Naissance de l’université de Sudbury : une minorité remise à sa petite place

Le 5 septembre 1997. L’Université de Sudbury profitait de la rentrée universitaire pour souligner le 40e anniversaire de sa fondation. CBON diffusait ce matin-là une émission en direct du salon Canisius. J’y ai lu ce billet en ondes et devant public. 


Il y a ceux qui font l’histoire et ceux qui la subissent ; il y a ceux qui l’écrivent et ceux la lisent. Dernièrement, j’ai lu l’histoire des débuts de l’université de Sudbury et j’ai bien vu qui l’a subie. Le bel édifice où nous sommes ce matin m’a l’air maintenant d’un monument à la mémoire de notre impuissance politique de minoritaires. Car entre l’université dont on a rêvé et celle qu’on a eue, il y a quarante ans, il y a de grosses différences.

L’histoire raconte que dans les années cinquante, les jésuites se préparaient à ouvrir à Sudbury une université catholique et française. Celle-ci devait venir agrandir l’œuvre traditionnelle du collège classique du Sacré-Cœur, en place depuis 1913. Or, des comités d’autres églises protestantes et d’autres villes nord-ontariennes, qui étaient loin d’avoir un passé éducationnel aussi solide, ont réclamé l’égalité. Voilà tout ce qu’il fallait pour brouiller l’eau politique et noyer le poisson.

Cependant, les francophones avaient encore dans leur jeu une très bonne carte. En fait, c’était une bonne charte, celle du collège du Sacré-Cœur. Dans cette charte, il y avait une clause qui lui donnait le droit de créer au besoin une université. L’histoire raconte qu’un jour, en 1955, une délégation de Sudbury – le père Alphonse Raymond, Gaston Vincent et d’autres – sont allés à Toronto mettre leur charte sous le nez du ministre de l’Éducation.

Voilà donc l’action qui explique qu’en 1957, et pour trois ans, l’université de Sudbury a existé indépendamment de toute autre institution… et malheureusement, de toute subvention. C’est là que le gouvernement tenait la bonne carte ! Pour emporter la main, il a fait jouer sa fameuse balance politique, qui n’est pas toujours celle de la justice. Dans un plateau, on a mis les cinquante années d’expérience du collège du Sacré-Cœur, l’existence de l’université de Sudbury comme un fait accompli et les centaines de milliers de dollars de dons déjà faits pour une université française. Dans l’autre plateau, on a mis les autres groupes sans pareille préparation, qui ont pourtant pesé tout aussi lourd. Toronto a ainsi eu la partie facile : Non, on ne donnera pas de subvention à une université catholique, car il faudrait alors en donner aux autres. Et avant qu’on puisse revenir lui parler d’une université française laïque, le gouvernement a balancé sous le nez de tout le monde un gros chèque à l’ordre de tous ceux qui voudraient s’unir.

Tout d’un coup, une page de l’histoire a vite tourné. De nouveaux négociateurs jésuites, aux noms Belcourt et Bouvier, se sont fermement convertis. Ils ont soutenu que la plupart des Canadiens-Français voulaient en fait la cohabitation bilingue, que ceux qui avaient tant oeuvré pour une université sous gouverne française avaient mal visé, que l’université de Sudbury devait se fondre docilement dans l’université Laurentienne bilingue.

La suite est bien connue. Les anglophones ont mis la loi du nombre de leur bord. Les programmes français ont piétiné, les programmes anglais se sont multipliés. Dans l’université qu’ils avaient créée, les Canadiens-Français ont été avalés. Voilà donc l’histoire d’une minorité ambitieuse remise à sa petite place. Mais dans cette histoire d’échec politique, un passage détonne : celui où par la force d’un vieux document légal, on a eu, pour un moment, une université française.

Quarante ans plus tard, la gestion de l’éducation française entre français est un droit acquis en Ontario. Nos écoles secondaires sont françaises, nos conseils scolaires sont français. Au postsecondaire, nos collèges comme le Boréal sont français. Seules nos universités restent bilingues, comme des fossiles vivants. Dans ce contexte, l’université de Sudbury pourrait-elle poser de nouveau son grand geste d’hier ? Dans ses tiroirs, nous dit l’histoire, elle a une deuxième charte qui n’a jamais servi. C’est la charte d’un certain collège Lalemant qui n’a jamais existé. Cette charte pourrait-elle servir à accélérer l’histoire ? Pourrait-elle servir à fonder l’université de l’Ontario français ? Et si une charte n’est pas le bon moyen, comme en 1955, l’Université de Sudbury pourrait-elle prendre le leadership autrement ? Voilà de bonnes questions posées au mauvais endroit. Car il y a 40 ans, on a déjà enterré un rêve d’université française, ici même, sous les pierres de l’université de Sudbury. Son fantôme ne semble pas hanter les lieux.

Les historiens disent que l’histoire a tendance à se répéter, surtout quand on l’a oubliée. Aujourd’hui, je vous l’ai rappelée.


Ce texte fut publié dans le recueil de nouvelles De face et de billet, par Normand Renaud, aux éditions Prise de parole, 2002. Reproduit avec permission.

La nouvelle guerre? Celle des riches contre les pauvres

«Tout va très bien pour les riches dans ce pays, nous n’avons jamais été aussi prospères. C’est une guerre de classes, et c’est ma classe qui est en train de gagner.»

Warren Buffett, homme d’affaires américain, troisième homme le plus riche au monde, dont la fortune personnelle s’élève à 44 milliards de dollars (Magazine Forbes, 2012)

«La seule partie de la soi-disant richesse nationale qui entre réellement dans la possession collective des peuples modernes, c’est leur dette publique.»

Karl Marx, philosophe politique, économiste et révolutionnaire allemand

Les riches sont en train de gagner. Que ce soit dans nos villes, nos provinces, nos pays ou à l’échelle de la planète. Non seulement ils engrangent des profits monstrueux sur le dos des pauvres et des classes moyennes, mais, avec l’aide des médias (qu’ils détiennent et contrôlent en grande partie), ils nous convainquent, à force de répétions (ad nauseam) du message néolibéral, de la légitimité de cette situation. Ils dominent le monde! Ils ont des tentacules partout : dans notre eau, notre assiette, nos terres, nos forêts, nos rivières, nos écoles, nos universités, nos hôpitaux, et j’en passe. Ayant mis à leur solde les gouvernements, ils font adopter des lois et des politiques, clés en main, qui leur sont favorables et leur donnent le champ libre dans leur quête insatiable de profits. Ces derniers sont privatisés et les dettes, collectivisées. Pendant ce temps, nous constatons un recul important de nos conditions de vie, de nos acquis sociaux et de notre environnement.

Tout cela, sous l’œil indifférent du grand public. J’exagère, me direz-vous ?

Il ne faut pas se leurrer. Les riches sont en guerre. En guerre contre quiconque voudrait remettre en cause de quelque manière que ce soit les inégalités structurelles qui leur permettent de continuer à s’enrichir en toute tranquillité. Ils sont en guerre contre les fondements de nos démocraties, contre nos valeurs de solidarité, d’équité et de compassion, en guerre contre vous et moi. Ils veulent abolir nos droits collectifs, nos systèmes d’éducation et de santé, nos pensions. Le poids qu’ils exercent sur les coffres des états n’arrête pas de croître. Cela donne l’impression que nos pays ne sont plus menés par des gouvernements, mais par des banques, des compagnies minières, des grandes corporations qui leur dictent quoi faire. Et la soif de richesse de ces dernières ne semble jamais être assouvie.

Et ce qui est triste, c’est qu’elles continuent de gagner.

On entend souvent dire que les pauvres et les assistés sociaux sont des parasites qui profitent du système et vivent à la solde de l’État. On reproche aux francophones de «coûter cher» avec le bilinguisme. On considère le financement d’organismes de défense des droits des femmes comme un caprice inutile. On traite les autochtones de quémandeurs parce qu’ils exigent le respect de leurs droits et un traitement équitable avec le reste de la population. On ridiculise les membres des mouvements Occupy, qui exigent que la richesse collective soit mieux répartie, que les injustices sociales effarantes soient corrigées et que le milieu bancaire soit mieux réglementé.

Nous entendons toujours les mêmes refrains : à titre de contribuables, il faut faire «notre juste part» pour rétablir les finances publiques, nous «serrer la ceinture». Les gouvernements soutiennent que pour «arrêter de vivre au-dessus de nos moyens», il faut adopter des mesures d’austérité, «couper dans le gras», c’est-à-dire au sein des services, l’éducation et la santé. Ce «gras» inclurait aussi des dizaines de milliers d’emplois dans la fonction publique et les prestations de pension de vieillesse, qui selon les apôtres de la frugalité, grugent une partie trop importante des dépenses publiques. La solution magique à tous nos problèmes financiers serait de privatiser les services… Tout ça au nom du bien commun, bien sûr. Par ailleurs, il semblerait que nous soyons obligés d’accepter l’exploitation de ressources qui risquent de détruire notre eau et notre environnement, pour «maintenir notre qualité de vie».

Par contre, dès qu’on ose aborder l’idée d’augmenter l’imposition des plus riches, il y a une levée de boucliers de tous bords, car cela «menacerait» la stabilité économique et ferait fuir les investisseurs. Pourtant, plusieurs études ont prouvé que l’imposition progressive représente un de meilleurs moyens de réduire les inégalités et de mieux répartir la richesse.

Savez-vous qu’au N.-B., les changements à la structure des impôts initiés en 2009 donnaient une réduction d’impôt de 395 $ (2008-2012) à une personne dont le revenu annuel était de 30 000 $, alors que celle gagnant 150 000 $ en a eu une de 5 922 $ (2008-2012) ??? Ainsi, la personne ayant un revenu élevé a profité près de 15 fois plus des réductions d’impôts.

Les impôts des personnes à revenu élevé reviennent à des niveaux datant des années 1920. Cela a contribué à la concentration sans précédent de la richesse dans les mains d’un petit pourcentage de personnes, dans la province et au pays. Et bien que le gouvernement provincial a déposé son nouveau budget hier (27 mars), la tendance ne semble pas être sur le point de s’inverser…

En 2009, au Nouveau-Brunswick, la proportion du revenu total après impôt des 20 % les plus riches était de 41,9 %, alors que celle du 20 % le plus pauvre représentait 5,4 %. À l’échelle du pays, 3,8 % des foyers contrôlent plus de 67 % de la richesse financière totale.

Par ailleurs, aux États-Unis, l’effondrement du système banquier en 2008 a provoqué une crise économique mondiale, des millions de pertes d’emplois, l’explosion des taux d’endettement et de chômage, la pauvreté de millions de familles, qui se sont retrouvées à la rue. Alors qu’aux quatre coins de la planète, les pauvres et les classes moyennes n’arrivent plus à joindre les deux bouts, les employés des 25 plus grandes firmes de Wall Street ont perçu 135,5 milliards de dollars en 2010. Par exemple, les dirigeants de la banque Goldman Sachs ont augmenté leur salaire de 600 000 $ à 2 M$ de dollars. Pourtant les bénéfices de l’entreprise de 2010 sont en baisse de 38% par rapport à ceux de 2011. Ils ne sont pas seuls : 738 «dirigeants» de Citigroup ont touché plus d’un million. Le patron de la Bank of America, Brian Moynihan, qui annonce que sa rémunération sera désormais liée à la performance de sa banque, a empoché un bonus de 9,2 millions de dollars alors que sa banque a perdu 2,2 milliards de dollars. Veuillez consulter ce site pour voir la liste complète des organismes qui ont reçu du financement dans le cadre du plan de sauvetage de l’économie américaine (et les montants remboursés).

Et il y a plusieurs cas similaires au Canada, notamment au sein d’Air Canada…

Partout dans le monde, on entend que les Grecs sont des anarchistes, des paresseux corrompus qui ne veulent pas travailler. Mais on ne mentionne pas souvent que Goldman Sachs a enregistré un profit de 600 M$ avec le plan de réduction de la dette de leur pays. Que les fonctionnaires de l’État n’ont pas été payés depuis des mois et que 15 000 emplois publics ont été abolis. Que le salaire minimum a été réduit de 22 %. Que les salaires et les retraites ont été réduits. Que de nombreux services ont été privatisés et donc, que seuls les riches en profitent. Ça, on n’en entend pas souvent parler dans nos médias de masse… Et les cas sont encore plus odieux dans les pays en développement. J’en ferai l’objet d’une chronique ultérieure.

On croirait voir un retour au Gilded Age américain, une période marquée par l’enrichissement fulgurant de la classe sociale dominante composée de «barons» du milieu pétrolier, minier, bancaire et industriel, par la croissance significative des inégalités sociales et une dégradation importante du niveau de vie. Si notre monde vit une crise économique grave, si nos états sont réellement au bord de la ruine et qu’ils ne peuvent plus se permettre de payer nos services publics, il est temps que tous fassent réellement «leur part» et les riches en premier.

Il faut toutefois mentionner que nous sommes tous partiellement responsables de la victoire des riches. Nous les laissons gagner! Nous restons dans notre cynisme et notre indifférence. Nous baissons les bras, nous abandonnons parce que nous avons l’impression de ne pas compter, de ne pas pouvoir changer les choses. Nous vivons dans la peur et la résignation, la peur du chômage, de l’endettement, de la précarité, de l’isolement. Nous vivons dans la peur constante de notre gouvernement, de représailles politiques. Et malheureusement, dans une province comme la nôtre où le favoritisme politique est bien ancré, cette peur est souvent justifiée. Il est temps d’arrêter d’avoir peur. Il est temps de se tenir debout, et de rappeler aux riches que notre monde ne leur appartient pas. Assez, c’est assez. Il faut se réveiller avant qu’il ne soit trop tard.

L’école française: une bonne école d’immersion

Je suis élève d’une école secondaire catholique du centre-sud de l’Ontario.

Ceci est mon appel à l’aide.

Au moment d’écrire cet article, je me vois entouré d’élèves et de personnels d’écoles qui semblent vouloir traverser la ligne entre une école de langue française et une école d’immersion. Dresser une ligne claire semble être notre plus grand défi aujourd’hui.

Voici, puisque pour plusieurs (moi inclus jusqu’à récemment), la différence entre une école de langue française et une école d’immersion est floue. Une école d’immersion a pour objectif de transmettre le français comme mode de communication verbale et écrite. Et, soyons honnêtes, la plupart accomplissent à merveille leur mandat. De ces écoles, plusieurs élèves en ressortent épatés par une nouvelle langue qui leur est donnée. Malheureusement, ce n’est pas le cas dans les écoles dites «de langue française»!

La problématique est la suivante: des huit écoles secondaires de mon conseil scolaire, il y en a une seule qui peut se dire forte culturellement. J’envie les élèves qui y étudient. Une sur huit? 12,5%? Pitoyable. Il se peut bien que celle-là soit la seule à pouvoir mériter le titre d’école de langue française.

Revenons aux définitions. Une école de langue française a pour mandat de transmettre la culture francophone, en particulier au secondaire, puisqu’arrivé là, le français devrait être une méthode de communication maîtrisée par les élèves. Nous savons bien que ce n’est pas le cas, du moins pas dans le centre-sud, mais on crée certainement une belle image. L’enseignant dans une école d’immersion donne 100% de son temps payé à transmettre le savoir (donc le matériel du curriculum) aux élèves. L’enseignant d’une école de langue française est sensé donner 50% de son temps afin de remettre aux élèves le même savoir. L’autre 50% est la fameuse ligne, celle qui différencie les francophones des anglophones qui ont eu la chance d’apprendre la langue de Molière: c’est la transmission de la culture.

Et elle ne s’effectue pas.

Quand les membres du personnel, enseignant et non, parlent entre eux dans une autre langue que le français, et pire, qu’ils parlent aux élèves de la même façon, comment est-ce qu’une école peut oser s’appeler une école de langue française? Les élèves s’en foutent, les enseignants s’en foutent, la direction s’en fout, tout le monde s’en fout!

Cependant, cela n’est pas pour dire que personne n’ose contrer le système plutôt que de le respecter. Il y a en effet certains enseignants qui constatent cette réalité et la jugent inacceptable. Il y a des étudiants, comme moi-même, qui font face à cette adversité et se relèvent à chaque fois que quelqu’un nous demande «Why are you speaking French at school?», mais nous sommes dans la minorité. En effet, en 2009, seulement 31% des élèves du secondaire de mon conseil ont rapporté qu’ils parlaient souvent en français à l’école. Nous avons complètement perdu notre sens d’appartenance à l’école. Différents des autres uniquement par la langue dans laquelle nous choisissons de nous exprimer, nous sommes maintenant des rejets sociaux. Il nous arrive souvent de penser à changer d’école, afin de finalement trouver un espace francophone sécuritaire, où nous ne recevrons plus de menaces, plus de «Go back to Québec!» Mais on comprend que notre avenir consistera en une bataille pour une école de laquelle je graduerai l’an prochain, pour une école qui s’en fout, pour une école qui ne cesse de nous pousser à terre.

Mais on se lève, et on se lèvera encore et encore, afin de ne jamais laisser notre chère culture tomber. Mais nous avons besoin d’aide. Le sud est trop souvent négligé par la FESFO, qui se dit la voix des jeunes Franco-Ontariens. Une ruée vers la francophonie se réalisera bientôt: il s’agit simplement de montrer aux élèves et aux enseignants à quel point la culture tombe dans une catégorie marquée «indispensable».

Je ne prétends pas être parfait. Je parle en anglais à l’école, et même si je le fais moins qu’en français, oui, je le fais. Mais je l’accepte. D’autres, non. Je ne serai jamais parfait, ni moi, ni mes compatriotes. Dans ce milieu, ce serait littéralement impossible. Et l’impossible, on ne l’atteindra jamais, mais il nous sert de lanterne.

Dans une galaxie près de chez vous…

AVEC PAS D’CASQUE
Astronomie
Grosse Boîte

Au lieu de simplement rafistoler le folk joliment déglingué de ses deux premiers albums, dont l’excellent Dans la nature jusqu’au cou en 2009, le groupe montréalais Avec pas d’casque a choisi d’ajouter des sonorités plus atmosphériques, voire cosmiques. Défoncer le toit de la shed plutôt que bêtement la repeindre. Du coup, on en voit mieux les étoiles.

Ces étoiles, on les doit à l’arrivée du trompettiste baryton Mathieu Charbonneau (Torngat, The Luyas) et de Mark Lawson (Arcade Fire, etc.) à la console. Ils ont su planter un décor nocturne qui convient parfaitement aux textes du cinéaste Stéphane Lafleur (Continental, un film sans fusil, En terrain connus, le montage de Monsieur Lazhar), toujours aussi étonnant avec sa poésie de bout de ficelle, ces images gossées à même un quotidien à la fois tendre et désarmant :

Ton corps trempé dans la paillette
Ma tête de boule miroir
T’es un gala à toi toute seule
Je garde le vestiaire
(Les oiseaux faussent aussi)

Nous ferons des concours de lumière
De blessures en ordre croissant
Tu voudras que je préfère
J’haïrai évidemment
Mais je veillerai le feu avec toi

Veiller le feu

Qu’il s’agisse d’Apprivoiser les avions, de Veiller le feu ou de La journée qui s’en vient est flambant neuve, les mots et les images nous traversent le corps pour nous laisser émerveillés, mais aussi curieusement apaisés, preuve que le groupe a su dépasser la simple enfilade de métaphores chocs au profit d’un univers somptueux, cohérent. Alors qu’on écoutait les précédents albums d’Avec pas d’casque à la recherche de la jolie phrase à épingler sur son frigo, Astronomie nous invite plutôt à nous étendre au sol, les yeux plantés au ciel. Jamais l’idée d’accorder des «étoiles» à un disque n’aura été plus appropriée.

Pourquoi je ne suis pas à La Nuit sur l’étang

Pour ma génération, La Nuit sur l’étang c’est un show rock parmi tant d’autres. C’est un show rock auquel on associe une certaine mythologie, puisqu’on nous dit que ça a déjà été autre chose qu’un simple show.

Ça a déjà été une soirée de party, un rassemblement, une célébration de l’art, de la musique, de la poésie, du théâtre. Me semble que c’était une façon de se faire notre propre Nuit de la poésie. Me semble que c’est censé représenter «la folie collective d’un peuple en party», non?

J’ai souvent ressenti un devoir, ou une obligation personnelle d’aller à La Nuit. Pas nécessairement pour les artistes, qui souvent ne m’intéressaient pas, mais pour avoir l’impression de participer à quelque chose. J’y allais, soit comme bénévole, soit comme consommateur, et j’étais souvent déçu. Pas nécessairement par les artistes, qui malgré leur anonymat relatif et/ou leur manque de compréhension du contexte donnaient des bonnes performances, mais par le manque de party, le manque de dynamisme, la banalité de la chose.

J’y allais, principalement (malheureusement) pour démontrer que les jeunes participaient encore à la culture franco-ontarienne.

Il y a quelques années que je ne suis pas allé à La Nuit sur l’étang. Ce n’est pas entièrement de ma faute, je n’habitais plus à Sudbury. Bien sûr, j’aurais pu faire la route et revenir voir ma famille pour une fin de semaine, mais tant qu’à faire 8 heures de route, je pouvais voir d’aussi bons, sinon de meilleurs shows à Montréal. D’après ce que m’ont raconté mes amis sudburois lors de mon exil, je n’ai pas manqué grand-chose. J’ai manqué quelques shows rock.

Revenu maintenant dans mon cratère, dans mon étang, dans mon talus de bleuets, je ne ressens plus ce besoin d’aller à La Nuit sur l’étang. Je ne ressens plus ce besoin de prouver que les jeunes s’impliquent; on l’a prouvé avec taGueule, on l’a prouvé avec des shows de Malajube, de Dumas, des Vulgaires Machins, on continue de le prouver et en ce sens, je ne suis plus aussi inquiet que je l’ai déjà été sur la place des jeunes dans la communauté. Mais à travers tout ça, notre folie collective ne passe plus que par La Nuit sur l’étang.

En cette 39ième Nuit sur l’étang, j’ai autre chose à faire. J’ai déjà vu en spectacle la plupart des artistes invités, et je n’ai pas envie de voir un show rock parmi tant d’autres.

Harper, père du Québec

Dans une cinquantaine d’années, le Québec célébrera peut-être ses 20 ou 25 ans d’indépendance. Pour l’occasion, on honorera les héros, René Lévesque, Jacques Parizeau et les autres qui sont encore inconnus mais qui, à force d’idéalisme trompeur, auront convaincu les Québécois de voter «oui». Mais je vous gage un ver de terre – dans 50 ans, c’est tout ce que j’aurai sous la main – que personne ne mentionnera celui qui aura fait le plus pour l’indépendance du Québec, Stephen Harper.

C’est Justin Trudeau qui le premier aura eu le courage de dire publiquement ce que plusieurs d’entre nous craignent. Harper est en train de faire du Canada un pays où même les plus ardents fédéralistes (québécois ou pas) ne se reconnaissent plus. Au diable l’entraide, les traditions, l’environnement, les droits des femmes, le respect du français, la Charte des droits, les Francos hors Québec. Les con-serviteurs de Harper n’aiment probablement même pas le sirop d’érable.

Tout ce qui compte pour ces disciples de l’école de Calgary ce sont les profits des banques et des pétrolières, la loi et l’ordre, le contrôle des citoyens, les médias serviles. Et tout ça sous l’oeil du même dieu mesquin adoré par la droite américaine et célébré ici dans de petites chapelles en plein Parlement. Peut-on être plus loin des valeurs québécoises et canadiennes-françaises?

Que ce soit le projet omnibus contre le crime qui favorise la prison plutôt que la réhabilitation, l’abolition du registre des armes à feu, le refus de financer des organismes caritatifs qui incluent la contraception et l’avortement dans les soins prodigués aux femmes du Tiers-Monde; que ce soit la nomination d’un vérificateur général incapable de répondre aux questions des députés francophones, l’installation d’un juge unilingue à la Cour Suprême, le retour du qualificatif «royal» dans la marine et l’aviation militaire canadiennes, le remplacement d’une toile du grand peintre canadien Alfred Pellan par un portrait de Her Majesty, il est clair que ce gouvernement se crisse des Canadiens français.

Dans le Québec social démocrate et nationaliste – même les fédéralistes se croient une nation – les indépendantistes n’ont pas été long à identifier cette brèche et à s’y engouffrer. Depuis quelques mois, la leader du PQ, Pauline Marois, ne fait plus campagne contre le Premier ministre du Québec, Jean Charest, mais plutôt contre le gouvernement Harper. Elle et ses stratèges ont compris que Harper est leur plus grand allié. À force de démontrer comment ce gouvernement est loin des valeurs québécoises – et, on l’a vu plus haut, la job n’est pas dure – ils assimilent Harper à Ottawa. Ottawa, donc le fédéralisme, devient ainsi l’empêcheur de danser en rond, la source de tous les malheurs des Québécois. Il suffit de marteler ce message simple assez longtemps et la flamme indépendantiste s’embrasera.

Afin d’éviter la catastrophe, il faudrait que Harper change mais je ne vois malheureusement pas pourquoi ce démagogue ferait ainsi; il n’a pas l’étoffe d’un homme d’État. Tout se jouera dans les prochaines années et il devient de plus en plus possible que, dans cinquante ans, le Québec et le Canada soient à couteaux tirés et définitivement dans la merde. Comme disait la Vierge de Fatima, «Pauvre Canada».


Image: Emperor Haute Couture, par Margaret Sutherland, 2011

Terminée, la vague orange?

C’est samedi que les membres du Nouveau Parti Démocratique choisiront un nouveau chef afin de remplacer – le pourtant irremplaçable – Jack Layton. Il ne fait pas de doute que le parti a accompli quelque chose de tout à fait remarquable lors de la dernière élection. Grâce à Layton, le parti devint, pour la première fois, l’opposition officielle, en remportant un nombre record de sièges à la Chambre des communes. Comme tant d’autres, je me suis laissé emporter par la vague orange; j’ai participé aux rassemblements et j’ai fait campagne à quelques reprises pour le parti. J’étais là, moi, à Montréal, pour le printemps du changement. Quel moment historique quand le NPD a littéralement vidé la province du Bloc québécois. Peu importe s’il s’agissait d’un vote stratégique pour contrer les Conservateurs, la victoire du NPD avait dorénavant réorienté la discussion politique en permettant non seulement au Québec de se joindre à la conversation, mais en donnant finalement lieu à un authentique débat entre la gauche et la droite au Canada.

La tâche du prochain chef est colossale; il (ou elle) devra unifier le parti de façon à assumer la place du NPD en tant que parti officiel de l’opposition, pour espérer obtenir, un jour, le pouvoir à Ottawa. Il n’est pas évident d’essayer de remplacer un chef si charismatique et qui était, incontestablement, au sommet de sa carrière politique au moment de son décès. Cela dit, aucun des candidats à la chefferie ne s’est réellement démarqué au cours des nombreuses semaines de la course.

Une véritable campagne aux signatures

Pas de direction. Pas de vision exceptionnelle pour le parti. Chaque candidat semblait davantage préoccupé à obtenir l’appui des députés néodémocrates pendant la course, notamment celui du cabinet fantôme, plutôt que de se démarquer sur le plan idéologique. Semaine après semaine, les candidats se félicitaient pour chaque signature additionnelle récoltée en publiant des communiqués de presse officiels sur leurs sites personnels.  À chaque fois qu’un nouveau député, un nouvel organisme ou, encore, une personne notable appuyait une campagne, la nouvelle circulait de façon démesurée à travers les médias sociaux. Pour les membres du parti automatiquement abonnés à toutes les listes d’envoi des candidats, cette quête aux signatures est rapidement devenue ennuyante. Thomas Mulcair fut certainement le précurseur de cette compétition, brandissant fièrement sa longue liste d’appui dès le début de la course. Même en lisant constamment au sujet des candidats, il était difficile d’être bien informé sur leurs programmes individuels. Le moins que l’on puisse dire est que la surutilisation des médias sociaux au profit de véritables programmes politiques a dévié l’attention des membres du réel objectif de cette course.

Après avoir visionné deux des débats télévisés, exercice relativement pénible tellement les candidats étaient en accord, j’ai perdu intérêt. J’avoue que je me suis sentie un peu triste d’être incapable d’écouter ces débats, moi, la fille qui, jadis, pouvait passer ses journées à écouter des comités parlementaires sur la chaîne CPAC. L’incapacité des candidats à défendre leurs opinions efficacement me rappela les débats de piètre qualité que j’avais eus dans mes classes de politique au secondaire, qui, malgré tout, étaient quand même plus animés. Je ne suis malheureusement pas la seule qui a eu de la difficulté à suivre cette course attentivement; chaque candidat a réitéré sans cesse qu’il était forcément le meilleur choix pour le parti sans pour autant offrir des explications convaincantes à cet effet. À la fin, les nombreux débats étaient devenus inutiles et tranquillement, comme plusieurs autres personnes, je me suis désabonnée des listes d’envoi et j’ai cessé de lire les journaux.

La prise de décision

On ne peut pas dire que la course à la chefferie du NPD a été très mouvementée, mais elle aura un impact décisif sur les politiques canadiennes pour les années à venir. Les tactiques utilisées par les candidats pour attirer les votes ont visiblement aliéné, dans plusieurs cas, les membres du parti. Membres qui, notons-le, avaient déjà manifestement un intérêt pour la course en ayant pris la peine d’adhérer au parti. Sans compter les courriels incessants, qui pouvaient heureusement être bloqués, les appels des candidats furent fréquents tout au long de la course. À un tel point d’ailleurs, qu’il fallait parfois se demander s’il y avait une quelconque coordination à travers les diverses équipes. L’utilisation poussée de ce genre d’outil pour faire du réseautage est, à mon avis, désuète et n’a réussi, de toute façon, à pousser de l’avant aucun des candidats.

En effet, à part quelques blogueurs enthousiastes ayant déjà utilisé leur bulletin de vote, personne ne semble réellement savoir lequel des candidats serait le choix idéal. Les premiers et deuxièmes choix sont devenus, à cet égard, des choix stratégiques. Thomas Mulcair parce qu’il gardera l’appui du Québec. Nathan Cullen puisqu’il coopérera avec les autres partis. Brian Topp pour ses plans économiques. Peggy Nash, car c’est une une grande syndicaliste. Paul Dewar car il… comprend les familles canadiennes? J’oublie. J’oublie précisément les éléments importants des autres programmes. Si c’est tout à fait normal que les candidats aient des positions similaires parce qu’ils sont dans le même parti, le manque de leadership pendant la course a fait en sorte qu’on ne sait toujours pas qui remportera le vote. Rick Mercer résumait instinctivement ce fait cette semaine dans une de ses vidéos:

La présente course à la chefferie du NPD me rappelle bien pourquoi, il y a quelques années, j’ai abandonné l’idée de faire carrière sur la colline. Je n’ai pas toujours fait partie de cette jeunesse apolitique et désintéressée, mais cette course aura inévitablement contribué à nourrir mon cynisme envers la politique canadienne. En attendant de voter, je plonge un peu plus creux, malgré moi, dans le nihilisme…


Photo: Tommy Douglas, ancien chef du NPD (1965), Frank Lennon, Toronto Star

Nous sommes solidaires avec les étudiants en grève

C’est aujourd’hui qu’a lieu la plus importante manifestation à date contre la hausse des frais de scolarité au Québec. taGueule en profite pour déclarer sa solidarité envers ceux qui ont décidé de défendre les choix de société du Québec.

Avec taGueule, on est assez explicite dans notre recherche d’une certaine objectivité pour la plateforme. Mais lorsqu’on se retrouve face à un mélange dangereux de répression économique, de rhétorique condescendante et de brutalité policière, on se permet de prendre position.

Les actions du gouvernement du Québec n’ont rien d’exceptionnel; elles s’inscrivent dans la réalité de notre époque, cette époque où des escrocs font tomber les banques, où on fraude des élections à coup de téléphone, et où on cherche à couper dans les dépenses publiques au nom de l’austérité. En ce sens, il est primordial que nous soyons conscients de ce qui se passe au Québec, si seulement pour dénoncer les difficultés auquel font face les étudiants qui tentent de manifester, et l’absurdité des mesures prises pour taire le mouvement.

Malgré les pressions de l’époque, les étudiants choisissent de prendre la rue pour défendre les choix de société qui leur sont chers. Et ils le payent cher.

Ils assument le fardeau que représente cette grève: leur éducation, leur réputation, et leur santé en souffrent, mais ils continuent à prendre la rue, si ce n’est que pour lutter contre l’attitude fermée, autocratique, et franchement inquiétante du gouvernement, des médias et des structures d’autorité. Ce n’est pas juste une grève, ce n’est pas juste une hausse, ce n’est pas juste du pepper spray dans la face ou un pont bloqué; c’est la légitimité de toute contestation sociale qui est en jeu.

Une solidarité avec le mouvement étudiant est une solidarité contre Harper, contre Wall Street, contre l’aliénation, contre les pressions sociales de ce monde qui rendent nécessaire la contestation et la désobéissance civile. C’est une solidarité contre le silence qu’on essaye trop souvent d’imposer à une génération contestataire. C’est une solidarité pour l’accès à l’éducation, mais aussi pour le droit de participer à la démocratie. C’est une solidarité pour dire qu’on est tannés de se laisser faire et de se laisser imposer un modèle de société par une génération déconnectée.

C’est une solidarité pour mettre fin au mythe que les problèmes québécois ne sont pas les nôtres.

“High tuition is not an economic necessity, as is easy to show, but a debt trap is a good technique of indoctrination and control. And resisting this makes good sense.”

— Noam Chomsky, 19 mars 2012

Lisa LeBlanc : La torieuse

On l’a appelée la «Bernard Adamus féminine» et la «Diane Dufresne de Rosaireville».

Bullshit!

L’acadienne Lisa LeBlanc est une bébitte à part entière.

Originaire de Rosaireville, un village de 42 habitants au Nouveau-Brunswick, Lisa LeBlanc is the real deal. On attendait son premier album depuis longtemps, et my god, que ç’a valu l’attente. Réalisé par Louis-Jean Cormier (Karkwa), son premier opus est une charrue authentique, percutante et touchante qui torche d’un boutte à l’autre et qui ne laissera personne indifférent. Soit tu l’adores, soit tu l’get juste pas.

Armée d’un banjo, de boot spurs et d’une gueule en chiac rauque, on a affaire à une Lisa LeBlanc surprenante et mature (Ligne d’hydro), crue et poète (Motel), charmante et honnête (J’t’écris une chanson d’amour), tordante et puante (Aujourd’hui ma vie c’est d’la marde) et éternellement rough sur les bords (Câlisse-moi là). Belle surprise: entendre Louis-Jean Cormier chanter avec humilité «Au pire on riera ensemble. On mangera du Kraft Dinner. C’est tout c’qu’on a d’besoin.»

«Lisa LeBlanc n’a pas peur des mots, ce sont les mots qui ont peur d’elle.»

— Gilles Vigneault

La gagnante du grand Prix du Festival international de la chanson de Granby en 2010 auto-proclame son style musical le folk-trash, mais son attitude envers la musique ressemble beaucoup plus au punk qu’au folk (Chanson d’une rouspêteuse). Sa musique est un fuck you aux chansons fi-filles, au folk traditionnel et aux gens qui s’prennent trop au sérieux.

Lisa LeBlanc nous livre un premier album débordant d’honnêteté et rafraîchissant comme l’odeur du fumier au printemps.

L’album éponyme est sorti sous l’étiquette Bonsound Records et est disponible dès maintenant!

Pour les fans de

Bernard Adamus, Plume Latraverse, Marcel Martel, Canailles, Patrice Desbiens, Mononc’ Serge

Moments forts

Ligne d’hydro, Cerveau ramolli, Avoir su, Motel, Câlisse-moi là

Le Québec en grève!

Nous étions 30 000, le carré rouge épinglé au cœur, à déambuler dans les rues ensoleillées de Montréal pour la manifestation familiale. Nous étions étudiants, amis, parents, professeurs, chargés de cours, élèves du secondaire, artistes et citoyens de tout genre. Nous étions 30 000 de tous les secteurs de la société québécoise à unir nos voix à celle de la cause étudiante. C’était incroyable de vivre une telle démonstration de solidarité. Nous avons pu profiter des bonnes grâces de Dame Nature. Il faisait beau, on aurait dit le printemps. Le beau mouvement qui germait sous la neige de février commençait à fleurir. Il ne reste qu’à espérer qu’il portera fruit.

Tout a commencé le 13 février avec trois associations étudiantes. Aujourd’hui, il y en a 161, représentant plus de 200 000 étudiants. Combien de temps encore le gouvernement pourra-t-il nous ignorer? Combien serons-nous avant qu’il réplique par autre chose que le gaz lacrymogène, les matraques et les grenades assourdissantes qui nous éborgnent?

Combien de temps serons-nous en grève?

Pourquoi la grève?

Parce que le droit à l’éducation est en péril. Parce que la fonction même de l’éducation supérieure est en péril. Plus concrètement, parce que le gouvernement a proposé une hausse de 325$ par année pour les cinq prochaines années, soit une hausse de 1 625$. Notons que le gouvernement avait déjà dégelé les frais en 2007. Depuis, chaque année a coûté 100$ de plus que la précédente. En dix ans, donc, les frais de scolarité passeront de 1 668$ en 2006-2007 à 3 793$ en 2016-2017. C’est plus que le double. Et on ne compte même pas les frais afférents et autres frais obligatoires, qui eux ne cessent d’augmenter depuis la nuit des temps.

Les Ontariens, qui payent les frais de scolarité les plus élevés au pays, se montreront peut-être insensibles à notre cause. Mais ils connaissent très bien la difficulté de payer leurs études alors que leurs salaires stagnent et que le coût de la vie augmente. Ils savent à quel point leurs études sont mises de côté afin de travailler de plus en plus d’heures pour pouvoir les payer. Oui, ils savent à quel point l’éducation est devenue synonyme d’endettement. Plutôt que de nous jalouser, pourquoi ne pas suivre notre exemple?

Car nous savons que si nous ne faisons rien, la situation ne va qu’empirer. Nous savons d’expérience que lorsque l’on hausse les frais de scolarité, de nombreux étudiants font face à une terrible alternative: abandonner leurs études ou se noyer davantage dans les dettes d’études. Ce n’est pas ainsi que l’on construit une société forte et solidaire, une société libre.

Toutes les études le démontrent. Même un rapport du ministère de l’Éducation constate que des milliers d’étudiants n’auront bientôt plus accès aux études. Non, le Québec ne saura être l’exception. On peut s’attendre à ce qui s’est passé en Ontario ou au Royaume-Uni lorsque l’on a haussé les frais de scolarité: une baisse des taux de fréquentation de jeunes issus des familles les plus pauvres. Une éducation de plus en plus réservée aux riches. Il n’y a aucun doute, lutter contre la hausse des frais est une question de justice sociale.

Le gouvernement Charest s’acharne à nous comparer à l’Ontario, à la Nouvelle-Écosse, aux États-Unis. Nous préférons tourner notre regard vers l’Europe. Oui, nous payons moins qu’ailleurs au Canada, mais nous payons plus que les étudiants d’une quinzaine de pays européens, dont certains offrent la gratuité scolaire, voire le salariat étudiant. Pourquoi se comparer au pire, alors qu’on pourrait se comparer au meilleur?

Le gel des frais, la réduction ou la gratuité scolaire ne sont pas des propositions impossibles. La hausse n’est pas inévitable et elle n’est pas économiquement nécessaire. Il s’agit simplement d’un choix de société, comme celui d’avoir la gratuité dans le système de soins de santé. Comme celui d’avoir la gratuité scolaire pour l’éducation primaire et secondaire. Ce n’est qu’un manque de volonté politique qui nous empêche d’accéder à la société qu’on nous avait promise il y a quarante ans. L’argent il y en a, il s’agit de savoir où le prendre et où le dépenser. Mais le gouvernement ne veut pas entendre parler de solutions. Il est plus facile de faire payer ceux qui n’ont pas d’argent que de faire payer ceux qui en ont. Le gouvernement n’est pas obligé d’adopter des mesures d’austérités antisociales, il choisit de le faire.

Oui, d’accord, mais pourquoi la grève?

Parce que ça fonctionne. C’est en fait le seul moyen efficace de faire reculer le gouvernement. En 1968, des milliers d’étudiants déclenchaient la grève pour la gratuité scolaire et l’autogestion des universités. Évidemment, ils n’ont pas eu tout ce qu’ils voulaient, mais c’est grâce à cette grève que les frais de scolarité ont été gelés. D’autres grèves ont eu lieu au cours des années 1970 et 1980 afin de maintenir le gel et d’améliorer l’accessibilité aux études. En 1996, le Parti Québécois proposait une hausse de 30% des frais de scolarité. Une grève a permis encore une fois de geler les frais. En 2005, la plus grande grève générale étudiante a eu lieu lorsque le gouvernement Charest a proposé de couper 103 millions $ du programme de bourses. Encore une fois, le gouvernement a reculé.

Les grèves fonctionnent. C’est d’ailleurs pourquoi le gouvernement refuse de nous parler, traite notre grève de boycott et nous envoie l’antiémeute dès le premier signe de rassemblement. Mais à un moment donné, la grève sera trop coûteuse pour le gouvernement. Il faudra qu’il prenne une décision, soit reculer, soit annuler la session, avec tous les problèmes bureaucratiques et sociaux que cela engendrera.

La grève, lorsqu’appuyée par un nombre suffisant d’étudiants, a toujours mené à un recul du gouvernement. Si le mouvement étudiant s’était bien mobilisé contre le dégel en 2007, il est peu probable que le gouvernement ait proposé de nouvelles hausses en 2010. Si le mouvement de grève ne réussit pas, on pourra sûrement s’attendre à de nouvelles hausses.

Tant que nous sommes solidaires, tant que nous avançons, le gouvernement sera obligé de reculer.