Vivre en français – le 11 janvier 1971

On a trouvé ceci, et on trouve que 40 ans plus tard, on est encore en train parler des mêmes maudits enjeux. Quand l »auteur parle de télévision, pensons plutôt à Internet. Quand il parle de Canadiens-français catholiques, pensons aux Franco-ontariens «pure-laine». Quand il parle de sauver la «race», pensez à nous qui essayons de «sauver la culture» en l’institutionnalisant.  Quand vous voyez 1971, pensez à 2013. Ensuite, pensez à 2051. Nous, dans 40 ans, on aimerait bien ça pouvoir dire qu »on a progressé. 


Vivre en français

Le Voyageur, le 11 janvier 1971

Le passé n »a rien de particulièrement impressionnant pour les jeunes d »aujourd »hui, eux que la télévision, entre autres, a formé à l »actuel et au raisonnablement possible, eux à qui la télévision offre de faire valoir immédiatement leurs idées ou réalisations pour autant que celles-ci s »insèrent naturellement dans un contexte à la fois utile et humanitaire.

Et, pour ces mêmes jeunes, l »enseignement à outrance, l »enseignement «coûte que coûte» de divers principes d »où brille par son absence toute connotation actuelle, n »a pas plus de valeur ou de signification qu »un éléphant dans un bol de soupe.

Ça, ce sont des comportements observables, qui ne sont pas sujets à discussion. Devant eux, on adopte deux attitudes : bien on regarde, on cherche, et l »on comprend ou alors on fait l »autruche et, forcément on ne comprend rien à rien.

Pour la jeunesse franco-ontarienne, ces problèmes d »incompréhension – déjà lourds à assumer – se doublent d »un autre, non moins lourd à supporter : celui des instruments naturels de communication et de la langue en particulier.

Pour un jeune Franco-Ontarien, parler français ça veut souvent dire faire un effort. Probablement que si la chose était possible, il trouverait plus aisé de parler «mathématique». En tout cas, il lui est plus naturel de parler en anglais. Et comment oserait-on lui reprocher ce comportement qu »il tient de la nature même de son environnement? Communiquer, comme on s »en doute bien, c »est essentiel. Et probablement que le jeune Franco-Ontarien trouve plus de bonheur à mal communiquer en anglais [certaines choses changent, quand même!] qu »à ne pas réussir à communiquer du tout en français!

De bonnes âmes de patriotisme tout imbues, tentent malgré tout de sauver la «race», ignorantes toutefois des données élémentaires capables de stimuler véritablement le désir chez ces jeunes de tout d »abord, vouloir vivre en français, et, ensuite, de faire les efforts nécessaires pour normaliser une situation que l »histoire a laissé se détériorer.

Encore en 1971, on fait appel à «la fierté d »être un Canadien catholique d »expression française». Puis sans faire ni un ni deux, on se gargarise à pleine gorge des nobles motifs qui devraient assurer la naissance et l »explosion de cette fierté : «notre passé: nos aïeux et leur oeuvre; notre survivance; nous-mêmes et nos qualités; notre mission et la Providence»!

Et voilà qu »on se surprend ensuite à ne pas comprendre cette jeunesse qui online casino nederlandsegokken s »entête à ne pas vouloir être fière! Quelle ingratitude, en effet! «Nous portons bien haut le flambeau et l »idéal de la race, et voilà que cette jeunesse pour qui nous le faisons nous trahit, ajoutant à cela l »arrogance d »un sourire narquois qui pourrait nous faire croire que ce que nous disons ou faisons relève de l’imbécillité pure».

De l »imbécilité, assurément non. Mais l »intransigeance de la jeunesse face à ses propres valeurs, fait que trop souvent elle crée l »intolérance face à celles de ceux qui l »ont précédée.

Et l »on peut se demander à ce point-ci, qui doit faire l »effort de comprendre qui. La réponse semble évidente.

Véritable effort de compréhension, voilà sûrement l »essentiel. Compréhension de la jeunesse elle-même, compréhension surtout du contexte qui la forme et dans lequel elle doit vivre. Compréhension, entre autres, d »un fait capital : les valeurs et les instruments traditionnels, à plusieurs niveaux et particulièrement à celui de la langue pour les Franco-Ontariens, n »ont plus d »impact – si toutefois ils en ont jamais eu!

Les valeurs du passé? Non. Ce sont les valeurs du temps actuel, de l »Action actuelle qu »il faut faire ressortir. Et, quand c »est nécessaire, favoriser cette action actuelle, animer le dynamisme de cette jeunesse.

Il n »y a vraiment plus qu »une fierté que cette jeunesse-là peut acquérir, et c »est la fierté d »elle-même, de ses propres actes : c »est la marque de notre temps. Le reste devient accessoire et s »acquiert au gré des besoins, des gestes, des réflexions.

– Hubert Potin, éditeur en chef du journal Le Voyageur, 1971


Dans la vie, il y a des choses qui ne changent jamais.

Le Règlement XVII: un arrêté lourd de conséquences

Aujourd’hui, lendemain de la Saint-Jean Baptiste, l’Ontario français reconnaît le 100e anniversaire du Règlement XVII, un arrêté de Queen’s Park qui visait à imposer l’enseignement de toutes les matières scolaires en anglais et limiter l’usage du français à quelques heures par jour en première et deuxième années exclusivement.

En juin 1912, les Conservateurs venaient d’être élus à Ottawa et réélus à Queen’s Park. À la suite d’une campagne francophobe, le gouvernement de James Whitney sentait qu’il avait le mandat de «résoudre» le «problème» des nouveaux arrivants qui avaient migré vers la province «loyaliste» dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Les 200 000 Canadiens-français composaient maintenant des majorités dans les cantons de Prescott, Russell, Nipissing et Temiskaming et avaient modifié le caractère des paroisses et des localités. Le sentiment d’«invasion», mais aussi le refus chez les Canadiens anglais de reconnaître une dualité quelconque (linguistique ou culturelle) moussa la volonté d’assimiler les gens de souche française comme n’importe quelle autre minorité ethnique. Pourtant, au Québec, une sorte de «réserve» pour les Canadiens-français, les Anglo-Protestants, minoritaires, s’attendaient à pouvoir gérer leurs écoles autonomes que le nombre le justifie ou non.

Le Règlement XVII a été dénoncé farouchement par l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario naissante, mais surtout par quelques commissions scolaires, des paroisses canadiennes-françaises, des parents, des instituteurs et des élèves. La mise en vigueur du Règlement en 1913 eut pour effet de suspendre le financement et de congédier les enseignantes qui insistaient de transmettre leur matière en français. Alors que les écoles du sud-ouest ont fléchi sous la pression de Queen’s Park et de leur évêque Michael Fallon, les écoles d’Ottawa et de l’est ont résisté par des manifestations, des chasses aux inspecteurs, des souscriptions auprès du Québec pour payer les enseignantes, des délégations furent envoyées à Rome et à Londres pour convaincre l’Église et le Conseil privé du bien-fondé du refus, sans compter les nombreuses répliques écrites et orales des Canadiens-français envers leurs coreligionnaires d’origine irlandaise qui voyaient chez eux des «foreign customs» ou un «racial mad party». Les écoles du nord ont aussi résisté à leur manière. À Sudbury, la Commission des écoles séparées a divisé les écoles mixtes, ouvrant des écoles distinctes «pour» les Canadiens-français qui disaient respecter le Règlement et ne sortaient leur anglais que lorsque l’inspecteur leur rendait visite.

On connaît la suite. Après le déploiement d’arguments pédagogiques, économiques, politiques et religieux auprès de l’Église, Queen’s Park et la société civile canadienne-anglaise, mais aussi l’ouverture d’une école pédagogique française (1923) et les gestes visant à convaincre les Ontariens qu’ils pourraient s’en sortir comme des héros du bon-ententisme, l’Ontario français a obtenu gain de cause. En novembre 1927, Toronto suspendait le Règlement, non pas parce qu’il reconnaissait la dualité du Canada ou la légitimité des Canadiens-français sur son sol, mais parce que le Règlement n’avait pas favorisé le bon apprentissage de l’anglais selon les méthodes employées par les nouvelles institutrices formées à l’école pédagogique (qui était toujours entièrement financée par l’Église et l’Université d’Ottawa). La conclusion du Ministre de l’Éducation à la fin du périple était que l’anglais serait enseigné toutes les années de l’instruction primaire dans les écoles «bilingues» et que d’autres matières pourraient être enseignées en français sans que cela nuise à l’apprentissage. «The official language of the province will be properly taught», concluait-il.

Cet épisode rappelle la précarité de l’existence de l’Ontario français, mais aussi les séquelles dont nous ressentons encore les effets. Il est difficile de déterminer combien de jeunes ont été perdus aux mains d’un système scolaire anglicisant. Les écoles primaires «bilingues» ne devinrent françaises qu’en 1963 (ce qui exigeait toujours l’enseignement de l’anglais, mais seulement à partir de la troisième année) et des écoles secondaires publiques françaises ne furent financées qu’à partir de 1969. Certains élèves du secondaire (par exemple, à Sault-Sainte-Marie, Hornepayne et Espanola) attendent toujours un édifice où ils seront autonomes et n’auront pas à subir la discrimination d’une majorité qui ne comprend pas la nécessité ou le sens d’une école indépendante. La grande majorité des Franco-Ontariens «parlent l’anglais de toute façon», estime-t-on, sans prendre en compte qu’ils l’ont acquis par obligation ou par osmose.

Durant les négociations pour un renouveau constitutionnel au début des années 1980, la dualité culturelle semblait seulement faire du chemin au Nouveau-Brunswick où le premier ministre Richard Hatfield reconnut l’égalité du français et de l’anglais et des deux cultures fondatrices du pays. Le Québec optait de plus en plus pour l’unilinguisme, même si les acquis de sa minorité anglophone n’ont jamais été menacés. L’Ontario, pour sa part, cherchait à plaire à son partenaire de la Confédération en faisant des gestes de bonne foi envers sa minorité canadienne-française (la construction de nouvelles écoles, l’obtention des services juridiques, la proclamation de la Loi sur les services en français – LSF), mais le premier ministre de l’époque, Bill Davis, a toujours refusé de reconnaître l’égalité du français par crainte d’un «ressac anglophone» dans sa province. Même Bob Rae avait promis de reconnaître l’égalité du français. Cela dit, il n’a pas posé de gestes concrets pendant son mandat (1990-1995).

Les exemples de ce refus persistent, que ce soit dans le cadre de la lutte pour faire flotter le drapeau franco-ontarien à l’hôtel de ville de Sudbury (2003), lutte pendant laquelle le député provincial Rick Bartolucci avait déclaré candidement que hisser ce drapeau exigerait que ceux de l’Italie et de tous les autres pays flottent à côté de lui (!). Et n’oublions pas le récent conflit à l’hôpital de Cornwall (2012) où des municipalités et des citoyens avaient suspendu leur financement à l’institution en raison de la désignation bilingue de nouveaux postes tel qu’exigé par la LSF. L’idée que l’Ontario français fasse partie d’une des deux nations majeures du Canada ou que sa population constitue une minorité nationale (avec les Québécois, les Acadiens et les autres Francos) au même titre que les peuples indigènes peine toujours à faire du chemin auprès de la population générale. L’Ontario n’est jamais parvenu à reconnaître une autonomie aux Franco-Ontariens (hormis la gestion scolaire obtenue en 1998) ou une égalité par rapport à la majorité anglophone. Les concessions à la minorité que les Orangistes avaient qualifiées de «un-British» continuent d’être vues ainsi par trop de gens. La majorité canadienne a beau adhérer à un bilinguisme symbolique, elle continue de refuser la substance de la dualité et celle des minorités nationales.

Les failles du testing provincial

Au cours des dernières semaines, les élèves de la 3e, de la 6e, de la 9e et de la 10e année ont dû se soumettre à ce qu’on appelle communément le testing provincial. Dans une brochure de l’Office de la qualité et de la responsabilité en éducation (OQRE), on explique que «les tests provinciaux de l’Ontario permettent d’évaluer, de façon objective et fidèle, dans quelle mesure les élèves acquièrent les habiletés en lecture, en écriture et en mathématiques qui sont définies dans le curriculum de l’Ontario». Il est donc bien difficile de s’opposer à un tel projet.

Même si la cause est noble, comprenons bien que les résultats des tests de l’OQRE sont aussi utilisés à des fins de recrutement. Pour l’OQRE «les tests provinciaux de l’Ontario rendent les écoles et les conseils scolaires responsables de la réussite des élèves». Chaque automne, l’OQRE dévoile les performances des écoles et des conseils scolaires en grandes pompes. Les médias font alors leur travail en identifiant publiquement les meilleures et les pires performances. Ces résultats en influencent plus d’un dans le choix d’une école pour leurs enfants. L’OQRE soutient d’ailleurs que les résultats servent d’outil de comparaison entre les conseils scolaires. Les données de l’OQRE peuvent alors être utilisées comme outil de promotion pour attirer davantage d’élèves. Il faut savoir que pour chaque élève inscrit, un conseil scolaire reçoit 10 000$ par année. Il n’y a pas que le casse-croûte du coin qui a compris que voted best burger in town”, ça rapporte. Les conseils scolaires aussi.

Le processus d’évaluation de l’OQRE est impressionnant. Les élèves ont de 3 à 4 jours pour compléter tous les cahiers d’évaluation. Ils passent toute leur journée à y répondre. Dans certaines écoles, pour améliorer les performances, on permet aux élèves de mâcher de la gomme, une pratique généralement interdite, et on leur permet 3 ou 4 récréations au lieu de 2. Nos enfants n’en sont que plus heureux, mais pourquoi n’ont-ils pas droit à de telles conditions pendant toute l’année? L’enseignement ne devrait-il pas se faire dans un environnement favorisant l’apprentissage pendant toute l’année scolaire?

Au cours des dernières années, j’ai pu observer de nombreux élèves, dont mes propres enfants, s’angoisser à l’idée de répondre aux questionnaires de l’OQRE. J’ai vu et entendu des enseignants annoncer à des élèves qu’ils risquaient de redoubler leur année s’ils échouaient le test provincial. Une absurdité! Il est clairement établi par l’OQRE que les résultats de cette évaluation ne sont pas compilés sur le bulletin final de l’élève. J’ai vu des enfants de 6e année apprendre des notions de mathématiques en catastrophe et subir de la pression pour performer à cette question pendant ladite évaluation. Des exemples comme ceux-ci, ça ne s’invente pas.

Précisons qu’il est impératif que le gouvernement et les conseils scolaires, évaluent les connaissances des élèves pour améliorer leur rendement et le système d’éducation.  Le système d’évaluation de l’OQRE a d’ailleurs été réévalué au cours des dernières années et ne se fait plus sur une base aléatoire. Maintenant, tous les élèves sont évalués à 4 reprises pendant leur cheminement scolaire. C’est rassurant. Cependant, la qualité de l’éducation en est-elle vraiment améliorée?

Au cours des 10 dernières années, j’ai enseigné au collège et à l’université où je me suis arrachée les cheveux à enseigner des règles de grammaire de base. Sur la règle de l’accord du participe passé, on m’a trop souvent répondu «J’ai jamais appris ça.» ou encore «C’est quoi la différence entre c’est et s’est madame?».  Ces étudiants qui sont assis dans mes classes ont tous réussi le Test provincial en compétences linguistiques (TPCL), une autre évaluation de l’OQRE. La réussite de ce test est obligatoire pour l’obtention du diplôme d’études secondaires. Un élève qui le réussit confirme qu’il a atteint ou dépassé la norme provinciale en compétences linguistiques. Comment explique-t-on alors que la plupart d’entre eux ne savent pas comment accorder un participe passé? Il faudrait peut-être revoir la norme.

Les intentions du ministère de l’Éducation, de l’OQRE et des conseils scolaires sont nobles, mais il faut se rendre à l’évidence. L’évaluation des connaissances de nos enfants n’est pas la meilleure route à emprunter pour améliorer leurs compétences. Il faut revoir le système à plus grande échelle ainsi que les notions qui sont enseignées et la façon dont elles sont enseignées. Pour atteindre des sommets, il faut évaluer le parcours à partir de la base.


Illustration : Target Practice, Michael Peck

Décidément, il y a bien quelque chose de pourri au royaume du Danemark…

Dimanche, comme souvent, j’ai dû me rendre à l’aéroport de Sudbury et recevoir en plein dans la face la même claque — cette photo d’une ineptie sans borne. Pourquoi un conseil scolaire francophone se sentirait-il obligé de placarder des affiches en anglais un peu partout à travers la ville? Quelle bonne impression, quel beau message pour le francophone qui arriverait pour la première fois à Sudbury par avion!

Pour faire bonne mesure, il faut préciser que le conseil scolaire francophone catholique (déjà un reliquat du passé que l’on aimerait voir disparaître…) a lui aussi défiguré notre belle ville laide avec des affiches en anglais. Est-ce que quelqu’un a déjà vu les conseils scolaires anglophones imprimer des affiches en français? Étant donné le récent abandon de l’enseignement du français avant la 4ème année par le conseil anglophone publique, on peut en douter.

Je sais, les critiques me diront: «oui, mais il faut bien attirer des clients, les conseils reçoivent leur financement en fonction du nombre de clients inscrits!». Mais pourquoi faudrait-il accepter de se plier à cette logique marchande? L’éducation n’est pas une valeur marchande, ni au postsecondaire, et encore moins au secondaire et au primaire. Le droit à l’éducation en français nous est garanti par la Charte. Nous n’avons pas à recruter, en anglais, pour s’en sortir économiquement.

Plus ça va, plus je me dis que finalement, beaucoup d’acteurs au Canada travaillent très fort pour accomplir les recommandations de l’infâme rapport Durham. Certains le font consciemment, d’autres sont simplement trop idiots ou naïfs pour ne pas voir qu’ils marchent dans les combines des premiers et se rendent donc coupables du même crime. Enfin, un petit groupe constitue des collaborateurs zélés de ces assimilationnistes forcenés. Bizarrement, ils tendent à se concentrer dans le domaine de l’éducation.

D’autres critiques plus fervents m’accuseront de racisme. Mon propos n’a rien à voir avec la présence d’anglophones dans nos écoles. Je ne suis pas contre, au contraire je veux bien prendre tous les anglophones francophiles! Cela fait partie de la diversité et si on pouvait, comme à Hearst assimiler quelques anglophones, j’en serais ravie. En revanche, j’ai de très gros problèmes avec la manière dont les écoles gèrent la présence de ces chères têtes blondes anglophones dans nos classes mais ce sera pour une autre fois. Revenons-en à nos moutons. Ce que je trouve aberrant c’est que nos institutions — soit disant garantes de notre «vitalité», ou de notre «survie» pour être plus pessimiste, et en fait de notre lente mort programmée et organisée — s’expriment publiquement en anglais, et qui en plus est pour faire du recrutement! Le monde marche vraiment à l’envers. Sortons nos casseroles ou mettons-nous tout de suite à ne parler qu’en anglais; that’s it, that’s all; la messe est dite; comme dans Hamlet, on crèvera tous!

Un conte de deux cités: impressions de la grève étudiante

J’habite l’arrondissement d’Outremont à Montréal, mais juste. À quelques rues à l’est, c’est le Plateau Mont-Royal. Dans ces rues limitrophes, il y a un grand nombre de familles juives hassidiques. Cela fait plusieurs années que j’habite le quartier et il faut dire que le contact est minimal. On a toujours l’impression, à tort ou à raison, que cette communauté ne s’intéresse pas à «nos» affaires.

Hier soir, j’avais décidé de descendre dans la rue à huit heures pour me joindre à la marche des casseroles du quartier. Depuis l’adoption de la loi spéciale il y a une semaine, ces manifestations «spontanées» se déroulent dans les divers quartiers de Montréal et dans d’autres villes du Québec. Gens de tout âge y sont présents. J’avais assisté brièvement à des marches de casseroles d’autres quartiers, notamment le quartier populaire de Hochelaga et dans le Quartier Latin, mais jamais muni de ma propre casserole.

Il y a presque deux mois, lorsque je vous ai écrit pour faire état de la grève étudiante au Québec, la grève suscitait relativement peu d’intérêt dans le ROC (Rest of Canada). À ce moment-là, Québec refusait toujours de négocier avec les étudiants alors qu’aujourd’hui on parle de négociations entre le gouvernement et les quatre associations étudiantes nationales (la Fédération étudiante collégiale, la Fédération étudiante universitaire, la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante et la Table de concertation étudiante). Une proposition de baisse de la hausse à déjà été faite par le gouvernement. C’est un début.

À ce moment-là, il n’y avait pas encore d’injonctions, de grande manifestation nationale pour la fête de la terre du 22 avril, d’augmentation de la hausse, d’entente bidon ni la démission de la ministre Beauchamp. Il n’y avait pas encore la loi spéciale (l’oie spéciale qui distribue des amandes salées), les manifestations nocturnes, les arrestations de masse qui augmentaient en nombre jusqu’à ce que, selon certains, la bureaucratie policière nécessite quelques soirs de répit avant de recommencer de plus belle. Le 22 mai, il y a eu une autre manifestation nationale contre la loi spéciale qui a réuni jusqu’à 400 000 personnes dans les rues de Montréal. Et bien sûr, il y a deux mois, Anarchopanda n’était qu’un autre prof contre la hausse. Aujourd’hui, le monde entier parle de nous.

Si les manifestations nocturnes demeurent essentiellement étudiantes, les concerts de casseroles rejoignent tous ceux qui sont contre l’atteinte aux droits fondamentaux et ceux qui en ont crissement marre de Charest et de son gouvernement. Et ceux-ci sont de tous les âges.

Je descendais donc dans la rue, armé d’une cuiller en bois et d’une casserole. C’est une expérience tout autre que celles des marches nocturnes. Les manifestations sont plus petites, la présence policière est moindre, donc moins violente. Il y a moins de colère, l’ambiance est plus festive. Pour une première fois, peut-être, les voisins se parlent, se sourient et côtoient. Il n’y a pas de juifs hassidiques dans notre défilé, mais il y en a plusieurs qui nous observent du coin de la rue ou de leur perron. Il y a des hommes qui sourient dans leurs longues barbes en nous voyant, ils doivent trouver ça drôle, étrange. Parfois, je remarque une femme qui tape dans ses mains. Les enfants nous regardent avec émerveillement. Mais il n’y a personne qui se joint à nous.

Après une petite pause concert devant la maison du maire de Montréal, nous poursuivons notre chemin pour enfin rejoindre l’artère principale, l’avenue du Parc. Rendu à l’angle Laurier, je décide de rentrer chez moi plutôt que d’aller jusqu’au centre-ville. Mes jambes me font mal, victimes du déménagement de ma blonde, la veille.

Devant la synagogue à deux pas de chez moi, un groupe d’«adolescents» hassidiques se tient, comme nous nous tenions jadis sur les marches de l’école après la fin des cours. Ils sont quatre ou cinq, ils ont tous l’air d’avoir 15 ou 16 ans. Il fait déjà nuit, le ciel est sombre. Alors que je passe devant eux, j’entends un «Hello».

Je réponds : «Hello».

Je m’apprête à continuer tranquillement mon chemin quand j’en entends un qui m’interpelle.

«Hey, we saw somebody with, under the red square, the black square. What does it mean?»

«It’s for the law»

«So the red is for the students and the black for the law?»

«Yes, against the law that was passed.»

Il explique en Yiddish pour un de ses camarades qui ne doit pas bien comprendre l’anglais.

Ensuite, il dit «We have one too» et il sort un petit carré rouge de la poche de son long manteau noir.

«Thank you» dis-je en souriant, puis «Good night», avant de monter chez moi.

C’est peut-être la plus longue conversation que je n’ai jamais eue avec ces jeunes qui vivent à deux pas de chez moi. Je ne sais pas ce qu’ils pensent vraiment de la grève, du mouvement étudiant. Mais ils sont certainement curieux.

Les choses ont changé au Québec.

Je sais qu’il ne s’agit que d’un fait anecdotique qui n’explique en rien ce qui se passe vraiment au Québec. Mais il est emblématique de l’omniprésence de ce mouvement dans tout ce qui se passe actuellement.

Il y a quelque chose dans l’air qu’il n’y a pas encore dans le ROC.

Alors qu’à l’Assemblée nationale, ceux et celles qui se déclarent la représentation légitime du peuple se préparaient à adopter une loi spéciale draconienne et sûrement anticonstitutionnelle et que dans les rues de Montréal, de Québec, de Sherbrooke et ailleurs, la résistance québécoise se préparait à une énième manifestation, je filais à l’anglaise vers le calme d’une province amorphe où le carré rouge que je portais fidèlement ne provoquait ni la peur aux bourgeois banlieusards ni la fierté aux vieux travailleurs dans les autobus municipaux.

Toronto était calme. Toronto n’était pas concernée par ce qui se passait alors et ce qui se passe toujours à Montréal. Les nouvelles circulaient aussi lentement que les autos des riches de Rosedale en direction de leur petit palais des Muskokas ou des Kawarthas pour fêter la reine du Canada avec une caisse de bière et un coup de soleil. On ne savait donc pas que la politice militarisée matraquait avec encore plus d’impunité. Que les politiciens rétrogrades font l’apologie de la violence sous prétexte que les têtes et les cerveaux d’un jeune ne valent pas la vitrine bien assurée d’une banque qui s’amuse à financer le meurtre par voie de fait minier d’un village entier en Amérique du Sud. Que les dispositions d’une loi matraque sont une machine à remonter dans le temps qui permettent à la ministre Courchesne de défaire et réinterpréter les lois de la province et au premier ministre de se donner des airs de Le Noblet.

Les oiseaux chantaient paisiblement, les gens marchaient dans les rues, désunies, sans scander de slogans. Je me suis permis le privilège d’une fin de semaine paisible alors que les miens étaient sur la place publique à revendiquer en risquant éventuellement de perdre leurs yeux, leurs oreilles ou leur liberté.

Malgré les tentatives d’étaler le beurre d’érable, je me ressentais d’autant plus étranger dans ma ville natale que d’habitude. Toronto avait quelque chose de mort. Il y a quelque chose de vivant dans la résistance, il y a quelque chose de vivifiant dans la revendication. J’espère que le Maple Spread réussit à libérer mon Ontario natal des griffes de Morphée pour qu’il ressente la liberté qui ne vient qu’en la réclamant. Pour le moment, le printemps n’est arrivé qu’au Québec. Mais les saisons ne connaissent pas les frontières.

Je ne sais pas vraiment où je veux en venir, à part vous faire part de quelques impressions. Pour les faits, il faudra aller ailleurs. Je vous laisse avec une chanson de notre chanteur populaire national, Damien Robitaille :


Photo: Steve Duchesne

La langue, la clef du succès?

On commence finalement à parler ouvertement du fait que, côté culture, on encourage fréquemment la médiocrité en Ontario français. Il est vitalement important de rappeler, afin d’assurer la pérennité des arts, que ce n’est pas parce que c’est en français que c’est nécessairement bon. Alors qu’il semble évident que la langue n’a rien à voir avec la qualité d’un produit culturel, cette idée est loin d’être ancrée partout, par exemple auprès des divers organismes de la province qui se résignent encore à promouvoir des artistes par obligation. Il est également le temps d’avoir une discussion sérieuse sur les programmes postsecondaires francophones dans la province, car, à plusieurs égards, on perpétue aussi ce phénomène de médiocrité au niveau de l’éducation.

Disons les choses comme elles le sont. Ceux qui maîtrisent bien le français ont souvent moins de difficulté à progresser dans le cadre universitaire francophone ontarien peu importe s’ils sont réellement aptes à poursuivre des études. Dans plusieurs cas, les étudiants sont récompensés en fonction de leur niveau de langue et non selon leurs réelles capacités. Je comprends maintenant que je n’étais pas la candidate universitaire idéale et, pourtant, j’étais continuellement encouragée à poursuivre mes études.

Parler mieux français

J’ai toujours bien réussi à l’université, mais il faut dire qu’une très grande partie de ce succès était probablement basée sur ma capacité à m’exprimer en français. Malheureusement, cette habileté linguistique se mesurait principalement par un accent audible, qui, en réalité, n’avait aucune incidence sur ma compréhension de la matière enseignée. La preuve, c’est que je n’ai pas beaucoup développé mes habiletés pendant mon baccalauréat. D’ailleurs, j’ai eu énormément de rattrapage à faire en décidant de poursuivre des études supérieures. Non seulement j’avais adopté de mauvaises habitudes de travail, mais, étant donné que je ne m’étais jamais réellement donné la peine de comprendre ce qu’on m’enseignait, j’avais pris un retard considérable du côté théorique.

Il semble que pendant mes premières années d’études, tout ce que j’avais à faire était de polir mon vocabulaire de temps à autre. J’étais capable de m’exprimer clairement, ce qui facilitait du même coup ma capacité à intervenir à l’improviste dans les débats en classe. Bref, mon expérience en tant qu’étudiante en sciences sociales se résumait essentiellement à être capable de bien parler français. Il était facile pour moi de prétendre que j’avais toujours tout compris. Et ce bon français, je l’avais simplement acquis en grandissant dans une ville majoritairement francophone. Je n’étais pas tellement meilleure en grammaire que les autres, seulement, j’avais la facilité avec les mots; j’étais capable de rédiger des textes en utilisant efficacement mon dictionnaire de synonymes.

Bien maîtriser le français ne signifie pas toutefois qu’on a toutes les compétences requises pour bien réussir; la langue n’est qu’une des nombreuses aptitudes qu’il nous faut. J’ai l’impression d’avoir été récompensée de façon phénoménale pour mon niveau de langue pendant mes études. J’ai évidemment eu d’excellents profs, mais je me sentais peu motivée à faire l’effort que méritaient mes études puisque c’était rarement nécessaire. Pourtant, il y avait tellement d’étudiants plus ambitieux et, surtout, beaucoup plus passionnés que moi. Certains débordaient d’idées originales, mais ayant un peu de difficulté à s’exprimer, étaient parfois ignorés par des profs et par des gens comme moi, qui se félicitaient constamment de mieux parler français que les autres. Heureusement, avec les années, mon attitude a changé. J’ai enfin compris que le niveau de langue ne voulait absolument rien dire au sujet de la capacité d’une personne à pouvoir vivre en français. Mais ce constat, ce n’est pas tout le monde qui réussit à le faire. À ce jour, la hiérarchie arbitraire associée aux différents accents francophones demeure une problématique importante à l’échelle de la province opposant directement communautés, écoles et, faut-il le rappeler, élèves.

Je me souviendrai toujours comment les accents régionaux m’apparaissaient initialement étranges lors de mon arrivée dans la grande ville. À l’époque,  je ne connaissais pratiquement rien au sujet de l’Ontario français. Rien de l’histoire, rien des progrès législatifs, et, surtout, absolument rien des arts. J’avais en fait été très isolée dans ma petite ville francophone, où on nous rappelait fréquemment qu’on parlait mieux français qu’ailleurs en province. Mais qu’est-ce que ça signifie, concrètement, parler mieux? Est-ce que ça veut dire un isolationnisme profond? On peut dire que mes années universitaires ont été remplies de belles découvertes où j’ai finalement compris ce que signifiait vivre en situation minoritaire. Et, aujourd’hui, quand j’entends un accent ontarien, je me sens forcément nostalgique.


But I still got away with murder.

Soyons honnête, je sais que je n’ai pas travaillé particulièrement fort pendant mon baccalauréat. Alors que mes collègues œuvraient à terminer leurs travaux des semaines à l’avance, je commençais habituellement les miens la veille et j’étudiais rarement pour mes examens. Ce n’était pas parce que j’étais une élève surdouée avec une mémoire infaillible. Au contraire. J’oubliais ce que lisais au fur et à mesure que je le lisais. Je faisais souvent le strict minimum et je réussissais quand même à obtenir d’excellents résultats. À vrai dire, contrairement à la plupart de mes collègues, j’ai passé mon baccalauréat à faire la fête, à trinquer trois à quatre fois par semaine. Vous me direz que ce comportement est tout à fait normal pour une jeune étudiante habitant seule pour la première fois, mais une personne ayant de si mauvaises habitudes de travail n’aurait pas dû, en temps normal, être capable de continuer à réussir, particulièrement dans un contexte universitaire.

Il y a évidemment eu des exceptions; quelques cours où la matière était extrêmement intéressante et où je prenais plaisir à bien faire le travail demandé. Mais ces cours passionnants, je peux les compter sur une main. Règle générale,  je recevais quand même de bonnes notes pour des travaux qui, honnêtement, étaient affreux. Avec du recul, je peux dire que j’ai rarement mérité les notes que j’ai reçues, car on évaluait rarement, j’ai l’impression, ma compréhension globale. On peut presque dire que les évaluations étaient à l’occasion uniquement basées sur une comparaison des niveaux de langue. Plus il y avait des gens ayant de la difficulté en français, plus j’avais la chance d’obtenir une bonne note.  Combien de fois la fameuse bell curve m’a-t-elle aidée à obtenir de meilleurs résultats parce que trop d’étudiants avaient échoué? Probablement plus d’une vingtaine.

Pour en finir avec la médiocrité

À l’école, mes collègues me considéraient comme une étudiante modèle, qui réussissait bien et qui était aussi bonne en français. Sans le vouloir, je faisais partie d’une certaine élite. Cependant, à part assister régulièrement aux cours, je ne faisais rien de plus que les autres; même que j’en faisais moins. Se classer parmi les meilleurs de classe ne veut rien dire quand on a l’impression d’être continuellement en train de tricher le système. Autrefois, il me semble que l’élite franco-ontarienne était composée de gens qui, en plus d’avoir fréquenté l’université, œuvraient dans les professions libérales et s’impliquaient grandement dans la vie communautaire. Faut-il croire que cette élite a été remplacée?  J’ose espérer que non; parce que moi, je ne me sentirai jamais comme si j’en fais partie, du moins, pas avant d’avoir accompli quelque chose de concret.

Quand je repense à ces premières années universitaires, je regrette de ne pas m’être intéressée davantage à mes collègues, ceux qui, malgré leurs difficultés linguistiques, étaient clairement passionnés par la langue et la culture francophone. Quel courage de choisir, par exemple, de faire un baccalauréat entièrement en français lorsque notre famille est unilingue anglophone! Il faudrait féliciter davantage ces gens, car l’expertise, les connaissances et les habiletés ne devraient pas être uniquement mesurées selon le niveau du français. Il faut du temps pour apprendre et perfectionner une langue et c’est quelque chose qui se fait progressivement.

Je ne nie évidemment pas que la maîtrise de la langue demeure un outil important pour la réussite, mais, quelque part, il faut aussi rehausser les standards académiques en Ontario français. Il faut notamment cesser de mettre sur un piédestal ceux qui se débrouillent bien en français et arrêter de leur faire croire qu’ils sont naturellement bons à l’école.  Il faut créer un environnement favorisant l’apprentissage pour tous. S’il faut continuer à fournir des instruments permettant aux étudiants d’améliorer leur français à l’université, il faut aussi cesser de forcer ceux qui maîtrisent déjà les bases de la langue à suivre des cours de rattrapage, afin qu’ils puissent, eux aussi, continuer à se perfectionner. L’université ne devrait pas être facile.

J’ai fini par trouver un prof qui, heureusement, a vu à travers ma bullshit et m’a encouragée à me surpasser. Mais je me dis que j’ai eu de la chance. Plusieurs personnes continueront à croire que leur niveau de langue fait automatiquement d’eux de meilleurs candidats. Être bon en français ne fait pas obligatoirement de nous de grands académiques capables de participer adéquatement aux débats scientifiques. N’empêche que quelqu’un comme moi, n’aurait pas dû, à la fin, avoir accès si facilement aux études supérieures, la suite logique, pour quelqu’un qui avait tellement bien réussi.

Les «réseaux parallèles» remis en cause

Cet article est paru le vendredi 6 avril 2012 dans le journal Le Droit. Le voici en intégrale tel qu’il est paru dans la version imprimée du journal.


Les «réseaux parallèles» remis en cause

«Le 26 juin 2030 n’était pas que la dernière journée de l’année scolaire; c’était la dernière journée d’existence des conseils scolaires francophones de l’Ontario. À partir de septembre prochain, l’éducation des Franco-Ontariens relèvera d’un nouveau réseau de commissions scolaires.»

C’est dans ce cadre futuriste que les blogueurs du webzine TaGueule.ca remettent en question l’existence de ces «deux réseaux de conseils parallèles, un catholique et un public, qui remplissent exactement le même mandat et qui ne font que diviser les francophones au lieu de les rassembler», affirme Félix Hallée-Théoret, un des éditeurs du billet paru dimanche.

L’équipe de TaGueule.ca cherchait depuis un bout de temps à lancer un débat sur la pertinence d’avoir deux réseaux d’écoles francophones «qui se battent pour recruter les mêmes élèves», déplore M. Hallée-Théoret.

La semaine dernière, le dépôt de l’ébauche budgétaire 2012 à Queen’s Park a donné au webzine les munitions nécessaires. Le gouvernement libéral de Dalton McGuinty ouvre toute grande la porte à la fusion de conseils scolaires, dans les régions où les effectifs sont en baisse. Les lois constitutionnelles de la province empêchent toutefois les fusions entre conseils catholiques et publics.

«Nos conseils francophones sont très grands, surtout dans le Nord. La distance est déjà un problème. Je ne vois franchement pas comment on pourrait faire des conseils plus grands. Tant qu’à vouloir fusionner des conseils pour économiser, pourquoi ne pas fusionner des conseils catholiques et publics ensemble», plaide M. Hallée-Théoret, joint par LeDroit à Sudbury.

Un sujet tabou

Le hic, c’est que depuis que l’ancien chef progressiste-conservateur John Tory s’est cassé les dents sur une question de financement des écoles confessionnelles, en 2007, très peu de politiciens à Queen’s Park osent aborder le sujet. Il n’y a que le Parti vert de l’Ontario qui parle ouvertement de l’abolition des conseils catholiques.

«Ce serait logique et financièrement plus responsable d’avoir un seul réseau de conseils scolaires anglophones, et un seul réseau francophone. Le système actuel est injuste à l’endroit des autres religions. Notre pays a deux langues officielles mais pas deux religions officielles», affirme au Droit le chef vert Mike Schreiner. Une fusion des conseils catholiques et publics se traduirait par une «meilleure qualité de l’enseignement», ajoute-t-il.

Ce n’est pas du tout l’avis de Carole Drouin, la directrice générale de l’Association franco-ontarienne des conseils scolaires catholiques. «Nous assisterions à une diminution de la qualité de l’enseignement. Le système catholique est le plus performant dans la province. Le gouvernement devrait regarder ailleurs pour trouver des économies», rétorque-t-elle.

«Ce n’est pas une attaque contre les catholiques», précise pour sa part M. Hallée-Théoret. L’enseignement religieux aurait toujours sa place dans les écoles, selon lui, même au sein d’un système exclusivement public.

Un chevauchement unique

L’Ontario est la seule province canadienne où se chevauchent deux réseaux scolaires francophones, et deux réseaux anglophones. Le Québec est passé d’un système d’éducation confessionnel à linguistique en 1998. Il lui a suffi d’amender ses lois constitutionnelles, à la suite d’une entente bilatérale avec Ottawa.

«Ce n’est plus vrai que les francophones de l’Ontario sont nécessairement tous catholiques, comme en 1867. Le fait d’avoir deux réseaux crée des divisions entre les Franco-Ontariens de souche et les nouveaux arrivants d’autres religions au lieu de créer une meilleure intégration», affirme au Droit le politologue Alexandre Brassard, directeur de recherche au collège Glendon de l’Université York, à Toronto.

L’Ontario montré du doigt par les Nations unies

Pas une, mais deux. C’est le nombre de fois que l’Ontario s’est fait taper sur les doigts par l’Organisation des Nations unies (ONU) parce que son système d’éducation viole le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Utiliser des derniers publics pour financer un réseau d’écoles confessionnelles va à l’encontre de l’accord ratifié par 160 pays, dont le Canada. «C’est en effet discriminatoire qu’un gouvernement favorise une seule religion au détriment des autres», commente le politologue Alexandre Brassard, du collège Glendon de l’Université York.

Le poids de l’ONU n’a toutefois rien de comparable à celui du lobby catholique à Queen’s Park, selon M. Brassard. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la question des écoles confessionnelles demeure un tabou, dit-il au Droit.

La directrice générale de l’Association franco-ontarienne des conseils scolaires catholiques, Carole Drouin, croit pour sa part que toute fusion administrative entrainerait de lourdes conséquences pour l’éducation de langue française. Elle note que les huit conseils catholiques et les quatre conseils publics francophones sont encore jeunes et «n’ont pas fini de s’établir». Les Franco-Ontariens ont obtenu la pleine gestion de leurs écoles en 1998, après des décennies de lutte.

Félix Hallée-Théoret, du webzine TaGueule.ca, affirme au contraire que les francophones pourraient être «des catalyseurs de changement» dans la province. «Le fruit est assez mûr pour qu’on en parle».


Photo: Archives, Le Droit

Pour un système scolaire sans ségrégation religieuse

En septembre 2011, je publiais ce billet sur mon blogue alors que l’Ontario était à la veille d’élire un gouvernement minoritaire libéral. Ce gouvernement vient de livrer son premier budget, lequel touche certains intérêts des Franco-Ontariens. Puisque le budget Duncan mènera à des fusions géographiques de conseils scolaires, ma réflexion sur les politiques scolaires de la province prend une pertinence nouvelle.


Pour une rentrée scolaire sans ségrégation religieuse

Si vous avez des enfants, inutile de vous rappeler que la rentrée scolaire est arrivée. Vous avez déjà englouti des sommes folles pour les fournitures scolaires et les vêtements de vos petits anges. Vous avez probablement rencontré plusieurs enseignants et réglé les nombreux détails de l’inscription.

Une tracasserie supplémentaire se présente si vous habitez l’Ontario. Votre progéniture fréquentera-t-elle une école du réseau 1) francophone publique, 2) francophone catholique, 3) anglophone publique ou 4) anglophone catholique?

Ne riez pas. Les contribuables ontariens financent bel et bien quatre systèmes scolaires distincts. Vous pouvez l’imaginer, ce morcellement pose de sérieux problèmes de gestion. Les chevauchements de ces multiples réseaux coûteraient près de 500 million de dollars par année.

Cela provoque des situations absurdes. Lorsque le nombre d’enfants décline dans une petite communauté, cela cause souvent une sous-occupation à la fois dans l’école publique et dans l’école catholique. Au lieu de regrouper tous les élèves dans une seule école commune, les conseils scolaires se voient alors forcés de fermer toutes les écoles locales. Ce sont les enfants qui en subissent les conséquences. Ils sont séparés de leurs amis de quartier et se voient imposer de longs trajets quotidiens en autobus.

Une atteinte à l’égalité et à la liberté de conscience

Je ne plaiderai pas pour un système unique. L’éducation de langue française est essentielle pour la survie de la minorité francophone. C’est un élément central du pacte fondateur canadien et le résultat de la longue lutte historique des Franco-Ontariens. En revanche, la ségrégation religieuse n’est pas indispensable. Il y a d’autres endroits que l’école pour apprendre les dix commandements. La grande majorité des parents dans la grande majorité des pays occidentaux transmettent leur foi en privé.

En fait, il y a d’importants principes qui militent pour la déconfessionalisation des écoles ontariennes. Pourquoi financer les Catholiques mais exclure les Musulmans, les Juifs ou les Protestants? La pratique est foncièrement discriminatoire. Elle attaque aussi la liberté de conscience de sept millions de non-catholiques en les forçant à subventionner les enseignements du Vatican, tout en leur empêchant d’être embauché dans ce même réseau scolaire.

La Commission des droits de l’homme de l’ONU a dénoncé cette iniquité à deux reprises, en statuant que le système scolaire ontarien viole le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Nous nous retrouvons ainsi dans le même club que la Corée du Nord, le Soudan et la Chine.

Quand les évêques s’en mêlent

Ce qui aggrave les choses, c’est que les réseaux catholiques abusent fréquemment de leurs privilèges. Ils forcent leurs enseignants à se référer à la Bible et au Catéchisme dans les cours de chimie et de biologie et ils empêchent leurs pupilles de s’exprimer librement sur la question de l’avortement.

Le plus décevant, c’est peut-être l’insensibilité des écoles catholiques à l’égard de leurs élèves gais et lesbiens. On se rappellera que le Conseil de Durham s’est battu bec et ongle pour interdire à l’un de ses étudiants d’assister au bal de fin d’étude en compagnie de son amoureux. Plus récemment, le Conseil scolaire de Halton et l’école St. Joseph de Mississauga interdisaient aux élèves gais et lesbiens de former des groupes de support. Le Conseil de Dufferin-Peele a poussé le ridicule jusqu’à censurer les images d’arc-en-ciel, jugées «trop politiques».

Pis encore, le Toronto District Catholic Board vient d’adopter une résolution qui défie l’esprit de la directive d’équité et d’inclusion du Ministère de l’éducation en stipulant que «lorsqu’il y a un conflit apparent entre les droits confessionnels et d’autres droits, le conseil favorisera la protection des droits confessionnels». C’est ainsi que des dispositions adoptées en 1867 pour protéger une minorité sont perverties pour harceler une autre minorité.

Neutralité de l’État et intégration citoyenne

Je ne veux quand même pas pointer les Catholiques du doigt. Toutes les religions ont leurs caprices. C’est le principe même d’une école à la fois publique et religieuse qui est aberrant.

L’État ne peut sanctionner un crédo particulier. Il doit surplomber les innombrables visions rivales de la vie bonne. Pour que chacun puisse vivre selon ses convictions particulières, l’État ne peut promouvoir que les grands principes nécessaires au vivre-ensemble, à la démocratie et à la liberté.  L’éducation publique ne saurait servir à l’endoctrinement sectaire.

Le système actuel nuit aussi à l’intégration des nouveaux Canadiens. La province qui accueille le plus d’immigrants est aussi celle qui sépare ses enfants le plus gravement, en multipliant les ghettos scolaires. En quoi cette ségrégation religieuse contribue-t-elle à la formation d’une citoyenneté commune?  Insensée pour la majorité anglophone, cette mesure est suicidaire pour la minorité francophone. Les Franco-Ontariens ne peuvent se permettre de diluer leurs ressources et d’éparpiller leurs enfants.

L’immobilisme des partis politiques

La saine administration, les droits de la personne, le respect des minorités et l’intégration des immigrants sont autant de bonnes raisons de mettre fin à la ségrégation religieuse. Sondage après sondage, les Ontariens confirment leur appui à cette solution. Pourtant, la question reste taboue. À quelques jours de la campagne électorale provinciale, les chefs évitent le sujet comme la peste. Scrutez les plateformes politiques à la loupe: aucun n’y fait allusion.

L’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 protège le réseau catholique, c’est bien vrai, mais rien n’empêche l’Ontario de procéder à un amendement bilatéral avec Ottawa. La procédure est légitime, simple, et a été utilisée par le Québec et par Terre-Neuve-et-Labrador. Non, les obstacles ne sont pas légaux, mais politiques. En Ontario, la question des écoles séparées a été explosive en 1985 et en 2007 et les trois grands partis favorisent maintenant le statu quo.

Le Parti Conservateur est l’allié traditionnel des groupes religieux et il ne peut heurter cette base électorale en défendant la laïcité. John Tory croyait avoir trouvé une solution équitable lors des dernières élections, en promettant de financer les écoles de toutes les religions. La proposition a provoqué un tollé qui a largement contribué à sa défaite électorale. Son successeur, Tim Hudak, a bien appris la leçon et évite scrupuleusement le sujet.

Depuis le règne de Mitchell Hepburn, les Libéraux bénéficient habituellement du vote catholique. Ils appuient donc le système actuel. L’administration McGuinty a élaboré une excellente politique d’équité et d’inclusion dans les écoles mais n’a pas osé l’imposer aux écoles récalcitrantes. Quand à Andrea Horwath, elle se montre tout aussi réticente, peut-être à cause de l’influence des syndicats d’enseignants catholiques au sein du NPD.

La ségrégation religieuse de nos enfants est onéreuse, rétrograde et inéquitable. Il est grand temps de déconfessionaliser les écoles anglophones et francophones de l’Ontario. Les politiciens tenteront à tout prix d’éviter le sujet. À nous de les interpeller pendant cette campagne électorale.


Photo : Les élèves de la classe de sixième année à l’École Duhamel (Ottawa) vers 1940.

La fusion des conseils scolaires devient finalement réalité

Grand Sudbury – Les élèves de la région de Sudbury avaient beaucoup à célébrer hier.

Le 26 juin 2030 n’était pas que la dernière journée de l’année scolaire; c’était la dernière journée d’existence des conseils scolaires francophones de l’Ontario. À partir de septembre prochain, l’éducation des Franco-Ontariens relèvera d’un nouveau réseau de commissions scolaires. Cette union surprenante entre les conseils scolaires catholique et publique existants est le résultat d’une grève générale en 2027 de tous les élèves, parents, professeurs, et personnel de soutien des écoles de la région qui réclamaient une réforme de l’éducation franco-ontarienne.

Cette unification, qui semblait impossible il y a seulement quatre ans, est maintenant un fait, et les chantiers de construction s’activent dans tous les coins de la ville. Des modifications seront apportées à 10 écoles primaires de la région du Grand Sudbury, afin d’accommoder environ le double du nombre d’élèves par école. Tous les postes d’enseignants seront maintenus, et la nouvelle commission s’est également engagé à créer 20 nouveaux postes par an pour les 5 prochaines années afin d’accommoder cet influx d’élèves. Le nombre d’écoles primaires francophones de la région passera de 26 à 10, sans toutefois changer le nombre d’élèves par classe.

Pour les écoles secondaires, c’est une réduction plus importante; deux seules écoles desserviront la région du Grand Sudbury, soit une au centre-ville de Sudbury et l’autre à Blezard Valley qui desservira la Vallée.

Premières pelletées de terre aux É.s. Robert-Dickson et É.s. J.-G.-Chuck-Labelle

La nouvelle école secondaire à multiple pavillons dans le Moulin à Fleur portera le nom du poète Robert Dickson. L’ancien Collège Notre-Dame servira de pavillon des sciences et des mathématiques. Le pavillon Sacré-Coeur sera rénové (la dernière fois, c’était lors de la fondation de l’École secondaire du Sacré-Coeur en 2003) et on en triplera la capacité. L’École secondaire Macdonald-Cartier, autre lieu imaginé de la nouvelle école, sera rénovée et deviendra une tour de bureau abritant la nouvelle commission scolaire et aura également un théâtre à l’étage principal.

La nouvelle école à Blezard Valley portera le nom de Jean Guy «Chuck» Labelle, musicien d’Azilda et récipiendaire de l’Oscar pour la meilleure chanson dans le dernier film de la réalisatrice Suri Cruise. Labelle est décédé l’an dernier lors d’un tragique accident de tondeuse à gazon.

Selon un porte-parole au nom da la nouvelle commission scolaire, cette densité d’étudiants permettra de faire baisser les taux d’assimilation.

«Ça va vraiment faire baisser les taux d’assimilation. On est toute ben ben content.»

– Marie-Noëlle Dubé-Rivard-Deschampain-Turcotte

Le Ministre de l’Éducation a aussi confirmé plus tôt cette semaine l’intégration des écoles d’immersion dans le système francophone tel que demandé par les grévistes. Cette intégration facilitera le transfert d’élèves maitrisant mal le français vers le système d’immersion . Le même principe s’appliquera également dans l’autre direction, et le système d’immersion servira à intégrer les francophiles dans la communauté francophone.

La nouvelle commission scolaire, toujours sans nom, a jusqu’en septembre 2032 pour compléter le processus d’amalgamation des écoles publiques et catholiques entamé en 2028.

Ce phénomène, qu’on appelle maintenant le printemps franco-ontarien, était caractérisé par une série de grèves et de pressions de la part des francophones qui demandaient des reformes sur la place des francophones dans la société ontarienne. Le gouvernement a cédé lorsqu’un mouvement anglophone parallèle s’est joint aux pressions des francophones pour une réforme en éducation. Ce qui semblait ridicule il y a seulement 4 ans, devient aujourd’hui une réalité.


Photo: Des éleves d’écoles élémentaires célèbrent leure victoire hier dans le stationnement du Home Dépot.

Naissance de l’université de Sudbury : une minorité remise à sa petite place

Le 5 septembre 1997. L’Université de Sudbury profitait de la rentrée universitaire pour souligner le 40e anniversaire de sa fondation. CBON diffusait ce matin-là une émission en direct du salon Canisius. J’y ai lu ce billet en ondes et devant public. 


Il y a ceux qui font l’histoire et ceux qui la subissent ; il y a ceux qui l’écrivent et ceux la lisent. Dernièrement, j’ai lu l’histoire des débuts de l’université de Sudbury et j’ai bien vu qui l’a subie. Le bel édifice où nous sommes ce matin m’a l’air maintenant d’un monument à la mémoire de notre impuissance politique de minoritaires. Car entre l’université dont on a rêvé et celle qu’on a eue, il y a quarante ans, il y a de grosses différences.

L’histoire raconte que dans les années cinquante, les jésuites se préparaient à ouvrir à Sudbury une université catholique et française. Celle-ci devait venir agrandir l’œuvre traditionnelle du collège classique du Sacré-Cœur, en place depuis 1913. Or, des comités d’autres églises protestantes et d’autres villes nord-ontariennes, qui étaient loin d’avoir un passé éducationnel aussi solide, ont réclamé l’égalité. Voilà tout ce qu’il fallait pour brouiller l’eau politique et noyer le poisson.

Cependant, les francophones avaient encore dans leur jeu une très bonne carte. En fait, c’était une bonne charte, celle du collège du Sacré-Cœur. Dans cette charte, il y avait une clause qui lui donnait le droit de créer au besoin une université. L’histoire raconte qu’un jour, en 1955, une délégation de Sudbury – le père Alphonse Raymond, Gaston Vincent et d’autres – sont allés à Toronto mettre leur charte sous le nez du ministre de l’Éducation.

Voilà donc l’action qui explique qu’en 1957, et pour trois ans, l’université de Sudbury a existé indépendamment de toute autre institution… et malheureusement, de toute subvention. C’est là que le gouvernement tenait la bonne carte ! Pour emporter la main, il a fait jouer sa fameuse balance politique, qui n’est pas toujours celle de la justice. Dans un plateau, on a mis les cinquante années d’expérience du collège du Sacré-Cœur, l’existence de l’université de Sudbury comme un fait accompli et les centaines de milliers de dollars de dons déjà faits pour une université française. Dans l’autre plateau, on a mis les autres groupes sans pareille préparation, qui ont pourtant pesé tout aussi lourd. Toronto a ainsi eu la partie facile : Non, on ne donnera pas de subvention à une université catholique, car il faudrait alors en donner aux autres. Et avant qu’on puisse revenir lui parler d’une université française laïque, le gouvernement a balancé sous le nez de tout le monde un gros chèque à l’ordre de tous ceux qui voudraient s’unir.

Tout d’un coup, une page de l’histoire a vite tourné. De nouveaux négociateurs jésuites, aux noms Belcourt et Bouvier, se sont fermement convertis. Ils ont soutenu que la plupart des Canadiens-Français voulaient en fait la cohabitation bilingue, que ceux qui avaient tant oeuvré pour une université sous gouverne française avaient mal visé, que l’université de Sudbury devait se fondre docilement dans l’université Laurentienne bilingue.

La suite est bien connue. Les anglophones ont mis la loi du nombre de leur bord. Les programmes français ont piétiné, les programmes anglais se sont multipliés. Dans l’université qu’ils avaient créée, les Canadiens-Français ont été avalés. Voilà donc l’histoire d’une minorité ambitieuse remise à sa petite place. Mais dans cette histoire d’échec politique, un passage détonne : celui où par la force d’un vieux document légal, on a eu, pour un moment, une université française.

Quarante ans plus tard, la gestion de l’éducation française entre français est un droit acquis en Ontario. Nos écoles secondaires sont françaises, nos conseils scolaires sont français. Au postsecondaire, nos collèges comme le Boréal sont français. Seules nos universités restent bilingues, comme des fossiles vivants. Dans ce contexte, l’université de Sudbury pourrait-elle poser de nouveau son grand geste d’hier ? Dans ses tiroirs, nous dit l’histoire, elle a une deuxième charte qui n’a jamais servi. C’est la charte d’un certain collège Lalemant qui n’a jamais existé. Cette charte pourrait-elle servir à accélérer l’histoire ? Pourrait-elle servir à fonder l’université de l’Ontario français ? Et si une charte n’est pas le bon moyen, comme en 1955, l’Université de Sudbury pourrait-elle prendre le leadership autrement ? Voilà de bonnes questions posées au mauvais endroit. Car il y a 40 ans, on a déjà enterré un rêve d’université française, ici même, sous les pierres de l’université de Sudbury. Son fantôme ne semble pas hanter les lieux.

Les historiens disent que l’histoire a tendance à se répéter, surtout quand on l’a oubliée. Aujourd’hui, je vous l’ai rappelée.


Ce texte fut publié dans le recueil de nouvelles De face et de billet, par Normand Renaud, aux éditions Prise de parole, 2002. Reproduit avec permission.