Michael Ignatieff, ou Michel de Nostredame, dit Nostradamus?
Si on apprit lundi soir que Michael Ignatieff, l’ancien chef du Parti libéral du Canada, trouvait qu’une décentralisation plus accrue des pouvoirs fédéraux au Canada et au Royaume-Uni vers le Québec et l’Écosse mènerait éventuellement à l’indépendance de ces nations, il s’assura de nuancer ses propos peu de temps après par deux lettres adressées aux éditeurs du Globe and Mail et de La Presse, en anglais et en français respectivement. Peu importe, deux citations de l’entrevue m’ont beaucoup fait réfléchir à la situation du Canada et des Canadiens-français (ou minorités hors-Québec, et des Québécois, et/ou des Acadiens, et des… bon. Whatever, appelez-vous comme vous le voudrez).
“The Canadian example goes to show that you can devolve power down and get those Tory politicians from London out of your hair, and, run your own affairs short of being an independent country. And it’s a kind of waystation, you stop there for a while, but I think the logic eventually is independence, full independence.”
“I think if Scotland goes independent, a lot of other small nations in Europe will start accelerating their quest for independence. Spain, the Catalans and the Basques; Belgium, the Walloons and the Flemish; Quebec. Canada will listen and watch with baited breath for the outcome of this referendum, because if Scotland goes independent, then Quebec will renew its quest for independence. So it will have global effects.”
— Michael Ignatieff
Vraiment? Est-ce que les nationalistes des autres états/états-nations attendent que le vote référendaire en Écosse passe pour entamer les prochaines étapes de leurs plans? J’en doute fortement.
On habite un monde où l’information circule beaucoup trop rapidement pour ça. La preuve, c’est qu’au lendemain de la diffusion de l’entrevue avec BBC, les propos d’Ignatieff avaient déjà fait les manchettes de l’autre côté de la planète. Doit-on croire sincèrement que l’idée de la séparation de l’Écosse du Royaume-Uni ne se serait pas déjà rendue influencer le discours des souverainistes de ce côté de l’Atlantique? Doit-on penser que ces mêmes souverainistes n’ont pas déjà suffisamment de cas historiques pour pouvoir construire leurs propres raisonnements? Je ne pense pas. De toute façon, Ignatieff a bien précisé, le Royaume-Uni est un des pays multinationaux les plus vieux de la Terre. Le Canada n’est pas construit de la même façon, alors on s’inquiète pour rien; le Québec n’est pas, un État au même titre que l’est l’Écosse. N’est-ce pas?
«Puis nous autres dans tout ça?»
Puis pourquoi s’intéresserait un Franco-ontarien à tout ça? De toute façon, lui, il n’est pas Québécois. Admettons qu’Ignatieff avait raison; que le référendum en Écosse passait en 2014, et que ça renouvelait l’indépendantisme au Québec au point de nous mener à un autre référendum. Où retrouverions-nous par rapport à cet enjeu? Que peut nous apprendre l’histoire au sujet de la «rupture» du Canada français à la fin des années 60?
«À Sudbury, les lendemains des États généraux [et de] […] la « territorialisation » du discours nationaliste [canadien-français] au Québec […], sont des plus moroses. Les minorités, déclare-t-on, devront se rabattre sur elles-mêmes pour assurer leur développement, les Québécois ne leur seront plus d’aucun secours. La presse étudiante, qui accepte [initialement] avec plus d’enthousiasme et d’optimisme [que leurs aînés] le projet néonationaliste, conclut avec davantage de facilité à la désagrégation, pour ne pas dire à la caducité du « Canada français ».»
— Michel Bock, 2001, p. 86
Voyant comment, finalement, le Québec nous a pas vraiment abandonné suite à la crise du Canada français de la fin des années 60 (on n’a qu’à compter l’important nombre de «Franco-ontariens d’origine québécoise» qu’il y’a dans nos communautés, et, noter le montant d’énergie qu’ils investissent à son épanouissement), aurions-nous plus de facilité à accepter que, finalement, non seulement a-t-on besoin du Québec mais aussi des autres minorités francophones du pays, et oui, peut-être même du Canada anglais non pour survivre, mais pour bien s’épanouir et bien vivre? Est-ce qu’on appuierait le projet indépendantiste? Est-ce qu’on ferait nos valises? Monterait-on aux barricades pour dénoncer un tel projet?
Comme le Juif russe en 1948, ou l’Irlandais habitant à Londres en 1922, aurions-nous le réflexe «d’entrer au bercail», ou au contraire, considérerions-nous que cette «terre promise» ne serait pas la nôtre? Comme le disait Fernand Dumont en 1997, «Les Acadiens parlent français, mais ils ne s’identifient pas aux Québécois francophones même s’ils sont proches par des voisinages et si un grand nombre d’entre eux vivent au Québec». Pourrait-on faire une analyse aussi monolithique des Franco-ontariens par rapport au Québec? Et par rapport au Canada français? Et par rapport à la référence canadienne-française? En d’autres mots, les vestiges identitaires du Canada français d’autrefois, seraient-ils assez puissants pour nous attirer vers un État souverain «for French-Canadians»?
Références
Michel Bock, Comment un peuple oublie son nom – La crise identitaire franco-ontarienne et la presse française de Sudbury (1960-1975). Sudbury, Institut franco-ontarien/Prise de parole, 2001. 119 p.
Fernand Dumont, «Essor et déclin du Canada français ». Recherches sociographiques, vol. 38, no. 3, 1997. p. 419-467.