Écoles catholiques, écoles publiques : une histoire de compromis bâtards (I)

En 2009, après le déménagement de ma famille dans le Nouvel-Ontario, je constatais finalement de visu, avec un certain amusement, ce que j’ai appris dans mes bouquins d’histoire : il y a effectivement quatre réseaux scolaires distincts dans toutes les régions de l’Ontario – anglais public, anglais «séparé» (c’est-à-dire confessionnel, catholique la très grande majorité du temps), français catholique et français public.

Bien que je connaisse les événements qui ont mené à cette configuration institutionnelle, la situation me semblait ahurissante. D’abord, parce que c’est inusité. Au Canada, seules deux autres provinces ont une telle quadruple structure, la Saskatchewan et l’Alberta (et encore, c’est moins poussé là-bas). Les autres pays occidentaux, pour leur part, ne mettent généralement pas les écoles confessionnelles sur le même pied que les écoles publiques et financent rarement l’éducation en langue minoritaire dans la même mesure. Ensuite, parce que c’est plutôt lourd, administrativement parlant. Dans le monde moderne, de tels dédoublements ne sont pas pris à la légère. Nous vivons, après tout, dans des sociétés qui cultivent un culte de l’efficience. Réserver des institutions publiques distinctes à différents ensembles de citoyens, ce n’est pas un réflexe spontané de nos bureaucraties.

Est-ce à dire que c’est forcément un mal? Certainement pas. On peut argumenter qu’il s’agit d’un exemple à suivre, d’un trop rare cas dans lequel la «machine» technocratique de l’État – normalement froide, impersonnelle et sans couleur – se plie à la réalité chaude et humaine de la population qu’elle doit, après tout, desservir.

Est-ce pour autant nécessairement un bien? Non plus. Même dans les cas où chacun des systèmes distincts (et par extension tous les individus qui y participent) est traité équitablement (contrairement aux systèmes de ségrégation raciale qu’on a pu trouver jusque dans le passé récent aux États-Unis ou en Afrique du Sud, par exemple), l’on pourrait avancer que de telles distinctions peuvent être néfastes, que dans certains cas, l’existence de structures distinctes peut ne représenter rien de plus qu’un produit de l’inertie. Les institutions, après tout, tendent à vouloir survivre. Si leur raison d’être initiale vient à disparaître, la survie peut devenir une mission en soi et pour soi, même inavouée. Au lieu de refléter des différences culturelles réelles que l’on a jugées bon de protéger, de telles structures peuvent devenir, en soi, des génératrices de divisions identitaires au sein de la population.

Dans quelle catégorie tombe chacun des quatre systèmes scolaires de l’Ontario? S’agit-il de réponses adaptées de l’État à des différences culturelles bien réelles, largement valorisées, et s’inscrivant dans un projet de société actuel? Ou plutôt de vestiges d’un consensus social du passé? La question est candide. Peut-être certains la trouveront-ils tendancieuse. Et pourtant, je l’ai exprimée dans des termes tout à fait neutres et « décontextualisés ». Si elle dérange malgré tout, serait-ce parce qu’elle touche à un nerf? Mais n’allons pas trop vite. Commençons par explorer les origines des écoles séparées en Ontario.

Le compromis bâtard No 1 – La constitution de 1867 et les «peuples fondateurs»

1864-1866. Trente-trois hommes blancs qui deviendront les «Pères de la Confédération» négocient ardemment les bases de la première constitution du pays, d’abord à Charlottetown, puis à Québec, et finalement à Londres. Parmi eux, on retrouve quatre Canadiens français, tous du Canada-Est, territoire qui deviendra bientôt la province du Québec. Malgré les nombreuses fêtes et les bals – ou peut-être grâce à eux – le travail est essentiellement achevé dès la fin de la seconde conférence. Ne reste qu’à régler quelques questions et à attendre que la métropole daigne confirmer le tout par un projet de loi à Westminster. Ce sera fait trois ans plus tard : l’Acte de l’Amérique du Nord britannique crée le «Dominion» du Canada.

Les Canadiens français ont longtemps voulu croire, à la suite d’Henri Bourassa (1868-1952), que ce moment fondateur du pays représentait un «pacte» entre deux «peuples fondateurs», le britannique et le canadien-français. Il s’agit d’une interprétation simpliste, qui néglige plusieurs autres facteurs ayant mené à cet exercice de construction étatique. (Des questions économiques, financières, militaires et géopolitiques ont aussi pesé lourdement). La «théorie du pacte» contient néanmoins une parcelle de vérité : il est vrai que l’aménagement des intérêts perçus des deux groupes ethnoculturels a joué un certain rôle dans l’élaboration de la constitution. Toutefois, si l’on veut être lucide, si on s’éloigne quelques instants de l’idée d’exploiter cette idée-force pour des fins de revendication politique, il faut avouer que si compromis il y eut, c’était un compromis bâtard. (Bancal, si vous préférez.)

Pour les Canadiens français, que trouvait-on dans cette constitution? Sans entrer dans les détails, cela se résume à ceci : un gouvernement fédéré distinct pour la majorité francophone et catholique de la nouvelle province du Québec (avec tout ce qui s’ensuit : une assemblée et des pouvoirs législatifs, un régime de droit civil distinct, etc.) et le bilinguisme parlementaire et judiciaire au niveau fédéral (bilinguisme ne s’appliquant pas à l’administration publique). C’est tout. That’s it, that’s all. Remarquez, après un quart de siècle sans province qui leur soit propre, ceci semblait n’être pas si mal pour une petite majorité de Canadiens français. Le Québec était né!

Aujourd’hui, on peut concéder le fait que, considérant qu’ils n’étaient que quatre, les «Pères» canadiens-français on fait du beau travail. De là à dire que l’arrangement constitutionnel au complet soit un pacte entre deux «peuples fondateurs», il y a un gouffre. Le Canada de 1867 était un pays britannique à demi-décolonisé, qui a concédé aux Canadiens français une province dans laquelle ils seraient majoritaires. Un carré de sable dans lequel jouer sans déranger les autres.

Cette interprétation n’est-elle pas mesquine? Sûrement qu’on a pensé aux minorités ethnoculturelles au sein des provinces? Vous faites bien de le souligner. On y a pensé, en effet. Encore une fois, de manière bancale (bâtarde, si vous préférez). Plus bancale encore que les dispositions générales de la constitution. Pour les protestants du Québec (qui, comme par hasard, étaient en énorme majorité des anglophones), on prévoit clairement et spécifiquement des écoles distinctes. On leur réserve aussi des sièges sénatoriaux fédéraux (tirés du total des sièges du Québec). On s’assure que la législature et les tribunaux de Québec soient officiellement bilingues. Finalement, par mesure de précaution, on donne une chambre haute au Québec – un sénat – pour s’assurer que la majorité démocratique (qui, comme par hasard, est francophone) n’utilise pas la chambre basse pour brimer les droits des minorités.

Pour une raison ou une autre, la vaste majorité de ces dispositions ne sont pas considérées comme nécessaires ailleurs. Pour les catholiques des autres provinces (majoritairement irlandais en Ontario à l’époque, en légère majorité des Acadiens dans les Maritimes), pas de sièges sénatoriaux fédéraux, pas de bilinguisme législatif ou judiciaire et pas de sénat provincial. Seulement, vaguement, on affirme dans l’article 93 que les «privilèges» conférées légalement aux écoles séparées par des provinces avant 1867 gagnent un statut constitutionnel, et devront donc être respectés. Or, dans les faits, cette dernière disposition touche seulement l’Ontario, la province ayant le plus bas taux de francophones à l’époque.

Les Acadiens sont donc largués. On a beau lire la constitution de long en large, on ne trouvera aucune disposition s’appliquant à eux. À peine une référence à leur existence. En Nouvelle-Écosse, le gouvernement avait créé un unique système public d’éducation avant même la Confédération (1864). Le Nouveau-Brunswick (1871) et l’Île-du-Prince-Édouard (1877) suivront de près. On mesure rapidement la faiblesse de l’article 93, puisque rien, dans la crise qui en résulte, ne saura faire reculer ces gouvernements provinciaux. Les Canadiens français de l’Ontario et leurs coreligionnaires, bien qu’outrés, poussent un soupir de soulagement. Ils ont quelque chose à quoi s’accrocher : leurs écoles catholiques sont clairement protégées par l’AANB.

Voilà donc l’origine des réseaux scolaires confessionnels que l’on retrouve en Ontario. Ils représentent, en fin de compte, une pâle imitation des faveurs concédées à la minorité protestante du Québec.

(à suivre)

Pour en savoir plus

Bellavance, Marcel. « La Confédération et ses opposants ». Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, n° 41, (1995), p. 32-36.

Gervais, Gaétan. « L’Ontario français (1821-1910) »,  dans Cornelius Jaenen, (dir.), Les Franco-Ontariens. Ottawa, Historical Studies Series/Presses de l’Université d’Ottawa, 1993, p. 49-64.

Martel, Marcel et Martin Pâquet. Langue et politique au Canada et au Québec : Une synthèse historique. Montréal, Boréal, 2010.

Migneault, Gaétan. Les Acadiens du Nouveau-Brunswick et la Confédération. Lévis, Les Éditions de la Francophonie, 2009.

Paquin, Stéphane. 2006. « Confédération : Pour en finir avec la théorie du pacte », dans Michel Venne (dir.) L’Annuaire du Québec 2007. Montréal, Fides, pp.194-199.

Paquin, Stéphane. L’invention d’un mythe. Le pacte entre deux peuples fondateurs. Montréal, VLB éditeur, 1999, 171 p.

Silver, A. I. The French-Canadian Ides of Confederation, 1864-1900. University of Toronto Press, 1997.


Image: Un tableau dépeignant les négociations qui menèrent à l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867

C’est de ma faute, et je l’admets.

Je viens d’une famille en fissure. Non, mon enfance n’était pas remplie de pauvreté ou de violence, bien au contraire: j’étais sain et sauf, et on avait de l’argent. Je me souviens que j’étais très heureux et que la vie était bonne. La fissure dont je parle ne pouvait pas être vue à l’oeil nu et elle n’était pas immédiatement évidente. Elle n’était pas physique ou psychologique, mais culturelle. D’un côté, j’avais ma mère et sa famille qui sont francophones. J’imagine que c’était sa décision de m’apprendre le français. De l’autre côté, la famille de mon père est italienne. Il ne parle aucun français, mais il pensait lui aussi que c’était une bonne idée pour mon frère et moi d’être bilingues.

En réalité, je parlais le français bien avant que je puisse parler l’anglais. Mes premiers mots ont été en français et les premiers beaux souvenirs de ma vie furent passés au chalet de mon grand-père sur la Rivière des Français avec ma famille et mes cousins qui se parlaient tous en français. À cet age-là, je ne me suis jamais senti bizarre à parler français avec ma famille. C’était la réalité. C’était nous.

À la maison, je parlais en français avec ma mère et mes grand-parents, mais quand mon père était présent, on parlait l’anglais pour qu’il puisse comprendre. Quand on visitait la famille de mon père, c’était en anglais. Tous mes cousins italiens parlaient l’anglais et les sujets de conversation entre les adultes étaient souvent différents de ceux que j’entendais chez ma famille française. Les valeurs de famille semblaient être différentes elles aussi. Du côté français, on célébrait la joie de vivre, la religion et l’éducation et du côté italien, c’était l’argent. Comme cultures, deux côtés opposés du spectre. En rétrospective, je me suis toujours senti comme le mouton noir durant ces fêtes de famille italiennes et je n’ai jamais vraiment su pourquoi.

Je ne sais pas exactement quand tout a changé pour moi et pour nous. En grandissant, j’imagine que c’était les médias anglophones et les émissions de télévision en anglais qui ont changé ma personnalité. Petit à petit, dans la famille comme aux écoles, nous les jeunes, on commençait à se parler en anglais. On conversait en anglais de plus en plus et je me sentais de moins en moins confortable en français.

Par la cinquième ou sixième année d’école, durant la récréation, on se parlait complètement en anglais. Le seul français que l’on pouvait entendre était celui de la surveillante qui nous hurlait de parler français. D’une certaine manière, c’est devenu embarrassant de parler en français. À ce point là dans nos vies, ce n’était pas à nous de choisir un futur en français, notre sort était choisi par nos parents. Nous étions simplement en train de suivre leurs instructions.

Par le temps que je me suis trouvé au secondaire, j’étais si profondément enraciné dans mes passe-temps américains du skateboard, du graffiti et du punk rock que j’avais baissé le volume de la francophonie complètement, hors de ma vie personnelle. C’est vrai, j’allais à l’école secondaire Macdonald-Cartier, mais mon coeur était ailleurs. J’ai choisi de ne pas prendre part aux classes de musique et d’arts dramatiques même si j’y étais invité. D’une façon, je ne me sentais pas assez français. Ces élèves-là se parlaient en français hors de la classe, et moi j’avais de la misère. Honnêtement, j’avais de bonnes notes dans mes classes de français et on m’a même offert une bourse pour étudier au Collège Boréal. Je pouvais lire et écrire en français, mais je ne pouvais pas interagir en français. Je ne me souviens pas d’avoir parlé français dans les corridors ou dans la cafétéria. Malheureusement, il semble que tu peux quand même obtenir un diplôme sans même parler français hors des salles de classe.

Je dois dire qu’en réfléchissant, Macdonald-Cartier, ou Macjack comme on l’appelait, était une très bonne école. Il n’y avait pas beaucoup de cliques et tout le monde s’entendait bien. Si je devais tout recommencer, je ferais la même chose. Heureusement, j’ai su très tôt que je voulais aller au Collège Cambrian pour poursuivre des études en graphisme. Dans ma tête et dans mon esprit, j’ai pensé que je n’avais plus besoin de la francophonie. Après tout, je n’aurais pas besoin du français pour suivre mes rêves. L’industrie, ainsi que ma ville, semblait être exclusivement anglophone.

Pendant ce temps, mes parents se sont séparés et ma mère et mon père avaient de nouveaux partenaires. Le nouveau chum de ma mère était un homme égocentrique qui pensait que c’était irrespectueux de parler le français devant lui. Mon domicile était devenu anglais. Je ne parlais même plus français avec ma mère, même si elle essayait de me forcer.

Je l’admets, j’ai passé des années sans parler français. Au collège je n’ai pas dit un mot de français tout le temps que j’y étais. Durant les étés, j’allais en tournée avec mon band punk rock à travers les États-Unis et le Canada alors je ne voyais pas ma famille française. J’ai obtenu mon diplôme du Collège Cambrian et je me suis lancé directement sur le marché du travail.

Une journée, après avoir perdu mon emploi durant la crise économique de 2008, tout a changé.

J’ai décidé de fonder ma propre entreprise de design avec un ami et on a commencé, grâce à la recommandation d’un ami, à faire du travail pour le Carrefour francophone. C’était vraiment la première fois que j’ai vu avec mes propres yeux que le français se parlait dans la vraie vie à Sudbury, hors des classes et loin de la surveillante qui harcèle. J’ai senti la passion de la francophonie qui coulait en eux et ça m’a inspiré. De là on a rencontré plusieurs organismes francophones de Sudbury qui continuent à m’étonner. Ces gens ont souligné l’importance d’être francophone en Ontario. Ils m’ont montré que c’est possible de vivre en français même dans une société anglophone. Leurs objectifs font appel à moi. Surtout, ils ont réussi, sans même essayer, d’allumer en moi une étincelle de fierté. Là où les écoles ont échoué, ces organismes ont réussi. Mon esprit francophone est né.

J’aimerais dire que c’était la faute d’une école, des enseignants ou de la faute de mes parents si j’avais perdu mon français, mais en réalité, c’est la mienne. J’aimerais dire que c’est la ville de Sudbury qui m’a forcé à oublier ma langue maternelle, mais encore une fois, c’était de ma faute. Je reconnais mes propres échecs. Je reconnais aussi les mauvais choix que j’ai faits, mais je refuse d’accepter la défaite. Au fil des trois dernières années, j’ai fait un 180 complet. Je fais de mon mieux pour lire des livres francophones. Je fais de mon mieux pour écouter la musique et la radio francophone. Je fais de mon mieux pour contribuer à notre culture francophone avec ma firme de marketing — non pour l’argent, mais parce j’y tiens. C’est vrai, tu peux vivre à Sudbury sans entendre un mot de français. Je le sais. C’est comme ça que j’ai vécu pour plusieurs années. Maintenant, je réalise que c’est à moi, non seulement  de chercher la culture francophone, mais aussi de la créer. Parfois, dans les milieux professionnels, je sens que mon français est critiqué. À ces gens-là, je leur dis que je m’en fous. Je continue à m’améliorer, pas pour vous, mais pour moi et pour ma famille. Ça prend de l’effort, mais l’effort, j’en ai. Pour mon grand-père qui a soulevé une famille et établi une pratique de médecine francophone ici à Sudbury, je continue de l’avant en français moi aussi. Je fais ma part.

Je me pose la question : Quand décides-tu que tu es vraiment un francophone? Ce n’est pas un diplôme, une fleur de lys, une chanson de Paul Demers, un maudit drapeau vert et blanc ou une famille qui peut me rendre francophone — c’est ma décision de choisir de l’être. C’est à moi, et seulement à moi, de pratiquer, d’interagir et de vivre en français. Je décide de me battre pour la francophonie au nord de l’Ontario— non en accusant, mais en étant.

Dérape de la Francophonie

En cette Journée de la Francophonie, je partage avec vous un vidéo qui est dans la même veine que C’est un amour, sauf que celui-ci vient de l’Ontario et les saxs kitch des années ’80 ont été remplacés par des «Yo! Yo! On est francos!», des «Francoquoi?» et des «C’est cooool».

On peut-tu s’il vous plaît arrêter de pervertir la Francophonie avec des quétaineries aussi insipides? On a d’l’air désespéré!

Oui, le contenu est pertinent, mais si le médium est le message, on est notre propre source d’assimilation.

Ça me rappelle un peu (mais un peu!) ceci.

Dickson

Ça sonne
comme le nom
d’un poète
d’un joueur de baseball
d’un musicien
d’un ami.

Et je m’étonne
qu’aujourd’hui
à Sudbury
rien ne porte
ton nom
sinon
le vent
tes amis
ton souvenir
et ton rire
qui résonne
encore plus fort
aujourd’hui.

Un pont, un parc
ou une école
c’est toute une nation
qui devrait porter
ton nom.

J’oublie
je n’oublie pas.

Et je croque la pomme
du printemps
que t’aimais tant
qui t’aimait tant
et qui t’attend
encore aujourd‘hui
ici.

Quand on devient minoritaire dans sa propre école

Après avoir lu l’article « Perspective sociolinguistique sur le comportement langagier des Franco-Ontariens » de Raymond Mougeon, je me suis mis à réfléchir au problème des ayants droit dans les écoles de langue française en Ontario. Au contraire des écoles de langue anglaise de cette province qui divisent les classes en immersion et en « core French », tous les élèves des conseils scolaires de langue française sont envoyés dans les mêmes salles de classe — qu’ils soient de langue maternelle anglaise ou de langue maternelle française.

En fait, l’idée d’avoir des « ayants droit » qui ne parlent pas un mot de français dans les écoles de langue française est dérangeante en soi. Si l’école de langue française est le bastion qui espère pouvoir permettre un refuge et un endroit d’épanouissement pour les jeunes francophones de l’Ontario (malgré le fait que ce rôle imposé est déjà trop large pour une seule institution), pourquoi cherche-t-on constamment à diluer la francophonie au sein même de celle-ci? Si au moins l’école arrivait à former ses propres enfants dans la langue et culture de l’Ontario et du Canada français, il n’y aurait pas de problème. Comme ce n’est pas le cas, comment peut-on s’attendre à ce qu’elle le fasse avec les ayants droit?

« En effet, c’est en apprenant une langue de leurs parents [qui ne font pas toujours l’effort/ne ressentent pas le besoin d’immerger leurs enfants dans la langue française à la maison] ou des locuteurs natifs qui font partie de leur environnement [c’est-à-dire, leurs camarades de classe, trop souvent unilingues anglophones] immédiat que les jeunes enfants s’approprient les normes linguistiques de la communauté qu’ils deviennent ainsi eux-mêmes des locuteurs natifs de cette langue et qu’ils peuvent éventuellement à leur tour servir de modèle linguistique aux générations suivantes. »

Raymond Mougeon, Perspective sociolinguistique sur le comportement langagier des Franco-Ontariens

Comment alors, les jeunes francophones seraient-ils en mesure de retransmettre quoi que ce soit s’ils n’ont jamais eu la chance de bien acquérir la langue et sa culture associée dès le départ? De toute façon, quelle raison ces élèves auraient-ils pour vouloir l’acquérir tout court? Comme l’a expliqué Rosanna Leblanc en 1969 dans le documentaire de Michel Brault, Éloge du chiac, « parler français parce qu’on est Français, quelle résonance est-ce que ça a chez un enfant qui grandit, qui ne se fait pas de problème de philosophie sur qui il est »?

Déjà dès un jeune âge, l’enfant qui est de langue maternelle française est aliéné, et ce, dans sa propre institution. Ironiquement, c’est au sein de cette même institution qu’il sera écœuré par ses professeurs qui lui répètent « parle français », malgré le fait qu’elles et ils sont responsables pour le contexte poussant l’élève vers l’anglais.

Il ne faut pas oublier les « si vous parlez français, vous aurez des meilleures chances d’avoir un emploi! » fréquemment entendus dans les salles de classe. Comme si le fait de parler sa langue maternelle était justifiable seulement par le fait d’être mieux rémunéré qu’un voisin unilingue! Pourtant, les professeurs continueront à offrir ce raisonnement à leurs élèves parce qu’ils ne sont pas conscients de leur propre culture ou de l’histoire de leur pays. Oublient-ils comment l’union des deux Canada a été achevée? Se rendent-ils compte qu’il existe un autre monde à l’extérieur d’American Idol (laissez faire le défunt Canadian Idol), de UFC et de Jersey Shore?

Bien sûr, il y a des exceptions à la règle. Les bons professeurs existent. Ils exposent leurs élèves à ce qui formera au moins les éléments de base d’une culture générale. Si une faible proportion d’élèves décide de maintenir (au moins en partie) leur identité française, c’est en grande partie grâce aux efforts de ces trop peu nombreux enseignants intelligents et conscients. Ce n’est pas que la culture de langue anglaise est néfaste. Au contraire, la possibilité de s’immerger dans une deuxième langue enrichit sans doute la vie d’un individu. Cependant, si cet individu n’a jamais eu l’occasion de baigner dans la culture de sa première langue c’est certain qu’il la trouvera vide, plate, désuète, inutile, et en conséquence, il l’abandonnera. De toute façon, si on ne cherchait pas à attirer une clientèle anglophone, faudrait-il vanter le bilinguisme autant qu’on le fait actuellement ou pourrait-on insister sur l’excellence du français au lieu?

L’éducation de langue française en Ontario est en danger. Pas par la menace que pose l’anglais, mais par la menace que pose l’instruction par des acculturés et par la menace que pose un milieu anglophone au sein des écoles de langue française. Si on veut pouvoir continuer à vivre en français en Ontario (même si ce n’est pas dans la totalité des sphères de la vie quotidienne), il faudra d’abord former les enseignants en culture et en conscience franco-canadienne afin qu’ils soient en mesure de retransmettre celle-ci à leurs élèves. Apprendre qu’il y a des petits francophones à Shédiac au Nouveau-Brunswick, à Sherbrooke au Québec, à Winnipeg au Manitoba et ailleurs au Canada qui vivent des choses semblables à ceux de Sudbury (ou Ottawa, ou Kapuskasing, ou Hearst) en Ontario, ça peut influencer les choix et ouvrir l’esprit du jeune francophone. Également, il faudra veiller à ce que les élèves qui arrivent en maternelle soient accueillis dans un milieu qui est véritablement entièrement francophone, incluant la cour de récréation. Les conseils scolaires francophones de l’Ontario sauront-ils relever le défi?

L’ennemi parmi nous

On a beau critiquer les actions originaires de la communauté anglophone de l’Ontario, mais ce serait oublier un grand problème existant chez les jeunes Franco-Ontariens. Si ce n’est pas la réalité de toute la province, ce l’est au moins dans la région de Toronto, où cohabitent deux conseils scolaires de langue française. De l’extérieur, ces bâtisses représentent tous les exploits et les sacrifices des Canadiens français s’étant battus pour leurs droits, des Patriotes à nos jours. On s’attend alors à y retrouver des jeunes fiers de leur langue, de leur culture et de leur héritage. Malheureusement, on sait bien que les apparences sont très souvent trompeuses, comme dans ce cas. En y posant pied, on n’entend pas un seul mot de français de la part des élèves. En effet, c’est l’anglais, et même parfois l’arabe, qui y est la langue d’usage. James Whitney, le Premier Ministre de l’Ontario qui a fait passer le célèbre Règlement 17, en serait très fier.

Il est vrai qu’autrefois l’ennemi du Canadien français était l’Orangiste, mais de nos jours, il est son propre ennemi. Pourrait-on vraiment dire que tous les élèves de ces écoles dites francophones sont des Franco-Ontariens? Aucunement. Ce serait une terrible insulte envers tous ceux et celles qui ont tant fait pour les droits des Canadiens français, mais surtout des Franco-Ontariens. Tandis que certains renient leur héritage francophone, d’autres le dissimulent. Ce n’est qu’une petite minorité qui s’affirme et se dit fière. Évidemment, ce n’est pas facile pour eux, se retrouvant comme victimes dans l’institution qui se devait de les protéger. Ils se font ouvertement appelés « fags » et on les critique pour leur choix linguistique pas « cool », mais qui est, après tout, le leur.

Si un étudiant francophone voulant s’exprimer dans la langue de ses aïeuls dans une école francophone se fait demander : « Why are you speaking french? », alors comment peut-on espérer une solidarité franco-ontarienne? Si un étudiant demandant à son enseignant d’éducation physique s’il peut regarder une vidéo d’exercices en français se retrouve sur le banc dans ses équipes sportives, comment peut-on croire que ces écoles promeuvent vraiment notre culture et notre langue? Si un enseignant crie après une élève de neuvième année ayant demandé de regarder une vidéo en français et qu’elle en pleure, peut-on espérer un meilleur avenir pour notre minorité? Si, dans une école, un élève ne peut être lui-même sans être persécuté, arrêtons de dire que tout va bien et cherchons des solutions.


Photo : Archives de la ville de Toronto

Ceci est un cri d’alarme.

Ce qui était supposé être une discussion sur l’implication de la jeunesse franco-ontarienne a vite viré en cri d’alarme de la génération d’aujourd’hui lors d’une table ronde à l’émission Boréal Express à CBON Radio-Canada le 26 janvier dernier.

De l’institutionnalisation de la culture au point de la rendre stérile, à la campagne « Start en français » du CSCNO qui encourage une dangereuse tendance vers la transformation de nos écoles françaises en écoles d’immersions, en passant par le tabou de la fusion des conseils scolaires pour éviter notre suicide collectif, Michel Laforge, Serge Dupuis et Christian Pelletier n’ont pas mâchés leurs mots!

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En terminant, voici une citation d’Antoine Paplauskas Ramunas dans Le Droit en 1971 qui résume bien la crise d’aujourd’hui.

« La jeunesse va toujours ressentir et rejeter un style de la vie et un système instructionnel qui, à ses yeux, semblent être trop mécanisés, dépersonnalisés, déshumanisés, unidimensionnels. Un jour, la situation de l’enseignement mécanisé et surmécanisé peut devenir explosive et même tout à fait incontrôlable, si la nécessité, l’importance, le rôle professionnel, le talent et la préparation appropriée de l’éducateur seraient oubliés ou négligés. »

— Antoine Paplauskas Ramunas, L’éducateur en 1970-2000, Le Droit, le 8 mars 1971


Image : Étudiants de Londres pendant une simulation d’attaque aérienne, 20 juillet 1940