Le Canada sans le sou

Ça y est! La pièce de un cent disparaîtra progressivement du paysage canadien à compter de l’automne prochain. Le ministre des Finances, Jim Flaherty, l’a annoncé jeudi en déposant son plus récent budget, précisant que cette décision permettra aux contribuables canadiens d’économiser 11 millions de dollars par année. Au dire du ministre, chaque pièce coûte 1,6¢ à produire, ce qui la rend obsolète.

Comme plusieurs de mes concitoyens, il fut un temps où j’avais une tirelire. C’est là que je déposais ces petits trésors qui, grâce à un peu de patience devenaient des dollars (ou je les dépensais au dépanneur du coin en m’offrant des friandises à un sou). Aujourd’hui, comme bon nombre de gens, je ne sais plus très bien quoi en faire. J’ai un pot qui déborde de ces pièces devenues quasi inutiles et je n’ai plus la patience que j’avais.

Le Canada n’est pas le premier pays à éliminer la pièce de un cent. Des pays comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont laissé tomber le cent il y a quelques années.

Une cenne. Cette petite pièce qui semble venir de nulle part et se multiplier à notre insu, encombrant nos tiroirs, nos sacs à mains, nos portemonnaies; qui nous laisse avec des trous dans nos poches ou qui fait retentir la sécheuse comme s’il s’agissait d’une arme de destruction… Et n’oublions pas l’aspect psychologique des sous noirs qui nous donnent parfois l’impression d’économiser sur tel ou tel produit. 9,99$ au lieu de 10$. Avouez que ce n’est pas du tout la même chose. Non, pour le meilleur et pour le pire, la pièce mal-aimée fait partie de notre quotidien, de l’inconscient collectif et de nos habitudes de consommateurs.

Certains aiment encore cette petite pièce. Les historiens, par exemple. Rappelons qu’au début du 19e siècle, les colonies britanniques d’Amérique du Nord, tout en faisant largement usage de pièces étrangères, avaient un système monétaire fondé sur la livre, le shilling et le penny. Vers 1850, toutefois, l’accroissement des échanges commerciaux avec les États-Unis et le grand nombre de pièces américaines et hispano-américaines en circulation dans ces colonies les amènent à se tourner vers un système monétaire décimal basé sur le dollar, le cent ou centième de dollar… La première des colonies qui parvient à adopter une loi en ce sens est le Canada, et la première pièce portant l’inscription «Canada» remonte à 1858, c’est-à-dire neuf ans avant la Confédération. Depuis, c’est toute la monarchie britannique — la reine Victoria, le roi Edward VII, le roi George VI et la reine Elizabeth II — qui y a passé. Oui, notre cent a toujours été très british.

Aujourd’hui, on dit que le cent ne vaut plus grand-chose. Mais attention! Avant de balancer vos sous noirs dans les fontaines de Rome ou de passer l’aspirateur entre les coussins de votre divan, il serait peut-être bon de vérifier les dates…, de consulter des spécialistes. D’abord, la valeur d’une pièce de monnaie abandonnée par son gouvernement et son peuple ne peut qu’augmenter. Et les collectionneurs le savent très bien. Puis, il y a la perle rare. Il y a deux ans, à une foire regroupant des numismates de partout au Canada, j’ai découvert une pièce d’un cent produite en 1905. Croyez-le ou non, il y avait foule autour de cette petite pièce sous verre (non, on ne touche pas!) dont on estimait la valeur à 2 000$. Et maintenant? Qui sait combien elle vaut!

Quoi qu’il en soit, la pièce de un cent ne sera plus frappée au Canada. Elle a cédé à l’inflation et à l’indifférence de la majorité qui l’accablaient depuis plusieurs années. Paix à son âme et… God Save the Queen!

P.-S.: Les dons en espèces à l’intention du Receveur général sont acceptés en tout temps.


Photo: Steve Farmer, 1,000,000 Pennies, installation de Gerald Ferguson

Et si la Reine jouait au curling?

C’est le soixantième anniversaire du règne de la Reine Élizabeth. Who gives a shit?!

On dira ce que l’on voudra sur la Confédération, les rébellions de 1837, le statut de Westminster et le rapatriement de la Constitution, le Canada est toujours assujetti à la souveraineté de la monarchie britannique. C’est sa belle face, toujours vieillissante, qui apparait sur nos sous et notre argent.

Une examination un peu plus profonde du statut de la monarchie au Canada révèle que notre Reine n’est pas la Reine d’Angleterre, mais plutôt que la Reine Élizabeth est simultanément la Reine d’Angleterre, la Reine du Canada, la Reine de l’Australie et la Reine de la Nouvelle-Zélande, etc.

Je réclame une royauté canadienne, proprement dite. Au lieu de partager la face sur notre argent avec d’autres pays, pourquoi est-ce qu’on n’adopte pas un Prince qui viendrait marier une petite gaspésienne et qui deviendrait notre Roi, pour élever ses enfants au Canada. Ou encore mieux, s’il mariait une canadienne-française de la Saskatchewan et que ses enfants étaient ayant droits, pour qu’ils puissent recevoir une éducation francophone hors Québec. Ils deviendraient dans ce cas autant, si pas plus, canadiens que nous.

Ça pourrait nous donner, dans une génération, une royauté proprement canadienne, bilingue et biculturelle. Comme dans le cas de la royauté belge (le Roi des Belges, et non le Roi de la Belgique), on aurait un monarque du peuple et non du pays. Un roi ou une reine de la troisième solitude, celle des Canadiens bilingues.

Le sentiment républicain au Canada n’a jamais été une force majeure en politique. La fascination du Canada (et du monde entier) avec le mariage du Prince William confirme qu’on aime ça en titi la royauté, même si on est conscients quelque part que c’est complètement dépassé et inutile. Les seuls à se plaindre seraient les journalistes, qui verraient disparaître leurs chances de devenir gouverneur général.

Si on tient tant à conserver ce symbole archaïque et dépassé d’une quelconque autorité, pourquoi ne pas avoir un symbole qui nous représente? On est pognés avec cette monarchie de toute façon, pourquoi pas les faire travailler pour nous un peu? Au lieu de donner à nos Princes une vocation militaire, comme c’est le cas avec les petits Windsor en Grande-Bretagne, on pourrait les inscrire dans un programme de hockey local, et faire d’eux des joueurs de hockey de calibre professionnel. On s’en crisse pas mal du polo et du cricket, right?

Imagine ça, le Roi du Canada, premier choix au repêchage. Et pourquoi s’arrêter là? Il pourrait devenir propriétaire d’un club, un genre de player-coach-GM à la Reggie Dunlop. On pourrait déménager les Kings de LA à Saskatoon, à Moncton, à Sudbury… Pas besoin de s’inquiéter des finances, le Roi en aurait plein! Sa femme aussi pourrait faire un effort, soit jouer au curling, faire du bobsled, ou encore même du patinage artistique. À quand un Roi qui participe à des concours de bucherons? Un Prince qui fait du rodéo au Calgary Stampede? Une Princesse animatrice à MuchMusic?

Tant qu’à y être, on pourrait réviser les faces sur notre argent. Pourquoi pas Robert Nelson sur le 20$? Pourquoi pas Louis Riel sur le 25 sous? Étienne Brulé sur la cenne noire? Lord Durham sur le billet de mille? Rush? Gerry Boulet? Paul Henderson?


Image : Hommage à sa Gracieuse Majesté, Martin Bureau, 2008