l’étoffe d’un homme d’État. Tout se jouera dans les prochaines années et il devient de plus en plus possible que, dans cinquante ans, le Québec et le Canada soient à couteaux tirés et définitivement dans la merde. Comme disait la Vierge de Fatima, «Pauvre Canada».


Image: Emperor Haute Couture, par Margaret Sutherland, 2011

La grenouille sans le bœuf

Cette réflexion sur la place publique du drapeau franco-ontarien est parue originalement dans le journal Le Voyageur en février 2009. Dans l’esprit de la relance de taGueule, la voici en intégrale.


La grenouille sans le bœuf

L’Ontario français est à l’ère des drapeaux. Il y en a des petits, il y a en a des gros. Il y en a des sobres devant les caisses populaires, Le Voyageur, les écoles françaises, le Centre de santé communautaire, sur les joues des enfants le 25 septembre et à la St-Jean, sur des épinglettes et même en étiquettes sur le dos des livres franco-ontariens en bibliothèque. Notre drapeau a même un livre qui lui est consacré et qui en fait l’étonnante histoire et le récit d’un symbole loin d’avoir fait l’unanimité à son origine. Comme le drapeau canadien!

De l’AFO à la FESFO en passant par le chapelet de sites franco.com en Ontario, Montfort et L’écho d’un peuple, aucune institution franco-ontarienne, tant s’en faut, n’omet d’arborer fièrement le drapeau franco-ontarien. En ce sens, comme tout drapeau, il remplit admirablement bien sa fonction : il fédère.

Même les francos d’Ottawa n’ont pas manqué de s’en servir pour ériger leurs monuments de la francophonie. Ce récent accès de fierté, manifesté par l’érection de drapeaux géants, était une réponse forte à un contexte particulier à Ottawa : cette ville ne veut pas s’avouer francophone. C’est une honte nationale et la population francophone de la grande région a réagit fortement à ce mauvais vent : nous sommes ici et d’ici, fiers, debout et in your face!

C’est pourquoi je pardonne la laideur des monuments et l’ostentation qui les accompagne. À un moment donné, il faut dire «whoa!». Avec un monument, on avait compris, avec six, je me suis dit «je ne suis pas sourd, pis j’en r’viens bien des stèles funéraires et des pierres tombales géantes, on n’est pas mort encore!».

À Sudbury, j’aurais souhaité qu’on aille un pas plus loin qu’Ottawa dans l’expression de notre fierté. Après tout, le maire John Rodriguez a hissé unilatéralement le drapeau à l’hôtel de ville et en a reconnu le statut officiel. Moi, ça me suffit et je passerais volontiers à un autre combat. Que d’autres éprouvent le besoin de redire «icitte, c’est chez nous» et d’inculquer cette fierté à la population et surtout à la jeunesse, je peux comprendre l’enjeu de la démonstration. Et sincèrement je les en félicite.

Or, j’entends dans le vent qu’on voudrait monter un autre drapeau, encore plus gros que tous les autres. Là, messieurs dames, on entre dans une autre logique qui n’a rien à voir avec la fierté et encore moins la dignité. On appelle ça de la pantométrie et on glisse vers un curieux penchant pour les records. Ma foi dit Lafontaine : «La grenouille qui voulait devenir plus grosse que le bœuf». Il y a des enflures qu’il vaut mieux ne pas contracter. L’enflure du drapeau, c’est comme de l’enflure verbale : plus personne n’écoute quand tu cries.

Malgré toute cette fierté affichée, des pièges nous guettent : le piège de rester en surface, le piège de banaliser à force de dire qu’on a non seulement un drapeau, mais qu’il est gros, et surtout le piège de n’avoir à offrir que peu de choses à voir. Quand vous allez à Québec allez-vous voir flotter le drapeau québécois ou le château Frontenac? À Ottawa, les Japonais s’arrêtent-ils sous l’araignée géante de Louise Bourgeois ou sous le drapeau franco-ontarien? À Toronto, vous vous faites photographier assis à côté du bronze de Glenn Gould ou sous le drapeau de l’Ontario… avec un chandail des Leafs devant le vieux Gardens? Passons…

Enfin, donner à voir n’est pas tout et attirer les touristes non plus. Il me semble que si l’Ontario français veut participer à quelque fanfare des nations que ce soit, il faudra s’élever au niveau de l’art. Et si cet art était public et franco-ontarien, ma foi, les drapeaux auraient une raison de plus de flotter sans même risquer de nous éclabousser de viscères de batraciens!

Le Collège Boréal a vu juste en annonçant récemment un vrai monument commandé à l’artiste Colette Jacques. Je souhaite de tout cœur que cette initiative culturelle ouvre un nouveau chapitre sur nos représentations collectives. Et pourquoi pas un bronze du folkloriste Germain Lemieux sur le bord d’une route qu’il a sillonnée avec son enregistreuse? On lui fera porter un chandail du Canadien… Devenu vieux, j’aurai de quoi conter.