Mars 2012. Université d’Ottawa.

Pendant tout le mois de février, j’avais continué mes expérimentations, qui consistaient à systématiquement tenter de parler français aux commerçants des villes hors Québec, présentant toutefois une forte minorité francophone. Mais, bien vite, j’avais renoncé à défendre mes convictions et ce, au sein même de mon Université.

Malgré plusieurs tentatives de commande en français, cela faisait près d’un mois que je m’étais résignée à m’adresser en anglais aux serveurs et aux serveuses des prestataires extérieurs installés dans les locaux de l’Université d’Ottawa – je parle ici essentiellement du Second Cup au rez-de-chaussée de la bibliothèque Morisset et du Starbucks du Pavillon Desmarais.

Je me sentais un peu butée, même bête, de persister à utiliser ma langue devant leurs yeux ébahis, leur incompréhension. J’avais parfois eu la chance de tomber sur un francophone ou sur un anglophone capable de me comprendre sans problème, mais, depuis que je passais mes commandes en anglais, impossible de savoir si mon interlocuteur aurait pu comprendre le français.

Surtout, je ne me sentais pas légitime dans ma démarche; si l’Université assurait le bilinguisme de ses propres services, j’étais convaincue qu’elle n’avait aucun droit de regard sur la politique de recrutement des services fournis par des entreprises extérieures dans ses locaux. Par ailleurs, mes amis québécois ou franco-ontariens ne m’apportaient pas vraiment leur soutien. Je sentais même que je les mettais mal à l’aise lorsque j’insistais trop longtemps pour avoir accès à un service en français alors que nous faisions la file ensemble pour acheter un café ou un encas. La dernière fois que j’avais demandé à être servie dans ma langue, j’avais eu droit, de la part de l’employée qui avait été appelée pour s’occuper de moi, à un ironique et méprisant: «J’adooore les Français…».

Et puis il a commencé à faire beau, et très chaud. Bizarrement, c’est ça qui m’a remotivée ! Le 5 avril 2012, j’ai écrit un courriel à la Commission permanente des affaires francophones et des langues officielles de l’Université d’Ottawa pour savoir si mon sentiment était fondé: les prestataires extérieurs présents sur le campus étaient-ils libres de recruter des unilingues anglophones? Et, si c’était le cas, serait-il envisageable d’imposer le bilinguisme ou la volonté de se former comme critère d’embauche, étant donné que le prestataire installé dans l’enceinte de l’Université, vu l’affluence de la population étudiante, faisait sans doute d’importants bénéfices grâce à cette localisation?

Cinq jours plus tard, j’avais ma réponse: à ma surprise, j’apprenais qu’il y avait bien une clause de bilinguisme dans les contrats passés avec les sous-traitants embauchés par l’Université et les entreprises privées louant des locaux sur le campus!

Le lundi 7 mai 2012, je recevais un second courriel. La responsable du service alimentaire, après avoir insisté sur le fait que l’une des priorités de l’Université était de s’assurer que ses sous-traitants embauchent du personnel bilingue, m’annonçait avoir informé le directeur de Chartwells (responsable de l’exploitation de la majorité des points de vente) de la difficulté à se faire servir en français. Un suivi avait été fait auprès du personnel et une personne avait été mandatée par la compagnie afin d’assurer la formation continue des employés parlant le français comme deuxième langue et de favoriser l’embauche de candidats bilingues.

Depuis, j’ai vu plusieurs changements dans les services fournis par les entreprises privées sur le campus. Mais ce sera l’objet d’un autre article!

La Nuit sur l’étang 2012 : vision asséchée

À l’époque des têtards

Originalement conçue comme étant une prise de parole pour la communauté franco-ontarienne de l’Université Laurentienne, de Sudbury, voire du Nouvel-Ontario, et en étant le premier lieu de diffusion d’une nouvelle vague d’artistes, La Nuit sur l’étang a déjà été beaucoup plus qu’un simple show rock. C’est pour souligner la clôture du congrès Franco-parole de 1973 (qui avait comme but d’étudier l’état du fait français à l’Université Laurentienne) que ce happening multidisciplinaire où tous y trouvaient quelque chose d’intéressant, a vu le jour… euh, la nuit, pour la première fois.

Cela dit, les temps ont changé. La Nuit d’autrefois n’existe plus. Si on parlait autrefois de ce show annuel comme étant «la folie collective d’un peuple en party», dernièrement on pouvait en parler comme étant «le n’importe quoi individuel d’une petite gang qui n’avait aucune idée ce que voulait le peuple».

Comme l’a dit notre collègue Félix Acheté dans son billet intitulé Pourquoi je ne suis pas à La Nuit sur l’étang, l’évènement est maintenant «un show rock auquel on associe une certaine mythologie, puisqu’on nous dit que ça a déjà été autre chose qu’un simple show». Pis ça finit pas mal là. Or, le nom qu’on y accordait à l’origine s’avérait peut-être plus prophétique qu’on le croyait : dans le fond, un étang, c’est une petite étendue d’eau stagnante. Faudrait-il peut-être voir à retourner à quelque chose de plus qu’un simple show rock?

Retour précaire à l’excellence?

Malgré tout, La Nuit semble quand même vouloir se positionner pour redevenir l’évènement pour lequel elle détient sa renommée. Soulignons quelques points forts et quelques points faibles de l’édition 2012.

Un bar dans la salle? Merci. Y’était temps. Au fil des années, le bar a toujours été un problème. Que ce soit au Collège Boréal, où on divisait la salle en deux (un côté bar, un côté non), à l’École secondaire Macdonald-Cartier (bar dans la cafétéria, spectacle dans le gymnase), ou bien à l’auditorium Fraser (bar dans une salle sur un autre étage entièrement), on ne pouvait pas jadis prendre un verre en écoutant le spectacle. Le choix de déménager le spectacle au Grand Salon de l’Université Laurentienne a au moins permis que les spectateurs puissent prendre une bonne bière en écoutant ce qu’ils ont payé 35 $ pour voir, même si la qualité du son en a souffert.

Malgré ce bon flash, il est resté un grand problème : on ne pouvait pas se commander une bière en français à La Nuit cette année. Ayant lieu à l’Université Laurentienne, La Nuit a dû faire affaire avec Aramark, le service de traiteur qui détient le monopole sur la vente de bouffe et de boisson sur campus. Heureusement, il devrait être facile de rectifier la situation en exigeant des serveurs francophones.

Le même problème était également vrai du côté des gardes de sécurité. Lorsqu’on fait sortir une foule d’au-delà de 300 francophones, n’est-il pas réaliste qu’on engage également des gardes de sécurité qui vont dialoguer avec la foule dans sa langue?

Disons-le. Le calibre des musiciens était élevé, et le choix des artistes était plus cohérent. Ça faisait du bien voir des musiciens franco-ontariens embarquer sur scène. Cela dit, ça faisait bizarre de voir le Jeudi Soir, un groupe composé uniquement de jeunes hommes, monter sur scène après l’ouverture du show par Cindy Doire. Y’ aurait-il eu une façon plus organique d’intégrer ces gars au tout?

Si on pouvait compter au moins 300 spectateurs, il restait, malgré tout, un grand espace vide du côté gauche et à l’avant de la salle. Ça faisait bizarre de voir les trois quarts des spectateurs assis à la droite de la salle, tandis que le côté gauche et le devant étaient vides. C’est presque comme si on ne s’était pas vraiment donné la peine de réfléchir à la disposition de la salle. Disons-le, il est difficile pour La Nuit (ou n’importe quel autre évènement de langue française) d’attirer plus de 300 spectateurs à Sudbury sans faire une campagne de promotion exorbitante. Voilà pourquoi il est doublement important d’accorder une attention particulière à la disposition de la salle. Peut-on suggérer qu’on place moins de chaises et qu’on le fasse de façon à ne pas diviser la salle l’année prochaine?

Du côté des décors, on dira que l’intérieur de la salle était bien décoré. On n’a pas vu d’usages abusifs du drapeau franco-ontarien et les diviseurs de salle étaient recouverts d’affiches de La Nuit. Par contre, à l’entrée de la salle, les décors étaient beaucoup moins bien réfléchis. On y retrouvait plusieurs cut-outs de femmes peinturées de façons éclectiques. L’image d’une femme enceinte avec une pancarte en dessous disant «femme heureuse» aurait franchement pu être mieux réfléchie…

Malgré qu’on ait mentionné sur scène le fait que les décors avaient été fabriqués par le Centre Victoria pour femmes, cela n’était pas indiqué à l’entrée. Peut-être qu’en soulignant ceci aux spectateurs, ces derniers auraient mieux apprécié ce que les décors devaient représenter.

Une Nuit blanche multidisciplinaire pour 2013?

Si le «festival» a cessé d’être «la folie collective d’un peuple en party» au cours des dernières années, l’édition de 2012 était néanmoins une nette amélioration sur celle de 2011.

On a appris que l’année prochaine, La Nuit espère nous livrer un «nouveau» concept pour son quarantième anniversaire, soit celui d’une «Nuit blanche» où on pourra participer à une foire des différents médiums. En fait, on parle plutôt d’un retour à La Nuit des années 70 : multidisciplinaire, plus libre et plus longue. Bref, c’est prometteur, mais seulement si le CA s’assure de mieux définir la vision de la soirée plus précisément. L’édition de 2012 avait comme thème, «les femmes», mais rien de plus. Pourquoi fallait-il souligner les femmes en 2012? Attention, nous ne remettons pas en question la validité de ce choix, mais plutôt la logique du CA en l’adoptant.

À l’automne 2011, La Nuit a tenu son «visionning» (ce qui semblait être un genre d’AGA ouvert à la communauté) afin d’obtenir des commentaires et des suggestions pour s’améliorer. Malgré les quelques heures de discussion, on n’a pas pu déterminer si La Nuit devait être un évènement «toast cheeze whiz» ou «baguette camembert» pour reprendre les mots des participants. C’est à dire, on ne pouvait pas décider si on devait orienter le spectacle vers un public «plus raffiné» ou vers un public de «average joes». L’édition 2012 semble vouloir être «baguette camembert», mais elle ne réussit pas à dépasser le contexte «toast cheeze whiz» pour les raisons qu’on souligne dans ce texte. On est entre les deux mondes. Si on cherche réellement à être le juste milieu, pourquoi ne pas miser sur ceci dans la promotion de l’évènement? De cette façon, on cesse de plaire moyennement à plein de monde et on plait beaucoup à la majorité.

Il faudra donc nous expliquer tout au long de la préparation du quarantième, pourquoi la Nuit blanche est pertinente. On espère entendre plus que «parce qu’on veut un méchant party» comme raison. Les méchants partys, y’en a à longueur d’année à Sudbury.

Si on veut fêter toute la Nuit, tant mieux… mais faisons-le comme du monde. On vous laisse avec quelques suggestions de plus pour l’an prochain : notamment, il faudra penser à offrir de la bouffe (s.v.p. arrangez-vous pour ne pas servir que de la pizza pep and cheese, on est en 2012 et les végétariens existent), un service de navette ou de taxi pour rapporter les gens à la maison (d’ailleurs, pourquoi n’y pense-t-on pas déjà? La conduite en état d’ivresse est déjà un gros problème. Le Regroupement des gens d’affaires francophones du district de Sudbury le fait lors de ses évènements, pourquoi pas la Nuit?), donner de plus longues pauses entre les prestations (désolé, on a de la misère à faire quoi que ce soit pendant plus de 2 heures sans arrêter), et laisser les pros faire leur job (des poètes pour lire de la poésie sur scène, par exemple).  Autrement, La Nuit risque d’être affligée à nouveau par la médiocrité qui l’a paralysée pendant aussi longtemps.


Photo: little goose, dry swamp, par Mele Avery