Ce mouton n’a pas vu le loup

Le 7 février 1997. Les médias canadiens faisaient une belle place au lobbying d’Alliance Québec, organisme porte-parole des revendications des anglophones du Québec. Mais l’idée ne venait à personne de comparer leur condition à celle des francophones de l’Ontario.


Le groupe de pression anglophone Alliance Québec réussit encore ces temps-ci à ameuter l’opinion publique canadienne. Comme toujours, ces cris au loup résonnent avec ironie dans nos oreilles franco-ontariennes, tant nous savons que le péril est pire chez nous. Nous nous comparons si mal aux Anglo-Québécois à tant d’égards – écoles, hôpitaux, grands journaux, universités, services et droits acquis de tout genre – qu’il n’est pas surprenant que leur lobby aussi soit meilleur que le nôtre.

En comparant nos porte-parole aux leurs, on a l’impression de ne voir chez les nôtres que timidité, modération, bon-ententisme et à-plat-ventrisme. Des générations de chefs de file franco-ontariens se sont succédé sans jamais qu’on en ait vu un ayant la gueule d’un Howard Galganov, le mordant d’un Mordecai Richler ou l’aplomb d’un Michael Hamelin. Mais ayant dit tout ça, encore faudrait-il dire qu’en Ontario français, comme au Québec anglais, une attitude plus coriace serait plus efficace. Là dessus, j’avoue que je doute. Car la différence qui compte n’est pas dans les gorges chaudes des porte-parole, mais dans les têtes chaudes des sympathisants qui les écoutent.

Les mêmes médias qui font la place si belle à Alliance Québec l’ont faite aussi, il n’y a pas si longtemps, aux campagnes mensongères de l’Alliance for the Preservation of English in Canada et du parti Confederation of Regions. À cette époque, j’ai voulu corriger certaines des faussetés les plus choquantes que je lisais dans le courrier à l’éditeur du Sudbury Star et du Northern Life. Or, mes répliques publiées dans ces mêmes pages ont eu pour effet d’inspirer des ripostes encore plus nombreuses, plus mensongères et plus bêtes. Un soir j’ai eu le malheur d’en lire une avant mon repas. Je n’ai pas pu manger de la soirée. Telles sont les émotions qui viennent d’une telle discussion. J’ai vite compris dans quelle fosse puante je plongeais en portant ma cause sur la place publique. Quand j’ai écrit ma dernière lettre à ces journaux, c’était seulement pour annuler mon abonnement. Il faudrait que tous les Franco-Ontariens veuillent vivre ça ? Ils gagneraient vraiment à attaquer la bêtise de front ?

Il existe sans aucun doute, ce fond d’intolérance qui nourrit la fameuse menace de ressac, de backlash, par laquelle les gouvernements ontariens successifs ont toujours justifié leur inaction et leurs injustices. Il n’a pas si longtemps, un certain colonel Jock Andrews a rempli le Grand Théâtre de Sudbury pour dire devant mille personnes qui l’applaudissaient que si le sang devait couler dans les rues à cause du français au Canada, ce serait le sang des autres, pas le sien. La majorité silencieuse canadienne, elle, est plus pacifique. Elle trouve seulement que le français coûte cher, qu’il est inutile étant donné que tous les francophones parlent aussi anglais, et que s’il faut le subir en Ontario, c’est juste pour faire des accroires au Québec. Qui sait vraiment combien de tout ça s’exprime dans l’œil ferme et le ton froid de l’employé d’une agence désignée par la loi 8 sur les services en français qui vous répond : Sorry, I don’t speak French. Nous traitons nos porte-parole de poltrons ? Nous traitons les Franco-Ontariens de moutons ? Eh bien, on a raison. Car ce mouton-là a vu le loup.

Le paradoxe d’une minorité, c’est que son bien-être repose sur des principes politiques et que la politique est le règne de la majorité. C’est sur un tout autre principe de pouvoir qu’il faudrait se fonder pour donner à l’Ontario français une voix publique plus saine que la désinformation de l’APEC et plus forte que le bon-ententisme de l’ACFO. Que nos universitaires ou nos artistes se chargent enfin de le trouver. Quand on aura trouvé notre voix à faire entendre la justice, elle n’aura pas le ton de celle d’Alliance Québec. À l’entendre dénoncer si fort de si faibles torts, je suis sûr que Howard Galganov n’aurait pas fait vieux os s’il avait été Franco-Ontarien. Il aurait fait une extinction de voix suivie d’une dépression.

Il y a des indignations qui ne se disent qu’en anglais et des injustices qui ne se dénoncent qu’entre anglophones. Ça nous sert à rien d’envier les belles grosses vagues de sympathie que fait le lobbying d’Alliance Québec. Jamais nous ne pourrions rêver en faire de si belles. Au fait, ça se dirait comment, ACFO, en anglais ?

Deux polices de la langue très différentes

Le 23 septembre 1996. En réclamant davantage d’affichage commercial en français, l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO) tentait d’attirer sur elle un peu de l’attention médiatique dont profitait alors Howard Galganov d’Alliance Québec, qui contestait la loi québécoise limitant l’affichage commercial en anglais.


Je suis devenu assez vieux pour voir l’histoire se répéter et ça n’a rien de réjouissant. Les plus jeunes que moi n’ont qu’à feuilleter le livre Bâtir sur le roc, une histoire de l’ACFO du Grand Sudbury publiée par Prise de parole, pour se faire une mémoire d’emprunt.

En profitant du courant d’air déplacé par Howard Galganov, le militant qui réclame de l’affichage commercial en anglais à Montréal, voici que l’Association canadienne-française de l’Ontario à Sudbury et à Ottawa réclame à son tour des affiches en français. L’occasion est belle, après tout, de mettre l’émoi anglais au service du français. Or, ce n’est pas la première fois que l’ACFO de Sudbury s’y essaie. Ils ont déjà fait ce bel effort dans les années soixante-dix. Aujourd’hui, peu de traces en restent. Malgré les trente années de débat constitutionnel qui ont suivi, Sudbury ne s’affiche pas plus en français aujourd’hui. Car en vérité, une affiche commerciale française en Ontario, c’est au mieux une dépense inutile et au pire, un irritant inutile. Pour tout dire, même les commerçants francophones n’affichent pas en français.

On dit qu’il y a deux minorités de langue officielle au Canada. Parfois même, comme ces temps-ci, on prétend que leur cause est la même. C’est ainsi qu’un chroniqueur de la Montreal Gazette a pu reprocher aux Franco-Ontariens la timidité de leur version du brouhaha de Galganov. Eh bien, voilà justement la preuve que les deux minorités ont en vérité bien peu en commun à part leur nombre. Le gouvernement du Québec subventionne trois universités unilingues anglaises ; le gouvernement de l’Ontario, aucune université unilingue française. Il y a sept collèges anglais au Québec établis depuis longtemps, contre deux collèges tout récents en Ontario. Ne cherchez pas en Ontario l’équivalent des hôpitaux anglophones du Québec, des médias, des services, des commerces anglophones, et ainsi de suite.

Mais la plus grosse différence, la voici. Howard Galganov a pour cible une loi, qu’il juge injuste et oppressive peut-être, mais une loi formelle aux limites claires. Les Canadiens-Français d’Ontario, eux, ont pour cible une loi autrement difficile à contester : la loi des attitudes. En Ontario, les lois couchées sur papier sont de notre bord. La constitution canadienne garantit l’éducation en français. Or l’Ontario s’en balance sans que personne ne s’en indigne. De même, la loi 8 sur les services gouvernementaux en français peuvent rester fictifs sans que personne ne s’en offusque. En Ontario, on n’aura jamais besoin d’une loi officielle pour limiter le français comme on en a une au Québec pour limiter l’anglais. Ici la loi des attitudes est un frein bien suffisant. C’est une loi si bien ancrée dans les cœurs et les esprits de la majorité qu’elle se passe bien d’une police de la langue.

En dépit de leur forte population canadienne-française et en dépit de trente ans de discours sur le beau Canada bilingue, Sudbury, Timmins ou Kapuskasing demeurent des villes anglaises qui n’ont jamais voulu montrer leur visage français. On peut décrire la mentalité ontarienne de bien des manières, mais jamais on ne pourra dire qu’elle aime les « visage à deux faces ». Pour avoir deux faces, pour jouer le majoritaire minoritaire, il faut un Anglo-Montréalais comme Howard Galganov. Et pour ne pas perdre la face, l’ACFO s’en tiendra à des demandes timides et vite oubliées.


Ce texte fut publié dans le recueil de nouvelles De face et de billet, par Normand Renaud, aux éditions Prise de parole, 2002. Reproduit avec permission.

Photo: Bon Cop, Bad Cop

ACFO du Grand Sudbury (1910-2010)

L’agence de transfert de courriels et de vente de marchandises franco-ontariennes, l’ACFO du Grand Sudbury, est morte de sénilité sans que personne s’en rende compte avant aujourd’hui. Son corps a été retrouvé, enseveli du drapeau franco-ontarien, sur le chantier de construction du Collège Boréal la nuit dernière. Le bureau du coronaire du Grand Sudbury a confirmé que l’autopsie indique que l’ACFO du Grand Sudbury est morte quelque temps à l’automne 2010 à l’âge de 100 ans.

L’ACFO du Grand Sudbury était principalement reconnue pour son prestigieux Prix de la Personnalité franco-ontarienne de l’année qu’elle décernait annuellement depuis 1983 à la personne ayant acheté le plus de drapeaux franco-ontariens. Un dîner de la francophonie en l’honneur de l’ACFO du Grand Sudbury sera présenté jeudi par la Coopérative funéraire du district de Sudbury. Heureusement, elle y avait déjà gagné une membriété gratuite.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, il n’est encore pas clair si le site Internet francoSudbury.com, le one-stop shoppe de la francophonie à Sudbury qu’elle maintenait, demeurera disponible. Toutefois, sa boutique de gugusses franco-drapeaux est toujours en ligne et servira à financer une fondation en son honneur.

Elle laisse également dans le deuil ses cousines : l’Assemblée de la francophonie ontarienne, l’Association des communautés francophones d’Ottawa, l’ACFO de Prescott et Russell, l’ACFO de Windsor-Essex-Kent, l’ACFO régionale de Hamilton, entre autres, autres, autres et autres. Elle est précédée dans la mort par l’ACFO régionale Supérieur-Nord qui s’est enlevée la vie en 2006.

La famille demande que l’on envoie que des fleurs vertes et blanches.

Le meilleur documentaire franco-ontarien que vous n’avez jamais vu

Il y a environ deux semaines, je faisais une recherche YouTube pour le mot « franco-ontarien », dans l’espoir de trouver un vieux clip de Marie Soleil ou bien encore un vieux sketch de Volt pour mettre sur la page de taGueule en attendant le lancement imminent. Rien d’intéressant sur la première page. Deuxième page presqu’aussi plate à l’horizon.

Quand tout à coup, je tombe sur un titre qui m’intrigue. « J’ai besoin d’un nom (1978) documentaire franco-ontarien ». 6 views. Mis en ligne par « ontarois ». Son seul vidéo. Aucun commentaire. En ligne depuis une semaine.

J’ai vu des vieux documentaires sur le Québec, sur le Canada, sur l’Acadie, sur l’Ontario français, sur CANO, mais celui-ci ne me disait rien. Pourquoi j’en avais jamais entendu parler?

La mythologie franco-ontarienne

La décennie des années ’70 a une place importante dans l’histoire canadienne, québécoise, et franco-ontarienne. C’est là qu’on arrêté d’être canadiens-français, qu’on est devenu autre chose, qu’on a eu un drapeau, et qu’on attendait de voir ce qu’allaient faire nos cousins québécois, sans trop savoir ce que ça voulait dire pour nous. Mes parents, comme ceux de plusieurs gens de mon âge, ont vécu cette époque, mais je n’en connais que quelques anecdotes ici et là; la première Nuit sur l’étang, la création du drapeau franco-ontarien, une soirée passée à écouter tous les albums de Charlebois. En fait, c’était souvent des choses que j’apprenais à l’école et je demandais par la suite à mes parents leur version des faits.

Where have you been my whole life?

Mais là, j’avais devant moi un document d’une authenticité indiscutable (production de l’ONF) et d’une importance capitale. J’étais sérieusement abasourdi, en tant que franco-ontarien, étudiant en communications, et documentaire-ophile, que j’avais jamais entendu parler de ce film.

J’ai regardé le premier 5 minutes, et j’ai compris immédiatement que ce n’était pas le genre de film à regarder de façon distraite en regardant le hockey. J’ai tout de suite fait parvenir le lien à quelques autres collaborateurs de taGueule et j’ai fermé mon ordinateur, avec la ferme intention de m’enfermer dans mon sous-sol pour pouvoir me concentrer sur le film.

What the fuck?

Et j’ai été jeté à terre. Complètement. J’ai été en tabarnak toute la semaine après ça. Complètement outré. Ce film, c’est le genre de film qu’on devrait nous montrer au secondaire. Au Québec, on leur enseigne le Refus global, la Révolution tranquille, Speak White

Me semble que la moindre des choses serait de nous montrer ce film.

En gros, c’est un documentaire sur une réunion de l’ACFO à Sudbury, en 1976. Cette réunion sert de trame de fond au film, qui prend la forme d’un habile montage d’entrevues avec des intervenants parfois pertinents, parfois risibles, toujours percutants. Je veux même pas en dire plus.

Regardez le film. Pour l’amour de tout ce qui est franco-ontarien, regardez ce film. Faites-le circuler, parlez-en, n’importe quoi.

It’s when I remember who I was that I can’t remember who I am

Ce qu’on comprend en regardant ce film, c’est que les déboires actuels de l’Ontario français par rapport à l’assimilation, à la politique, et à la culture elle-même remontent à cette époque. Malgré tous les acquis de la communauté depuis 1978, les questions soulevées par le film sont toujours extrêmement pertinentes, et on n’y a pas encore trouvé de réponse. On a toujours besoin d’un nom.

La grenouille sans le bœuf

Cette réflexion sur la place publique du drapeau franco-ontarien est parue originalement dans le journal Le Voyageur en février 2009. Dans l’esprit de la relance de taGueule, la voici en intégrale.


La grenouille sans le bœuf

L’Ontario français est à l’ère des drapeaux. Il y en a des petits, il y a en a des gros. Il y en a des sobres devant les caisses populaires, Le Voyageur, les écoles françaises, le Centre de santé communautaire, sur les joues des enfants le 25 septembre et à la St-Jean, sur des épinglettes et même en étiquettes sur le dos des livres franco-ontariens en bibliothèque. Notre drapeau a même un livre qui lui est consacré et qui en fait l’étonnante histoire et le récit d’un symbole loin d’avoir fait l’unanimité à son origine. Comme le drapeau canadien!

De l’AFO à la FESFO en passant par le chapelet de sites franco.com en Ontario, Montfort et L’écho d’un peuple, aucune institution franco-ontarienne, tant s’en faut, n’omet d’arborer fièrement le drapeau franco-ontarien. En ce sens, comme tout drapeau, il remplit admirablement bien sa fonction : il fédère.

Même les francos d’Ottawa n’ont pas manqué de s’en servir pour ériger leurs monuments de la francophonie. Ce récent accès de fierté, manifesté par l’érection de drapeaux géants, était une réponse forte à un contexte particulier à Ottawa : cette ville ne veut pas s’avouer francophone. C’est une honte nationale et la population francophone de la grande région a réagit fortement à ce mauvais vent : nous sommes ici et d’ici, fiers, debout et in your face!

C’est pourquoi je pardonne la laideur des monuments et l’ostentation qui les accompagne. À un moment donné, il faut dire «whoa!». Avec un monument, on avait compris, avec six, je me suis dit «je ne suis pas sourd, pis j’en r’viens bien des stèles funéraires et des pierres tombales géantes, on n’est pas mort encore!».

À Sudbury, j’aurais souhaité qu’on aille un pas plus loin qu’Ottawa dans l’expression de notre fierté. Après tout, le maire John Rodriguez a hissé unilatéralement le drapeau à l’hôtel de ville et en a reconnu le statut officiel. Moi, ça me suffit et je passerais volontiers à un autre combat. Que d’autres éprouvent le besoin de redire «icitte, c’est chez nous» et d’inculquer cette fierté à la population et surtout à la jeunesse, je peux comprendre l’enjeu de la démonstration. Et sincèrement je les en félicite.

Or, j’entends dans le vent qu’on voudrait monter un autre drapeau, encore plus gros que tous les autres. Là, messieurs dames, on entre dans une autre logique qui n’a rien à voir avec la fierté et encore moins la dignité. On appelle ça de la pantométrie et on glisse vers un curieux penchant pour les records. Ma foi dit Lafontaine : «La grenouille qui voulait devenir plus grosse que le bœuf». Il y a des enflures qu’il vaut mieux ne pas contracter. L’enflure du drapeau, c’est comme de l’enflure verbale : plus personne n’écoute quand tu cries.

Malgré toute cette fierté affichée, des pièges nous guettent : le piège de rester en surface, le piège de banaliser à force de dire qu’on a non seulement un drapeau, mais qu’il est gros, et surtout le piège de n’avoir à offrir que peu de choses à voir. Quand vous allez à Québec allez-vous voir flotter le drapeau québécois ou le château Frontenac? À Ottawa, les Japonais s’arrêtent-ils sous l’araignée géante de Louise Bourgeois ou sous le drapeau franco-ontarien? À Toronto, vous vous faites photographier assis à côté du bronze de Glenn Gould ou sous le drapeau de l’Ontario… avec un chandail des Leafs devant le vieux Gardens? Passons…

Enfin, donner à voir n’est pas tout et attirer les touristes non plus. Il me semble que si l’Ontario français veut participer à quelque fanfare des nations que ce soit, il faudra s’élever au niveau de l’art. Et si cet art était public et franco-ontarien, ma foi, les drapeaux auraient une raison de plus de flotter sans même risquer de nous éclabousser de viscères de batraciens!

Le Collège Boréal a vu juste en annonçant récemment un vrai monument commandé à l’artiste Colette Jacques. Je souhaite de tout cœur que cette initiative culturelle ouvre un nouveau chapitre sur nos représentations collectives. Et pourquoi pas un bronze du folkloriste Germain Lemieux sur le bord d’une route qu’il a sillonnée avec son enregistreuse? On lui fera porter un chandail du Canadien… Devenu vieux, j’aurai de quoi conter.