Écoles catholiques, écoles publiques : une histoire de compromis bâtards (I)

En 2009, après le déménagement de ma famille dans le Nouvel-Ontario, je constatais finalement de visu, avec un certain amusement, ce que j’ai appris dans mes bouquins d’histoire : il y a effectivement quatre réseaux scolaires distincts dans toutes les régions de l’Ontario – anglais public, anglais «séparé» (c’est-à-dire confessionnel, catholique la très grande majorité du temps), français catholique et français public.

Bien que je connaisse les événements qui ont mené à cette configuration institutionnelle, la situation me semblait ahurissante. D’abord, parce que c’est inusité. Au Canada, seules deux autres provinces ont une telle quadruple structure, la Saskatchewan et l’Alberta (et encore, c’est moins poussé là-bas). Les autres pays occidentaux, pour leur part, ne mettent généralement pas les écoles confessionnelles sur le même pied que les écoles publiques et financent rarement l’éducation en langue minoritaire dans la même mesure. Ensuite, parce que c’est plutôt lourd, administrativement parlant. Dans le monde moderne, de tels dédoublements ne sont pas pris à la légère. Nous vivons, après tout, dans des sociétés qui cultivent un culte de l’efficience. Réserver des institutions publiques distinctes à différents ensembles de citoyens, ce n’est pas un réflexe spontané de nos bureaucraties.

Est-ce à dire que c’est forcément un mal? Certainement pas. On peut argumenter qu’il s’agit d’un exemple à suivre, d’un trop rare cas dans lequel la «machine» technocratique de l’État – normalement froide, impersonnelle et sans couleur – se plie à la réalité chaude et humaine de la population qu’elle doit, après tout, desservir.

Est-ce pour autant nécessairement un bien? Non plus. Même dans les cas où chacun des systèmes distincts (et par extension tous les individus qui y participent) est traité équitablement (contrairement aux systèmes de ségrégation raciale qu’on a pu trouver jusque dans le passé récent aux États-Unis ou en Afrique du Sud, par exemple), l’on pourrait avancer que de telles distinctions peuvent être néfastes, que dans certains cas, l’existence de structures distinctes peut ne représenter rien de plus qu’un produit de l’inertie. Les institutions, après tout, tendent à vouloir survivre. Si leur raison d’être initiale vient à disparaître, la survie peut devenir une mission en soi et pour soi, même inavouée. Au lieu de refléter des différences culturelles réelles que l’on a jugées bon de protéger, de telles structures peuvent devenir, en soi, des génératrices de divisions identitaires au sein de la population.

Dans quelle catégorie tombe chacun des quatre systèmes scolaires de l’Ontario? S’agit-il de réponses adaptées de l’État à des différences culturelles bien réelles, largement valorisées, et s’inscrivant dans un projet de société actuel? Ou plutôt de vestiges d’un consensus social du passé? La question est candide. Peut-être certains la trouveront-ils tendancieuse. Et pourtant, je l’ai exprimée dans des termes tout à fait neutres et « décontextualisés ». Si elle dérange malgré tout, serait-ce parce qu’elle touche à un nerf? Mais n’allons pas trop vite. Commençons par explorer les origines des écoles séparées en Ontario.

Le compromis bâtard No 1 – La constitution de 1867 et les «peuples fondateurs»

1864-1866. Trente-trois hommes blancs qui deviendront les «Pères de la Confédération» négocient ardemment les bases de la première constitution du pays, d’abord à Charlottetown, puis à Québec, et finalement à Londres. Parmi eux, on retrouve quatre Canadiens français, tous du Canada-Est, territoire qui deviendra bientôt la province du Québec. Malgré les nombreuses fêtes et les bals – ou peut-être grâce à eux – le travail est essentiellement achevé dès la fin de la seconde conférence. Ne reste qu’à régler quelques questions et à attendre que la métropole daigne confirmer le tout par un projet de loi à Westminster. Ce sera fait trois ans plus tard : l’Acte de l’Amérique du Nord britannique crée le «Dominion» du Canada.

Les Canadiens français ont longtemps voulu croire, à la suite d’Henri Bourassa (1868-1952), que ce moment fondateur du pays représentait un «pacte» entre deux «peuples fondateurs», le britannique et le canadien-français. Il s’agit d’une interprétation simpliste, qui néglige plusieurs autres facteurs ayant mené à cet exercice de construction étatique. (Des questions économiques, financières, militaires et géopolitiques ont aussi pesé lourdement). La «théorie du pacte» contient néanmoins une parcelle de vérité : il est vrai que l’aménagement des intérêts perçus des deux groupes ethnoculturels a joué un certain rôle dans l’élaboration de la constitution. Toutefois, si l’on veut être lucide, si on s’éloigne quelques instants de l’idée d’exploiter cette idée-force pour des fins de revendication politique, il faut avouer que si compromis il y eut, c’était un compromis bâtard. (Bancal, si vous préférez.)

Pour les Canadiens français, que trouvait-on dans cette constitution? Sans entrer dans les détails, cela se résume à ceci : un gouvernement fédéré distinct pour la majorité francophone et catholique de la nouvelle province du Québec (avec tout ce qui s’ensuit : une assemblée et des pouvoirs législatifs, un régime de droit civil distinct, etc.) et le bilinguisme parlementaire et judiciaire au niveau fédéral (bilinguisme ne s’appliquant pas à l’administration publique). C’est tout. That’s it, that’s all. Remarquez, après un quart de siècle sans province qui leur soit propre, ceci semblait n’être pas si mal pour une petite majorité de Canadiens français. Le Québec était né!

Aujourd’hui, on peut concéder le fait que, considérant qu’ils n’étaient que quatre, les «Pères» canadiens-français on fait du beau travail. De là à dire que l’arrangement constitutionnel au complet soit un pacte entre deux «peuples fondateurs», il y a un gouffre. Le Canada de 1867 était un pays britannique à demi-décolonisé, qui a concédé aux Canadiens français une province dans laquelle ils seraient majoritaires. Un carré de sable dans lequel jouer sans déranger les autres.

Cette interprétation n’est-elle pas mesquine? Sûrement qu’on a pensé aux minorités ethnoculturelles au sein des provinces? Vous faites bien de le souligner. On y a pensé, en effet. Encore une fois, de manière bancale (bâtarde, si vous préférez). Plus bancale encore que les dispositions générales de la constitution. Pour les protestants du Québec (qui, comme par hasard, étaient en énorme majorité des anglophones), on prévoit clairement et spécifiquement des écoles distinctes. On leur réserve aussi des sièges sénatoriaux fédéraux (tirés du total des sièges du Québec). On s’assure que la législature et les tribunaux de Québec soient officiellement bilingues. Finalement, par mesure de précaution, on donne une chambre haute au Québec – un sénat – pour s’assurer que la majorité démocratique (qui, comme par hasard, est francophone) n’utilise pas la chambre basse pour brimer les droits des minorités.

Pour une raison ou une autre, la vaste majorité de ces dispositions ne sont pas considérées comme nécessaires ailleurs. Pour les catholiques des autres provinces (majoritairement irlandais en Ontario à l’époque, en légère majorité des Acadiens dans les Maritimes), pas de sièges sénatoriaux fédéraux, pas de bilinguisme législatif ou judiciaire et pas de sénat provincial. Seulement, vaguement, on affirme dans l’article 93 que les «privilèges» conférées légalement aux écoles séparées par des provinces avant 1867 gagnent un statut constitutionnel, et devront donc être respectés. Or, dans les faits, cette dernière disposition touche seulement l’Ontario, la province ayant le plus bas taux de francophones à l’époque.

Les Acadiens sont donc largués. On a beau lire la constitution de long en large, on ne trouvera aucune disposition s’appliquant à eux. À peine une référence à leur existence. En Nouvelle-Écosse, le gouvernement avait créé un unique système public d’éducation avant même la Confédération (1864). Le Nouveau-Brunswick (1871) et l’Île-du-Prince-Édouard (1877) suivront de près. On mesure rapidement la faiblesse de l’article 93, puisque rien, dans la crise qui en résulte, ne saura faire reculer ces gouvernements provinciaux. Les Canadiens français de l’Ontario et leurs coreligionnaires, bien qu’outrés, poussent un soupir de soulagement. Ils ont quelque chose à quoi s’accrocher : leurs écoles catholiques sont clairement protégées par l’AANB.

Voilà donc l’origine des réseaux scolaires confessionnels que l’on retrouve en Ontario. Ils représentent, en fin de compte, une pâle imitation des faveurs concédées à la minorité protestante du Québec.

(à suivre)

Pour en savoir plus

Bellavance, Marcel. « La Confédération et ses opposants ». Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, n° 41, (1995), p. 32-36.

Gervais, Gaétan. « L’Ontario français (1821-1910) »,  dans Cornelius Jaenen, (dir.), Les Franco-Ontariens. Ottawa, Historical Studies Series/Presses de l’Université d’Ottawa, 1993, p. 49-64.

Martel, Marcel et Martin Pâquet. Langue et politique au Canada et au Québec : Une synthèse historique. Montréal, Boréal, 2010.

Migneault, Gaétan. Les Acadiens du Nouveau-Brunswick et la Confédération. Lévis, Les Éditions de la Francophonie, 2009.

Paquin, Stéphane. 2006. « Confédération : Pour en finir avec la théorie du pacte », dans Michel Venne (dir.) L’Annuaire du Québec 2007. Montréal, Fides, pp.194-199.

Paquin, Stéphane. L’invention d’un mythe. Le pacte entre deux peuples fondateurs. Montréal, VLB éditeur, 1999, 171 p.

Silver, A. I. The French-Canadian Ides of Confederation, 1864-1900. University of Toronto Press, 1997.


Image: Un tableau dépeignant les négociations qui menèrent à l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867

Vers une république canadienne?

Cette semaine on célébrait le 30e anniversaire d’un événement très important dans l’histoire canadienne; le rapatriement de la Constitution canadienne. La Constitution, ainsi que la Charte canadienne des droits et libertés qui y est attachée, ont ouvert la porte à plusieurs jugements décisifs pour les Canadiens (entre autres, l’avortement, le mariage gai et la gestion francophone des conseils scolaires). Il est étonnant de constater que malgré l’avant-gardisme de la Charte et le potentiel réformateur du rapatriement, on ait permis à deux institutions politiques de survivre telles qu’elles étaient. Je parle de la Couronne et du Sénat. Même s’il serait facile de m’attaquer à l’inutilité et le manque de représentativité du Sénat, d’autres ont déjà entrepris ce débat et ce n’est pas ce qui m’intéresse. Je m’attarderai surtout à la Couronne.

Le Canada vit sous la monarchie depuis sa colonisation, de la Nouvelle-France à aujourd’hui. Malgré l’indépendance qu’a obtenue le peuple canadien, cette monarchie continue à flotter au-dessus des têtes de nos politiciens, comme un grand symbole colonial et conservateur. Dans notre société moderne, la monarchie n’est plus qu’une simple relique du passé. Elle n’a absolument aucune utilité, sauf celle d’excuse gouvernementale pour éviter d’investir de l’argent dans le peuple. Elle demeure aussi un moyen de démontrer la prétendue supériorité du peuple anglo-saxon sur tous les autres, dont les Canadiens français, les Autochtones et les immigrants qui, plus souvent qu’autrement, ne s’identifient pas du tout à cette vieille dame britannique. Après tout, il ne faut pas oublier qu’elle dirige l’Église anglicane et qu’elle a tout simplement eu la chance de naître au bon endroit au bon moment, ce qui va à l’encontre des principes d’égalité contenus dans la Charte. Pour certains Canadiens-anglais, la Reine continue à représenter un certain attachement à leur Mère Patrie. Par contre, dans une société de plus en plus multiculturelle, l’idée même d’un monarque ne représentant qu’un seul groupe de Canadiens devient de moins en moins pertinente. Cette division nuit à l’unité du peuple canadien et l’empêche d’aller vers l’avant pour construire un Canada nouveau et uni.

L’idée d’une république canadienne n’est ni nouvelle, absurde ou impossible. Il y a 175 ans, Mackenzie et Papineau, avec leurs rebelles, patriotes et frères chasseurs tant au Haut qu’au Bas Canada, se battaient déjà pour des républiques canadiennes. Ces idées n’étaient pas les plus populaires, mais de nos jours, la majorité de la population ne voit pas l’utilité de la monarchie pour le Canada, on s’en tape simplement. Abolir notre monarchie serait très simple, mais rendus là, ce serait le système pour le remplacer qui serait fortement débattu. Celui de l’Irlande est un modèle fort intéressant. Cette république fonctionne sous un système très semblable au nôtre, sauf qu’elle fait élire son Président par suffrage universel. Ce Président n’est en réalité qu’un Gouverneur Général élu. Alors, on peut se demander d’où viennent les idées des monarchistes qui pensent que l’abolition de la monarchie ne mènerait qu’au chaos et à l’incertitude. En effet, ces idées ne sont aucunement fondées sur des principes logiques et ne servent qu’à effrayer la population, puisque l’élection d’un Chef d’État canadien ne causerait pas plus de chaos que n’importe quelle autre élection, et, serait beaucoup moins arbitraire que la simple nomination d’un Gouverneur général. En adoptant un système républicain, le Canada deviendrait plus démocratique sur papier et démontrerait vraiment l’indépendance et l’unité du Canada, ainsi que son désir d’aller de l’avant sans être enchaîné par le passé.

Le plus beau dans tout ça c’est qu’on n’aurait même pas besoin de demander aux Français d’emprunter leur guillotine. On n’a qu’à arrêter de faire semblant que ce vieux système est utile et de s’en débarrasser pour de bon. Tout comme on a poliment demandé notre constitution, on pourrait surement demander notre propre souveraineté.

Pour un système scolaire sans ségrégation religieuse

En septembre 2011, je publiais ce billet sur mon blogue alors que l’Ontario était à la veille d’élire un gouvernement minoritaire libéral. Ce gouvernement vient de livrer son premier budget, lequel touche certains intérêts des Franco-Ontariens. Puisque le budget Duncan mènera à des fusions géographiques de conseils scolaires, ma réflexion sur les politiques scolaires de la province prend une pertinence nouvelle.


Pour une rentrée scolaire sans ségrégation religieuse

Si vous avez des enfants, inutile de vous rappeler que la rentrée scolaire est arrivée. Vous avez déjà englouti des sommes folles pour les fournitures scolaires et les vêtements de vos petits anges. Vous avez probablement rencontré plusieurs enseignants et réglé les nombreux détails de l’inscription.

Une tracasserie supplémentaire se présente si vous habitez l’Ontario. Votre progéniture fréquentera-t-elle une école du réseau 1) francophone publique, 2) francophone catholique, 3) anglophone publique ou 4) anglophone catholique?

Ne riez pas. Les contribuables ontariens financent bel et bien quatre systèmes scolaires distincts. Vous pouvez l’imaginer, ce morcellement pose de sérieux problèmes de gestion. Les chevauchements de ces multiples réseaux coûteraient près de 500 million de dollars par année.

Cela provoque des situations absurdes. Lorsque le nombre d’enfants décline dans une petite communauté, cela cause souvent une sous-occupation à la fois dans l’école publique et dans l’école catholique. Au lieu de regrouper tous les élèves dans une seule école commune, les conseils scolaires se voient alors forcés de fermer toutes les écoles locales. Ce sont les enfants qui en subissent les conséquences. Ils sont séparés de leurs amis de quartier et se voient imposer de longs trajets quotidiens en autobus.

Une atteinte à l’égalité et à la liberté de conscience

Je ne plaiderai pas pour un système unique. L’éducation de langue française est essentielle pour la survie de la minorité francophone. C’est un élément central du pacte fondateur canadien et le résultat de la longue lutte historique des Franco-Ontariens. En revanche, la ségrégation religieuse n’est pas indispensable. Il y a d’autres endroits que l’école pour apprendre les dix commandements. La grande majorité des parents dans la grande majorité des pays occidentaux transmettent leur foi en privé.

En fait, il y a d’importants principes qui militent pour la déconfessionalisation des écoles ontariennes. Pourquoi financer les Catholiques mais exclure les Musulmans, les Juifs ou les Protestants? La pratique est foncièrement discriminatoire. Elle attaque aussi la liberté de conscience de sept millions de non-catholiques en les forçant à subventionner les enseignements du Vatican, tout en leur empêchant d’être embauché dans ce même réseau scolaire.

La Commission des droits de l’homme de l’ONU a dénoncé cette iniquité à deux reprises, en statuant que le système scolaire ontarien viole le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Nous nous retrouvons ainsi dans le même club que la Corée du Nord, le Soudan et la Chine.

Quand les évêques s’en mêlent

Ce qui aggrave les choses, c’est que les réseaux catholiques abusent fréquemment de leurs privilèges. Ils forcent leurs enseignants à se référer à la Bible et au Catéchisme dans les cours de chimie et de biologie et ils empêchent leurs pupilles de s’exprimer librement sur la question de l’avortement.

Le plus décevant, c’est peut-être l’insensibilité des écoles catholiques à l’égard de leurs élèves gais et lesbiens. On se rappellera que le Conseil de Durham s’est battu bec et ongle pour interdire à l’un de ses étudiants d’assister au bal de fin d’étude en compagnie de son amoureux. Plus récemment, le Conseil scolaire de Halton et l’école St. Joseph de Mississauga interdisaient aux élèves gais et lesbiens de former des groupes de support. Le Conseil de Dufferin-Peele a poussé le ridicule jusqu’à censurer les images d’arc-en-ciel, jugées «trop politiques».

Pis encore, le Toronto District Catholic Board vient d’adopter une résolution qui défie l’esprit de la directive d’équité et d’inclusion du Ministère de l’éducation en stipulant que «lorsqu’il y a un conflit apparent entre les droits confessionnels et d’autres droits, le conseil favorisera la protection des droits confessionnels». C’est ainsi que des dispositions adoptées en 1867 pour protéger une minorité sont perverties pour harceler une autre minorité.

Neutralité de l’État et intégration citoyenne

Je ne veux quand même pas pointer les Catholiques du doigt. Toutes les religions ont leurs caprices. C’est le principe même d’une école à la fois publique et religieuse qui est aberrant.

L’État ne peut sanctionner un crédo particulier. Il doit surplomber les innombrables visions rivales de la vie bonne. Pour que chacun puisse vivre selon ses convictions particulières, l’État ne peut promouvoir que les grands principes nécessaires au vivre-ensemble, à la démocratie et à la liberté.  L’éducation publique ne saurait servir à l’endoctrinement sectaire.

Le système actuel nuit aussi à l’intégration des nouveaux Canadiens. La province qui accueille le plus d’immigrants est aussi celle qui sépare ses enfants le plus gravement, en multipliant les ghettos scolaires. En quoi cette ségrégation religieuse contribue-t-elle à la formation d’une citoyenneté commune?  Insensée pour la majorité anglophone, cette mesure est suicidaire pour la minorité francophone. Les Franco-Ontariens ne peuvent se permettre de diluer leurs ressources et d’éparpiller leurs enfants.

L’immobilisme des partis politiques

La saine administration, les droits de la personne, le respect des minorités et l’intégration des immigrants sont autant de bonnes raisons de mettre fin à la ségrégation religieuse. Sondage après sondage, les Ontariens confirment leur appui à cette solution. Pourtant, la question reste taboue. À quelques jours de la campagne électorale provinciale, les chefs évitent le sujet comme la peste. Scrutez les plateformes politiques à la loupe: aucun n’y fait allusion.

L’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 protège le réseau catholique, c’est bien vrai, mais rien n’empêche l’Ontario de procéder à un amendement bilatéral avec Ottawa. La procédure est légitime, simple, et a été utilisée par le Québec et par Terre-Neuve-et-Labrador. Non, les obstacles ne sont pas légaux, mais politiques. En Ontario, la question des écoles séparées a été explosive en 1985 et en 2007 et les trois grands partis favorisent maintenant le statu quo.

Le Parti Conservateur est l’allié traditionnel des groupes religieux et il ne peut heurter cette base électorale en défendant la laïcité. John Tory croyait avoir trouvé une solution équitable lors des dernières élections, en promettant de financer les écoles de toutes les religions. La proposition a provoqué un tollé qui a largement contribué à sa défaite électorale. Son successeur, Tim Hudak, a bien appris la leçon et évite scrupuleusement le sujet.

Depuis le règne de Mitchell Hepburn, les Libéraux bénéficient habituellement du vote catholique. Ils appuient donc le système actuel. L’administration McGuinty a élaboré une excellente politique d’équité et d’inclusion dans les écoles mais n’a pas osé l’imposer aux écoles récalcitrantes. Quand à Andrea Horwath, elle se montre tout aussi réticente, peut-être à cause de l’influence des syndicats d’enseignants catholiques au sein du NPD.

La ségrégation religieuse de nos enfants est onéreuse, rétrograde et inéquitable. Il est grand temps de déconfessionaliser les écoles anglophones et francophones de l’Ontario. Les politiciens tenteront à tout prix d’éviter le sujet. À nous de les interpeller pendant cette campagne électorale.


Photo : Les élèves de la classe de sixième année à l’École Duhamel (Ottawa) vers 1940.

Le cri de celles qu’on n’entend pas

 «Je n’ai jamais réussi à définir le féminisme. Tout ce que je sais, c’est que les gens me traitent de féministe chaque fois que mon comportement ne permet plus de me confondre avec un paillasson.»
– Rebecca West

Pour plusieurs, notre combat est archaïque, désuet, voire démodé. On nous traite de radicales, de «chialeuses professionnelles», d’enragées ou de frustrées. On nous accuse d’haïr les hommes, de vouloir «dominer le monde», d’être hystériques. Nombreux sont ceux et celles qui n’osent joindre nos rangs de peur de subir les préjugés négatifs associés à notre cause. D’autres croient que nous perdons tout simplement notre temps puisque les femmes auraient déjà atteint «l’égalité totale» au sein de la société canadienne. Somme toute, notre discours semble déranger et on aimerait bien nous faire taire.

Alors, pourquoi être féministe aujourd’hui ? Pour moi, la réponse est simple :

[arrow-list]
[li]Parce qu’encore, en 2012, les femmes subissent de nombreuses injustices.[/li]
[li]Parce qu’elles sont toujours obligées de se battre pour le respect de leurs droits fondamentaux.[/li]
[li]Parce qu’elles représentent la moitié de l’humanité et que la société ne semble pas entendre leurs voix…[/li]
[/arrow-list]

Si vous n’êtes pas convaincu.e.s, lisez les données ci-dessous attentivement…

Au Nouveau-Brunswick, en dépit de leur éducation, leurs compétences et leur expérience de travail, les femmes gagnent toujours moins que leurs confrères masculins. En 2009, dans cette province, les femmes gagnaient en moyenne 86,8% de ce que gagnaient les hommes, un écart de 13,2%.

De plus, au Nouveau-Brunswick., le revenu moyen des femmes est de 22 875$, 67% du revenu des hommes (34 321$). Le revenu moyen des femmes autochtones est de 17 650$. La plupart des femmes qui ont un emploi travaillent à temps plein (78%) mais bien plus de femmes que d’hommes ont un emploi à temps partiel (22% contre 9,5%).

70 % des femmes occupent des postes à prédominance féminine dans les secteurs de l’enseignement, les soins infirmiers et professions du domaine de la santé, le travail de bureau ou administration, les ventes et services. Pendant longtemps, on leur a relégué ce travail, puisqu’on considérait que c’était leur rôle «instinctif» de s’occuper des personnes âgées, de gérer l’éducation des enfants et les tâches ménagères. Avec le temps, on a intériorisé cette division du travail et elle est devenue naturelle pour la société.

Mentionnons aussi qu’en raison des inégalités économiques, les femmes sont souvent les premières victimes de la pauvreté. En 2001, on comptait 32 734 familles monoparentales au Nouveau-Brunswick. Et dans 84 % des cas, le chef de famille monoparentale était une femme. En 1999 au Nouveau-Brunswick, le revenu moyen d’une famille monoparentale dirigée par une femme s’élevait à 20 484 $, comparativement à 29 358 $ si elle était dirigée par un homme. En 2007, presque une mère seule sur trois (30%) au N.-B., et une sur quatre au Canada (23%) vivaient sous le seuil de la pauvreté. Il est inacceptable que tant de femmes et d’enfants vivent dans la misère aujourd’hui…

D’autre part, il semble rester beaucoup de chemin à faire pour que les femmes aient le plein contrôle de leur corps et de leur sexualité. La preuve : le dossier de l’avortement demeure très controversé et revient souvent faire les manchettes dans la province et au pays. Les conservateurs fédéraux de Stephen Harper ont d’ailleurs encore récemment tenté d’adopter un projet de loi pour limiter ce droit fondamental, reconnu dans la Constitution canadienne. Le fait de mettre un enfant au monde ou non est une décision très délicate et personnelle, qui peut grandement affecter la vie d’une femme. Pourtant, ce sujet semble toujours être au cœur des débats publics. L’Église et les groupes pro-vie n’ont pas de gêne à dicter aux femmes ce qu’elles peuvent et ne peuvent pas faire de leur propre corps.

Pour ma part, j’attends toujours le jour où on imposera aux hommes de se faire faire des vasectomies afin de contrôler les naissances ! J’attends toujours aussi le jour où les militants pro-vie se battront pour aider les mères monoparentales qui vivent dans la pauvreté et leurs enfants déjà nés…

Il semble toujours y avoir la règle du «deux poids, deux mesures» en ce qui a trait à la sexualité des femmes. Un homme qui assume pleinement sa sexualité et qui a de nombreuses partenaires sexuelles est souvent considéré comme un héros, un gars «viril» alors qu’une femme qui adopte le même comportement se fait traiter de pute ou de salope…

Partout, dans les magazines, à la télévision, au cinéma, on continue de présenter les femmes comme des objets qui n’ont comme seul rôle de séduire et de plaire. On leur fait comprendre qu’elles n’ont pas à être intelligentes et à penser, en autant qu’elles soient belles ! Elles doivent faire énormément d’efforts pour être à la hauteur des standards de beauté et de minceur. La popularité de la chirurgie plastique et des traitements au Botox a d’ailleurs explosé au cours des dernières années. J’ai parfois l’impression que les femmes n’existent qu’à travers leur corps. On détermine leur valeur d’après leur poids. Si elles sont grosses ou moches, elles n’existent pas, n’ont pas de valeur.

Même phénomène en politique : on ne juge pas les candidates selon leurs programmes politiques, mais selon leurs vêtements et leur apparence… Vous n’avez qu’à regarder la situation chez nos voisins américains pour en témoigner… Les remarques des commentateurs républicains au sujet des femmes me font frémir… À les écouter, on se croirait au Moyen Âge !

Et comme on pouvait s’y attendre, les femmes demeurent aussi sérieusement sous-représentées dans les structures du pouvoir politique et de la prise de décision à l’échelle locale, provinciale et nationale.

[arrow-list]
[li]À l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, seulement 13% des députés étaient des femmes en janvier 2010, le plus faible taux parmi les provinces. Au niveau national, la proportion de femmes à la Chambre des communes stagne autour d’un sur cinq depuis une quinzaine d’années. À la fin de 2009, le Canada se classait 47ième parmi 187 pays pour la proportion de femmes élues au Parlement national.[/li]
[li]Un déséquilibre grave persiste au sein de certains organismes d’intérêt aux femmes, surtout dans les domaines du développement économique, des ressources naturelles et de l’emploi.[/li]
[/arrow-list]

Cette appropriation du corps de la femme semble aussi donner libre cours à la violence. Les statistiques, bien que sous-évaluées, en disent long : près de la moitié des femmes du Nouveau-Brunswick, soit 46 %, auraient vécu au moins un incident d’abus physique ou sexuel depuis l’âge de 16 ans. Dans 84 % des accusations de harcèlement (harcèlement criminel) déposées au Nouveau-Brunswick entre le 1er avril 2000 et le 31 mars 2001, les victimes étaient des femmes (source: Service d’information juridique du Nouveau-Brunswick).

Comment est-il possible qu’en 2012, nous en soyons encore là ? Au Canada, les femmes se battent depuis plus de 60 ans pour qu’on reconnaisse leurs droits fondamentaux. Et pourtant, il semblerait que le combat soit toujours à recommencer. On entend tous les gouvernements parler de l’importance du respect des droits de l’homme et de la démocratie. Mais est-ce que les droits de l’Homme excluent ceux des femmes ? Ces dernières sont fatiguées de crier dans le désert. Combien de temps devrons-nous encore attendre pour qu’on entende notre voix ?

Je vous laisse avec quelques citations intéressantes sur le féminisme :

«Il y a des femmes sur terre depuis la création du monde, elles sont l’un des deux sexes fondateurs de notre espèce, les hommes ont 50% de sang de femme qui coule dans leurs veines; et pourtant, nous pouvons facilement voir sans sourciller tout un bulletin de nouvelles sans qu’y apparaisse un seul visage de femme. Ce sont encore des hommes qui tiennent les caméras, choisissent les plans et ce qu’on nous donne à voir.» – Hélène Pedneault

«Une moitié de l’espèce humaine est hors de l’égalité, il faut l’y faire rentrer : donner pour contrepoids au droit de l’homme le droit de la femme.» – Victor Hugo


Image: Nature Girls (Jumping Janes), Martha Rosler, 1966–72