Ce mot qu’on n’ose prononcer

Comme vous l’avez vécu en direct, ou appris le lendemain matin en écoutant la radio, la soirée électorale au Métropolis s’est mal terminée. Quelles sont les données factuelles dont nous disposons? Qu’un homme dans la soixantaine, anglo-québécois de son état, a tiré sur deux personnes et aurait pu continuer son jeu de massacre si son arme ne s’était pas enrayée. Il a également mis le feu. La police a par ailleurs retrouvé pas moins de cinq armes. Arrêté, l’homme a vociféré «les Anglais se réveillent».

A date, il existe une unanimité dans tous les médias établis du pays – et une telle unanimité médiatique n’est jamais un bon signe pour la démocratie – pour dire que cet homme est un fou. Les journalistes ont parfois employé le terme «attentat», on a entendu «assassinat». Mais en aucun cas, le mot «terrorisme» n’est apparu dans la bouche de nos faiseurs d’histoires bien-pensants.

C’est tout simplement hallucinant!

Déconstruisons tout d’abord le concept d’assassinat. Un assassinat est un meurtre prémédité et ciblé. Quand il vise un homme politique, on parle d’assassinat politique. Les deux personnes touchées n’ont pas été victimes d’un assassinat. De deux choses l’une, soit Richard Bain voulait faire le plus de victimes possibles, et dans ce cas-là, ce n’est pas ciblé, donc ce n’est pas un assassinat. Soit, comme certains l’avancent, il voulait effectivement assassiner Pauline Marois et était prêt à tuer tous ceux qui, sur son passage, l’empêcheraient d’atteindre sa cible. Il faudra attendre les résultats de l’enquête pour se prononcer sur ce point.

Cependant, il a mis le feu, ce qui indique clairement, qu’il voulait faire «le maximum de dégâts». On s’entendra également sur le fait que ses motivations étaient doubles. Tout d’abord, ces actes sont clairement de nature politique. Deuxièmement, il est clair qu’il voulait faire passer un message; il n’a pas fait grand-chose pour ne pas être arrêté; il a fait des déclarations aux journalistes présents pendant son arrestation.

Or, bien qu’il n’existe pas de consensus sur la définition d’un acte terroriste (j’ai recensé plus d’une centaine de définitions); il y a plusieurs caractéristiques qui reviennent dans la plupart des définitions. Premièrement, l’acte terroriste est motivé politiquement. Deuxièmement, l’acte terroriste a pour but premier de faire passer un message, de mettre un problème politique sur l’agenda; bref, c’est un outil de communication. On dit souvent que le terrorisme «c’est la propagande par les actes». Troisièmement, le terrorisme se distingue de l’assassinat politique dans la mesure où il est indiscriminé; par conséquent, il vise souvent les «civils» ou des «innocents».

Considérant tout cela, il est tout simplement ahurissant qu’aucun journaliste ou politicien n’ait osé ne serait-ce que d’utiliser le mot terroriste, ne serait-ce que de poser la question! Je vois les bonnes intentions derrière cette prise de position unanime de la classe politique dans son entier (droite, gauche, provincial, fédéral: jamais dans l’histoire du Canada on n’avait vu ça!). Il s’agit bien sûr «d’apaiser les esprits»; de ne surtout pas «mettre le feu aux poudres»; de ne pas «réactiver des vieilles haines». On le sait, c’est tout le contraire qui se produira. Dire la vérité, oser poser les vrais questions sont les seuls moyens qui permettront à notre société de sortir de ce mauvais fourbis.

Alors, je vous entends dans vos chaumières, vous vous dites, comme tous les journalistes unis dans le même combat, «mais c’est juste un cas isolé», «c’est juste un fou». Et moi de vous répondre, croyez-vous vraiment que la douzaine de tarés responsables des attentats terroristes du 11 septembre ne sont pas des «cas isolés». Le milliard de musulmans sur la planète ne se fait pas exploser toutes les cinq minutes. Quant à la folie, peut-on s’entendre sur le fait que pour devenir terroriste, il faut quand même être un peu cinglé. Le Norvégien Breivik peut bien tenir des discours rationnalisant son acte ignoble; il peut bien y avoir réfléchi, il n’empêche que ce type est fou… et un terroriste! Au sens strict du terme, quelqu’un qui sème la terreur parce qu’il est aveuglé par sa haine de l’Autre (l’Autre étant le Juif, l’Arabe, le francophone, le socialiste, bref, dans la tête du terroriste, l’ennemi à abattre car il se trouve sur son chemin dans la réalisation de son monde à lui).

Une autre question me taraude: depuis quand un attentat, puisque le mot fut employé, n’est-il par, par définition, terroriste?

La terrible et inquiétante unanimité entourant cette affaire, les mots soigneusement choisis, la théorie adoptée rapidement du fou isolé visent deux choses: empêcher le débat, museler les citoyens, et donc empêcher que l’on se pose la seule et vraie question: comment et pourquoi en sommes-nous arrivés là? Comment et pourquoi dans un Canada qui se dit démocratique, un anglophone en est arrivé à ne pas accepter les résultats des élections et a décidé de transformer une arène politique et démocratique en stand de tir de foire? Comment et pourquoi est-on passé de la rivalité à la haine?