Quand Statistique Canada nous examine la langue

Statistique Canada vient de publier une nouvelle étude tirée des plus récentes données du recensement sur la langue. Dans L’évolution du bilinguisme français-anglais au Canada de 1961 à 2011, les auteurs observent que la proportion de Canadiens pouvant soutenir une conversation en français et en anglais «a quelque peu décliné pour la première fois après quatre années de croissance consécutives». Ce type d’étude peut parfois être très éclairant, en proposant des portraits statistiques qui mettent en perspective des perceptions souvent partagées dans la population, mais dont il est difficile de rendre compte. Toutefois, le principal défaut de ces études de Statistique Canada est l’absence d’analyse des résultats obtenus. Je propose quatre pistes d’analyse qui mériteraient certainement d’être approfondies.

Premièrement, il est très préoccupant que de moins en moins d’étudiants anglophones à l’extérieur du Québec soient exposés à l’enseignement du français langue seconde. Cette tendance est très pernicieuse, surtout dans le contexte où le discours officiel et institutionnel souligne à grands traits que l’avenir de la dualité linguistique au Canada passe par les jeunes. Or, «les jeunes anglophones de l’extérieur du Québec sont de moins en moins bilingues». On pellette par en avant, mais voilà que ceux à qui incombera cette tâche n’ont plus de pelles! Dans ce cas-ci, il faudrait poser la lorgnette sur le travail des gouvernements provinciaux, dépositaires de la compétence constitutionnelle en éducation. N’est-ce pas eux qui permettent que l’exposition au français langue seconde soit réduite dans les curriculums? Pourquoi réduire cette exposition? Par souci d’économies? Pour privilégier des matières plus vendables sur le marché du travail en leur consacrant plus de temps en classe? Par manque d’enseignants qualifiés? C’est à se demander aussi si le volet Apprentissage de la langue seconde du programme Mise en valeur des langues officielles de Patrimoine canadien n’est pas en train de rater ses cibles et si l’argent reçu par les gouvernements provinciaux pour offrir de tels programmes est réellement utilisé à cette fin.

Deuxièmement, si la proportion de nouveaux immigrants reçus à l’extérieur du Québec qui ne parlent pas le français augmente, il y a peut-être lieu d’interroger Citoyenneté et Immigration Canada, qui tarde à respecter les engagements qu’il a pris à l’égard des communautés francophones en situation minoritaire. Année après année, les cibles de nouveaux immigrants francophones dans ces communautés fixées par le gouvernement canadien ne sont pas atteintes. Or, il ne faut certainement pas incomber la faute aux nouveaux arrivants, mais bien à ceux qui les sélectionnent. L’étude ne fait pas référence aux critères de sélection des immigrants, la langue n’étant qu’un item parmi tant d’autres dans le système de points établi par le gouvernement fédéral. C’est donc en aval de la sélection qu’il est nécessaire d’agir. Dans la nouvelle mouture de la Feuille de route pour les langues officielles présentée par le gouvernement canadien, 120 millions de dollars sont consacrés à de nouveaux programmes de formation linguistique pour les immigrants économiques. Après les montants consacrés à l’enseignement des langues officielles, il s’agit du plus important poste de dépense de la Feuille de route. Il est permis d’espérer qu’un montant aussi important permettra effectivement d’augmenter la proportion d’immigrants pouvant utiliser le français à l’extérieur du Québec. Il faudra suivre de près l’évaluation de ces programmes et les données du prochain recensement pour en mesurer les effets.

Troisièmement, l’étude évite de répondre à la question «qui est bilingue?» Bien qu’elle y fasse brièvement référence, elle ne s’attaque jamais à cette question de front. La proportion de personnes bilingues n’est pas répartie équitablement entre les personnes de langue maternelle française et anglaise. Il est clair que la proportion de francophones bilingues est beaucoup plus importante, particulièrement dans ce que l’étude qualifie de «zones de contact», concept édulcoré s’il en est un. L’étude souligne que c’est dans ces zones que l’on retrouve la plus forte proportion de personnes bilingues, mais aussi que ce sont les francophones qui y sont proportionnellement plus bilingues. L’étude banalise cette situation, alors que si ce sont les francophones qui sont les plus bilingues dans ces zones, c’est qu’ils en ressentent le besoin beaucoup plus que les anglophones. Autrement dit, les francophones considèrent que leur langue ne suffit pas pour continuer à évoluer dans ces zones de contact, ce qui ne fait pas nécessairement partie de l’équation chez les anglophones. Ce sont donc les francophones minoritaires qui assument principalement les coûts associés au bilinguisme. Pourtant, en cherchant à traiter symétriquement les deux communautés linguistiques, on gomme du même coup cette distinction importante.

Finalement, l’étude note que la croissance de la population bilingue est plus rapide au Québec qu’ailleurs au Canada. Si le ton de l’étude laisse entendre que Statistique Canada se réjouit de cette situation, il est à croire que la réaction ne sera pas la même du côté du gouvernement du Québec. Somme toute, il pourrait y voir un échec de ses propres politiques linguistiques en raison des pressions exercées par le régime linguistique fédéral. Il pourrait même se servir des résultats de cette étude pour justifier la révision de son propre régime linguistique, qu’il a d’ailleurs déjà entamée avec son projet de loi 14. L’objectif du régime linguistique québécois n’est certainement pas d’accroître le taux de bilinguisme individuel, mais bien de préserver le statut du français sur son territoire. Dans ce contexte, de telles données peuvent paraître préoccupantes.

Avant de terminer, il y a tout de même lieu de souligner le travail des deux auteurs de l’étude. Malgré ses défauts, l’étude sonne l’alarme et met en lumière des tendances que gouvernements et acteurs de la société civile doivent renverser. En utilisant les données de huit recensements depuis 1961, ils réussissent à inscrire leurs observations dans la durée. À nous, maintenant, de les contextualiser et de les analyser.

Vivre en français – le 11 janvier 1971

On a trouvé ceci, et on trouve que 40 ans plus tard, on est encore en train parler des mêmes maudits enjeux. Quand l »auteur parle de télévision, pensons plutôt à Internet. Quand il parle de Canadiens-français catholiques, pensons aux Franco-ontariens «pure-laine». Quand il parle de sauver la «race», pensez à nous qui essayons de «sauver la culture» en l’institutionnalisant.  Quand vous voyez 1971, pensez à 2013. Ensuite, pensez à 2051. Nous, dans 40 ans, on aimerait bien ça pouvoir dire qu »on a progressé. 


Vivre en français

Le Voyageur, le 11 janvier 1971

Le passé n »a rien de particulièrement impressionnant pour les jeunes d »aujourd »hui, eux que la télévision, entre autres, a formé à l »actuel et au raisonnablement possible, eux à qui la télévision offre de faire valoir immédiatement leurs idées ou réalisations pour autant que celles-ci s »insèrent naturellement dans un contexte à la fois utile et humanitaire.

Et, pour ces mêmes jeunes, l »enseignement à outrance, l »enseignement «coûte que coûte» de divers principes d »où brille par son absence toute connotation actuelle, n »a pas plus de valeur ou de signification qu »un éléphant dans un bol de soupe.

Ça, ce sont des comportements observables, qui ne sont pas sujets à discussion. Devant eux, on adopte deux attitudes : bien on regarde, on cherche, et l »on comprend ou alors on fait l »autruche et, forcément on ne comprend rien à rien.

Pour la jeunesse franco-ontarienne, ces problèmes d »incompréhension – déjà lourds à assumer – se doublent d »un autre, non moins lourd à supporter : celui des instruments naturels de communication et de la langue en particulier.

Pour un jeune Franco-Ontarien, parler français ça veut souvent dire faire un effort. Probablement que si la chose était possible, il trouverait plus aisé de parler «mathématique». En tout cas, il lui est plus naturel de parler en anglais. Et comment oserait-on lui reprocher ce comportement qu »il tient de la nature même de son environnement? Communiquer, comme on s »en doute bien, c »est essentiel. Et probablement que le jeune Franco-Ontarien trouve plus de bonheur à mal communiquer en anglais [certaines choses changent, quand même!] qu »à ne pas réussir à communiquer du tout en français!

De bonnes âmes de patriotisme tout imbues, tentent malgré tout de sauver la «race», ignorantes toutefois des données élémentaires capables de stimuler véritablement le désir chez ces jeunes de tout d »abord, vouloir vivre en français, et, ensuite, de faire les efforts nécessaires pour normaliser une situation que l »histoire a laissé se détériorer.

Encore en 1971, on fait appel à «la fierté d »être un Canadien catholique d »expression française». Puis sans faire ni un ni deux, on se gargarise à pleine gorge des nobles motifs qui devraient assurer la naissance et l »explosion de cette fierté : «notre passé: nos aïeux et leur oeuvre; notre survivance; nous-mêmes et nos qualités; notre mission et la Providence»!

Et voilà qu »on se surprend ensuite à ne pas comprendre cette jeunesse qui online casino nederlandsegokken s »entête à ne pas vouloir être fière! Quelle ingratitude, en effet! «Nous portons bien haut le flambeau et l »idéal de la race, et voilà que cette jeunesse pour qui nous le faisons nous trahit, ajoutant à cela l »arrogance d »un sourire narquois qui pourrait nous faire croire que ce que nous disons ou faisons relève de l’imbécillité pure».

De l »imbécilité, assurément non. Mais l »intransigeance de la jeunesse face à ses propres valeurs, fait que trop souvent elle crée l »intolérance face à celles de ceux qui l »ont précédée.

Et l »on peut se demander à ce point-ci, qui doit faire l »effort de comprendre qui. La réponse semble évidente.

Véritable effort de compréhension, voilà sûrement l »essentiel. Compréhension de la jeunesse elle-même, compréhension surtout du contexte qui la forme et dans lequel elle doit vivre. Compréhension, entre autres, d »un fait capital : les valeurs et les instruments traditionnels, à plusieurs niveaux et particulièrement à celui de la langue pour les Franco-Ontariens, n »ont plus d »impact – si toutefois ils en ont jamais eu!

Les valeurs du passé? Non. Ce sont les valeurs du temps actuel, de l »Action actuelle qu »il faut faire ressortir. Et, quand c »est nécessaire, favoriser cette action actuelle, animer le dynamisme de cette jeunesse.

Il n »y a vraiment plus qu »une fierté que cette jeunesse-là peut acquérir, et c »est la fierté d »elle-même, de ses propres actes : c »est la marque de notre temps. Le reste devient accessoire et s »acquiert au gré des besoins, des gestes, des réflexions.

– Hubert Potin, éditeur en chef du journal Le Voyageur, 1971


Dans la vie, il y a des choses qui ne changent jamais.

Deux polices de la langue très différentes

Le 23 septembre 1996. En réclamant davantage d’affichage commercial en français, l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO) tentait d’attirer sur elle un peu de l’attention médiatique dont profitait alors Howard Galganov d’Alliance Québec, qui contestait la loi québécoise limitant l’affichage commercial en anglais.


Je suis devenu assez vieux pour voir l’histoire se répéter et ça n’a rien de réjouissant. Les plus jeunes que moi n’ont qu’à feuilleter le livre Bâtir sur le roc, une histoire de l’ACFO du Grand Sudbury publiée par Prise de parole, pour se faire une mémoire d’emprunt.

En profitant du courant d’air déplacé par Howard Galganov, le militant qui réclame de l’affichage commercial en anglais à Montréal, voici que l’Association canadienne-française de l’Ontario à Sudbury et à Ottawa réclame à son tour des affiches en français. L’occasion est belle, après tout, de mettre l’émoi anglais au service du français. Or, ce n’est pas la première fois que l’ACFO de Sudbury s’y essaie. Ils ont déjà fait ce bel effort dans les années soixante-dix. Aujourd’hui, peu de traces en restent. Malgré les trente années de débat constitutionnel qui ont suivi, Sudbury ne s’affiche pas plus en français aujourd’hui. Car en vérité, une affiche commerciale française en Ontario, c’est au mieux une dépense inutile et au pire, un irritant inutile. Pour tout dire, même les commerçants francophones n’affichent pas en français.

On dit qu’il y a deux minorités de langue officielle au Canada. Parfois même, comme ces temps-ci, on prétend que leur cause est la même. C’est ainsi qu’un chroniqueur de la Montreal Gazette a pu reprocher aux Franco-Ontariens la timidité de leur version du brouhaha de Galganov. Eh bien, voilà justement la preuve que les deux minorités ont en vérité bien peu en commun à part leur nombre. Le gouvernement du Québec subventionne trois universités unilingues anglaises ; le gouvernement de l’Ontario, aucune université unilingue française. Il y a sept collèges anglais au Québec établis depuis longtemps, contre deux collèges tout récents en Ontario. Ne cherchez pas en Ontario l’équivalent des hôpitaux anglophones du Québec, des médias, des services, des commerces anglophones, et ainsi de suite.

Mais la plus grosse différence, la voici. Howard Galganov a pour cible une loi, qu’il juge injuste et oppressive peut-être, mais une loi formelle aux limites claires. Les Canadiens-Français d’Ontario, eux, ont pour cible une loi autrement difficile à contester : la loi des attitudes. En Ontario, les lois couchées sur papier sont de notre bord. La constitution canadienne garantit l’éducation en français. Or l’Ontario s’en balance sans que personne ne s’en indigne. De même, la loi 8 sur les services gouvernementaux en français peuvent rester fictifs sans que personne ne s’en offusque. En Ontario, on n’aura jamais besoin d’une loi officielle pour limiter le français comme on en a une au Québec pour limiter l’anglais. Ici la loi des attitudes est un frein bien suffisant. C’est une loi si bien ancrée dans les cœurs et les esprits de la majorité qu’elle se passe bien d’une police de la langue.

En dépit de leur forte population canadienne-française et en dépit de trente ans de discours sur le beau Canada bilingue, Sudbury, Timmins ou Kapuskasing demeurent des villes anglaises qui n’ont jamais voulu montrer leur visage français. On peut décrire la mentalité ontarienne de bien des manières, mais jamais on ne pourra dire qu’elle aime les « visage à deux faces ». Pour avoir deux faces, pour jouer le majoritaire minoritaire, il faut un Anglo-Montréalais comme Howard Galganov. Et pour ne pas perdre la face, l’ACFO s’en tiendra à des demandes timides et vite oubliées.


Ce texte fut publié dans le recueil de nouvelles De face et de billet, par Normand Renaud, aux éditions Prise de parole, 2002. Reproduit avec permission.

Photo: Bon Cop, Bad Cop

C’est de ma faute, et je l’admets.

Je viens d’une famille en fissure. Non, mon enfance n’était pas remplie de pauvreté ou de violence, bien au contraire: j’étais sain et sauf, et on avait de l’argent. Je me souviens que j’étais très heureux et que la vie était bonne. La fissure dont je parle ne pouvait pas être vue à l’oeil nu et elle n’était pas immédiatement évidente. Elle n’était pas physique ou psychologique, mais culturelle. D’un côté, j’avais ma mère et sa famille qui sont francophones. J’imagine que c’était sa décision de m’apprendre le français. De l’autre côté, la famille de mon père est italienne. Il ne parle aucun français, mais il pensait lui aussi que c’était une bonne idée pour mon frère et moi d’être bilingues.

En réalité, je parlais le français bien avant que je puisse parler l’anglais. Mes premiers mots ont été en français et les premiers beaux souvenirs de ma vie furent passés au chalet de mon grand-père sur la Rivière des Français avec ma famille et mes cousins qui se parlaient tous en français. À cet age-là, je ne me suis jamais senti bizarre à parler français avec ma famille. C’était la réalité. C’était nous.

À la maison, je parlais en français avec ma mère et mes grand-parents, mais quand mon père était présent, on parlait l’anglais pour qu’il puisse comprendre. Quand on visitait la famille de mon père, c’était en anglais. Tous mes cousins italiens parlaient l’anglais et les sujets de conversation entre les adultes étaient souvent différents de ceux que j’entendais chez ma famille française. Les valeurs de famille semblaient être différentes elles aussi. Du côté français, on célébrait la joie de vivre, la religion et l’éducation et du côté italien, c’était l’argent. Comme cultures, deux côtés opposés du spectre. En rétrospective, je me suis toujours senti comme le mouton noir durant ces fêtes de famille italiennes et je n’ai jamais vraiment su pourquoi.

Je ne sais pas exactement quand tout a changé pour moi et pour nous. En grandissant, j’imagine que c’était les médias anglophones et les émissions de télévision en anglais qui ont changé ma personnalité. Petit à petit, dans la famille comme aux écoles, nous les jeunes, on commençait à se parler en anglais. On conversait en anglais de plus en plus et je me sentais de moins en moins confortable en français.

Par la cinquième ou sixième année d’école, durant la récréation, on se parlait complètement en anglais. Le seul français que l’on pouvait entendre était celui de la surveillante qui nous hurlait de parler français. D’une certaine manière, c’est devenu embarrassant de parler en français. À ce point là dans nos vies, ce n’était pas à nous de choisir un futur en français, notre sort était choisi par nos parents. Nous étions simplement en train de suivre leurs instructions.

Par le temps que je me suis trouvé au secondaire, j’étais si profondément enraciné dans mes passe-temps américains du skateboard, du graffiti et du punk rock que j’avais baissé le volume de la francophonie complètement, hors de ma vie personnelle. C’est vrai, j’allais à l’école secondaire Macdonald-Cartier, mais mon coeur était ailleurs. J’ai choisi de ne pas prendre part aux classes de musique et d’arts dramatiques même si j’y étais invité. D’une façon, je ne me sentais pas assez français. Ces élèves-là se parlaient en français hors de la classe, et moi j’avais de la misère. Honnêtement, j’avais de bonnes notes dans mes classes de français et on m’a même offert une bourse pour étudier au Collège Boréal. Je pouvais lire et écrire en français, mais je ne pouvais pas interagir en français. Je ne me souviens pas d’avoir parlé français dans les corridors ou dans la cafétéria. Malheureusement, il semble que tu peux quand même obtenir un diplôme sans même parler français hors des salles de classe.

Je dois dire qu’en réfléchissant, Macdonald-Cartier, ou Macjack comme on l’appelait, était une très bonne école. Il n’y avait pas beaucoup de cliques et tout le monde s’entendait bien. Si je devais tout recommencer, je ferais la même chose. Heureusement, j’ai su très tôt que je voulais aller au Collège Cambrian pour poursuivre des études en graphisme. Dans ma tête et dans mon esprit, j’ai pensé que je n’avais plus besoin de la francophonie. Après tout, je n’aurais pas besoin du français pour suivre mes rêves. L’industrie, ainsi que ma ville, semblait être exclusivement anglophone.

Pendant ce temps, mes parents se sont séparés et ma mère et mon père avaient de nouveaux partenaires. Le nouveau chum de ma mère était un homme égocentrique qui pensait que c’était irrespectueux de parler le français devant lui. Mon domicile était devenu anglais. Je ne parlais même plus français avec ma mère, même si elle essayait de me forcer.

Je l’admets, j’ai passé des années sans parler français. Au collège je n’ai pas dit un mot de français tout le temps que j’y étais. Durant les étés, j’allais en tournée avec mon band punk rock à travers les États-Unis et le Canada alors je ne voyais pas ma famille française. J’ai obtenu mon diplôme du Collège Cambrian et je me suis lancé directement sur le marché du travail.

Une journée, après avoir perdu mon emploi durant la crise économique de 2008, tout a changé.

J’ai décidé de fonder ma propre entreprise de design avec un ami et on a commencé, grâce à la recommandation d’un ami, à faire du travail pour le Carrefour francophone. C’était vraiment la première fois que j’ai vu avec mes propres yeux que le français se parlait dans la vraie vie à Sudbury, hors des classes et loin de la surveillante qui harcèle. J’ai senti la passion de la francophonie qui coulait en eux et ça m’a inspiré. De là on a rencontré plusieurs organismes francophones de Sudbury qui continuent à m’étonner. Ces gens ont souligné l’importance d’être francophone en Ontario. Ils m’ont montré que c’est possible de vivre en français même dans une société anglophone. Leurs objectifs font appel à moi. Surtout, ils ont réussi, sans même essayer, d’allumer en moi une étincelle de fierté. Là où les écoles ont échoué, ces organismes ont réussi. Mon esprit francophone est né.

J’aimerais dire que c’était la faute d’une école, des enseignants ou de la faute de mes parents si j’avais perdu mon français, mais en réalité, c’est la mienne. J’aimerais dire que c’est la ville de Sudbury qui m’a forcé à oublier ma langue maternelle, mais encore une fois, c’était de ma faute. Je reconnais mes propres échecs. Je reconnais aussi les mauvais choix que j’ai faits, mais je refuse d’accepter la défaite. Au fil des trois dernières années, j’ai fait un 180 complet. Je fais de mon mieux pour lire des livres francophones. Je fais de mon mieux pour écouter la musique et la radio francophone. Je fais de mon mieux pour contribuer à notre culture francophone avec ma firme de marketing — non pour l’argent, mais parce j’y tiens. C’est vrai, tu peux vivre à Sudbury sans entendre un mot de français. Je le sais. C’est comme ça que j’ai vécu pour plusieurs années. Maintenant, je réalise que c’est à moi, non seulement  de chercher la culture francophone, mais aussi de la créer. Parfois, dans les milieux professionnels, je sens que mon français est critiqué. À ces gens-là, je leur dis que je m’en fous. Je continue à m’améliorer, pas pour vous, mais pour moi et pour ma famille. Ça prend de l’effort, mais l’effort, j’en ai. Pour mon grand-père qui a soulevé une famille et établi une pratique de médecine francophone ici à Sudbury, je continue de l’avant en français moi aussi. Je fais ma part.

Je me pose la question : Quand décides-tu que tu es vraiment un francophone? Ce n’est pas un diplôme, une fleur de lys, une chanson de Paul Demers, un maudit drapeau vert et blanc ou une famille qui peut me rendre francophone — c’est ma décision de choisir de l’être. C’est à moi, et seulement à moi, de pratiquer, d’interagir et de vivre en français. Je décide de me battre pour la francophonie au nord de l’Ontario— non en accusant, mais en étant.

Trop, c’est comme pas assez

Je suis une hybride, une métisse à la peau blanche.

Je suis, pour paraphraser une chanson de Jean Leloup, une fille d’Ottawa, grandi à Ste-Catherine, d’une mère franco-ontarienne et d’un père du bas de Lachine.

Trop québécoise pour les Canadians, trop ontarienne pour les Québécois, je suis entre deux chaises. Parfaitement bilingue, j’ai appris à parler l’anglais quand j’ai commencé à parler. Je suis donc trop anglaise pour les français, et trop française pour les anglais. Pas assez ontaroise, pas assez québécoise.

Je ne suis pas une vraie Québécoise selon les uns, je ne suis pas une vraie Canadienne selon les autres. Je suis une expatriée dans mon propre pays. Pourtant, sur papier, je suis la Canadienne modèle. Je suis le wet dream de Pierre Elliott Trudeau.

J’ai lu quelque part qu’on ne pouvait pas ne pas être indépendantiste si on connaissait bien son Histoire. Eh bien! Je connais mon Histoire sur le bout des doigts. Et parce que je connais mon Histoire, je ne suis pas souverainiste, ne le serai jamais. Être souverainiste, ce serait renier le pays de mes ancêtres, eux qui l’ont bâti, l’ont porté à bout de bras et me l’ont légué. Ce serait trahir leur mémoire. Être souverainiste, ce serait pour moi la même chose que déshériter mes enfants, les priver de leur bien le plus précieux. Ce serait écraser leur avenir. Être souverainiste, ce serait aussi renier une partie de moi-même, de mon identité.

Je crois au Canada, même si je ne crois pas au Canada ultra-militariste et born again de Stephen Harper. Les premiers ministres, les gouvernements, sont toujours remplacés, un jour ou l’autre. En attendant ce jour, je continue à bâtir ce pays, pour le léguer à mon tour à mes enfants.

N’en déplaise à ceux qui trouvent que je suis trop ceci, ou pas assez cela, je ne suis pas une french frog. Je ne suis pas une dead duck. Je ne suis pas une vendue, ni une colonisée. Je suis canadienne-française, et je le dis avec fierté.

S’aventurer dans la cour arrière de Patrick Watson

Patrick Watson
Adventures In Your Own Backyard
Secret City Records/Domino Records

Si taGueule publie une critique d’un album complètement en anglais, il faut que ce soit un maudit bon album. Eh bien, voici qu’arrive le tout nouvel album du montréalais Patrick Watson, Adventures In Your Own Backyard.

Après une nomination au prix Polaris pour chacun de ses deux plus récents albums (et une victoire d’ailleurs!), la barre était haute pour celui-ci et Watson ne déçoit pas une miette. Pour ce quatrième album, Patrick et sa formation ont enregistré l’album dans leur salle de répétition, d’où vient l’inspiration du titre de l’album. Comparé à Wooden Arms, son dernier album, Adventures In Your Own Backyard est un album moins éclectique, plutôt simple, mais toujours émouvant d’un bout à l’autre. C’est plus terre-à-terre et beaucoup plus axé sur les paroles et le chant.

L’album reprend le style pop/alternatif/folk/cinéma des dernières oeuvres de le formation. De la première piste, Lighthouse, avec son piano somptueux et une fin digne des meilleurs moments de splendeur, jusqu’aux dernières sombres notes de l’instrumental épilogue, Swimming Pools, l’album crée une atmosphère qui éclabousse en toute douceur. Il n’y a pas de chansons cheese, accrochantes ou emmerdeuses. Il n’y a que des simples mélodies permutées par la voix falsetto du chanteur, par des sons de trompettes et par des ambiances parfaitement placées. Les paroles de l’album racontent les ballades autour du voisinage, la campagne, l’amitié; l’album est quasiment un hommage à la vie chez lui au Québec. On dirait un miroir littéraire de The Suburbs d’Arcade Fire.

Patrick Watson célébra ce soir le lancement canadien de son album avec un troisième et dernier spectacle à guichet fermé au Théâtre Corona de Montréal. Pour le Canada et l’Europe continentale, un des albums les plus anticipés de l’année est finalement arrivée. L’album sortira le 20 avril en Allemagne et au Royaume-Uni, le 30 avril ailleurs sur la planète sauf aux États-Unis où ils devront attendre au 1er mai, un 24 heures de plus.

[h3]Pour les fans de[/h3]
Radiohead, Karkwa, Arcade Fire, The Cinematic Orchestra, Jimmy Hunt, City and Colour

[h3]Moments forts[/h3]
Lighthouse, The Quiet Crowd, Into Giants, Noisy Sunday

Je suis tanné

Je suis tanné qu’on me parle d’assimilation.
Je suis tanné qu’on parle de l’assimilation dans les médias québécois. Le but de ces reportages n’est pas d’informer, c’est de faire peur.
Je suis tanné d’être la personnification des peurs des Québécois face à la fin possible, plausible, probable, éventuelle, inévitable et certaine du fait français en Amérique.
Je suis tanné de dire aux Québécois qu’il y a des francophones au Manitoba.
Je suis tanné de leur faire comprendre aussi que mes parents ne sont pas nés au Québec. Je suis tanné d’expliquer que nous y sommes depuis des générations et que nous n’avons ni le goût, ni le besoin de déménager au Québec pour vivre en français.

Je suis tanné d’être un animal exotique dans un pet-shop.
Je suis tanné d’être une curiosité.
Je suis tanné qu’on me dise que je suis un francophone «hors» Québec. Je ne suis pas à l’extérieur de quoi que ce soit.
Je suis tanné qu’on dise qu’il y a un million de francophones «hors» Québec. Ce n’est pas vrai : il y en a 300 millions.
Je suis tanné qu’on me demande où sont mes bottes et mon chapeau de cowboy.
Je suis tanné qu’on me demande si les nuits sont longues à Winnipeg.
Je suis tanné de Pierre Lalonde.
Je suis tanné de corriger les gens : Gabrielle Roy et Daniel Lavoie ne sont pas des Québécois.
Je suis tanné que notre culture semble souvent se résumer à ces deux figures.

Je suis tanné d’écouter les médias québécois. Je me fous éperdument de la congestion des ponts à Montréal.
Je suis tanné d’écouter la télévision québécoise. J’en ai rien à cirer des nouvelles « régionales » provenant du Québec. Une décision du conseil municipal de Victoriaville ne constitue pas, à mon sens, une nouvelle «nationale.»
Je suis tanné d’avoir seulement deux ou trois heures d’antenne à Radio-Canada qui soient produites ici.
Je suis tanné qu’à la météo de Radio-Canada, il y ait 2 cartes pour les provinces atlantiques (pourtant, il y a 4 provinces), 6 cartes pour le Québec, 2 cartes pour l’Ontario et 1 carte pour le reste (environ la moitié du pays.) Comme quoi la météo à Vancouver et Winnipeg est sensiblement la même.
Je suis tanné de ne pas me reconnaître à la télévision francophone.
Je suis tanné de ne pas m’y identifier.
Je suis tanné que nos histoires et nos visages n’y sont pas.
Je suis tanné que nous soyons réduits à des magazines culturels où nous nous «amusons» en français.
Je suis tanné de me faire passer pour un cave.

Je suis tanné que nos produits culturels ne soient pas disponibles partout au pays, y inclus au Québec.
Je suis tanné que notre littérature ne soit pas connue.
Je suis tanné de voir nos artistes s’exiler au Québec.
Je suis tanné de voir nos artistes préférer pratiquer leur art en anglais.
Je suis tanné qu’on me demande si c’est difficile de faire du théâtre en français au Manitoba. Je ne sais pas. Est-ce que c’est difficile de faire du théâtre à Montréal?

Je suis tanné de faire les choses «pour la bonne cause».
Je suis tanné de voir des spectacles de piètre qualité pour appuyer «la bonne cause». En soutenant ces derniers, nous perpétuons, normalisons et édifions la médiocrité.
Je suis tanné du manque d’esprit critique. Selon moi, une société qui évolue dans l’absence de la critique est vouée à la médiocrité.

Je suis tanné de la francophonie de souche.
Je suis tanné des «pures laines».
Je suis tanné de la xénophobie, de la ségrégation, de la discrimination et du racisme.
Je suis tanné des fascistes.
Je suis tanné de la hiérarchie de la francophonie et de l’élitisme.
Je suis tanné de l’intolérance. D’ailleurs, je ne tolère plus l’intolérance.
Je suis tanné de la fermeture d’esprit. Qui est plus ouvert d’esprit? Des parents anglophones (qui ne parlent pas un traître mot de français) qui décident d’inscrire leur enfant à une école d’immersion pour que leur enfant puisse s’épanouir sur les plans culturel et linguistique ou le francophone qui doute que ce dernier veuille seulement apprendre le français pour s’assurer d’avoir un futur emploi dans la fonction publique?
Je suis tanné du cynisme.
Je suis tanné qu’on dise qu’il y a trop d’anglais dans nos écoles. Tous les adolescents veulent faire partie de la «gang.» Ils veulent appartenir à quelque chose. Lorsque vous évoluez dans un milieu anglophone, n’est-ce pas tout à fait normal de vouloir appartenir à cette «gang»?
Je suis tanné qu’on dise qu’on naît francophone. C’est faux. Dans une situation minoritaire, nous choisissons d’être francophones. Et c’est un choix tout à fait illogique et déraisonné. Pourquoi choisissons-nous consciemment de vivre en marge de la société dans laquelle nous évoluons? C’est un choix émotif, pas du tout logique.
Je suis tanné qu’on dise qu’il y en a qui ont choisi de ne plus parler français. L’ont-ils vraiment choisi?

Je suis tanné que les étudiants de l’immersion se sentent inférieurs et qu’on dise qu’ils viennent diluer la qualité de la langue, qu’ils représentent une menace, qu’ils viendront nous contaminer, qu’ils sont un virus à éradiquer.
Je suis tanné qu’ils ne se sentent pas bienvenus.
Je suis tanné qu’ils se sentent exclus de l’espace francophone.

Je suis tanné qu’on parle des Anglais sans savoir de qui on parle. Ici, les Anglais ne sont pas tous Anglais : ils sont Ukrainiens, Polonais, Juifs, mennonites, Russes, Allemands, Irlandais, Écossais, Islandais et j’en passe.
Je suis tanné qu’on parle de la masse anglophone comme s’il s’agissait d’un monolithe.
Je suis tanné qu’on parle du Québec et de la France comme s’il s’agissait de monolithes.
Je suis tanné des monolithes.

Je suis tanné que les Québécois qui viennent s’installer ici ne se sentent pas chez eux. Idem pour les Français.
Je suis tanné qu’on ne fasse pas plus d’efforts pour intégrer les immigrants «africains.»
Je suis tanné qu’on dise immigrants «africains». L’Afrique est un grand pays (sic.) Prétendre qu’ils sont tous pareils est faux. Si vous avez des doutes, vous n’avez qu’à vous rappeler que les Européens ne sont pas tous pareils. Les Français et les Allemands ne se sont pas toujours bien entendus, à ce que je sache. Idem avec les Anglais.
Je suis tanné du «Speak White».

Je suis tanné de l’extrémisme, du militantisme, du fondamentalisme francophone.
Je suis tanné du dogmatisme, de l’intolérance et de l’intransigeance.
Je suis tanné du fanatisme et des gens qui nous exhortent à adhérer à des principes d’une doctrine dite francophone. La francophonie et la défense de celle-ci ne sont pas une religion. J’espère que nous n’avons pas remplacé les soutanes de la Grande Noirceur par des vestons cravates.
Je suis tanné des grands sorciers et des oracles qui occultent la vérité avec leurs rapports et leurs statistiques.

Je suis tanné d’avoir le sentiment que je n’en fais jamais assez, que je doive toujours en faire plus, que je doive toujours faire un effort.
Je suis tanné de la pression, du stress, et surtout du jugement des autres.

Je suis tanné du ton moralisateur chez certains francophones.
Je suis tanné des prétentieux qui pensent mieux savoir ce qui est bon ou mauvais pour moi.
Je suis tanné de me faire dire comment je devrais vivre ma vie.

Je suis tanné que le français soit tellement un «guilt trip».
Je suis tanné de me sentir coupable quand je parle anglais.
Je suis tanné de me faire dire que je parle tout croche, que je parle avec un accent, que j’utilise way too much d’anglais or que c’est pas alright de talker pis de hang-outter avec mes buds avec une beer, en franglais.
Je suis tanné qu’on me corrige constamment.
Je suis tanné de me promener avec un Bescherelle pis un Petit Robert dans ma poche arrière.
Je suis tanné de conjuguer le participe passé.

Je suis tanné qu’on me parle d’exogamie.
Je suis tanné qu’on me demande si mon épouse parle français.
Je suis tanné qu’on lui réponde en anglais même si elle comprend le français.
Je suis tanné qu’on me demande si on parle français à la maison.
Je suis tanné qu’elle se sente exclue, même dans ma propre famille.
Je suis tanné qu’on me demande si mon fils parle français. Il a deux ans. Il parle en «Bébé.»

Je suis tanné de l’ignorance.
Je suis tanné de l’arrogance.
Je suis tanné de la suffisance.

Je suis tanné d’expliquer, de revendiquer, de défendre.
Je suis tanné de me battre.

Je suis tanné de toujours être sur le point de disparaître.
Je ne suis pas un lapin.

Je suis tanné de mourir.

Comme une histoire d’amour

Entre deux langues à aimer d’amour vrai, c’est comme entre deux personnes. Il faut choisir. Vous me direz que les langues, ce n’est pas pareil. Une personne bilingue peut aimer les deux. Mais si le français se propose et l’anglais s’impose, si on peut dire non à l’une mais qu’on doive dire oui à l’autre, si le mariage est forcé alors que l’amour est libre, il n’y a que le français pour se laisser aimer. En Ontario, on parle anglais pour les autres et français pour soi. Une langue vous promet la petite vie ordinaire, l’autre, une aventure sentimentale.

Quand il est question de la qualité du français des Franco-Ontariens, nous balançons toujours entre deux attitudes : être exigeant ou être accueillant. À coups de règles de grammaire et de règle sur les doigts, nous risquons de perdre l’envie de parler français. Mais à force de laisser-faire, nous risquons de perdre la capacité de parler français. D’une manière ou l’autre, ce n’est pas le confort. Étourdis par ce balancement, beaucoup de nous finissons par croire n’être pas si français que ça. Voilà l’erreur à dénoncer pour révéler… le grand amour que nous vivons sans le savoir !

Notre sentiment de n’être pas assez bons en notre langue, c’est justement la preuve que nous l’aimons vraiment. Si elle nous laissait indifférents, nous n’aurions pas ce sentiment. Mais devant elle, nous sommes insatisfaits, intimidés, un peu honteux. Nous voudrions être meilleurs pour elle, à cause d’elle. Voyez-vous ? Nous sommes tous en amour sans le savoir ! Devant notre langue non conquise, nous doutons, craignons, hésitons, bafouillons. Nous ne savons que dire ou comment dire. Nous voudrions paraître à l’aise et confiants. Mais ce que à quoi nous aspirons nous fait sentir incapables et indignes. Nous pourrions fuir, la langue dans nos poches. Beaucoup le font. C’est dommage. Ils tournent le dos à la vie. Ils ratent une grande aventure sentimentale.

Car la langue, comme le grand amour, s’installe au centre du monde. Tout n’existe que par elle. Tu n’existes qu’en elle. Tu ne vois que par elle. Ce qui est beau vient d’elle. Comme le grand amour, la langue française en Ontario ne se vit pas paisiblement. Elle fait oser et douter. Elle donne envie de foncer et envie de fuir. Elle est exigeante, compliquée, difficile, imprévisible. Elle ne se donne pas facilement. Alors pourquoi vouloir d’elle ?

C’est pour être soi-même qu’on aime. C’est pour délivrer une présence autre et meilleure cachée en soi. Tout ça est fou. C’est est une croyance insensée, une erreur vraie, une illusion merveilleuse, un échec presque assuré. Être Franco-Ontarien, ce n’est pas normal. Ça ne vient pas tout seul et ça ne reste pas sans effort. Ce n’est pas ce qu’on est malgré soi, c’est qu’on est malgré tout. C’est ce qu’on ose parce qu’on devine que ça mène au bonheur. C’est ce qu’on fait parce qu’on sent qu’au fond, on le mérite.

Voilà le discours qu’il faudrait tenir de meilleure façon et sur un meilleur ton, pour dire aux enfants à l’école et aux adultes au travail que l’assimilation, c’est une bien triste erreur. Voilà ce qu’il suffit de comprendre pour que tout ce qui fait mal et ce qui va mal d’être Franco-Ontarien devienne comme un honneur et une drôle de joie. Être Franco-Ontarien, c’est comme vivre une histoire d’amour. Ce n’est pas reposant. Mais il n’y a pas plus bel espoir.


Ce texte fut publié dans le recueil de nouvelles De face et de billet, par Normand Renaud, aux éditions Prise de parole, 2002. Reproduit avec permission.

Photo: Serge Gainsbourg (français) et Jane Birkin (british), 1968

Laurentie: un WTF cinématographique

Il y a une couple de semaines, je suis allé voir L’acadie! L’acadie!?! à la cinémarobothèque de l’Office National du Film à Montréal avec ma blonde. Elle ne l’avait jamais vu et il fallait, évidemment, que je lui montre ce classique.  En passant par là, j’ai pris un programme pour les Rendez-vous du cinéma québécois qui était en full swing à ce moment-là. C’est en regardant le programme que je me suis dit qu’il semblait y avoir des ben bons films. Et qui l’eut cru, il y avait un film franco-ontarien.

C’est la description du film qui m’avait convaincu. En gros, Laurentie, c’est un film qui met en scène toute l’angoisse et le malaise d’un francophone cherchant à se retrouver des repères alors qu’il est confronté à une proximité menaçante de l’autre : son voisin anglophone.

Fait que, n’ayant pas vraiment le budget ou le temps de voir plus d’un film aux RVCQ cette année, je me suis dit Fuck it, forget le film franco-ontarien, je vais aller voir Laurentie à la place. D’ailleurs, je l’avais déjà vu, La Sacrée, pis ça avait plus le goût d’une Molson réchauffée qu’une bonne bière artisanale. Je sais, je sais, c’est un premier long métrage de fiction franco-ontarien, c’est important. Well, Aurore, l’enfant martyre aussi, c’était important.

Bon, back to Laurentie. Le titre de ce film québécois est une référence à ce pays lyrique imaginé par toute une génération d’intellectuels nationalistes de droite ultramontaine. Vous savez, la clique brébeufienne et certains profs de l’Université vaticane de Montréal. Oh oui, Pierre Trudeau y adhérait, je crois que vous le connaissez. En tout cas, le but de cette bourgeoisie nationaliste : la fondation d’une république catholique française fondée sur le modèle des états franquiste, en Espagne, et fasciste, en Italie.

Les réalisateurs, Mathieu Denis et Simon Lavoie, ont choisi le titre ironiquement. Le film ne se passe pas à cette époque-là; il se déroule plutôt dans le Montréal de nos jours. Louis Després, 28 ans (incarné par Emmanuel Schwartz), y va pas très bien. Non, en fait, il va assez mal. Il est perdu. Il est un être totalement asocial et il s’apprête à perdre le nord. Il emménage dans un nouvel appartement. Son voisin est un anglophone.

Pour l’anglophone la vie est belle. Il est étudiant, il est content, populaire, bref il est tout le contraire de Louis, qui l’observe discrètement, avec une fascination perverse. Louis ne parle à personne. Il ne s’intéresse pas à la banalité de la vie que se racontent ses collègues.

Certains plans-séquences durent de cinq à dix minutes. Le temps s’étire, le vide de la vie se fait sentir. Louis va boire dans un bar avec ses amis. Il se bat avec des Anglais. Louis boit de la bière avec ses chums. En silence. Louis se paye une danse contact dans un bar de danseuses. Louis se branle au travail. Louis baise sa blonde sans romantisme et à vrai dire, sans érotisme. Louis se branle dans la salle de bain de son voisin durant un party. Sans jamais jouir. Ce film est fabriqué à partir de scènes comme ça, étirées au maximum. Une scène montre même un vieux à marchette qui se dirige lentement vers la sortie de l’église. En temps réel. La seule scène où Louis semble heureux est un retour en campagne, dans un semblant de Laurentie, mais la réalité le reprendra et le ramènera de force à Montréal. Dans certaines scènes, des extraits de textes sont projetés sur l’image, citant des poèmes de Saint-Denys Garneau, Anne Hébert, Gaston Miron, Hubert Aquin qui contrastent par leur espoir d’un pays, le désespoir des images.

La force du film est  sa construction cinématographique particulière et le culot de nous montrer des scènes crues en temps réel, ce qui se voit rarement de nos jours au cinéma. Et il faut avouer que c’est un risque qui a valu la peine.

Pour ce qui est du message politique, à part critiquer le marasme du mouvement nationaliste au Québec et le manque d’identité claire et précise au Québec, il est difficile de savoir exactement ce que les réalisateurs voulaient dire.  Après la projection de branlages sur l’écran, j’ai assisté à une séance de masturbation intellectuelle au Bistro SAQ où les réalisateurs se défendent contre un panel qui ne se reconnaît pas dans leur film. « Je n’ai aucun malaise face à mes voisins anglophones » ou « Je suis capable de vivre mes deux identités sans problème », entend-on. Je crois qu’ils sont tombés à côté de la plaque. J’avais l’impression que le panel avait pris le film pour une apologie d’Hérouxville plutôt qu’un portrait de la situation qui lui donne voix. Et le besoin de régler la question, justement pour pas que l’on repasse par Hérouxville sur le chemin de l’affirmation identitaire. Mais certaines interventions des réalisateurs m’ont laissé perplexe. Je n’avais peut-être pas bien compris; c’était peut-être moi qui étais tombé à côté de la plaque. En tout cas, le film provoque la discussion, c’est déjà ça. Et explorer la complexité de cette question au Québec est aussi essentiel à la résolution de la question identitaire chez nous, en Franco-Ontarie.

Outre la question politique, le film demeure intéressant. Je ne sais toujours pas si je l’ai « aimé ». Ce n’est peut-être pas le genre de film que l’on aime ou que l’on déteste. Néanmoins, il participe et contribue à la richesse du cinéma québécois et propose autre chose d’un point de vue esthétique. Principalement pour cette raison, il mérite d’être vu.

Le doigt d’honneur : court survol du doigt le plus long

Je me souviendrai toujours de la première fois que j’ai donné «le doigt». Je devais avoir 8 ans. J’étais dans l’autobus en route pour l’école quand un p’tit morveux dans un autre autobus m’a donné le doigt. J’ai instinctivement répliqué avec le mien à la grande surprise de la conductrice de l’autre autobus qui m’attrapa en plein acte. Ça n’a pas pris 2 minutes que notre autobus s’arrête et que Debbie, notre conductrice, chicane tout le monde au grand complet afin de savoir qui était le snoreau qui avait levé ce doigt sacré. Je n’ai jamais avoué ce geste publiquement avant aujourd’hui. Sorry Debbie.

Le majeur est un doigt, parmi tant d’autres, mais comment a-t-il eu sa si mauvaise réputation? Voilà le sujet de mon billet d’aujourd’hui.

On s’en est tous servi à un moment donné dans un élan de frustration en plein trafic ou en l’affichant en direction de quelqu’un qu’on méprise pendant qu’il avait le dos tourné.

“I wasn’t born with enough middle fingers to let you know how I feel.” — Proverbe inconnu

Récemment, c’est Adele au Brit Awards, MIA au Superbowl et Jacques Languirand lors du lancement de la programmation de Radio-Canada qui se sont laissé emporter par le majeur. Mais d’où vient-il?

Historique du doigt d’honneur

Les origines du doigt d’honneur sont un peu floues.

Une des premières utilisations connues du doigt d’honneur date de plusieurs siècles. En Grèce antique, il était connu sous le nom κατάπυγον (katapugon, de kata – κατά, « vers le bas » et pugē – πυγή, « fessier, derrière ») qui faisait référence à un geste phallique utilisé au théâtre comme insulte voulant dire un homme qui soumet à la pénétration anale. D’ailleurs, on y retrouve une référence dans la comédie Les Nuées d’Aristophane en 423 av. J-C.

Mais l’histoire qui m’allume le plus est celle de la Guerre de Cent Ans… les Français contre les Anglais.

L’amputation pendant la Guerre de Cent Ans

On est quelque temps entre 1337 et 1453. Les archers anglais adoptent le longbow sur le terrain de guerre contre les Français, ce qui leur permet d’atteindre une supériorité face à la cavalerie et aux arbalétriers français. Ça prend deux doigts pour tirer le longbow, l’index et le majeur. Les Français, pas cons, amputent le doigt du milieu des soldats anglais capturés pour qu’ils ne puissent plus tirer à l’arc s’ils s’échappent. Depuis, en réponse, les Anglais lèvent fièrement leurs majeurs en direction des troupes françaises avant une bataille dans l’idée de dire « Come and get ’em, boys! ». Et on pensait que nos chicanes entre « solitudes » étaient graves.

“The peace sign is just a trigger and a middle finger.” — Little Wayne

Du Moyen-Âge à la re-popularisation

Le doigt se fait discret au Moyen-Âge grâce à la présence de l’Église Catholique qui décourage fortement son utilisation. On le croirait mort jusqu’à ce qu’une nouvelle invention vienne mettre de l’huile sur le feu et place le majeur au sommet de sa popularité : la photographie.

Old Hoss Radbourn's Finger

En 1886, Charles « Old Hoss » Radbourn, lanceur de baseball pour les Boston Beaneaters, glisse son doigt dans une photo d’équipe. Dans un flash, le hall-of-famer lance un mouvement américain de rébellion et d’humour, bref, une attitude punk avant d’être punk. Charles Radbourn est le premier hipster.

Pendant le 20e siècle, le doigt d’honneur fait son entrée triomphante dans toutes les sphères de la société. Le doigt assume sa place dans la culture populaire et politique.

Nelson Rockefeller, vice-président des États-Unis, lève son majeur en guise réponse à des manifestants contre la guerre au Vietnam en 1976.

Autres doigts d’honneurs populaires

Le majeur, étrangement bien préservé, de Galilée peut être vu au Museo di Storia del Scienza en Italie. Le doigt du célèbre astronome a été volé du corps par Anton Francesco Gori en 1737. Gori aurait détaché ce souvenir pendant qu’il déménageait le corps. Galilée donne encore fièrement le doigt à tous ceux et celles qui douteraient de sa théorie héliocentrique.

Lors d’un passage de train à Salmon Arm en Colombie-Britannique, Pierre Elliott Trudeau n’a pas hésité un instant à donner son fameux « Trudeau Salute » à des manifestants qui lui criaient des bêtises antifrancophones en 1982. On aurait aimé avoir une photo de ça!

Une scène classique de The Matrix où M. Anderson refuse de coopérer avec Smith.

Cette photo classique de Johnny Cash a été prise par le prisonnier Jim Marshall pendant son concert à la prison San Quentin en 1970. Marshall, le photographe a dit qu’elle était “probably the most ripped off photograph in the history of the world.”

Personne ne sait vraiment quand est-ce qu’il a été tourné, mais chose certaine, c’était pendant qu’il était gouverneur du Texas et il ne savait pas que la caméra tournait. Ce clip a premièrement fait son apparition sur Salon.com en 2004.

Ce petit oiseau est loin d’être en voie d’extinction. Hissez-le fièrement, mais pas trop souvent. Limitez son usage qu’à des circonstances très précises. Le doigt d’honneur est sacré. Il ne faudrait pas l’abuser ni l’amadouer.

Quelles sont vos utilisations du doigt d’honneur préférées?

Lectures recommandées

Is giving the middle finger offensive? – NPR
101 Ways to Flip the Bird, Jason Joseph and Rick Joseph, 2007
The Field Guide to the North American Bird, Adam and Lauren Blank, 2004