Quatre ans de plus…

Four more years…

Barack Obama a remporté les élections. Grand bien lui fasse. Mais qu’est-ce le peuple américain, lui, a gagné? Et, nous, de l’autre côté de la frontière, en quoi devons-nous applaudir la victoire démocrate?

Je suis fasciné par l’intérêt toujours indéfectible et presqu’obsessionnel  de certaines personnes pour les élections aux États-Unis. Lorsqu’ils sont américains, passe encore, mais ici, au Canada, ça me dépasse. Il y a quatre ans, je dois l’avouer, je me suis laissé prendre au jeu. Personne ne m’accusera de manquer de transparence: j’avoue ici et maintenant que j’étais moi-même un fan de cette grande et onéreuse manifestation de la democracy.

Non, ce qui me sidère, c’est de voir tant de gens s’investir autant dans ces élections après quatre ans d’administration Obama.  Comprenez-moi bien: je préfère de loin Barack Obama à Mitt Romney. Le démocrate est certainement supérieur à son vis-à-vis républicain, humainement et professionnellement. J’inviterais Barack Obama à venir prendre une bière chez moi demain matin, mais certainement pas Mitt Romney. Il n’empêche que mon respect pour l’homme ne me fera pas oublier le bilan des années qu’il a passé au pouvoir. Le président Obama n’a pas livré la marchandise. Il ne l’a pas livré malgré lui, peut-être, mais il ne l’a pas livré quand même.

Le président Obama, je le pense, a fait tout ce qu’un politicien modéré et respectueux de l’establishment peut faire pour changer les choses. Ses bonnes intentions n’ont pas suffit, et personne n’obtient la note passage pour ses efforts. La plus grande réalisation de l’homme a été de prouver que le système politique américain est arrivé au bout de son chemin. Au bout de sa durée de vie utile. Barack Obama a démontré qu’un véritable changement aux États-Unis, et même que tout progrès dans ce pays, demeure impossible sans une refonte radicale de l’appareil gouvernemental.

Voilà pourquoi je suis toujours franchement étonné, et je ne suis pas le seul, de voir que tant de gens qui persistent à croire que voter Barack Obama puisse avoir des conséquences autres que marginales sur la vie du commun des mortels.  Ralph Nader, activiste bien connu (et 5 fois candidat indépendant aux élections présidentielles), a passé sa vie à tenter de le faire comprendre à ses compatriotes. Leur système est caduque. Point à la ligne. «La seule différence entre les démocrates et les républicains» a-t-il dit très justement, «c’est la rapidité avec laquelle leurs genoux touchent le sol lorsque le monde des affaires frappe à leur porte.»

Oui, Barack a fait beaucoup mieux que George W. Bush mais qui aurait fait pire? Oui, il a dirigé le pays pendant l’une des pires crises économiques de son histoire, mais d’autres présidents l’ont fait et ont mis en place des mesures au moins aussi progressistes pour améliorer les choses. Oui, Barack Obama n’a pas lancé le pays dans une autre expédition guerrière coûteuse et meurtrière, mais nous pourrions dire à peu près la même chose de Bill Clinton ou de Ronald Reagan.

Rappelons quelques faits trop souvent occultés par le camp de l’espoir. Quelques exemples pêle-mêle.  Commençons par la politique internationale: en 4 ans au pouvoir, non seulement Barack Obama n’a pas réussi à fermer comme il l’avait promis le centre de détention de Guantanamo Bay, mais il a même donné un second souffle à la prison en signant l’année dernière le National Defense Authorization Act. Guerre en Irak: les troupes américaines ont été retirées, vrai, mais seulement en 2011. La guerre s’est donc terminée ni plus ni moins rapidement que si les Républicains avaient été au pouvoir. Doit-on rappeler aussi que les États-Unis sont toujours en Afghanistan, comme le Canada de Stephen Harper d’ailleurs.

Digne de mention pour un président récipiendaire d’un prix nobel de la paix: Barack Obama a ordonné à ses forces spéciales d’assassiner Oussama Ben-Laden au mépris de la souveraineté pakistanaise, et de répandre ses cendres dans l’Océan indien pour que sa tombe ne devienne pas un point de ralliement pour les terroristes. Qu’aurait fait George W. Bush? La même chose. Ah, et j’oubliais: les dépenses militaires sous Obama demeurent plus élevées qu’elles ne l’étaient durant la Guerre froide et la Guerre du Vietnam.

Politique interne, maintenant. Parlons du fameux Obamacare, le symbole par excellence de la lutte du président pour les plus humbles.  Je l’admets d’emblée et tout à fait franchement: c’est sans doute la plus grande réalisation de Barack Obama. Mais est-ce assez pour lui donner le bon Dieu sans confession? Le Patient Protection and Afordable Care Act de 2010 a certainement permis à près de 30 millions d’Américains d’obtenir une couverture médicale, mais il n’en laisse pas moins 25 millions dans l’oubli. La formule demeure entre les mains du secteur privé -et donc toujours sujet à une dynamique de profit-, et oblige la majorité de ses bénéficiaires à payer une cotisation drôlement plus salée que la controversée taxe santé québécoise.

Mentionnons aussi que la protection est minimale: dans certains cas, elle ne couvre pas même la moitié des frais encourus par le patient. Et que dire du fait que Barack Obama ait signé un décret qui garantit que la réforme ne changera rien aux restrictions fédérales sur l’utilisation de fonds pour les avortements. Quand même, c’est mieux que rien direz-vous. Vous avez raison. J’ajouterai par contre que tout est une question de mesure. Obamacare est certainement un bon coup, il n’empêche que nous sommes encore loin de la réforme historique.  Lyndon Johnson, que d’aucuns ne qualifient de porte étendard du progrès, avait permis la mise en place de mesures beaucoup plus radicales en terme de santé dans le cadre de sa guerre contre la pauvreté. Il avait alors créé à la fois le Medicare et Medicaid.

Et que dire du plan de relance économique? 831 milliards de dollars consacrés à plusieurs mesures visant relancer l’économie, dont la plus importante sera… l’allégement du fardeau fiscal des individus et des compagnies. Un plan démocrate qui valait bien un plan républicain. Par ailleurs le président Obama a lui-même prolongé les exemptions d’impôt imaginées par l’administration Bush, pourtant jugées par plusieurs comme l’un des plus importants facteurs d’inégalité au pays. Il a bien tenté de mettre en place le Buffet Rule, après la surprenante sortie du milliardaire Warren Buffet contre le traitement de faveur offert aux plus riches, mais en vain. Il a été incapable d’imposer un niveau d’imposition minimal de 30% aux contribuables gagnant plus de 1 million de dollars par année. C’est la faute de la majorité républicaine à la Chambre? Oui, mais c’est bien ce que je disais: politicien bien intentionné et respectueux des règles -mêmes pipées en faveur des puissants-, Barack Obama a démontré mieux que personne les limites fondamentales du système politique américain.

Hope hangs on, «l’espoir s’accroche» pouvait-on dans certains journaux au lendemain des élections. Peut-être, mais l’espoir a un prix. Et il est aussi élevé pour les Républicains que pour les Démocrates. Même qu’en bout de ligne, «l’espoir» Obama aura coûté plus cher à faire avaler aux Américains que celui de Romney. Le New York Times estime à 852 millions de dollars les dépenses électorales du camp présidentiel, contre 752 millions pour celui du challenger. En plus d’être franchement dégoûtants, ces chiffres nous rappellent encore une fois à quel système nous avons à faire. Les supporters d’Obama, qui ont la fâcheuse habitude des déclarations à l’emporte pièce du style «Romney est le candidat des riches», devront tempérer leur enthousiasme.

La politique est l’art du possible. Pour beaucoup, aux États-Unis comme ailleurs, c’est ce qu’a compris Barack Obama. Qu’il faut être raisonnable et faire ce que l’on peut. Sans doute, mais c’est aussi ce que disent les cyniques. Et à ce compte là, on finira par se féliciter d’être immobile.

À l’enseigne de l’égalité

Dans le cadre du Salon du livre du Grand Sudbury, taGueule parrainera une table ronde sur l’absence du français dans la place publique le samedi 12 mai 2012 à 15 h. Ce n’est pas d’hier qu’on en discute : le 25 octobre 1999, Normand Renaud livrait ce billet en réaction à la nouvelle qu’une cour du Québec avait jugé inconstitutionnelle une section de la loi québécoise qui exige la prédominance du français dans l’affichage commercial. Curieusement, ça lui a fait penser au hockey.


Imaginez un tournoi de hockey entre deux équipes très inégales, non pas à cause de leur talent, mais à cause du règlement. Dans le tournoi que j’imagine, une équipe a droit à trente joueurs, et l’autre, à trois. Que voulez-vous, c’est la règle du jeu. La saison commence et l’inévitable arrive. Malgré les efforts héroïques des minoritaires, l’équipe favorisée mène bientôt au classement avec 909 victoires et 2 défaites. Mais le jeu est juste, car on en suit le règlement.

Tout ça dure longtemps, mais ne fait qu’un temps. À la longue, la grosse équipe trouve le jeu aussi injuste que la petite. À force de réduire ses adversaires en purée, on se beurre de purée soi-même. Ça, ça s’appelle la mauvaise conscience. On en perd jusqu’au goût de gagner.

Ce n’est qu’après tout ça qu’un beau jour, les maîtres du jeu décideront de changer la règle. C’est dur à admettre, mais ils l’admettent : leur règle est déréglée, leur justice est injuste, leur gloire est une honte. Ils proclament donc une nouvelle règle révolutionnaire : le jeu à forces égales. Mais s’ils changent la règle, ils se gardent bien de changer le compte des points. Les meneurs auront toujours droit à l’avance qu’ils ont gagné fair and square sous l’ancienne règle. Et que le jeu continue !

Ce qui paraît absurde en parlant du hockey ne l’est pas du tout en parlant de la société. À la fin du 20e siècle, le Canada est encore pour beaucoup le pays que son passé de privilèges britanniques a façonné. Ce n’est pas par accident que le Canada est aujourd’hui un pays anglais et que les Canadiens-Français, majoritaires au départ, sont minoritaires à l’échelle du pays et dans toutes les provinces sauf une. Ce n’est pas par accident que le principe qui a affirmé l’égalité des deux langues officielles a aussitôt infirmé les efforts faits au Québec pour effacer les acquis du nationalisme britannique d’hier. Si la majorité a changé les règles du jeu politique, ce n’était pas pour y perdre aux éliminatoires. Alors que l’affichage commercial en français est absent partout au Canada, les lois qui le favorisent dans la seule province où il existe sont combattues. La loi du Québec sur l’affichage en français passe pour un affront à la règle suprême, généreuse et moderne de la société canadienne : l’égalité des deux langues officielles. Elle mérite l’intervention de l’arbitre judiciaire et des punitions majeures pour rudesse.

Mais si le Canada veut vraiment la justice à l’avenir, il lui faut corriger l’injustice du passé. C’est ce que le Québec essaie de faire. C’est ce que le reste du Canada pourrait faire à sa manière. Les grandes villes bilingues du pays, Ottawa-Carleton et Sudbury en tête, pourraient se donner des politiques pour promouvoir l’affichage commercial en français. Étant donné qu’elles voudraient l’égalité de droit pour la minorité anglo-québécoise, ces villes pourraient exiger l’égalité de fait pour leur propre minorité franco-ontarienne. Elles pourraient combattre l’entorse à la règle de l’égalité, quand c’est l’indifférence du peuple et non la loi du peuple qui l’impose. Ce serait une manière de ramener à sa destinée bilingue un pays que le jeu du privilège britannique a si longtemps dévoyé.

Si le Québec agace tellement l’opinion canadienne, ce n’est pas parce qu’il maltraite sa minorité. C’est parce qu’il exerce à son tour et à son compte le plus arrogant des privilèges en politique : celui de fixer les règles du jeu. On a beau dire autrement, en matière d’affichage commercial, le principe canadien de la liberté est au service du privilège universel qu’est la loi du plus fort. Le Québec n’accepte pas de jouer ce jeu-là. Sa politique sur l’affichage loge à l’enseigne de l’égalité. C’est une enseigne française.

L’important, c’est pas la chute, c’est l’atterrissage…

Je fais partie de ce qu’on appelle en France, la «génération chômage», aussi appelée «génération Mitterrand» ou encore «génération SIDA». Choisissez! En réalité, toutes ces appellations font ressortir un même mot, une même réalité, LA CRISE. Cela fait donc 30 ans que j’entends dire que nous sommes en crise. Pourtant, tout bon prof d’économie vous dira que par principe, une crise c’est un moment, cela ne peut s’inscrire dans la durée. Mais bref, peu importe, trois décennies que les Français se pensent en crise; crise économique, crise politique, crise sociale. En fait une vraie crise existentielle. Les Trente Glorieuses disparues, De Gaulle mort, les taches indélébiles de la guerre d’Algérie et de la collaboration ont fait sombrer les rêves de la France éternelle, de la France «phare du monde». La France révolutionnaire est morte.

Hier, les Français étaient appelés aux urnes pour le premier tour des élections présidentielles. Jamais la brochette de candidats n’avait été si pitoyable entre un président sortant haï comme jamais, un candidat socialiste surnommé à juste titre «Flamby», une Marine-Bellatrix Le Pen qui n’a rien à envier à son facho de père, un populiste de gauche et une kyrielle de petits candidats sans atout majeur. Dans ces conditions, les commentateurs patentés nous annonçaient un taux d’abstention record. Et patatras, première erreur, le taux de participation est en réalité très honorable, presque 80% (de quoi fait rougir les Canadiens!). C’est la seule bonne nouvelle de cette élection. Oui, les Français sont encore citoyens. Oui, les Français croient encore qu’aller voter reste un des meilleurs moyens de s’exprimer (avec les grèves et les manifestations, on s’entend!). Le peuple français s’est levé pour s’exprimer, alors que les candidats tout au long de cette première campagne ont bafoué la France avec des discours honteux, sans parler des vrais problèmes, en faisant de la surenchère, en allant à la pêche aux voix avec des sujets aussi aberrants que la viande halal!

Mais cette élection restera dans les pages de l’histoire comme un moment noir de notre histoire. Bellatrix a recueilli 17,90% des voix, soit le plus haut score jamais réalisé par l’extrême droite en France. Mais comme d’habitude, les politicards ont fait l’autruche hier soir sur les plateaux de télévision. On s’accusait de mensonges, on se congratulait de soi-disant bons scores. Bref, personne ne parlait du vrai séisme de cette élection: le score des fascistes. Personne ne relevait que la seule raison pour laquelle les fascistes n’étaient pas au deuxième tour était que l’extrême gauche et le centre ont quasiment disparu du paysage politique. De trois partis trotskystes, seuls deux étaient présents et ils ne cumulent pas plus de 2% au lieu de leur 10% habituels. Vous allez me dire que ce n’est pas forcément une mauvaise chose, c’est en fait une anomalie française qui vient d’être corrigée. Il n’en reste pas moins qu’une fois encore, le Front National est le premier parti ouvrier de France. La gauche, la vraie gauche, pas celle de Flamby, va mal. Comme dans les années 1930, les ouvriers, le petit peuple, croit que le salut peut venir du fascisme. Il y a de quoi être inquiet. Tout porte à penser que le FN va changer de nom, pour s’installer dans le paysage politique comme force de droite respectable. Voilà comment le fascisme rampant avance à peine masqué, se normalise, peut espérer prendre le pouvoir par les urnes. Et nul doute qu’ils trouveront chez les Sarkozystes, des Dolores Ombrage, pour collaborer dans la chasse à l’étranger, aux Sangs de bourbe, accusés de tous les maux de la société.

Dans 15 jours, le 6 mai, le deuxième tour verra s’affronter l’excité du bocal Sarkozy et le Flamby hollandais. Comme disait le grand Coluche, «ce n’est pas l’embarras du choix, c’est que l’embarras». Aucun n’a l’envergure pour sortir la France de sa torpeur. Non pas que la France manque de personnel politique compétent; à gauche, il y avait DSK, il y a un Manuel Valls, même une Martine Aubry a du ressort; à droite, il y a un Alain Juppé, sans aucun doute le plus intelligent d’entre tous. Mais voilà, on n’aime pas les politiciens trop intelligents, avec des principes, on les aime populistes ou moroses. Remarquez, on aime les politiciens qui sont à notre image, on a les politiciens qu’on mérite. C’est une nouvelle campagne qui commence, 15 jours d’une campagne qui s’annonce sale. Contrairement à ce que disent les sondeurs (qui se sont lamentablement planté pour le premier tour et feraient donc mieux de se taire), les résultats le 6 mai seront très serrés. La gauche Flamby est arrivée en tête, mais elle a peu de réserves de voix. Puis il faut reconnaître que Sarkozy est une bête politique, il va le manger tout cru lors du débat le Flamby, qui est tout sauf un grand orateur, et qui est complètement dépourvu de charisme. Un Flamby c’est 95% de pudding au gout de vanille artificielle dégueulasse, et tout en dessous, un 5% de caramel tout aussi artificiel. Même pas sûr qu’on y arrive au caramel. Pourtant faudrait nous aider, nous donner un petit peu le gout de voter Flamby parce que vraiment on ne veut pas se retaper un cinq ans de Sarko!

Quel que soit le résultat, l’important, ce sera l’atterrissage en juin, avec les élections législatives. Si les Français ont encore un sens politique, ils voteront de sorte à ce que la France soit en cohabitation pour cinq ans (un président et une assemblée politique de couleur politique différente). Cela permettra de réaliser l’union nationale nécessaire pour nous sortir du marasme.

Flaherty à l’ONF : « Silence, on coupe! »

Les récentes compressions entreprises dans le budget Flaherty en avril 2012 constituent pour les francophones hors Québec une menace on ne peut plus importante contre l’avenir de ces communautés. Avec le risque de perdre l’une de nos institutions cinématographiques les plus importantes à l’ouest de l’Outaouais, il est important d’apporter la perspective d’une cinéaste sur ce budget fédéral.

L’État des lieux

Qu’en est-il des compressions qui concernent la production cinématographique chez les francophones? Le budget fédéral 2012 annonce, d’une part, des compressions de l’ordre de 191 millions de dollars à Patrimoine canadien. De son côté, le ministère a choisi de répartir ces compressions dans ses institutions à charge. De cette somme, c’est la Société Radio-Canada/CBC qui se voit grande perdante, avec 115 millions de dollars en compressions budgétaires. Du côté de Téléfilm Canada — le plus important bailleur de fonds canadien en matière de création cinématographique (La Sacrée en a profité, tout comme la majorité des longs-métrages québécois) —, l’enveloppe est coupée de 0,6 million de dollars. À l’Office national du film (ONF) du Canada, les compressions sont de l’ordre de 6,7 millions de dollars. Par conséquent, nos institutions et bailleurs de fonds ont la dure tâche de «couper dans le gras» (voire : la moelle) afin d’atteindre les objectifs prescrits par le ministre des Finances Jim Flaherty et de Pat Can. Le résultat? Élimination de 73 postes à l’ONF.

L’impact immédiat

De prime à bord, il faut comprendre la structure de l’ONF en français. Il existe une maison-mère à Montréal ainsi que deux studios régionaux : Acadie, et Ontario et Ouest. Il importe aussi à rappeler aux lecteurs qu’il existait, jusque dans les années soixante-dix, un Studio Ouest et Studio Ontarois, mais que la valse des compressions a forcé leur fusion.

Du côté du Studio Ontario et Ouest, ce sont deux postes clés qui sont éliminés avec les compressions. Compte tenu du fait qu’il n’y a que trois personnes travaillant au Studio, et que ces derniers ont la lourde charge d’administrer les projets de l’ONF à l’échelle de l’Ontario, de l’Ouest ainsi que du Grand Nord, toute coupe ayant pour objet d’éliminer des postes au bureau de Toronto ou dans le dessein de fusionner (encore une fois!) le Studio Ontario et Ouest avec le Studio Acadie est, pour le moins que l’on puisse dire, inquiétant.

Avec ces compressions, il ne resterait qu’une seule personne sur place en Ontario. Bien que, techniquement, cela réfute les allégations d’une fermeture du Studio, nul besoin d’un bac en gestion pour comprendre qu’un local vide avec une seule personne pour répondre à des téléphones indique, au final, que le Studio prendra la forme d’une coquille vide. Sans productrice sur les lieux, on est en droit de se questionner à savoir si le programme Tremplin existera toujours. D’ailleurs, comment espérer mettre sur pied les projets en partenariats avec la communauté — comme c’était le cas avec TonDoc et ses nombreux partenaires, dont Santé Canada, l’AFO, la FESFO et d’autres — sans productrice au bureau de Toronto?

Nous et notre avenir artistique

Au final, ce qu’il faut comprendre, c’est que ce sont nous, les jeunes, et les générations futures qui sont au point de perdre une importante institution, et c’est nous qui devrions nous indigner le plus. Quel autre producteur appuie de nouveaux réalisateurs avec leurs premières œuvres en région tout en leur payant un salaire adéquat? Quel autre producteur peut garantir une visibilité et une mise en marché pancanadien, et même international, de nos histoires?

Le Studio Ontario et Ouest offre aux nouveaux cinéastes une opportunité de prendre la parole, car souvent, vivant dans la francophonie minoritaire, nous avons de la difficulté à se faire entendre. Voilà le sort qui nous guette à demeurer complaisant face à cette situation budgétaire.


Recommandations de documentaires du programme Tremplin

Voici une liste de mes documentaires préférés du programme Tremplin. Le programme Tremplin permet aux réalisateurs d’une première ou seconde œuvre de mener à terme leur projet de documentaire. Il est important de noter que ces films auraient pu être réalisés par n’importe qui d’entre nous

Mon père, le roi

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Marie-France Guerrette, Alberta, 2010, 26 min 4 s.

Ce court métrage documentaire capte les souvenirs du fils et de l’ex-épouse d’un homme désormais devenu «roi» d’une secte religieuse. Avec la cinéaste, ils prennent la route pour visiter celui qui les a abandonnés 45 ans plus tôt.

360 degrés

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Caroline Monnet, Manitoba, 2008, 18 min 3 s.

Sébastien Aubin vit dans un loft à Winnipeg et occupe un emploi de graphiste. C’est aussi un Cri francophone de la nation d’Opaskwayak, au Manitoba. Parallèlement à sa vie professionnelle, il poursuit une quête spirituelle et identitaire. Son désir de transcender le concret l’a amené à apprendre la médecine traditionnelle autochtone.

Pour ne pas perdre le Nord

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Sarah McNair-Landry, Nunavut, 2009, 21 min 32 s.

Malgré de grandioses paysages qui semblent encore vierges, le Nunavut n’échappe pas aux maux du reste de la planète. À Iqualuit, on compte deux dépotoirs remplis au-delà de leur capacité et la municipalité n’a aucun plan pour remédier au problème. Certains citoyens inquiets ont décidé d’agir.


Photo: Archives de l’ONF, 1940-1949

Pour un système scolaire sans ségrégation religieuse

En septembre 2011, je publiais ce billet sur mon blogue alors que l’Ontario était à la veille d’élire un gouvernement minoritaire libéral. Ce gouvernement vient de livrer son premier budget, lequel touche certains intérêts des Franco-Ontariens. Puisque le budget Duncan mènera à des fusions géographiques de conseils scolaires, ma réflexion sur les politiques scolaires de la province prend une pertinence nouvelle.


Pour une rentrée scolaire sans ségrégation religieuse

Si vous avez des enfants, inutile de vous rappeler que la rentrée scolaire est arrivée. Vous avez déjà englouti des sommes folles pour les fournitures scolaires et les vêtements de vos petits anges. Vous avez probablement rencontré plusieurs enseignants et réglé les nombreux détails de l’inscription.

Une tracasserie supplémentaire se présente si vous habitez l’Ontario. Votre progéniture fréquentera-t-elle une école du réseau 1) francophone publique, 2) francophone catholique, 3) anglophone publique ou 4) anglophone catholique?

Ne riez pas. Les contribuables ontariens financent bel et bien quatre systèmes scolaires distincts. Vous pouvez l’imaginer, ce morcellement pose de sérieux problèmes de gestion. Les chevauchements de ces multiples réseaux coûteraient près de 500 million de dollars par année.

Cela provoque des situations absurdes. Lorsque le nombre d’enfants décline dans une petite communauté, cela cause souvent une sous-occupation à la fois dans l’école publique et dans l’école catholique. Au lieu de regrouper tous les élèves dans une seule école commune, les conseils scolaires se voient alors forcés de fermer toutes les écoles locales. Ce sont les enfants qui en subissent les conséquences. Ils sont séparés de leurs amis de quartier et se voient imposer de longs trajets quotidiens en autobus.

Une atteinte à l’égalité et à la liberté de conscience

Je ne plaiderai pas pour un système unique. L’éducation de langue française est essentielle pour la survie de la minorité francophone. C’est un élément central du pacte fondateur canadien et le résultat de la longue lutte historique des Franco-Ontariens. En revanche, la ségrégation religieuse n’est pas indispensable. Il y a d’autres endroits que l’école pour apprendre les dix commandements. La grande majorité des parents dans la grande majorité des pays occidentaux transmettent leur foi en privé.

En fait, il y a d’importants principes qui militent pour la déconfessionalisation des écoles ontariennes. Pourquoi financer les Catholiques mais exclure les Musulmans, les Juifs ou les Protestants? La pratique est foncièrement discriminatoire. Elle attaque aussi la liberté de conscience de sept millions de non-catholiques en les forçant à subventionner les enseignements du Vatican, tout en leur empêchant d’être embauché dans ce même réseau scolaire.

La Commission des droits de l’homme de l’ONU a dénoncé cette iniquité à deux reprises, en statuant que le système scolaire ontarien viole le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Nous nous retrouvons ainsi dans le même club que la Corée du Nord, le Soudan et la Chine.

Quand les évêques s’en mêlent

Ce qui aggrave les choses, c’est que les réseaux catholiques abusent fréquemment de leurs privilèges. Ils forcent leurs enseignants à se référer à la Bible et au Catéchisme dans les cours de chimie et de biologie et ils empêchent leurs pupilles de s’exprimer librement sur la question de l’avortement.

Le plus décevant, c’est peut-être l’insensibilité des écoles catholiques à l’égard de leurs élèves gais et lesbiens. On se rappellera que le Conseil de Durham s’est battu bec et ongle pour interdire à l’un de ses étudiants d’assister au bal de fin d’étude en compagnie de son amoureux. Plus récemment, le Conseil scolaire de Halton et l’école St. Joseph de Mississauga interdisaient aux élèves gais et lesbiens de former des groupes de support. Le Conseil de Dufferin-Peele a poussé le ridicule jusqu’à censurer les images d’arc-en-ciel, jugées «trop politiques».

Pis encore, le Toronto District Catholic Board vient d’adopter une résolution qui défie l’esprit de la directive d’équité et d’inclusion du Ministère de l’éducation en stipulant que «lorsqu’il y a un conflit apparent entre les droits confessionnels et d’autres droits, le conseil favorisera la protection des droits confessionnels». C’est ainsi que des dispositions adoptées en 1867 pour protéger une minorité sont perverties pour harceler une autre minorité.

Neutralité de l’État et intégration citoyenne

Je ne veux quand même pas pointer les Catholiques du doigt. Toutes les religions ont leurs caprices. C’est le principe même d’une école à la fois publique et religieuse qui est aberrant.

L’État ne peut sanctionner un crédo particulier. Il doit surplomber les innombrables visions rivales de la vie bonne. Pour que chacun puisse vivre selon ses convictions particulières, l’État ne peut promouvoir que les grands principes nécessaires au vivre-ensemble, à la démocratie et à la liberté.  L’éducation publique ne saurait servir à l’endoctrinement sectaire.

Le système actuel nuit aussi à l’intégration des nouveaux Canadiens. La province qui accueille le plus d’immigrants est aussi celle qui sépare ses enfants le plus gravement, en multipliant les ghettos scolaires. En quoi cette ségrégation religieuse contribue-t-elle à la formation d’une citoyenneté commune?  Insensée pour la majorité anglophone, cette mesure est suicidaire pour la minorité francophone. Les Franco-Ontariens ne peuvent se permettre de diluer leurs ressources et d’éparpiller leurs enfants.

L’immobilisme des partis politiques

La saine administration, les droits de la personne, le respect des minorités et l’intégration des immigrants sont autant de bonnes raisons de mettre fin à la ségrégation religieuse. Sondage après sondage, les Ontariens confirment leur appui à cette solution. Pourtant, la question reste taboue. À quelques jours de la campagne électorale provinciale, les chefs évitent le sujet comme la peste. Scrutez les plateformes politiques à la loupe: aucun n’y fait allusion.

L’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 protège le réseau catholique, c’est bien vrai, mais rien n’empêche l’Ontario de procéder à un amendement bilatéral avec Ottawa. La procédure est légitime, simple, et a été utilisée par le Québec et par Terre-Neuve-et-Labrador. Non, les obstacles ne sont pas légaux, mais politiques. En Ontario, la question des écoles séparées a été explosive en 1985 et en 2007 et les trois grands partis favorisent maintenant le statu quo.

Le Parti Conservateur est l’allié traditionnel des groupes religieux et il ne peut heurter cette base électorale en défendant la laïcité. John Tory croyait avoir trouvé une solution équitable lors des dernières élections, en promettant de financer les écoles de toutes les religions. La proposition a provoqué un tollé qui a largement contribué à sa défaite électorale. Son successeur, Tim Hudak, a bien appris la leçon et évite scrupuleusement le sujet.

Depuis le règne de Mitchell Hepburn, les Libéraux bénéficient habituellement du vote catholique. Ils appuient donc le système actuel. L’administration McGuinty a élaboré une excellente politique d’équité et d’inclusion dans les écoles mais n’a pas osé l’imposer aux écoles récalcitrantes. Quand à Andrea Horwath, elle se montre tout aussi réticente, peut-être à cause de l’influence des syndicats d’enseignants catholiques au sein du NPD.

La ségrégation religieuse de nos enfants est onéreuse, rétrograde et inéquitable. Il est grand temps de déconfessionaliser les écoles anglophones et francophones de l’Ontario. Les politiciens tenteront à tout prix d’éviter le sujet. À nous de les interpeller pendant cette campagne électorale.


Photo : Les élèves de la classe de sixième année à l’École Duhamel (Ottawa) vers 1940.