Terminée, la vague orange?

C’est samedi que les membres du Nouveau Parti Démocratique choisiront un nouveau chef afin de remplacer – le pourtant irremplaçable – Jack Layton. Il ne fait pas de doute que le parti a accompli quelque chose de tout à fait remarquable lors de la dernière élection. Grâce à Layton, le parti devint, pour la première fois, l’opposition officielle, en remportant un nombre record de sièges à la Chambre des communes. Comme tant d’autres, je me suis laissé emporter par la vague orange; j’ai participé aux rassemblements et j’ai fait campagne à quelques reprises pour le parti. J’étais là, moi, à Montréal, pour le printemps du changement. Quel moment historique quand le NPD a littéralement vidé la province du Bloc québécois. Peu importe s’il s’agissait d’un vote stratégique pour contrer les Conservateurs, la victoire du NPD avait dorénavant réorienté la discussion politique en permettant non seulement au Québec de se joindre à la conversation, mais en donnant finalement lieu à un authentique débat entre la gauche et la droite au Canada.

La tâche du prochain chef est colossale; il (ou elle) devra unifier le parti de façon à assumer la place du NPD en tant que parti officiel de l’opposition, pour espérer obtenir, un jour, le pouvoir à Ottawa. Il n’est pas évident d’essayer de remplacer un chef si charismatique et qui était, incontestablement, au sommet de sa carrière politique au moment de son décès. Cela dit, aucun des candidats à la chefferie ne s’est réellement démarqué au cours des nombreuses semaines de la course.

Une véritable campagne aux signatures

Pas de direction. Pas de vision exceptionnelle pour le parti. Chaque candidat semblait davantage préoccupé à obtenir l’appui des députés néodémocrates pendant la course, notamment celui du cabinet fantôme, plutôt que de se démarquer sur le plan idéologique. Semaine après semaine, les candidats se félicitaient pour chaque signature additionnelle récoltée en publiant des communiqués de presse officiels sur leurs sites personnels.  À chaque fois qu’un nouveau député, un nouvel organisme ou, encore, une personne notable appuyait une campagne, la nouvelle circulait de façon démesurée à travers les médias sociaux. Pour les membres du parti automatiquement abonnés à toutes les listes d’envoi des candidats, cette quête aux signatures est rapidement devenue ennuyante. Thomas Mulcair fut certainement le précurseur de cette compétition, brandissant fièrement sa longue liste d’appui dès le début de la course. Même en lisant constamment au sujet des candidats, il était difficile d’être bien informé sur leurs programmes individuels. Le moins que l’on puisse dire est que la surutilisation des médias sociaux au profit de véritables programmes politiques a dévié l’attention des membres du réel objectif de cette course.

Après avoir visionné deux des débats télévisés, exercice relativement pénible tellement les candidats étaient en accord, j’ai perdu intérêt. J’avoue que je me suis sentie un peu triste d’être incapable d’écouter ces débats, moi, la fille qui, jadis, pouvait passer ses journées à écouter des comités parlementaires sur la chaîne CPAC. L’incapacité des candidats à défendre leurs opinions efficacement me rappela les débats de piètre qualité que j’avais eus dans mes classes de politique au secondaire, qui, malgré tout, étaient quand même plus animés. Je ne suis malheureusement pas la seule qui a eu de la difficulté à suivre cette course attentivement; chaque candidat a réitéré sans cesse qu’il était forcément le meilleur choix pour le parti sans pour autant offrir des explications convaincantes à cet effet. À la fin, les nombreux débats étaient devenus inutiles et tranquillement, comme plusieurs autres personnes, je me suis désabonnée des listes d’envoi et j’ai cessé de lire les journaux.

La prise de décision

On ne peut pas dire que la course à la chefferie du NPD a été très mouvementée, mais elle aura un impact décisif sur les politiques canadiennes pour les années à venir. Les tactiques utilisées par les candidats pour attirer les votes ont visiblement aliéné, dans plusieurs cas, les membres du parti. Membres qui, notons-le, avaient déjà manifestement un intérêt pour la course en ayant pris la peine d’adhérer au parti. Sans compter les courriels incessants, qui pouvaient heureusement être bloqués, les appels des candidats furent fréquents tout au long de la course. À un tel point d’ailleurs, qu’il fallait parfois se demander s’il y avait une quelconque coordination à travers les diverses équipes. L’utilisation poussée de ce genre d’outil pour faire du réseautage est, à mon avis, désuète et n’a réussi, de toute façon, à pousser de l’avant aucun des candidats.

En effet, à part quelques blogueurs enthousiastes ayant déjà utilisé leur bulletin de vote, personne ne semble réellement savoir lequel des candidats serait le choix idéal. Les premiers et deuxièmes choix sont devenus, à cet égard, des choix stratégiques. Thomas Mulcair parce qu’il gardera l’appui du Québec. Nathan Cullen puisqu’il coopérera avec les autres partis. Brian Topp pour ses plans économiques. Peggy Nash, car c’est une une grande syndicaliste. Paul Dewar car il… comprend les familles canadiennes? J’oublie. J’oublie précisément les éléments importants des autres programmes. Si c’est tout à fait normal que les candidats aient des positions similaires parce qu’ils sont dans le même parti, le manque de leadership pendant la course a fait en sorte qu’on ne sait toujours pas qui remportera le vote. Rick Mercer résumait instinctivement ce fait cette semaine dans une de ses vidéos:

La présente course à la chefferie du NPD me rappelle bien pourquoi, il y a quelques années, j’ai abandonné l’idée de faire carrière sur la colline. Je n’ai pas toujours fait partie de cette jeunesse apolitique et désintéressée, mais cette course aura inévitablement contribué à nourrir mon cynisme envers la politique canadienne. En attendant de voter, je plonge un peu plus creux, malgré moi, dans le nihilisme…


Photo: Tommy Douglas, ancien chef du NPD (1965), Frank Lennon, Toronto Star

Ariane Moffatt: MA

Le nouvel album, MA, de l’auteur-compositrice-interprète montréalaise Ariane Moffatt est nommé d’après le concept japonais d’espace négatif. Il faut souligner qu’il n’y a pas grand-chose de négatif avec cet album.

Pour son quatrième disque, Ariane Moffatt a pris une approche quasiment entièrement solo. Paroles, musique, instrumentation, réalisation… c’est vraiment une œuvre à elle et une bonne à part de ça. C’est un des rares albums de ces jours que l’on peut écouter du début à la fin et ne pas s’écœurer de le reboucler à nouveau. C’est une bombe.

Cet album lancé le 27 février dernier, est de l’électropop qui pousse les frontières de ce que c’est de la pop. Le dynamisme entrainé par les compositions fait en sorte que chaque chanson est quasiment une atmosphère en soi. C’est différent des derniers trois albums d’Ariane Moffatt. Ce qui manque selon certains, c’est une chanson excitante comme Réverbère. Moi, ça ne me manque pas du tout.

Mon seul hic c’est que l’album est à moitié en anglais. C’est de valeur. Ariane Moffatt fait de la langue française un outil de groove sublime. Malgré que les chansons anglophones se tiennent très bien debout, c’est juste mieux en français.

Pour les fans de

Mara Tremblay, Marie-Pierre Arthur, Dumas, Vincent Vallières, DJ Champion, Jean-Phillipe Goncales

Moments forts

Hôtel Amour, Mon corps, Sourire sincère

Recommendations

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Les réseaux et la question identitaire

Il y a quelque temps, une amie montréalaise que je n’avais pas vue depuis longtemps me demandait si je suis encore nationaliste (québécois). Nous étions à Montréal. Comme tout bon visiteur bien éduqué j’ai essayé d’être aimable et poli. Mais j’avais beau chasser l’image de Pauline de ma tête, je n’ai pu réprimer un haussement d’épaule révélateur. L’amie semblait déçue:

– Tu avais pourtant des opinions solides dans le temps.

– Et bien, c’était il y a trente ans et puis, tu sais, aussi surprenant que cela puisse paraître, des idées il m’arrive encore d’en avoir une fois à tous les dix ans.

– Te sens-tu encore québécois?

J’ai soupiré. D’ennui. Puis l’amie a ajouté:

– Forcément, tu as voyagé, tu as vu d’autres cultures et t’es devenu un citoyen du monde.

Elle était cynique. Peu importe, j’ai l’habitude. Difficile de retourner au Québec sans me faire demander de décliner mon identité nationale. Ici, à Sudbury, on me demande parfois (pas souvent si on compare) si je comprends la culture franco-ontarienne. Je vais être franc: pas vraiment. Je ne me sentais pas vraiment biélorusse au Bélarus, ni azéri à Bakou. Mais mon amie déçue se trompait à mon sujet. Je reconnais que le processus de la globalisation est puissant mais l’identité globale ne me dit rien. Trop vaste pour ma petite vie qui se passe au sein de réseaux beaucoup plus précis. Ce ne sont pas des «communautés imaginées», comme dirait B. Anderson. B. Latour, un autre sociologue, parle de «réseaux» ou de «collectifs» où interagissent des acteurs humains et non-humains. Lorsque je pense à ma petite personne ces jours-ci, il y a trois «collectifs» qui me viennent à l’esprit. Ils s’activent tous ici, à Sudbury. Vous en faites aussi partie que vous soyez anglo ou franco, grand ou petit, noir, blanc, jaune ou rouge. C’est comme le smog, ces réseaux. C’est démocratique.

Le premier se compose de petites particules invisibles qui existent peut-être que dans ma tête d’inquiet qui se pose trop de questions. (Mon père, qui s’en posait peu, disait souvent que je me posait trop de questions). Bref, ces petites particules, réelles ou imaginaires, voyagent avec les vents et se posent au sol, généralement lorsqu’il pleut ou qu’il neige. C’est emmerdant parce qu’il pleut ou il neige souvent à Sudbury. Sans faire de bruit, ces petites vicieuses incolores et inodores se mêlent à l’eau et la nourriture. Dans le pire de mes cauchemars, elles cheminent jusque dans les corps de mes enfants. Elles sont radioactives, ces petites merdes que je ne peux pas saisir. Elles ont traversé l’océan pacifique pour se rendre jusqu’ici, à Sudbury. Si on pouvait lire leurs étiquettes, on verrait sans doute: Made in Japan. Et c’est gratuit. Une sorte de liquidation à ciel ouvert, si j’ose dire. Un bon exemple de ce que peut produire un mélange de privatisation et de science à vendre au plus offrant.

Mon immersion dans le deuxième «collectif» devrait pourtant me rassurer. Comme tous les autres gouvernements, le canadien a dit que ce n’était pas grave, qu’il ne fallait pas trop y penser à ces particules. Elles sont si petites et elles viennent de si loin, qu’ils ont dit. Les journalistes semblent avoir décidé de soutenir le gouvernement. Après nous avoir montré les même images pendant des jours et des jours, plus rien. Silence. Le film sur Fukushima est simplement terminé. Comme dans Hiroshima mon amour, tout rapport avec la réalité semble être devenu purement accidentel. Le plus difficile, c’est de ne pas l’oublier. C’est l’un des problèmes avec le silence. On oublie vite et facilement. Et les enfants de Sudbury continuent de manger et de respirer. Tout cela pourrait me rassurer. Il s’agirait de ne pas trop penser. Malheureusement, il y a l’affaire des «Robocalls». Cela me fait réfléchir. Qui est derrière Pierre Poutine? C’est la dernière histoire à la télé. Pourraient-ils nous mentir, tricher, ne pas respecter nos droits les plus fondamentaux? Vit-on encore en démocratie ici à Sudbury et là-bas à Montréal? Mais je pense beaucoup trop, sans doute. Et puis, il y aura peut-être le silence, une autre histoire et l’oubli.

Mais le principal problème pour les gens comme moi qui pensent trop, c’est que les espaces publics de réflexions critiques se font de plus en plus rares ici et maintenant. Je le sais. Je travaille dans un de ces espaces. Ici, à Sudbury. C’est une université. J’ai peur que cet espace soit en train d’être transformé en machine à produire de l’image et à ramasser du fric. Un espace de pouvoir et d’argent plutôt qu’un espace de réflexion et de délibérations rationnelles et égalitaires comme dirait le philosophe J. Habermas. Mais cela, on me dit d’y penser si je veux, mais de ne pas en parler. Cela pourrait nuire au marketing. Cela pourrait te mettre sur la liste noire, qu’on me dit aussi. D’autres m’ont dit qu’il n’y a rien à faire, que c’est la faute de la globalisation et du néolibéralisme. Ils ont peur, eux aussi.

Alors, qui suis-je? Cela dépend du «collectif» dans lequel je suis interactif. Parfois, je suis inquiet dans un réseau où s’activent, peut-être, des particules radioactives Made in Japan. Parfois, je reste bouche-bée devant des journalistes qui se taisent après en avoir parlé sans arrêt. Parfois, j’assiste, éberlué et décontenancé, au démantèlement tranquille d’un espace de réflexion au profit d’une logique se fondant uniquement sur l’image, l’argent et le pouvoir – comme si l’image, l’argent et le pouvoir pouvaient être des fins en soi. Il arrive aussi, comme en ce moment, que j’assiste à l’émergence de nouveaux espaces comme taGueule. Cela ne me donne pas vraiment d’identité hégémonique. Mais cela me rend fier d’être ici, avec vous. Cela me permet de trop penser, comme ils disent. De trop penser avec vous, ici et maintenant. Voilà qui je suis, en ce moment.


Photo: The waiting – anon, Hilarie Mais, 1986

Laurentie: un WTF cinématographique

Il y a une couple de semaines, je suis allé voir L’acadie! L’acadie!?! à la cinémarobothèque de l’Office National du Film à Montréal avec ma blonde. Elle ne l’avait jamais vu et il fallait, évidemment, que je lui montre ce classique.  En passant par là, j’ai pris un programme pour les Rendez-vous du cinéma québécois qui était en full swing à ce moment-là. C’est en regardant le programme que je me suis dit qu’il semblait y avoir des ben bons films. Et qui l’eut cru, il y avait un film franco-ontarien.

C’est la description du film qui m’avait convaincu. En gros, Laurentie, c’est un film qui met en scène toute l’angoisse et le malaise d’un francophone cherchant à se retrouver des repères alors qu’il est confronté à une proximité menaçante de l’autre : son voisin anglophone.

Fait que, n’ayant pas vraiment le budget ou le temps de voir plus d’un film aux RVCQ cette année, je me suis dit Fuck it, forget le film franco-ontarien, je vais aller voir Laurentie à la place. D’ailleurs, je l’avais déjà vu, La Sacrée, pis ça avait plus le goût d’une Molson réchauffée qu’une bonne bière artisanale. Je sais, je sais, c’est un premier long métrage de fiction franco-ontarien, c’est important. Well, Aurore, l’enfant martyre aussi, c’était important.

Bon, back to Laurentie. Le titre de ce film québécois est une référence à ce pays lyrique imaginé par toute une génération d’intellectuels nationalistes de droite ultramontaine. Vous savez, la clique brébeufienne et certains profs de l’Université vaticane de Montréal. Oh oui, Pierre Trudeau y adhérait, je crois que vous le connaissez. En tout cas, le but de cette bourgeoisie nationaliste : la fondation d’une république catholique française fondée sur le modèle des états franquiste, en Espagne, et fasciste, en Italie.

Les réalisateurs, Mathieu Denis et Simon Lavoie, ont choisi le titre ironiquement. Le film ne se passe pas à cette époque-là; il se déroule plutôt dans le Montréal de nos jours. Louis Després, 28 ans (incarné par Emmanuel Schwartz), y va pas très bien. Non, en fait, il va assez mal. Il est perdu. Il est un être totalement asocial et il s’apprête à perdre le nord. Il emménage dans un nouvel appartement. Son voisin est un anglophone.

Pour l’anglophone la vie est belle. Il est étudiant, il est content, populaire, bref il est tout le contraire de Louis, qui l’observe discrètement, avec une fascination perverse. Louis ne parle à personne. Il ne s’intéresse pas à la banalité de la vie que se racontent ses collègues.

Certains plans-séquences durent de cinq à dix minutes. Le temps s’étire, le vide de la vie se fait sentir. Louis va boire dans un bar avec ses amis. Il se bat avec des Anglais. Louis boit de la bière avec ses chums. En silence. Louis se paye une danse contact dans un bar de danseuses. Louis se branle au travail. Louis baise sa blonde sans romantisme et à vrai dire, sans érotisme. Louis se branle dans la salle de bain de son voisin durant un party. Sans jamais jouir. Ce film est fabriqué à partir de scènes comme ça, étirées au maximum. Une scène montre même un vieux à marchette qui se dirige lentement vers la sortie de l’église. En temps réel. La seule scène où Louis semble heureux est un retour en campagne, dans un semblant de Laurentie, mais la réalité le reprendra et le ramènera de force à Montréal. Dans certaines scènes, des extraits de textes sont projetés sur l’image, citant des poèmes de Saint-Denys Garneau, Anne Hébert, Gaston Miron, Hubert Aquin qui contrastent par leur espoir d’un pays, le désespoir des images.

La force du film est  sa construction cinématographique particulière et le culot de nous montrer des scènes crues en temps réel, ce qui se voit rarement de nos jours au cinéma. Et il faut avouer que c’est un risque qui a valu la peine.

Pour ce qui est du message politique, à part critiquer le marasme du mouvement nationaliste au Québec et le manque d’identité claire et précise au Québec, il est difficile de savoir exactement ce que les réalisateurs voulaient dire.  Après la projection de branlages sur l’écran, j’ai assisté à une séance de masturbation intellectuelle au Bistro SAQ où les réalisateurs se défendent contre un panel qui ne se reconnaît pas dans leur film. « Je n’ai aucun malaise face à mes voisins anglophones » ou « Je suis capable de vivre mes deux identités sans problème », entend-on. Je crois qu’ils sont tombés à côté de la plaque. J’avais l’impression que le panel avait pris le film pour une apologie d’Hérouxville plutôt qu’un portrait de la situation qui lui donne voix. Et le besoin de régler la question, justement pour pas que l’on repasse par Hérouxville sur le chemin de l’affirmation identitaire. Mais certaines interventions des réalisateurs m’ont laissé perplexe. Je n’avais peut-être pas bien compris; c’était peut-être moi qui étais tombé à côté de la plaque. En tout cas, le film provoque la discussion, c’est déjà ça. Et explorer la complexité de cette question au Québec est aussi essentiel à la résolution de la question identitaire chez nous, en Franco-Ontarie.

Outre la question politique, le film demeure intéressant. Je ne sais toujours pas si je l’ai « aimé ». Ce n’est peut-être pas le genre de film que l’on aime ou que l’on déteste. Néanmoins, il participe et contribue à la richesse du cinéma québécois et propose autre chose d’un point de vue esthétique. Principalement pour cette raison, il mérite d’être vu.

Joe le taxi!

Blague à part, en cette soirée du mois de mars, mon chauffeur de taxi s’appelle Joe. D’abord, il me demande où je veux aller. Une adresse suivie de deux ou trois noms de rues afin de mieux lui expliquer le parcours. Soudain, sans en être conscient, ma prononciation de «Notre-Dame» me trahit.

“Man, I haven’t spoken a lick of French for who knows how long!”

Sortie du stationnement de Greyhound et l’attente. Entre la radio qui joue en sourdine, le tic-tac du clignotant et le bruit des essuie-glaces, un silence plutôt lourd s’installe entre nous comme cela se produit souvent entre deux inconnus qui se voient obligés de partager quelques moments de leurs petites existences respectives.

Calé sur la banquette arrière, je cherche (presque désespérément) un sujet de conversation. Les prévisions météo? (sujet trop banal!) Le hockey? (peut-être trop diviseur!) La politique? (trop risqué et/ou trop banal!)

Enfin, une voie se libère. Virage à gauche et en me fixant dans le rétroviseur, Joe met fin à mon angoisse, me demande ce que je viens faire à Sudbury. Je réponds que je suis un «gars d’la place». Immédiatement, je vois qu’il a compris et avec un sourire en coin, il enchaîne:

“I had a French girlfriend once, from the Valley, but that didn’t work out! She left me and Sudbury after a couple of years. Took our daughter with her and that was the end of that!”

Quelques phrases encore et à un feu rouge je découvre qu’il est né dans le quartier où nous nous trouvons — le Moulin à Fleur, que son père était mineur à l’INCO où il ne devait surtout pas parler français. “Back in the day, that type of thing wasn’t tolerated. No messin’ around! You could lose your job if the foreman heard you speak anything but English. It was the same for the Italians, the Polish… I guess times have changed!”

À la radio, on annonce les résultats sportifs. Défaite des Maple Leafs en prolongation. Quelques minutes plus tard, Joe me dépose chez moi. Au moment de lui remettre son argent, il me demande si je suis fan de Toronto. Sans hésiter, je réponds que j’ai toujours été partisan du Tricolore, “for better or for worse”.

“Well, there you go! lance-t-il. We have something in common. I guess it’s probably hereditary!”


Image: New York Taxi, Juri Romanov, Etsy

Piano Mal : Julien Sagot

Suivant de fausses rumeurs que le célèbre groupe Karkwa (le premier groupe de langue française à remporter un prix Polaris) s’était dissous, un de ses percussionnistes et membres fondateurs, Julien Sagot a fait paraître son premier album solo intitulé Piano Mal le 1er février 2012 chez Simone Records. Je dois avouer que je ne savais pas trop à quoi m’attendre, n’étant familier qu’avec son travail au sein du groupe Karkwa.

Rapidement, Sagot nous transporte vers des paysages musicaux trop peu fréquentés. Des gros accords ouverts, disjoints et lents au piano s’opposent par moment à des petits coups de guitare rapides et secs. La sonorité de l’album crie Montréal, Paris, mais aussi un désert du Far West américain. Les mêmes genres de textes poétiques et réfléchis qu’on retrouve chez Karkwa sont aussi présents dans Piano Mal. C’est la précision des mots qui règne dans ce style d’écriture moelleux et précis.

Si certaines chansons sont lentes et éclatées, d’autres sont très rythmées et linéaires. Or, même l’oreille développée a du mal à déterminer comment l’artiste vient à bout de créer ces véritables voyages sonores, elle n’a pas l’impression de s’y perdre. Chaque son, chaque note, chaque effet sont recherchés, et aucun d’entre eux n’est utilisé de façon abusive. À tout ça, on ajoute la (superbe) voix rauque de Sagot et on obtient un produit incroyablement riche et velouté.

Bref, pour le mélomane, cet album aux textures parfois rudes, parfois lisses; aux sonorités parfois chaudes, parfois froides, est un incontournable du milieu musical actuel.

Pour les fans de

Karkwa, Serge Gainsbourg, Roger Whittaker, Ennio Morricone, Arthur H et Leif Vollebeck.

Moments forts

Piano Mal, Une vieille taupe, Le trucifier