Ariane Moffatt: MA

Le nouvel album, MA, de l’auteur-compositrice-interprète montréalaise Ariane Moffatt est nommé d’après le concept japonais d’espace négatif. Il faut souligner qu’il n’y a pas grand-chose de négatif avec cet album.

Pour son quatrième disque, Ariane Moffatt a pris une approche quasiment entièrement solo. Paroles, musique, instrumentation, réalisation… c’est vraiment une œuvre à elle et une bonne à part de ça. C’est un des rares albums de ces jours que l’on peut écouter du début à la fin et ne pas s’écœurer de le reboucler à nouveau. C’est une bombe.

Cet album lancé le 27 février dernier, est de l’électropop qui pousse les frontières de ce que c’est de la pop. Le dynamisme entrainé par les compositions fait en sorte que chaque chanson est quasiment une atmosphère en soi. C’est différent des derniers trois albums d’Ariane Moffatt. Ce qui manque selon certains, c’est une chanson excitante comme Réverbère. Moi, ça ne me manque pas du tout.

Mon seul hic c’est que l’album est à moitié en anglais. C’est de valeur. Ariane Moffatt fait de la langue française un outil de groove sublime. Malgré que les chansons anglophones se tiennent très bien debout, c’est juste mieux en français.

Pour les fans de

Mara Tremblay, Marie-Pierre Arthur, Dumas, Vincent Vallières, DJ Champion, Jean-Phillipe Goncales

Moments forts

Hôtel Amour, Mon corps, Sourire sincère

Recommendations

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Les réseaux et la question identitaire

Il y a quelque temps, une amie montréalaise que je n’avais pas vue depuis longtemps me demandait si je suis encore nationaliste (québécois). Nous étions à Montréal. Comme tout bon visiteur bien éduqué j’ai essayé d’être aimable et poli. Mais j’avais beau chasser l’image de Pauline de ma tête, je n’ai pu réprimer un haussement d’épaule révélateur. L’amie semblait déçue:

– Tu avais pourtant des opinions solides dans le temps.

– Et bien, c’était il y a trente ans et puis, tu sais, aussi surprenant que cela puisse paraître, des idées il m’arrive encore d’en avoir une fois à tous les dix ans.

– Te sens-tu encore québécois?

J’ai soupiré. D’ennui. Puis l’amie a ajouté:

– Forcément, tu as voyagé, tu as vu d’autres cultures et t’es devenu un citoyen du monde.

Elle était cynique. Peu importe, j’ai l’habitude. Difficile de retourner au Québec sans me faire demander de décliner mon identité nationale. Ici, à Sudbury, on me demande parfois (pas souvent si on compare) si je comprends la culture franco-ontarienne. Je vais être franc: pas vraiment. Je ne me sentais pas vraiment biélorusse au Bélarus, ni azéri à Bakou. Mais mon amie déçue se trompait à mon sujet. Je reconnais que le processus de la globalisation est puissant mais l’identité globale ne me dit rien. Trop vaste pour ma petite vie qui se passe au sein de réseaux beaucoup plus précis. Ce ne sont pas des «communautés imaginées», comme dirait B. Anderson. B. Latour, un autre sociologue, parle de «réseaux» ou de «collectifs» où interagissent des acteurs humains et non-humains. Lorsque je pense à ma petite personne ces jours-ci, il y a trois «collectifs» qui me viennent à l’esprit. Ils s’activent tous ici, à Sudbury. Vous en faites aussi partie que vous soyez anglo ou franco, grand ou petit, noir, blanc, jaune ou rouge. C’est comme le smog, ces réseaux. C’est démocratique.

Le premier se compose de petites particules invisibles qui existent peut-être que dans ma tête d’inquiet qui se pose trop de questions. (Mon père, qui s’en posait peu, disait souvent que je me posait trop de questions). Bref, ces petites particules, réelles ou imaginaires, voyagent avec les vents et se posent au sol, généralement lorsqu’il pleut ou qu’il neige. C’est emmerdant parce qu’il pleut ou il neige souvent à Sudbury. Sans faire de bruit, ces petites vicieuses incolores et inodores se mêlent à l’eau et la nourriture. Dans le pire de mes cauchemars, elles cheminent jusque dans les corps de mes enfants. Elles sont radioactives, ces petites merdes que je ne peux pas saisir. Elles ont traversé l’océan pacifique pour se rendre jusqu’ici, à Sudbury. Si on pouvait lire leurs étiquettes, on verrait sans doute: Made in Japan. Et c’est gratuit. Une sorte de liquidation à ciel ouvert, si j’ose dire. Un bon exemple de ce que peut produire un mélange de privatisation et de science à vendre au plus offrant.

Mon immersion dans le deuxième «collectif» devrait pourtant me rassurer. Comme tous les autres gouvernements, le canadien a dit que ce n’était pas grave, qu’il ne fallait pas trop y penser à ces particules. Elles sont si petites et elles viennent de si loin, qu’ils ont dit. Les journalistes semblent avoir décidé de soutenir le gouvernement. Après nous avoir montré les même images pendant des jours et des jours, plus rien. Silence. Le film sur Fukushima est simplement terminé. Comme dans Hiroshima mon amour, tout rapport avec la réalité semble être devenu purement accidentel. Le plus difficile, c’est de ne pas l’oublier. C’est l’un des problèmes avec le silence. On oublie vite et facilement. Et les enfants de Sudbury continuent de manger et de respirer. Tout cela pourrait me rassurer. Il s’agirait de ne pas trop penser. Malheureusement, il y a l’affaire des «Robocalls». Cela me fait réfléchir. Qui est derrière Pierre Poutine? C’est la dernière histoire à la télé. Pourraient-ils nous mentir, tricher, ne pas respecter nos droits les plus fondamentaux? Vit-on encore en démocratie ici à Sudbury et là-bas à Montréal? Mais je pense beaucoup trop, sans doute. Et puis, il y aura peut-être le silence, une autre histoire et l’oubli.

Mais le principal problème pour les gens comme moi qui pensent trop, c’est que les espaces publics de réflexions critiques se font de plus en plus rares ici et maintenant. Je le sais. Je travaille dans un de ces espaces. Ici, à Sudbury. C’est une université. J’ai peur que cet espace soit en train d’être transformé en machine à produire de l’image et à ramasser du fric. Un espace de pouvoir et d’argent plutôt qu’un espace de réflexion et de délibérations rationnelles et égalitaires comme dirait le philosophe J. Habermas. Mais cela, on me dit d’y penser si je veux, mais de ne pas en parler. Cela pourrait nuire au marketing. Cela pourrait te mettre sur la liste noire, qu’on me dit aussi. D’autres m’ont dit qu’il n’y a rien à faire, que c’est la faute de la globalisation et du néolibéralisme. Ils ont peur, eux aussi.

Alors, qui suis-je? Cela dépend du «collectif» dans lequel je suis interactif. Parfois, je suis inquiet dans un réseau où s’activent, peut-être, des particules radioactives Made in Japan. Parfois, je reste bouche-bée devant des journalistes qui se taisent après en avoir parlé sans arrêt. Parfois, j’assiste, éberlué et décontenancé, au démantèlement tranquille d’un espace de réflexion au profit d’une logique se fondant uniquement sur l’image, l’argent et le pouvoir – comme si l’image, l’argent et le pouvoir pouvaient être des fins en soi. Il arrive aussi, comme en ce moment, que j’assiste à l’émergence de nouveaux espaces comme taGueule. Cela ne me donne pas vraiment d’identité hégémonique. Mais cela me rend fier d’être ici, avec vous. Cela me permet de trop penser, comme ils disent. De trop penser avec vous, ici et maintenant. Voilà qui je suis, en ce moment.


Photo: The waiting – anon, Hilarie Mais, 1986

À l’aube du printemps: Mes Aïeux

C’était en 2000. Un groupe osait tripoter l’ADN québécois à même son folklore. Quelques puristes ont fait la grimace tandis que les autres applaudissaient ce vent de fraîcheur inusité et hautement théâtral. 13 ans et 650 000 albums vendus plus tard – merci à Dégénérations, chanson valant à elle seule trois années de bac en sociologie -, plus personne ne doute de la pertinence de Mes Aïeux. Et ils sont de retour…

À l’aube du printemps, vous avez les deux pieds dans la neige brune et la boue quand, soudain, vous levez les yeux au ciel pour y apercevoir une volée d’outardes. Un ballet majestueux où les oiseaux se relaient sans orgueil en tête du peloton afin de maintenir le cap et le rythme. Une image forte qui aura guidé Stéphane Archambault et sa bande dans l’écriture de ce cinquième album résolument en phase avec son époque, où l’on attend encore des leaders inspirants.

Dès l’ouverture, on nous prend à bras-le-corps : Viens-t-en incite à la mobilisation, au mouvement. Crescendo délicat, on emboîte le pas et on aura bien besoin de cet élan pour piquer à travers les chansons suivantes comme autant de nuages dans l’horizon. Le gris domine et les questions essentielles abondent: «Quelqu’un sait-il où on s’en va ?», «À l’autre bout du pont, qu’est-ce qui m’attend ?» (En ligne), «Y a-t-il un sens à ta vie ?» (Des réponses à tes questions). Le principal intéressé ne trouvera pas, même après avoir interrogé père, mère, prof, psy et curé. Pas plus de réponses du côté de La Stakose, qui tire sur tout, espérant abattre un coupable qui se trouve peut-être de l’autre côté du fusil. Et on croit trouver un peu de répit avec La berceuse, mais on constate rapidement qu’elle ne sert qu’à nous endormir tandis qu’on pille nos ressources naturelles…

Que ce soit musicalement ou par les termes abordés, Mes Aïeux s’éloigne plus que jamais des racines traditionnelles qui les ont tant inspirés. Oui, l’increvable Yâb’ vient faire son tour (Histoire de peur) et on salue une bastringue moderne et séductrice (Je danse avec toi) mais l’essentiel est ailleurs. On a affaire à un disque profondément ancré dans son époque. Si le résultat est parfois lourd dans le propos, l’humour sauve la mise encore une fois. Et il y a de beaux moments plus légers (Je danse avec toi, Au gré du vent) qui permettent de garder le cap et d’arriver à bon port (Bye bye). On termine le voyage émerveillé par la résilience légendaire des Oies sauvages (la chanson la plus réussie du disque) autant que par ce groupe qui a su demeurer unis, persuadés de la force du nombre sur l’individualisme ambiant et surtout, convaincus que «malgré les défaites, on a encore nos ailes»…

Date de sortie: 12 mars 2012


Pochette: Marianne Chevalier

Ode à la poutine, la vraie!

Avec tout le monde qui parle de Pierre Poutine et de Vladamir Poutine ces temps-ci, je commençais à avoir faim. J’avais le goût d’une bonne poutine. La vraie. L’originale. Patates frites fraîches. Sauce brune. Crottes de fromage skouick-skouick.

Mais trouver une vraie poutine est pas mal plus compliqué que je le pensais.

Nous vivons à une époque dangereuse, mesdames et messieurs. Des restaurants, d’un océan à l’autre, sont en train de commettre une fraude épouvantable! Ils vendent de la «poutine» qui ne mérite pas ce nom. Frites congelées, sauce purin, et l’ultime sacrilège, du fromage râpé.

Mais qui a inventé la poutine?

Warwick ou Drummondville? C’est un débat d’importance nationale au Québec.

Plusieurs communautés se battent pour le titre d’Inventeur de la poutine depuis 1957 (ou 1964, dépendant à qui tu le demandes).

« Les jeunes mélangeaient les frites et le fromage en grains dans le sac de papier et ensuite, ils y ajoutaient du ketchup ou du vinaigre. La sauce brune est venue après en même temps que le poulet BBQ. Le type de Drummondville disait qu’il avait parti ça en 1963. Qu’on dise ce qu’on voudra, ça me dérange pas. Tout ce que je peux dire c’est que je suis convaincu que la première poutine a été servie au Café Idéal de Warwick, une journée de fin d’août ou début septembre, en 1957. »

Fernand Lachance

L'inventure de la poutine

L’histoire la plus répandue est que ça serait Fernand Lachance qui aurait inventé la poutine accidentellement en 1957 dans son restaurant Le lutin qui rit à Warwick, Québec. Selon la légende, un de ses clients, Eddy Lainesse, aurait demandé à Fernand de mettre le casseau de fromage et le casseau de frites dans le même sac, auquel Fernand aurait répondu «Ça va faire une maudite poutine», voulant dire un méchant dégât.

Là, ça s’officialise un peu. Le Roy Jucep, restaurant de Drummondville, enregistre une marque de commerce se déclarant l’inventeur de la poutine. Jean-Paul Roy, propriétaire du restaurant en 1964, serait le premier à servir la poutine classique qu’on connaît aujourd’hui. Patates frites fraîches. Sauce brune. Crottes de fromage skouick-skouick. Selon monsieur Roy, le nom «poutine» viendrait d’une déformation du mot «pudding» et du surnom du cuisinier à l’époque, Ti-Pout. Le Roy Jucep serait donc le premier à commercialiser la poutine telle qu’on l’adore aujourd’hui.

Et ça finit pas là! Plusieurs autres se disent créateurs du fameux met national. La page Wikipédia hautement contestée en est la preuve. Chicanez-vous dans les commentaires. Je termine mon analyse des origines de la poutine là.

Larry’s vs. Riv’s

À 1h15 de route de Sudbury, à Sturgeon Falls, un village plus francophone que le Mile-End, les automobilistes de la 17 sont témoins d’une des plus importantes guerres dans l’histoire du Canada. Deux chipstands se battent à coup de pogos et de poutine depuis 25 ans. Tout le monde a sa préférence.

L’été dernier, j’attendais ma poutine au Larry’s quand j’ai aperçu Dominic Giroux, recteur de l’Université Laurentienne, qui attendait la sienne l’autre bord de la rue, au Riv’s. Nos regards se croisent. On est dans un vieux film western. Who’s gonna draw first? Nos mains flottent à quelques centimètres de nos hanches. Simultanément, on saute sur nos téléphones et on s’met à pitonner. À coup de 140 caractères, on s’tweet, on s’chicane et on s’obstine pour déterminer qui est du bon bord de la Main et qui dévorera la meilleure poutine?

Les temps ont changé, mais pas la poutine.

Des disco fries aux cheese fries

Ce que je demande c’est un retour à la poutine classique. Donc, je ne vais pas passer du temps sur les variantes… O.K. fine, il y en a des trop intéressantes à laisser passer.

Poutine italienne (avec sauce spaghetti), poutine mexicaine (avec carne asada, guacamole, crème aigre, fromage et pico de gallo), la dulton (avec saucisses ou boeuf haché), la galvaude (avec poulet et petits pois verts), poutine aux crevettes (de la Gaspésie, avec crevettes et sauce blanche au fromage), Smoked Meat poutine (duh!), poutine foie gras (frites belges, fromage du terroir et morceaux de fois gras), poutine ontarienne (ce que certains nomment la poutine au fromage râpé fait de, vous l’avez deviné, fromage râpé), etc.

En Acadie, il existe deux recettes de poutine. La poutine râpée et la poutine à trou qui est servie comme dessert. On va s’intéresser à la première.

La poutine râpée est considérée comme le plat national des Acadiens et se compare au Knödel dans la cuisine allemande. Elle est concoctée en combinant des patates cuites pilées et des patates crues. La substance est ensuite mottonnée en boules de la grosseur d’une pomme. On fourre du lard ou du porc là-dedans et on fait bouillir pendant 3 heures. C’est pas pantoute une poutine classique, mais maudit qu’ça m’donne la faim! Le stuff avec les fries y’appellent ça du «patachou» (du moins dans le coin du compté de Kent, Nouveau-Brunswick).

La poutine s’internationalise! La côte est des États a commencé à l’adopter sous le nom Disco Fries (ou Elvis Fries). Cette version de plus en plus populaire au New Jersey et à New York est faite de grosses frites, de sauce brune, et de fromage mozzarella.

J’ai beaucoup de respect pour une place comme le Frank’s Deli au centre-ville de Sudbury qui a assez de respect pour la poutine pour appeler la sienne Cheese Fries [our version of poutine]. Elle a deux des ingrédients nécessaires à une vraie poutine. Patates fraîches. Sauce brune. Mais elle utilise un mélange de cheddar et de suisse au lieu des curds classiques. Leurs Cheese Fries sont absolument écoeurantes (dans le  bon sens) mais c’est pas de la poutine et même eux le savent. J’applaudis ces institutions. Kudos!

La poutine comme arme politique

Je n’ai rien à ajouter.

À part peut-être ça…

Chambre des communes
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario)
K1A 0A9

Appelez-moi puriste, je m’en crotte

Je demande un retour à la définition traditionnelle de la poutine. Je n’ai rien contre les cheese fries, les disco fries, et toutes autres variantes exotiques, mais pour l’amour de la Ste-Sauce, n’appelez pas ça de la poutine! C’est un péché mortel!

Je propose que l’on corrige au gros stylo rouge les menus qui induisent en erreur et que l’on certifie les institutions qui font de la vraie poutine!

Vous, chers lecteurs, pouvez faire la certification des vraies poutines. Voici le certificat à imprimer en PDF. Soyez vigilant. Les patates frites doivent être fraiches, la sauce doit être chaude et le fromage doit être en crottes et faire skouick-skouick. Sans un de ces trois éléments, l’établissement ne peut pas être certifié. À vos fourchettes!

Nous ne reculerons pas devant aucune râpe! Sauce-sauce-sauce, solidarité! Patate un jour, poutine toujours!

Poutines hors Québec préférées

Leslie’s Charbroil & Grill, Sudbury, Ontario
9 Main Street East, Chelmsford, Ontario
JP’s, Chelmsford, Ontario
Poutine Palace, Azilda, Ontario
Larry’s Chip Stand, Sturgeon Falls, Ontario
Chez Nous, Timmins, Ontario
Murray’s Street, Ottawa, Ontario
Fritomania, Orléans, Ontario
Glen’s, Kanata, Ontario
Cantine Landriault, Alfred, Ontario
Casse-Croûte St-Albert, St-Albert, Ontario
Micko’s, Heast, Ontario
Ed’s Submarine, Moncton, Nouveau-Brunswick
La Maribel, Caraquet, Nouveau-Brunswick
La Bottine du Festival du Voyageur, Winnipeg, Manitoba
Garage Café, Winnipeg, Manitoba
Prospect Point, Vancouver, Colombie-Britannique

Votre poutine traditionnelle préférée n’est pas là? Commentez et je la rajouterai.

Nos poutines québécoises préférées

La Pataterie Hulloise, Hull, Québec
Chez Morasse, Rouyn-Noranda, Québec
La Banquise, Montréal, Québec
Prince Pizzeria, Sorel, Québec
Hôpital de Val d’Or, Val d’Or, Québec
Chez Ashton, Québec, Québec

Lectures recommandées

New York s’amuse à découvrir la poutine, Cyberpresse
MaPoutine.ca


Photo: Poutine is for lovers

La trahison québécoise, un mythe canadien-français

Aux États généraux du Canada français de l’automne 1967, presque cent pour cent des délégués du Québec et une petite minorité d’Acadiens ont appuyé une motion favorable au droit du Québec, « territoire national des Canadiens français », à l’autodétermination; les délégués de l’Ouest et de l’Ontario, s’ils ne se sont pas abstenus de voter, s’y sont opposés aux deux tiers environ. On a souvent dit, avec un sens du dramatique, que le Canada français était mort cette journée-là, ou plus exactement que les nationalistes québécois avaient trahi les minorités françaises des autres provinces.

Hors Québec, le récit de la trahison du Canada français par le Québec relève de la vérité historique. Cette trahison est en quelque sorte devenue la blessure fondamentale, une trahison symboliquement équivalente, dans la mémoire, à la déportation des uns et à la conquête des autres. Nul n’a donc été surpris de lire l’expression de ce mythe sur taGueule dans les premières heures, les premiers jours tout au plus, qui ont suivi la renaissance du site. (Note pour les curieux: c’était dans un des commentaires en réponse à l’article du 21 février sur l’université franco-ontarienne.)

Le succès du récit de l’abandon québécois des Canadiens français, et des Franco-Ontariens par la même occasion, s’explique à la fois par son extrême simplicité narrative et sa grande utilité en tant que symbole identitaire. Sur le plan narratif, son simplisme tient dans sa caractérisation sans nuance des personnages : d’un côté les bons, les victimes, les généreux qui tendaient la main; de l’autre les méchants, les bourreaux, les égoïstes qui ont refusé la main tendue. Sur le plan identitaire, ce récit est utile parce qu’il fournit aux Franco-Ontariens un repoussoir, cet Autre dont tout groupement par référence a besoin pour se rappeler ce qu’il n’est pas.

Mais le Canada français a-t-il eu la consistance, la solidité qu’on lui attribue, et l’avait-il encore en 1967? Si oui, peut-on vraiment croire, alors, que son destin se soit joué à l’occasion d’une assemblée populaire, les fameux États généraux du Canada français? Et si la réponse est non, à quoi ce manque de consistance tenait-il?

1. Le Canada Français, le discours et l’agir

Au milieu des années 1970, le sociologue Jean-Paul Hautecœur avait soulevé une certaine controverse en publiant L’Acadie du discours, un essai arguant – je simplifie énormément – que l’Acadie était sans consistance réelle, n’existant que dans les multiples discours à son sujet. Si je ne crois pas, pour les raisons que j’exposerai brièvement ci-dessous, qu’on puisse soutenir un tel argument au sujet du Canada français, je mentionne quand même ce livre parce qu’il nous rappelle de toujours distinguer deux ordres de réalité, celui du monde palpable et celui du discours.

Je dirai d’emblée que le Canada français fut d’abord une abstraction, une idée née de la volonté des anglophones d’assimiler sa minorité de langue française. Au début du XIXe siècle, en effet, au temps des luttes patriotes et réformistes du Bas-Canada, la notion de Canada français n’existait pas. Deux facteurs clés ont toutefois contribué à son invention : les effets d’une forte immigration en provenance des îles britanniques et l’union politique du Bas-Canada et du Haut-Canada. Devenus majoritaires et maîtres incontestés du jeu politique, et par surcroît en processus de détachement par rapport à la Grande-Bretagne (gouvernement responsable, 1848), les Britanniques du Canada-Uni ont commencé à employer le nom Canadians pour se nommer eux-mêmes, accolant du même coup à leurs voisins celui de French Canadians pour bien s’en distinguer. Il faut le souligner : s’il y avait un French Canada et des French Canadians, il n’y avait pas d’English Canada, ni d’English Canadians. Si les Canadiens anglais existent aujourd’hui, c’est parce que les nationalistes québécois les ont inventés.

Le French Canada a pris corps à mesure que les francophones ont intériorisé l’identité que les anglophones leur avaient attribuée. Petit à petit, les premiers Canadiens se sont faits canadiens-français, un processus dont le sociologue Fernand Dumont a magistralement retracé les étapes dans son livre Genèse de la société québécoise. En s’appropriant le nom et l’identité que la majorité leur donnait, ils ont aussi dû se construire une nouvelle référence commune et s’imaginer un nouveau territoire symbolique. L’essence de ce Canada français émergeant s’est résumée au partage de la langue française, de la foi catholique, d’un passé pétri d’héroïsme pieux et de traditions populaires (jamais très clairement énumérées).

Cette construction intellectuelle a eu du succès. Beaucoup l’ont trouvée réconfortante. Le Canada français servit de refuge contre le monde dominé par l’Anglo-Protestant; il fut un prix de consolation pour ceux que l’hégémonie anglo-saxonne bloquait dans leur ascension sociale, politique ou économique. Qu’on ne s’y trompe pas : la petite élite sociale composée de l’évêque, du député, du médecin et de l’avocat avait tout intérêt à croire au Canada français, à le promouvoir et à lui donner corps, car en faisant sa promotion, en lui donnant consistance, c’est sa propre position sociale prééminente qu’elle promouvait et reconduisait. L’invention des Canadians est ainsi devenue une self-fulfilling prophecy à partir du moment où les descendants des premiers Canadiens en ont accepté l’existence. De fait, à force de chercher de multiplier les initiatives pour lui donner corps, on est bel et bien parvenu à donner une certaine consistance à ce Canada français, à ce nouveau groupement par référence qui s’étirait bien au-delà de la vallée du Saint-Laurent, territoire historique des premiers Canadiens. On citera à témoin le chapelet de réseaux associatifs et institutionnels qui se sont développés au fil des ans et des générations. Soucieuse de maintenir sa position dominante au sein de ce groupement référentiel, l’élite sociale du Canada français n’a d’ailleurs pas ménagé les efforts pour étoffer ces réseaux, veillant même à rattraper jusqu’en Nouvelle-Angleterre ceux et celles qui s’en étaient extraits en émigrant.

2. Le Canada Français à l’épreuve du changement social

Loin d’avoir été imperméable au changement social induit par la modernité, malgré ce qu’on a souvent dit, le Québec francophone fut au contraire aspiré par celui-ci, participant aux grands mouvements et s’inscrivant dans les grands courants. La complexité et la force d’entraînement du changement social qui découlaient de ces courants ont donné du fil à retordre aux chantres du Canada français. Personne, en effet, n’était soit au Canada français, soit ailleurs; les références des uns et des autres se mélangeaient, s’emmêlaient. À la ville – entendons Montréal et, dans une moindre mesure, Québec –, le discours paternaliste sur l’existence d’une communauté homogène, pieuse et soudée depuis la Nouvelle-France se heurtait à la présence d’une immigration européenne bigarrée et aux bouleversements causés par le progrès technique.

Les célébrations du Canada français avaient beau se multiplier et résonner, d’autres forces étaient en action. L’idée voulant qu’une communauté de langue française puisse croître, prospérer et vivre en tant que nation ailleurs qu’au Québec se voyait constamment mettre à mal sur les fronts politique, économique et juridique, notamment. Les efforts concertés des catholiques irlandais et des protestants pour éliminer le français en dehors du Québec avaient de quoi ébranler les plus idéalistes. L’indépendance du Québec – ce rêve un peu fou hérité des Patriotes – fut régulièrement remise à l’avant-plan : par Jules-Paul Tardivel dans son roman Pour la patrie en 1895, par le député Joseph-Napoléon Francœur dans une motion législative en 1917, par la revue L’Action nationale en 1922 et encore par les corporatistes des Jeunesses patriotes dans les années 1930. Le discours ambiant sur la valeur de l’identité nationale canadienne-française n’empêcha pas ces gens, à la lumière des faits qui leur paraissaient les plus significatifs, d’imaginer en toute bonne foi, pour eux-mêmes et leurs descendants, un avenir qui passerait par le charcutage du territoire de référence du Canada français.

3. Le provincialisme canadien et l’intégration continentale

Il n’y eut pas que les rebuffades politiques, économiques et juridiques qui lézardèrent le bel édifice du Canada français fait de passé, de langue, de foi et de traditions. D’autres causes ont agi, que je présenterai ci-dessous. Les deux premières nous renvoient au développement du provincialisme au Canada et la troisième à l’intégration continentale nord-américaine par la culture populaire.

Premièrement, les politiques sociales d’après-guerre ont eu pour effet d’accentuer la présence du gouvernement provincial dans la vie des citoyens. En 1945, une fois la paix revenue, le Canada a pris le virage du keynésianisme en matière socioéconomique. Les gouvernements ont mis sur pied un authentique État-Providence, investissant massivement afin de multiplier les services sociaux et d’améliorer les conditions de vie générales de leurs populations. (Ce fut moins vrai au Québec, mais cela est sans importance pour ce texte.) En vertu des compétences exclusives en matière d’affaires sociales que leur reconnaissait l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, les gouvernements provinciaux ont acquis une place considérable dans la vie des citoyens. Dans la même veine, en éducation cette fois, Sudbury vit le collège Sacré-Cœur, établissement chargé d’assurer la reproduction sociale de l’élite franco-ontarienne sudburoise, se transformer en université bilingue et initier la création de l’Université Laurentienne afin de pouvoir accéder indirectement à du financement provincial pour ses activités. Pour les Franco-Ontariens, en santé, en éducation et en d’autres domaines encore, les appels à Queen’s Park ont remplacé les campagnes de souscription populaire d’antan organisées par le curé ou avec sa bénédiction. Du coup, la solidarité nationale canadienne-française devint moins nécessaire ou urgente, donc plus susceptible de s’étioler.

Deuxièmement, la démocratisation de la voiture et l’expansion du réseau routier ont fait en sorte de progressivement relier les grandes villes, les petites villes et les villages. Le nombre de véhicules immatriculés en Ontario a grimpé de 4 200 environ, en 1910, à plus de 562 000, en 1930. Dans le cas particulier de la région de Sudbury, une route entre Sault-Sainte-Marie et Ottawa, accessible aux Sudburois, existait déjà début des années 1930. Quant au lien routier avec Toronto, on a fini de l’asphalter dans les années 1950. Sous l’effet des nombreux chantiers du ministère provincial de la Voirie ou des Transports, chaque grande ville s’est muée en pieuvre aux tentacules de bitume, attirant vers elle les plus petites agglomérations. Toronto l’est devenue pour Sudbury et Sudbury pour la myriade de petites villes et de villages tout autour. De moins en moins isolées, les petites localités canadiennes-françaises du Nord de l’Ontario se sont vues rattacher à un territoire toujours plus vaste, plus uni et plus anglo-saxon; de nouvelles lignes de communication se sont ouvertes; les distances se sont estompées; les morceaux plus ou moins épars de l’écoumène ontarien se sont liés les uns aux autres. Dans cette foulée, le contact avec l’Anglais s’est accru là même où il avait naguère été quasiment inexistant. En décloisonnant les petites enclaves francophones, l’asphaltage des routes et la multiplication des voitures ont participé à réorienter leur destin et celui de tous les Franco-Ontariens.

Troisièmement, enfin, la radio et la télévision se sont instituées dans la vie des francophones d’Ontario en anglais principalement, quand ce ne fut pas exclusivement. Cette implantation dans les mœurs s’est notamment traduite par une incursion de la culture populaire étatsunienne et Canadian dans le quotidien. La radio canadienne s’est développée à compter de 1922. La première station sudburoise permanente vit le jour au milieu des années trente. À partir de 1947, du français fut occasionnellement entendu sur les ondes d’une station bilingue. La première station entièrement francophone, propriété de Baxter Ricard et affiliée à Radio-Canada, n’a commencé à diffuser qu’en 1957. En ce qui concerne la télévision, elle s’est implantée en anglais à Sudbury à l’automne 1953, un an à peine après son inauguration officielle au Canada. En français, Ottawa a eu son antenne radio-canadienne en 1955, mais le Nord et le reste de la province ont dû attendre plusieurs années.

4. La trahison et le confort de la victime

Personne n’a abandonné ou trahi qui que ce soit lors des États généraux du Canada français. Ce jour de novembre 1967 a fait comprendre et admettre aux plus lucides que les horizons des différentes communautés ne se rejoignaient plus, si tant est qu’ils l’eussent déjà fait ailleurs que dans le discours.

La thèse de la trahison du Québec est néanmoins populaire parce qu’elle autorise un récit victimaire. Se poser en victime, c’est se donner le droit de se plaindre, d’exiger des comptes, des réparations et de l’attention. C’est s’autoriser à justifier sa médiocrité, ses ratés, ses carences. Comme ces Québécois qui aiment bien attribuer leurs divers ratés à l’abandon par la France, à la Conquête, à la domination anglaise ou à Ottawa, des Franco-Ontariens aiment casser du sucre sur le dos des Québécois, surtout s’ils sont nationalistes ou souverainistes, pour expliquer ou excuser l’anglicisation galopante de leur communauté. Et pourquoi s’en priveraient-ils, d’ailleurs? Ils trouveront toujours au Québec des alliés complaisants qui, par attachement sincère ou intéressé au Canada, diaboliseront le mouvement d’émancipation nationale que les Québécois ont hérité des Patriotes ou le réduiront qui à de l’étroitesse d’esprit, qui à de l’ignorance, qui encore à de l’ethnicisme. Le fils de Sudbury qui contrôle le journal La Presse depuis 1967 – quel hasard! – abat d’ailleurs une besogne admirable à cet effet.

Paradoxalement, le ressentiment antiquébécois des Franco-Ontariens est à la mesure de leur désir de reconnaissance aux yeux des Québécois. C’est une donnée normale et habituelle du rapport entre minorité et majorité, facilement observable au Québec à l’égard du Canada et de la France et au Canada à l’égard des États-Unis. Le dur désir de durer, celui-là même qui, de l’autre côté de l’Outaouais, maintient actuelle l’idée d’indépendance, garde en vie le feu du Canada français en Ontario. C’est pour cela que, malgré son caractère de farce politique, la reconnaissance symbolique par la Chambre des Communes d’une sorte de nation ethnique québécoise au sein du Canada uni en 2006 a suscité l’opposition de 77 % des francophones hors Québec et même d’un peu plus encore de Franco-Ontariens. C’est aussi pour cela que, dans la foulée de cette pantalonnade parlementaire, l’hebdomadaire sudburois Le Voyageur a appelé de ses vœux à la reconnaissance d’une nation canadienne-française dont personne, je présume, ne saurait dire en quoi elle consiste. La vigueur de l’opposition franco-ontarienne avait quelque chose de ridicule dans la mesure où les Franco-Ontariens pratiquent eux-mêmes, à l’échelle de leurs moyens limités, un type de souverainisme identique par nature à celui des Québécois. (J’y reviendrai dans un prochain texte.)

Le dur désir de durer, disais-je un peu plus haut. Tout semble toujours y ramener quand on est francophone en Amérique.

Laurentie: un WTF cinématographique

Il y a une couple de semaines, je suis allé voir L’acadie! L’acadie!?! à la cinémarobothèque de l’Office National du Film à Montréal avec ma blonde. Elle ne l’avait jamais vu et il fallait, évidemment, que je lui montre ce classique.  En passant par là, j’ai pris un programme pour les Rendez-vous du cinéma québécois qui était en full swing à ce moment-là. C’est en regardant le programme que je me suis dit qu’il semblait y avoir des ben bons films. Et qui l’eut cru, il y avait un film franco-ontarien.

C’est la description du film qui m’avait convaincu. En gros, Laurentie, c’est un film qui met en scène toute l’angoisse et le malaise d’un francophone cherchant à se retrouver des repères alors qu’il est confronté à une proximité menaçante de l’autre : son voisin anglophone.

Fait que, n’ayant pas vraiment le budget ou le temps de voir plus d’un film aux RVCQ cette année, je me suis dit Fuck it, forget le film franco-ontarien, je vais aller voir Laurentie à la place. D’ailleurs, je l’avais déjà vu, La Sacrée, pis ça avait plus le goût d’une Molson réchauffée qu’une bonne bière artisanale. Je sais, je sais, c’est un premier long métrage de fiction franco-ontarien, c’est important. Well, Aurore, l’enfant martyre aussi, c’était important.

Bon, back to Laurentie. Le titre de ce film québécois est une référence à ce pays lyrique imaginé par toute une génération d’intellectuels nationalistes de droite ultramontaine. Vous savez, la clique brébeufienne et certains profs de l’Université vaticane de Montréal. Oh oui, Pierre Trudeau y adhérait, je crois que vous le connaissez. En tout cas, le but de cette bourgeoisie nationaliste : la fondation d’une république catholique française fondée sur le modèle des états franquiste, en Espagne, et fasciste, en Italie.

Les réalisateurs, Mathieu Denis et Simon Lavoie, ont choisi le titre ironiquement. Le film ne se passe pas à cette époque-là; il se déroule plutôt dans le Montréal de nos jours. Louis Després, 28 ans (incarné par Emmanuel Schwartz), y va pas très bien. Non, en fait, il va assez mal. Il est perdu. Il est un être totalement asocial et il s’apprête à perdre le nord. Il emménage dans un nouvel appartement. Son voisin est un anglophone.

Pour l’anglophone la vie est belle. Il est étudiant, il est content, populaire, bref il est tout le contraire de Louis, qui l’observe discrètement, avec une fascination perverse. Louis ne parle à personne. Il ne s’intéresse pas à la banalité de la vie que se racontent ses collègues.

Certains plans-séquences durent de cinq à dix minutes. Le temps s’étire, le vide de la vie se fait sentir. Louis va boire dans un bar avec ses amis. Il se bat avec des Anglais. Louis boit de la bière avec ses chums. En silence. Louis se paye une danse contact dans un bar de danseuses. Louis se branle au travail. Louis baise sa blonde sans romantisme et à vrai dire, sans érotisme. Louis se branle dans la salle de bain de son voisin durant un party. Sans jamais jouir. Ce film est fabriqué à partir de scènes comme ça, étirées au maximum. Une scène montre même un vieux à marchette qui se dirige lentement vers la sortie de l’église. En temps réel. La seule scène où Louis semble heureux est un retour en campagne, dans un semblant de Laurentie, mais la réalité le reprendra et le ramènera de force à Montréal. Dans certaines scènes, des extraits de textes sont projetés sur l’image, citant des poèmes de Saint-Denys Garneau, Anne Hébert, Gaston Miron, Hubert Aquin qui contrastent par leur espoir d’un pays, le désespoir des images.

La force du film est  sa construction cinématographique particulière et le culot de nous montrer des scènes crues en temps réel, ce qui se voit rarement de nos jours au cinéma. Et il faut avouer que c’est un risque qui a valu la peine.

Pour ce qui est du message politique, à part critiquer le marasme du mouvement nationaliste au Québec et le manque d’identité claire et précise au Québec, il est difficile de savoir exactement ce que les réalisateurs voulaient dire.  Après la projection de branlages sur l’écran, j’ai assisté à une séance de masturbation intellectuelle au Bistro SAQ où les réalisateurs se défendent contre un panel qui ne se reconnaît pas dans leur film. « Je n’ai aucun malaise face à mes voisins anglophones » ou « Je suis capable de vivre mes deux identités sans problème », entend-on. Je crois qu’ils sont tombés à côté de la plaque. J’avais l’impression que le panel avait pris le film pour une apologie d’Hérouxville plutôt qu’un portrait de la situation qui lui donne voix. Et le besoin de régler la question, justement pour pas que l’on repasse par Hérouxville sur le chemin de l’affirmation identitaire. Mais certaines interventions des réalisateurs m’ont laissé perplexe. Je n’avais peut-être pas bien compris; c’était peut-être moi qui étais tombé à côté de la plaque. En tout cas, le film provoque la discussion, c’est déjà ça. Et explorer la complexité de cette question au Québec est aussi essentiel à la résolution de la question identitaire chez nous, en Franco-Ontarie.

Outre la question politique, le film demeure intéressant. Je ne sais toujours pas si je l’ai « aimé ». Ce n’est peut-être pas le genre de film que l’on aime ou que l’on déteste. Néanmoins, il participe et contribue à la richesse du cinéma québécois et propose autre chose d’un point de vue esthétique. Principalement pour cette raison, il mérite d’être vu.

Quand une inondation se déverse dans un complexe linguistique

Le 29 mai 1996. À Timmins, la rivière Mattagami débordait sous l’effet des crues du printemps. De nombreuses demeures étaient inondées. La nouvelle était assez grosse pour attirer les grands journaux, même du Québec.


Les inondations à Timmins ont mérité que pour une rare fois, le journal la Presse de Montréal envoie un journaliste dans le Nord ontarien et y consacre une pleine page. C’est bienvenu. Sauf qu’après avoir donné les faits sur la crue de la rivière, le reportage se dilue dans d’autres eaux. Le journaliste constate qu’il y a des francophones à Timmins et que leurs conversations passent spontanément du français à l’anglais. Il observe que francophones et anglophones s’entraident dans la catastrophe sans trébucher sur leurs langues. Et ainsi de suite jusqu’à la toute dernière phrase de l’article, qui rapporte le cri du cœur d’un sinistré : « Ça c’est ma propriété, pis j’t’assez proud de ça. Oh my God ! »

Bon, un journaliste a perdu le fil de sa nouvelle. Il n’y a pas encore de quoi faire un plat. Mais le rédacteur du gros titre, lui – qui n’est probablement pas le journaliste lui-même – a vu dans cette remarque-là la phrase clef de l’article. Donc quel est le gros titre en gros caractères de cette grosse nouvelle ? Eh, oui : « C’est ma propriété et j’t’assez proud de ça », en caractères trop gros et gras pour qu’on puisse les manquer.

C’est vrai que c’est le genre de « franglais » qu’on entend parfois en Ontario. C’est vrai que ça peut laisser une drôle d’impression. Mais comment se peut-il que dans toute cette catastrophe naturelle, c’est ce détail-là qui vole la vedette ? Si j’allais faire un reportage sur un des grands festivals touristiques de Montréal et que je l’intitulais, en gros caractères, « Des mendiants dans toutes les rues », même si c’est tristement vrai, n’est-ce pas que j’aurais l’air tendancieux ? Voilà pourtant où en sont ces journalistes québécois qui n’ont pas pu parler d’une inondation sans la déverser dans leur complexe linguistique. Et nous revoilà, pour la combientième fois, victimes de cette attitude si agaçante que tant de journalistes québécois avant celui-ci ont manifestée. Quand par un gros hasard ils sont amenés à parler de nous, c’est uniquement pour finir par dire, peu importe le prétexte, que hors le Québec, tout finit par l’assimilation. Même les inondations. Mais jamais n’est-il question pour eux de lever le petit doigt contre ça. Car nous ne sommes pas du bon pays.

Le Québec est bien loin d’imiter ce qui s’est passé en Allemagne, ce pays divisé par le rideau de fer et pourtant resté si solidaire qu’il est réuni aujourd’hui. Pendant la guerre froide, l’Allemagne de l’Ouest a trouvé toutes sortes de façons de commercer avec l’Allemagne de l’Est, de la soutenir économiquement, d’y injecter des fonds, d’entretenir des liens étroits, même si son voisin était en principe un pays souverain et hostile. Une entraide semblable s’est pourtant déjà vue entre Canadiens-Français, à une autre époque. Au tournant du siècle, de vieilles paroisses du Québec faisaient des collectes quand de jeunes paroisses françaises de l’Ontario connaissaient des malheurs. De nos jours, ce ne sont pas des idées pareilles mais des moqueries qui viennent à l’esprit des Québécois, même si c’est en Ontario que se joue en premier « leur » bataille pour la survie du français en Amérique.

Chers cousins Québécois, vous pourriez, si vous vouliez, être indépendantistes et en même temps soutenir vos cousins Canadiens-Français. Vous pourriez être souverainistes sans nous abandonner tout à fait, et surtout sans nous rabaisser à chaque occasion pour soulager votre mauvaise conscience. Mais vous semblez bien loin d’adopter une attitude aussi mature, confiante et conséquente. C’est pour ça que je vous le dis en grosses lettres majuscules : Oh ! mon dieu, je ne suis pas fier de vous.

L’Ontarienne débarque

J’attends depuis plus d’une heure pour renouveler ma carte étudiante et le gars au comptoir me demande si j’ai une autre pièce d’identité, quelque chose de plus officiel, comme une carte émise par un ministère. Un peu confuse, je lui réponds que je ne sais ce qu’il veut de plus… «Un permis de conduire, il me semble que c’est assez officiel, non?!» Le gars regarde à nouveau ma pièce d’identité et se rend compte (enfin!) que c’est un permis ontarien. C’est aussi à ce moment qu’il m’adresse la parole en anglais. Inutile de lui demander pourquoi, je connais malheureusement déjà la réponse, qui est toujours sensiblement la même. Il va probablement m’expliquer comment le cousin de son père, qui a déménagé à Toronto dans les années 1980, s’est fait assimiler et comment, selon cette logique, il est convaincu qu’il n’y a pas réellement de francophones en Ontario. Chaque fois que j’entends ce genre de réplique, je me demande s’il s’agit d’une blague. Comment peut-on ne rien connaître au sujet du plus gros contingent de francophones habitant à l’extérieur du Québec?  Plus d’un demi-million de personnes!

J’ai grandi dans le Nord ontarien, dans une région où l’assimilation n’était pas un enjeu et où il fallait même plaider avec les élèves pour qu’ils parlent anglais. Situation rare, certes, mais qui existe néanmoins dans quelques villes ontariennes. Étonnamment, l’événement qui marque ma prise de conscience ne fut pas tellement mon arrivée en région majoritairement anglophone, mais plutôt mon déménagement dans la province voisine. Je me suis réellement identifiée comme Franco-Ontarienne, ayant des motivations politiques et culturelles distinctes, pour la première fois de ma vie en habitant au Québec; preuve que la langue n’est pas toujours un facteur d’unification.

Il faut dire que j’ai été surprise d’apprendre combien de Québécois ignorent l’existence des communautés francophones hors province. À maintes reprises, j’ai dû expliquer, même à des collègues historiens, que la présence française en Ontario date depuis longtemps et qu’il est effectivement toujours possible d’y vivre en français. Il me semblait parfois farfelu d’expliquer à des universitaires comment le reste des Canadiens français n’avaient pas soudainement cessé d’exister au moment de la Révolution tranquille, du moins, pas sur le plan démographique. J’ai vite compris que les liens de solidarité avec le Québec étaient très faibles, même si, en réalité, la frontière ontarienne se trouvait tout près, à une centaine de kilomètres.

Je suis partie au Québec pour poursuivre mes études en français. Non pas parce que c’était impossible en Ontario, mais parce que le choix de programmes dans mon domaine était limité. À peine quelques minutes après ma première rencontre avec mes collègues, j’étais vouée à être l’anglophone du groupe. Ce n’était pas à cause de mon accent, mais plutôt à cause de mon origine, qui, en quelque sorte, garantissait que je maîtrisais probablement mieux l’anglais. Si je m’exprimais relativement bien en français, c’était sûrement parce que j’avais habité près de la frontière ou encore parce que mes parents étaient Québécois. Impossible que ce soit plutôt à cause des institutions francophones que j’avais fréquentées. Non. Impossible. «Tu parles très bien français pour une anglophone!» Comment même réagir à cette remarque sans perdre son sang-froid?

Pourtant, l’existence des Franco-Ontariens ne m’avait jamais paru extraordinaire considérant le nombre de minorités linguistiques éparpillées partout dans le monde. À peine débarquée dans ma nouvelle province, je me retrouvais soudainement, malgré moi, embarquée dans une croisade cherchant à prouver et à légitimer ma francophonie auprès de mon nouvel entourage. Je passais mon temps à fournir des explications détaillées sur l’histoire du fait français en Ontario. Pire encore, je justifiais, avec des arguments irréfutables, pourquoi j’avais aussi le droit de vivre en français.

Il n’est certainement pas facile de vulgariser la situation des francophones en Ontario, mais obstinément, j’ai voulu informer mon entourage quant à la complexité de la question. À maintes reprises, j’ai pris soin d’expliquer comment la francophonie se vivait différemment en situation minoritaire. J’ai aussi expliqué à quel point les Francos-Ontariens étaient éparpillés partout en province, rendant parfois difficile le ralliement. J’essayais ultimement d’inculquer à mon entourage qu’il y avait des gens qui continuaient – par choix – de vivre en français en Ontario, malgré leur situation minoritaire. C’était malheureusement un débat perdu d’avance. À la fin, j’étais épuisée de réitérer sans cesse la même chose. La plupart du temps, on ne se gênait pas pour me rappeler que j’étais seulement un dead duck, dont toutes les luttes, passées et futures, étaient futiles.

Pour la première fois de ma vie, je me suis sentie comme si c’était peut-être illogique de vouloir continuer à vivre en français en Ontario en n’ayant pas l’appui du Québec; questionnement qui ne m’était pourtant jamais venu à l’esprit auparavant. Malgré l’opposition parfois féroce de certains groupes unilingues anglophones en Ontario, parler et vivre en français avait toujours été pour moi un fait accompli. Il me semblait alors paradoxal que l’attitude défaitiste envers les francophones hors Québec soit plus forte dans la «belle province» que dans ma province d’origine. À vrai dire, je n’avais jamais rencontré un si haut niveau d’opposition à l’idée d’une francophonie pancanadienne avant mon arrivée au Québec. Alors que je me retrouvais enfin entourée de gens qui parlaient français quotidiennement, j’avais constamment du mal à m’intégrer tant à l’université qu’au petit pub du coin. Toutes les discussions revenaient sans cesse aux questions linguistiques et à la notion des deux solitudes. Originaire de l’Ontario, on considérait rarement mon opinion sérieusement; comme si, venant du Canada, j’étais automatiquement une fervente fédéraliste. Manifestement, l’absence de communication entre les groupes francophones au pays avait donné naissance à un dialogue de sourds.

C’est après plusieurs mois que j’ai enfin compris. «Tant pis, câlisse! Ce que pensent les Québécois n’est pas important!» Le refus systématique du Québec à être solidaire avec les francophones ailleurs au pays ralentit peut-être l’avancement des projets en Ontario français, mais il ne les empêche certainement pas. Si on parle encore français en Ontario aujourd’hui, c’est, à mon avis, malgré le Québec, qui préfère se donner une vitrine internationale plutôt que de tisser des liens avec le Canada.


Image: Gadaffi Duck, Inkbot Design, 2011

Ville de la semaine sur URBANIA : Sudbury

En cette journée bissextile, je suis fier de vous annoncer que j’ai écris la chronique de la ville de la semaine pour le magazine URBANIA.

C’est la première Ville de la semaine à plus que quelques minutes de la belle province. J’aurais bien aimé dire que c’était la première hors-Québec mais Ottawa m’a devancé.

Selon moi, c’est un beau signe de bonne volonté, des deux bords de la rivière des Outaouais/Lac Témiscaminque, que de publier un texte de même. En plus, les gens de Sudbury ont une réduction sur l’abonnement à Urbania cette semaine! YEEE BOIIIEE!

Je vous suggère fortement de faire le tour un peu sur le site, selon moi le meilleur magazine/blogue/plateforme de diffusion francophone du Canada/Québec. Vous y lirez des textes de [name-drop d’une personnalité inconnue en Ontario] ou encore de [hipster montréalais quelconque] ainsi que des textes percutants sur [cause dont on a aucune connaissance hors-Québec, mais qu’on devrait] et [artistes intéressants qui gagneraient à être connus en Ontario]. En plus, ils sont drôles, pis c’est tout en français! Wow!


Photo: Sébastien Perth

Piano Mal : Julien Sagot

Suivant de fausses rumeurs que le célèbre groupe Karkwa (le premier groupe de langue française à remporter un prix Polaris) s’était dissous, un de ses percussionnistes et membres fondateurs, Julien Sagot a fait paraître son premier album solo intitulé Piano Mal le 1er février 2012 chez Simone Records. Je dois avouer que je ne savais pas trop à quoi m’attendre, n’étant familier qu’avec son travail au sein du groupe Karkwa.

Rapidement, Sagot nous transporte vers des paysages musicaux trop peu fréquentés. Des gros accords ouverts, disjoints et lents au piano s’opposent par moment à des petits coups de guitare rapides et secs. La sonorité de l’album crie Montréal, Paris, mais aussi un désert du Far West américain. Les mêmes genres de textes poétiques et réfléchis qu’on retrouve chez Karkwa sont aussi présents dans Piano Mal. C’est la précision des mots qui règne dans ce style d’écriture moelleux et précis.

Si certaines chansons sont lentes et éclatées, d’autres sont très rythmées et linéaires. Or, même l’oreille développée a du mal à déterminer comment l’artiste vient à bout de créer ces véritables voyages sonores, elle n’a pas l’impression de s’y perdre. Chaque son, chaque note, chaque effet sont recherchés, et aucun d’entre eux n’est utilisé de façon abusive. À tout ça, on ajoute la (superbe) voix rauque de Sagot et on obtient un produit incroyablement riche et velouté.

Bref, pour le mélomane, cet album aux textures parfois rudes, parfois lisses; aux sonorités parfois chaudes, parfois froides, est un incontournable du milieu musical actuel.

Pour les fans de

Karkwa, Serge Gainsbourg, Roger Whittaker, Ennio Morricone, Arthur H et Leif Vollebeck.

Moments forts

Piano Mal, Une vieille taupe, Le trucifier