S’aventurer dans la cour arrière de Patrick Watson

Patrick Watson
Adventures In Your Own Backyard
Secret City Records/Domino Records

Si taGueule publie une critique d’un album complètement en anglais, il faut que ce soit un maudit bon album. Eh bien, voici qu’arrive le tout nouvel album du montréalais Patrick Watson, Adventures In Your Own Backyard.

Après une nomination au prix Polaris pour chacun de ses deux plus récents albums (et une victoire d’ailleurs!), la barre était haute pour celui-ci et Watson ne déçoit pas une miette. Pour ce quatrième album, Patrick et sa formation ont enregistré l’album dans leur salle de répétition, d’où vient l’inspiration du titre de l’album. Comparé à Wooden Arms, son dernier album, Adventures In Your Own Backyard est un album moins éclectique, plutôt simple, mais toujours émouvant d’un bout à l’autre. C’est plus terre-à-terre et beaucoup plus axé sur les paroles et le chant.

L’album reprend le style pop/alternatif/folk/cinéma des dernières oeuvres de le formation. De la première piste, Lighthouse, avec son piano somptueux et une fin digne des meilleurs moments de splendeur, jusqu’aux dernières sombres notes de l’instrumental épilogue, Swimming Pools, l’album crée une atmosphère qui éclabousse en toute douceur. Il n’y a pas de chansons cheese, accrochantes ou emmerdeuses. Il n’y a que des simples mélodies permutées par la voix falsetto du chanteur, par des sons de trompettes et par des ambiances parfaitement placées. Les paroles de l’album racontent les ballades autour du voisinage, la campagne, l’amitié; l’album est quasiment un hommage à la vie chez lui au Québec. On dirait un miroir littéraire de The Suburbs d’Arcade Fire.

Patrick Watson célébra ce soir le lancement canadien de son album avec un troisième et dernier spectacle à guichet fermé au Théâtre Corona de Montréal. Pour le Canada et l’Europe continentale, un des albums les plus anticipés de l’année est finalement arrivée. L’album sortira le 20 avril en Allemagne et au Royaume-Uni, le 30 avril ailleurs sur la planète sauf aux États-Unis où ils devront attendre au 1er mai, un 24 heures de plus.

[h3]Pour les fans de[/h3]
Radiohead, Karkwa, Arcade Fire, The Cinematic Orchestra, Jimmy Hunt, City and Colour

[h3]Moments forts[/h3]
Lighthouse, The Quiet Crowd, Into Giants, Noisy Sunday

Comme une histoire d’amour

Entre deux langues à aimer d’amour vrai, c’est comme entre deux personnes. Il faut choisir. Vous me direz que les langues, ce n’est pas pareil. Une personne bilingue peut aimer les deux. Mais si le français se propose et l’anglais s’impose, si on peut dire non à l’une mais qu’on doive dire oui à l’autre, si le mariage est forcé alors que l’amour est libre, il n’y a que le français pour se laisser aimer. En Ontario, on parle anglais pour les autres et français pour soi. Une langue vous promet la petite vie ordinaire, l’autre, une aventure sentimentale.

Quand il est question de la qualité du français des Franco-Ontariens, nous balançons toujours entre deux attitudes : être exigeant ou être accueillant. À coups de règles de grammaire et de règle sur les doigts, nous risquons de perdre l’envie de parler français. Mais à force de laisser-faire, nous risquons de perdre la capacité de parler français. D’une manière ou l’autre, ce n’est pas le confort. Étourdis par ce balancement, beaucoup de nous finissons par croire n’être pas si français que ça. Voilà l’erreur à dénoncer pour révéler… le grand amour que nous vivons sans le savoir !

Notre sentiment de n’être pas assez bons en notre langue, c’est justement la preuve que nous l’aimons vraiment. Si elle nous laissait indifférents, nous n’aurions pas ce sentiment. Mais devant elle, nous sommes insatisfaits, intimidés, un peu honteux. Nous voudrions être meilleurs pour elle, à cause d’elle. Voyez-vous ? Nous sommes tous en amour sans le savoir ! Devant notre langue non conquise, nous doutons, craignons, hésitons, bafouillons. Nous ne savons que dire ou comment dire. Nous voudrions paraître à l’aise et confiants. Mais ce que à quoi nous aspirons nous fait sentir incapables et indignes. Nous pourrions fuir, la langue dans nos poches. Beaucoup le font. C’est dommage. Ils tournent le dos à la vie. Ils ratent une grande aventure sentimentale.

Car la langue, comme le grand amour, s’installe au centre du monde. Tout n’existe que par elle. Tu n’existes qu’en elle. Tu ne vois que par elle. Ce qui est beau vient d’elle. Comme le grand amour, la langue française en Ontario ne se vit pas paisiblement. Elle fait oser et douter. Elle donne envie de foncer et envie de fuir. Elle est exigeante, compliquée, difficile, imprévisible. Elle ne se donne pas facilement. Alors pourquoi vouloir d’elle ?

C’est pour être soi-même qu’on aime. C’est pour délivrer une présence autre et meilleure cachée en soi. Tout ça est fou. C’est est une croyance insensée, une erreur vraie, une illusion merveilleuse, un échec presque assuré. Être Franco-Ontarien, ce n’est pas normal. Ça ne vient pas tout seul et ça ne reste pas sans effort. Ce n’est pas ce qu’on est malgré soi, c’est qu’on est malgré tout. C’est ce qu’on ose parce qu’on devine que ça mène au bonheur. C’est ce qu’on fait parce qu’on sent qu’au fond, on le mérite.

Voilà le discours qu’il faudrait tenir de meilleure façon et sur un meilleur ton, pour dire aux enfants à l’école et aux adultes au travail que l’assimilation, c’est une bien triste erreur. Voilà ce qu’il suffit de comprendre pour que tout ce qui fait mal et ce qui va mal d’être Franco-Ontarien devienne comme un honneur et une drôle de joie. Être Franco-Ontarien, c’est comme vivre une histoire d’amour. Ce n’est pas reposant. Mais il n’y a pas plus bel espoir.


Ce texte fut publié dans le recueil de nouvelles De face et de billet, par Normand Renaud, aux éditions Prise de parole, 2002. Reproduit avec permission.

Photo: Serge Gainsbourg (français) et Jane Birkin (british), 1968

A letter to my franglo-ontarian friends

To my English-speaking French friends,

Your names are Paquette, Lafleur, Lalonde, Belanger, Tremblay, Gauthier, Veilleux, Lemieux, Giroux. It might be hard to pronounce, or you might just pronounce it in English. Some of you may have two francophone parents, some of you only one, and some of you have never heard your parents utter a single word of French, despite their names being something like Jean-Pierre or Jacqueline.

You may have graduated from a French high school, you may have switched over to immersion, or you may have gone to an English school. Hell, you may even have a French college degree.

You may or may not know me, but you certainly know someone like me, probably with an accent aigu in their names, who actually spoke French in high school, brought French movies to watch in primary school, and likely tried to recruit you to go to some activity/concert/whatever in French, very often at the risk of social ridicule.

Some of you may have cousins like me, whom you make an extra effort to speak French to at Christmas. You may have had a childhood friend like me, who learned English from watching Power Rangers with you. You may even have dated people like me, only to feel awkward when meeting your in-laws and being forced to admit you can’t speak French very well.

I’m writing to you today as a well adjusted young man, an active member of the francophone community in Ontario. Since finishing high school, I’ve been involved with a variety of francophone organisations in the Sudbury area, and I’ve been trying, through various means, to find a way to make speaking French more normal for francophones in Ontario.

I spent 3 and a half years studying in Montreal, where – despite what alarmist politicians and die-hard hockey fans would have you believe – bilingualism is a normal, accepted, (controversial, still) every-day thing. I returned to Northern Ontario about two months ago, and got right back into my francophone involvement. I participated in the launch of this site, and my job as a college recruiter allowed me to travel throughout the North, speaking with francophone students about pursuing their education in French.

I say all of this because I want to ask you a question.

It’s a question that has been bothering me since I was little, since I understood that speaking French in the schoolyard was not the best way to make friends. I’ve wanted to ask you this question every time I hear things like “I’m French but I hate speaking it” or “French music sucks”. I’ve wanted to ask you even more since I found out that some anglophones in Montreal have more respect for the French language than many “francophones” from my hometown.

My question is this: do you even care? Do you even want to keep speaking French? Do you want people to fight for the right to have francophone nurses and doctors? Do you want people to keep taking significant financial risks by bringing  francophone artists over here? Do you want us to complain about the signage in a Caisse Populaire being in English?

Of course, faced with these kinds of questions, many of you will say that you understand the importance of the French language, that you wish you spoke it more, and that you will send your children to French school, so they won’t lose the French and so they can speak to their grandparents. 

So what’s the problem?

I want to know if you care that French schools are filled with kids who don’t really care about French. I want to know if you actually watch French TV, or press 2 for French service. I want to know if, when you go to Montreal for Spring Break or Osheaga or UFC, you speak French to your servers at the restaurant. Quite honestly, I didn’t always use French during my years in Montreal, nor do I today in Sudbury. But I do speak it regularly, in multiple contexts, and most importantly, I can appreciate the influence bilingualism has had on my identity.

I want to know if it is worth it for me and my like-minded friends to keep defending the place of French in this province, and in this country. I want to know if you’re behind us, or if you simply don’t care and are happy to get by in English without having to use French. An honest answer would, at the very least, be a weight off my back.

As francophone Ontarians, we have a double burden. Not only do we have to justify our use of the French language to our Ontarian landlords, but we have to justify our outlying presence to our Quebecker cousins, who quite often can’t take us seriously, despite being genuinely surprised and happy when they actually do meet someone from Ontario who speaks decent French. We are straddling Canada’s traditional two solitudes, and if anyone can help anglophones and francophones understand each other, it is us.

Let me be clear: I’m not blaming anyone. French is hard as fuck to learn when you have no reason to do so. Even the upper echelons of francophone decision-makers are at a loss for meaning, for purpose, and for solutions to our accelerating assimilation rates. I just want to know what you, my English-speaking Franco-Ontarian friends, think of this mess of an officially bilingual country we ended up in. I want to know if it’s still worth fighting for.


Image : Tongue by Alvaro Tapia

A word to the students of collège Boréal

It’s my pleasure this morning to say a few words to the young men and women who are studying in this fine new college. I’ll say them in the language in which most of you seem more comfortable, judging from what I’ve heard in the halls and the cafeteria.

Yes sir, you see it coming and you’re right. The blame, the sermon, the self-righteous talking down. But before you tune me out, here’s something for you to hit me with. I admit that I’m in no position to blame you for something I was doing myself when I was your age. I grew up here in Sudbury, like many of you. And like most of you, English was the language I felt good with. English was the way to sound like a man without sounding like my parents or my teachers. So I spoke English to everyone, except when forced otherwise. That was the way to be myself. If I’m not mistaken, you are all speaking English right now for that same reason : to be yourselves. I remember the feeling. It’s such a strong one that you don’t feel even the least bit out of place when you walk around laughing and talking English in the halls of a French school.

Mais un jour, j’ai eu l’intuition de ce qui m’arrivait en vérité. J’étais loin de me donner ma propre personnalité, d’exercer ma liberté, d’avoir l’air confiant en parlant l’anglais. En vérité, je faisais docilement ce que la société voulait que je fasse. Je n’essayais pas d’être moi-même. J’essayais d’être comme tout le monde.

À l’époque, je faisais comme vous mes études postsecondaires. Je voyais vite venir le temps où j’allais devoir savoir qui j’étais vraiment, si je voulais trouver ma place et mon salaire. J’osais peut-être aussi rêver, un peu, de faire une différence dans mon petit coin de pays et d’aider à bâtir un monde meilleur. C’est là que j’ai commencé à voir mes parents canadiens-français d’un autre oeil. C’est là aussi que j’ai commencé à voir plus clairement l’histoire de mon peuple. La misère économique qui l’a poussé à émigrer dans le Nord ontarien. Les pressions qu’il a subies de partout pour abandonner le français. Les efforts qu’il a maintenus sans grand succès pendant cent ans pour donner à ses enfants au moins des écoles françaises, au moins ça. En fin de compte, j’ai compris d’où je venais. J’ai compris où je m’en allais. Et j’ai compris qu’en parlant tout le temps anglais, je tournais au ridicule un courage que j’étais encore loin d’avoir montré moi-même.

Students of collège Boréal, I suspect you feel uncomfortable hearing me speaking English to you so publicly, so officially, on French radio for all to hear. I’m doing it in the hope it might help you realize how out of place you sound speaking English in this building, of all places, after so many people worked so hard for so many years to make this beautiful, ultra-modern, high-tech French language college a reality, for you.

I know you can very well do without my respect or anyone else’s. After all, you are your own man, your own woman. You don’t need to be told what to think and how to behave. You’re living life on your own terms. That’s what I thought I was doing too, before I realized that I still had some growing up to do. I hope to meet some of you some day down the road. But I would have so much enjoyed meeting you now. I somehow had hoped that you would all be different than I was at your age.

Qui parle français en Ontario ? C’est triste à dire. Il y a de petits enfants, il y a des adultes, mais entre les deux, il n’y a pas de jeunesse. Celle qui fait du bruit. Celle qui fait du fun. Celle qui fait de la vie. Ça manque beaucoup. Ça pourrait être vous.


Le 3 octobre 1997. Depuis son ouverture en 1994, le collège Boréal avait occupé des locaux de fortune. Le matin de l’ouverture officielle de son nouveau campus, j’ai livré ce billet en ondes depuis le hall d’entrée, d’où CBON Bonjour diffusait une émission en direct. Un peu ironiquement, j’ai adapté ma langue et mon langage à mon public.

Ce texte fut publié dans le recueil de nouvelles De face et de billet, par Normand Renaud, aux éditions Prise de parole, 2002. Reproduit avec permission.