15 au 19 mai 2012. Sears. Centre Rideau. Ottawa.

Aujourd’hui, je ne parlerai pas de café, mais de montre. Bien sûr, cet article traitera, comme les deux derniers parus dans le cadre de la chronique «Do you want more coffee?», des services en français dans un milieu anglophone comptant une minorité francophone importante. Les articles de cette catégorie s’intéressent essentiellement, pour le moment, à la ville d’Ottawa : j’invite bien sûr d’autres rédacteurs à parler de leur expérience dans des espaces différents et à compléter cette chronique.

Pour remettre en contexte le petit récit qui va suivre, je voulais rappeler que je suis francophone et que, comme beaucoup au Canada, je maîtrise aussi l’anglais (lu, entendu, écrit et parlé). J’ai fait le choix, dans les échanges que je relate ici, de jouer l’unilingue francophone, capable toutefois de comprendre l’anglais bien qu’incapable de répondre dans une autre langue que le français. Le but de cette «expérimentation» est de promouvoir l’usage du français hors Québec, peut-être même de réveiller une certaine fierté et, surtout, de prouver que les petites actions, par leur accumulation, peuvent avoir des impacts non négligeables (à l’instar du bruit d’une cuillère en bois sur une casserole qui, accompagné de centaines d’autres, produit un véritable tintamarre).

Le 15 mai 2012, je me suis rendue au Centre Rideau, à Ottawa, pour y trouver une montre en prévision d’un cadeau. L’employé au comptoir d’informations du centre commercial parlait français et a pu m’indiquer sur un plan plusieurs boutiques pouvant m’intéresser.

J’ai fini par me rendre au Sears, qui disposait d’un petit rayon de montres de différentes marques. N’étant pas certaine de laquelle choisir sur le moment, j’ai voulu ramener chez moi un magazine.

Trois vendeuses étaient en train de discuter, accoudées aux comptoirs vitrés des présentoirs à bijoux. Je me suis approchée et leur ai demandé, en français, où est-ce que je pouvais trouver le catalogue du magasin. Elles m’ont fixée un instant, se sont regardées les unes les autres en levant les sourcils, puis l’une d’entre elles a dit : «None of us speak French.» Elles seraient vraisemblablement retournées à leur conversation si je n’avais pas insisté : «Mais est-ce que quelqu’un d’autre parle français ici?». Celle qui se tenait derrière le comptoir s’est alors saisi d’un téléphone et a demandé à parler à un agent de la sécurité en particulier.

Quelques minutes plus tard, un jeune homme dont la tenue suggérait effectivement qu’il faisait partie du personnel de la sécurité de Sears est venu se joindre à nous. Il parlait français, avec un accent latino : «Bonjour. Je peux faire la traduction si vous voulez.» S’en est suivi un échange assez amusant, entre mes questions en français, sa traduction en anglais pour les vendeuses, leurs réponses en anglais et sa traduction en français pour moi. Ce n’est pas sans mal que je me suis retenue d’interagir directement en anglais avec les vendeuses…

Il m’a ensuite accompagnée jusqu’au rez-de-chaussée, où se trouvait le présentoir des catalogues du magasin. Sur le chemin, j’ai discuté avec lui de sa maîtrise du français. Il m’a expliqué qu’il était un amoureux des langues et qu’il en parlait pour le moment quatre (portugais brésilien, espagnol, anglais et français). En rigolant, je lui ai dit qu’il devrait être augmenté pour cette capacité à servir les clients dans leur langue et à faire, de fait, le travail d’un vendeur en plus de celui d’assurer la sécurité. Il m’a avoué que c’était justement l’un des sujets d’actualité avec son patron. Sur le magazine que je venais de récupérer, je lui ai demandé d’écrire son nom et celui du responsable de la succursale.

Le 17 mai 2012, j’envoyai un courriel au «Store Manager» de ce Sears, Benjamin Weiss, où je louais la qualité du service en français assuré par son employé, Erick Mynssen.

Le 19 mai 2012, Benjamin Weiss me répondait : «Merci beaucoup ! Thank you so much for your kind comments regarding Erick». Le même jour, Erick m’informait que mon message avait été envoyé à l’ensemble des directeurs locaux et régionaux, qui l’avaient félicité en retour. Mais pas d’augmentation ou de prime en vue (j’étais un peu trop optimiste)… même s’il a vu son nom affiché sur le tableau des employés performants dans son magasin (son courriel : «As far as rewards I had my name up on the Wow board of the store but unfortunately I did not receive anything else, Sears kind of takes its associate’s skills for granted»).

Mars 2012. Université d’Ottawa.

Pendant tout le mois de février, j’avais continué mes expérimentations, qui consistaient à systématiquement tenter de parler français aux commerçants des villes hors Québec, présentant toutefois une forte minorité francophone. Mais, bien vite, j’avais renoncé à défendre mes convictions et ce, au sein même de mon Université.

Malgré plusieurs tentatives de commande en français, cela faisait près d’un mois que je m’étais résignée à m’adresser en anglais aux serveurs et aux serveuses des prestataires extérieurs installés dans les locaux de l’Université d’Ottawa – je parle ici essentiellement du Second Cup au rez-de-chaussée de la bibliothèque Morisset et du Starbucks du Pavillon Desmarais.

Je me sentais un peu butée, même bête, de persister à utiliser ma langue devant leurs yeux ébahis, leur incompréhension. J’avais parfois eu la chance de tomber sur un francophone ou sur un anglophone capable de me comprendre sans problème, mais, depuis que je passais mes commandes en anglais, impossible de savoir si mon interlocuteur aurait pu comprendre le français.

Surtout, je ne me sentais pas légitime dans ma démarche; si l’Université assurait le bilinguisme de ses propres services, j’étais convaincue qu’elle n’avait aucun droit de regard sur la politique de recrutement des services fournis par des entreprises extérieures dans ses locaux. Par ailleurs, mes amis québécois ou franco-ontariens ne m’apportaient pas vraiment leur soutien. Je sentais même que je les mettais mal à l’aise lorsque j’insistais trop longtemps pour avoir accès à un service en français alors que nous faisions la file ensemble pour acheter un café ou un encas. La dernière fois que j’avais demandé à être servie dans ma langue, j’avais eu droit, de la part de l’employée qui avait été appelée pour s’occuper de moi, à un ironique et méprisant: «J’adooore les Français…».

Et puis il a commencé à faire beau, et très chaud. Bizarrement, c’est ça qui m’a remotivée ! Le 5 avril 2012, j’ai écrit un courriel à la Commission permanente des affaires francophones et des langues officielles de l’Université d’Ottawa pour savoir si mon sentiment était fondé: les prestataires extérieurs présents sur le campus étaient-ils libres de recruter des unilingues anglophones? Et, si c’était le cas, serait-il envisageable d’imposer le bilinguisme ou la volonté de se former comme critère d’embauche, étant donné que le prestataire installé dans l’enceinte de l’Université, vu l’affluence de la population étudiante, faisait sans doute d’importants bénéfices grâce à cette localisation?

Cinq jours plus tard, j’avais ma réponse: à ma surprise, j’apprenais qu’il y avait bien une clause de bilinguisme dans les contrats passés avec les sous-traitants embauchés par l’Université et les entreprises privées louant des locaux sur le campus!

Le lundi 7 mai 2012, je recevais un second courriel. La responsable du service alimentaire, après avoir insisté sur le fait que l’une des priorités de l’Université était de s’assurer que ses sous-traitants embauchent du personnel bilingue, m’annonçait avoir informé le directeur de Chartwells (responsable de l’exploitation de la majorité des points de vente) de la difficulté à se faire servir en français. Un suivi avait été fait auprès du personnel et une personne avait été mandatée par la compagnie afin d’assurer la formation continue des employés parlant le français comme deuxième langue et de favoriser l’embauche de candidats bilingues.

Depuis, j’ai vu plusieurs changements dans les services fournis par les entreprises privées sur le campus. Mais ce sera l’objet d’un autre article!

A letter to my franglo-ontarian friends

To my English-speaking French friends,

Your names are Paquette, Lafleur, Lalonde, Belanger, Tremblay, Gauthier, Veilleux, Lemieux, Giroux. It might be hard to pronounce, or you might just pronounce it in English. Some of you may have two francophone parents, some of you only one, and some of you have never heard your parents utter a single word of French, despite their names being something like Jean-Pierre or Jacqueline.

You may have graduated from a French high school, you may have switched over to immersion, or you may have gone to an English school. Hell, you may even have a French college degree.

You may or may not know me, but you certainly know someone like me, probably with an accent aigu in their names, who actually spoke French in high school, brought French movies to watch in primary school, and likely tried to recruit you to go to some activity/concert/whatever in French, very often at the risk of social ridicule.

Some of you may have cousins like me, whom you make an extra effort to speak French to at Christmas. You may have had a childhood friend like me, who learned English from watching Power Rangers with you. You may even have dated people like me, only to feel awkward when meeting your in-laws and being forced to admit you can’t speak French very well.

I’m writing to you today as a well adjusted young man, an active member of the francophone community in Ontario. Since finishing high school, I’ve been involved with a variety of francophone organisations in the Sudbury area, and I’ve been trying, through various means, to find a way to make speaking French more normal for francophones in Ontario.

I spent 3 and a half years studying in Montreal, where – despite what alarmist politicians and die-hard hockey fans would have you believe – bilingualism is a normal, accepted, (controversial, still) every-day thing. I returned to Northern Ontario about two months ago, and got right back into my francophone involvement. I participated in the launch of this site, and my job as a college recruiter allowed me to travel throughout the North, speaking with francophone students about pursuing their education in French.

I say all of this because I want to ask you a question.

It’s a question that has been bothering me since I was little, since I understood that speaking French in the schoolyard was not the best way to make friends. I’ve wanted to ask you this question every time I hear things like “I’m French but I hate speaking it” or “French music sucks”. I’ve wanted to ask you even more since I found out that some anglophones in Montreal have more respect for the French language than many “francophones” from my hometown.

My question is this: do you even care? Do you even want to keep speaking French? Do you want people to fight for the right to have francophone nurses and doctors? Do you want people to keep taking significant financial risks by bringing  francophone artists over here? Do you want us to complain about the signage in a Caisse Populaire being in English?

Of course, faced with these kinds of questions, many of you will say that you understand the importance of the French language, that you wish you spoke it more, and that you will send your children to French school, so they won’t lose the French and so they can speak to their grandparents. 

So what’s the problem?

I want to know if you care that French schools are filled with kids who don’t really care about French. I want to know if you actually watch French TV, or press 2 for French service. I want to know if, when you go to Montreal for Spring Break or Osheaga or UFC, you speak French to your servers at the restaurant. Quite honestly, I didn’t always use French during my years in Montreal, nor do I today in Sudbury. But I do speak it regularly, in multiple contexts, and most importantly, I can appreciate the influence bilingualism has had on my identity.

I want to know if it is worth it for me and my like-minded friends to keep defending the place of French in this province, and in this country. I want to know if you’re behind us, or if you simply don’t care and are happy to get by in English without having to use French. An honest answer would, at the very least, be a weight off my back.

As francophone Ontarians, we have a double burden. Not only do we have to justify our use of the French language to our Ontarian landlords, but we have to justify our outlying presence to our Quebecker cousins, who quite often can’t take us seriously, despite being genuinely surprised and happy when they actually do meet someone from Ontario who speaks decent French. We are straddling Canada’s traditional two solitudes, and if anyone can help anglophones and francophones understand each other, it is us.

Let me be clear: I’m not blaming anyone. French is hard as fuck to learn when you have no reason to do so. Even the upper echelons of francophone decision-makers are at a loss for meaning, for purpose, and for solutions to our accelerating assimilation rates. I just want to know what you, my English-speaking Franco-Ontarian friends, think of this mess of an officially bilingual country we ended up in. I want to know if it’s still worth fighting for.


Image : Tongue by Alvaro Tapia

Debbie Courville va-t-elle mener nos conseils scolaires ?

Le 23 janvier 1998. La création de conseils scolaires homogènes francophones en Ontario est survenue dans la foulée de la réduction du nombre de conseils scolaires dans la province. C’était un développement inespéré pour ce qui est de la maîtrise des francophones sur leurs institutions. Mais ces conseils français sauraient-ils mieux assurer la francité des écoles françaises ?


Le poète maudit Patrice Desbiens a trouvé beaucoup d’images frappantes, troublantes, gênantes et percutantes dans sa longue carrière de paratonnerre involontaire de la dérision de la condition franco-ontarienne. (Voilà une phrase pleine de rimes comme le pauvre Patrice n’en écrit jamais !) Parmi tous ses personnages plus ou moins fictifs, il y a l’inoubliable Debbie Courville, qui habite le recueil au titre trompe-l’œil Poèmes anglais. Debbie, c’est l’inconnue dont on ne connaît que le nom écrit à la main sur la page de garde d’un vieux livre d’école française vendu à un libraire d’occasion. C’est elle que l’on croise, combien d’années plus tard, en serveuse de restaurant qui vous sert en disant :

I’m French, but I don’t speak it. Do you want more coffee ?

Eh oui, quoique non francophone, Debbie est française. Elle peut le dire avec l’assurance de la personne dans son droit. Car la loi suprême du pays, la Charte des droits et libertés, lui donne ce droit quand vient le temps de choisir ou non l’école française pour ses enfants. Les conseils scolaires, eux, ont trop souvent permis que ce pouce devienne un mille.

Les recensements nous disent qu’au fil des générations, Debbie et ses semblables sont devenus la majorité franco-ontarienne. Quand pour une raison ou une autre, ils boudent les écoles d’immersion, ce n’est pas étonnant, donc, qu’ils soient parfois la majorité dans des écoles françaises, Et s’ils n’y sont pas majoritaires, ils sont peut-être encore plus puissants. Car ils bénéficient alors du souci bienveillant que l’on a pour la minorité dans la salle de classe, additionné au pouvoir qui auréole d’eux à titre de majorité dans la société.

Mes lumières en politicologie peuvent sembler discutables. Mais qui sait à quel point elles n’éclairent pas réellement plus d’un épisode de l’histoire récente de nos anciens conseils scolaires, ou plutôt de leurs sections de langue française. À plus d’une reprise et dans plus d’une ville – North Bay, Sudbury, Sault-Sainte-Marie et où encore – des « français francophones » ont réclamé dans leur ville au moins une école française vraiment française et se sont fait rabattre le caquet. On les a traités d’extrémistes, d’élitistes, de séparatistes, de racistes. Et on les a remis à leur place, au même rang que tous, comme il convient aux prétentieux. Or, au contraire de ce qu’on a dit souvent, ni la Charte canadienne des droits et des libertés, ni les politiques du ministère de l’Éducation n’empêchaient le classement des élèves vraiment francophones dans des écoles à part. La preuve, c’est que ça a été fait dans quelques villes ontariennes, même là où le nombre ne le justifiait pas.

Ne pas vouloir accommoder les « français francophones », ça découle sans doute en partie d’une logique de gestionnaires soucieux d’économies. Mais il n’y a pas que ça. En vérité, ça s’explique par la tendance de tout organisme à ravaler la minorité dans la majorité. En Ontario français, c’est Debbie Courville qui a le nombre de son bord. Son poids politique pèse fort sur la conscience des conseillers scolaires élus, après tout, pour représenter et desservir toute la population. Les enfants anglicisés de Debbie n’auront jamais de misère à trouver, eux, une école qui ne leur fasse pas sentir qu’ils sont étranges.

Jusqu’à preuve du contraire – que j’attends de tout cœur et bientôt je vous en prie – rien dans le simple fait d’avoir maintenant des conseils scolaires français ne change de tels rapports de force. En Ontario, tout au fond de la minorité française, il y a la minorité francophone. C’est la minorité dans la minorité, dont Debbie Courville fait bien ce qu’elle le veut. Voilà pourquoi, à l’aurore des nouveaux conseils scolaires homogènes français, et en parlant d’avance au nom des prochains parents qui oseront demander une école authentiquement française, je fais ce pathétique plaidoyer démocratique.

Please, Mrs Courville, you already have all the schools you need. Now can I have one real French school? Just one, please ? Come on, Debbie. Give me a break.


Ce texte fut publié dans le recueil de nouvelles De face et de billet, par Normand Renaud, aux éditions Prise de parole, 2002. Reproduit avec permission.