Faut qu’ça bouge encore… ‘stie!

Depuis l’annonce de la programmation partielle de la 40ème Nuit sur l’étang, je sens comme un malaise. Le premier malaise vient des petits ragots, des critiques feutrées. Le deuxième malaise vient du manque d’enthousiasme, ou pour être plus juste, du je-m’en-foutisme caractérisé de la communauté par rapport à cet anniversaire. Je sais que certains ont leurs doutes, leurs ras-le-bol de cette «grande messe» où on serait sommé de dire «Amen» au drapeau vert et blanc, fleurdelisé et fleurtrillé, leurs envies de meurtre, leurs rancœurs et autres mesquineries. Ce qui me choque c’est que personne ne semble voir que cet anniversaire – et son succès – dépasse, de très loin, nos petits égos.

En disant cela, je ne tombe pas dans le discours narratif mythifié ou nostalgique d’une grande époque perdue. Bien au contraire, je crois que nous avons devant nous, en face de nous, en nous, la première génération de jeunes Franco-Ontariens aussi brillants que la gang de CANO.  Est-ce que les Patricia Cano, David Poulin, Cindy Doire, Tricia Foster de ce temps ont quoi que ce soit à envier à un Robert Paquette? Un Christian Pelletier qui se démène comme un fou dans la communauté, l’homme invisible visible qui brasse les cages, les idées, et surtout réalise de beaux projets (We Live Up Here) n’a rien à envier à un Gaston Tremblay. Nos jeunes poètes, Daniel Aubin, Sonia Lamontagne, Daniel Groleau-Landry, Guylaine Tousignant, n’ont rien à envier à ceux qui sont devenus – bien plus tard – des monstres sacrés, les Dalpé, Dickson et Desbiens. Ce que font Mélissa Rockburn et Miriam Cusson avec les Productions Roches Brulées, et la prestation extraordinaire de France Huot sur les planches vaut largement les débuts sur scène d’un André Paiement. Pourquoi nier l’évidence? D’où vient cette espèce de déni, voire de dénigrement, on se croirait en présence de clones de Kafka.

Est-il nécessaire de rappeler que si la gang de CANO a autant marqué son époque, c’est parce que tout était à faire, tout était à construire, alors qu’aujourd’hui il s’agit de pérenniser nos institutions, défi bien plus difficile à relever? Faut-il rappeler que le contexte culturel était fort plus accueillant à la création, en plein milieu du mouvement de la contre-culture américaine, alors qu’aujourd’hui nous devons faire face à un mouvement d’anti-culture? Est-il nécessaire de souligner que la gang de CANO n’aurait pu exister sans quelques jésuites allumés alors qu’aujourd’hui les universités sont devenues des boites à fric où les pseudo-compétences professionnelles priment, et de loin, sur les savoirs et la culture? Faut-il rappeler que bien sûr à l’époque le monde participait en masse parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire que d’aller au seul parté en ville, alors qu’aujourd’hui le monde est vautré dans son fauteuil devant un écran?

Est-ce que personne ne se rend compte que certains Anglos, que les ministères, que les traitres, coincés le pied dans le cadre de la porte, n’attendent qu’une chose : qu’on se plante, et si possible de façon monumentale? Nous n’avons jamais été à un moment aussi important de notre histoire. Si nous ne pouvons réussir au moment même où nos artistes brillent, alors la messe est dite. Et dans 40 ans, il n’y aura pas de 80ème anniversaire. Moi j’ai fait le choix de rester à Sudbury; j’ai fait le choix de me définir Franco-Ontarienne, pas seulement par souvenir pour Robert, pas seulement parce que je tripe à lire Jean Marc; parce que je crois en vous et que vous êtes une belle gang; parce que je veux que mes filles dans 40 ans, elles soient sur scène à déclamer du Daniel Aubin, à performer un «freedom frogs have survived» ou à chanter du Patricia Cano.

Top 17 des meilleurs albums franco-ontariens

L’équipe de taGueule me propose de préparer un ambitieux palmarès; le Top 10 des meilleurs albums de l’histoire en Ontario français. Selon mes goûts personnels, évidemment.

En même temps, je lis sur taGueule que l’on commémore ces jours-ci les cent ans de l’infâme règlement 17.

Cela me donne l’idée de concocter plutôt  un Top 17 des meilleurs albums franco-ontariens.  Juste pour adapter un peu la formule à notre histoire.

Mais d’abord, je dois exclure certains disques que j’adore;

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[li]Il n’y a pas assez de chansons en français sur le superbe disque de Patricia Cano. Exclu. Snif![/li]
[li]Alexandre Désilets a passé quelques années à Kingston mais pas assez pour que je le considère Franco-Ontarien (même si j’aimerais bien pouvoir le faire). Exclu.[/li]
[li]Le charmant mini-disque d’Amélie est trop court pour être dans ce palmarès. Exclu. (J’ai bien hâte d’entendre ce qu’elle fera avec les Singes Bleus).[/li]
[li]Le disque de David Poulin n’est pas encore lancé. Je sens que ça va être fort. On attend.[/li]
[li]Francois Lemieux, Mastik, Les Chiclettes, Yvan Vollé, Paul Demers, Louis-Philippe Robillard, Mehdi Cayenne et plusieurs autres ont fait des chansons qui m’ont marqué. Mais leurs albums sont soit trop courts – soit trop inégaux pour que je les insère dans mon palmarès personnel. Dans le cadre d’une autre occasion, j’aimerais bien faire un palmarès de mes chansons franco-ontariennes préférées.[/li]
[/arrow-list]


Mon palmarès

17. Philippe Flahaut – Seul avec les autres

Un album que personne n’a remarqué. Pourtant, ce Torontois d’origine française est un brillant parolier, mélodiste et guitariste. Sa chanson du Baiser indélébile (sur l’amour maternel) est un bijou qu’aurait pu écrire Alain Souchon.


16. Deux Saisons – Plus ça change, moins c’est pareil

Un courageux changement de son pour le groupe à l’époque. Plus inégal que Le bal des bois mais avec plusieurs chansons solides.


15. Tricia Foster – 412

Plus le temps passe, plus j’aime ce disque, surtout les chansons plus politiques et altermondialistes.


14. Cindy Doire  – Chapeau de pluie

Si seulement Cindy peut, un jour, enregistrer un album francophone aussi efficace que ses disques anglais! Si le disque Sticks and mud était en français, il serait dans mon Top 5.


13. Robert Paquette – Dépêche-toi soleil

Sans Robert, y aurait-il eu tout le reste? Et son premier album demeure mon préféré, pour sa spontanéité et sa candeur.


12. Konflit Dramatik – Univers dissimulé

Le meilleur disque de rock de notre histoire. Excessif et immature mais puissant et provocateur.


11. Stef Paquette – Le Salut de l’arrière-pays

Comme tout le monde, j’aime la chanson de l’Homme exponentiel. Mais le Salut de l’arrière-pays est un disque magnifique d’un bout à l’autre, magnifiques mélodies, magnifiques arrangements et Stéphane qui chante avec cœur et sobriété sur des textes solides de Normand Renaud et Guylaine Tousignant. Un hommage aux petites villes du nord.


10. Tricia Foster – Commerciale

Surtout pour deux grandes chansons: Force ou faiblesse et Au nom de l’amour. En passant, son nouvel album Négligée n’est pas encore dans mon palmarès. Mais peut-être que dans six mois il y sera. Il me faut d’abord l’apprivoiser. Ca s’en vient!


9.  Deux Saisons  – Au bal des bois

Un grand groupe de party! Ginette Spraynet, Ottawa, Le verre de scotch, le Bal des bois… eh qu’on a eu du fun à chanter ca!!!


8. Andrea Lindsay – Les sentinelles dorment

Il faut le faire: une anglophone de Guelph qui écrit de si belles chansons en français. Et le charme dans la voix de cette fille là!!! Comment résister à Comment te le dire… Le temps de l’amour… Gin bombay… Le charleston?


7. En bref – Éponyme

Ils ont marqué une époque pendant leur trop courte carrière (qui a repris récemment). J’ai un faible pour Depuis toi. Et Ici dans le nord est la meilleure de nos chansons identitaire.


6. Marcel Aymar – Aymar

Il n’a fait qu’un disque solo en carrière. Mais quelle réussite, quelle voix… et les ambiances, les atmosphères… tout bricolé à la main! Jouissif.


5. Cano – Au nord de notre vie

Moins de grandes chansons que Tous dans le même bateau mais plus trippant, musicalement. Puis, il y a le doublé Au nord de notre vie et Spirit of the north….majestueux!


4. Damien Robitaille – L’homme autonome

Pratiquement aussi bon que le prochain album.


3. Damien Robitaille – L’homme qui me ressemble

Le compositeur de chanson le plus doué de l’histoire de l’Ontario français. Il y a les hits (Je tombe, Électrique, Porc Épic) et les grandes chansons (Dans l’horizon, Astronaute, Amnésie).


2. Konflit Dramatik – Éponyme (Tête de poisson)

Un album sous-estimé ici comme ailleurs. Un disque coup de poing. La chanson Tête de poisson me bouleverse à chaque écoute. La chanson de la «douche froide» est une réponse moderne à Dimanche après-midi de Cano. Et la reprise de God is an american est parfaite.


1. Cano – Tous dans le même bateau

Un grand groupe, un grand album, des chansons géantes… En plein hiver, Viens nous voir, Dimanche après-midi… etc.


PS: Par souci d’honnêteté intellectuelle et pour éviter toute apparence de conflit d’intérêt, j’aimerais préciser que j’ai officiellement – quoi que modestement – contribué aux textes de deux des disques de mon Top 17. Il s’agit des albums Chapeau de pluie de Cindy Doire et Univers dissimulé de Konflit Dramatik.

PS2: J’espère évidemment que la publication de Mon Top 17 fera gonfler les ventes des albums, re-stimulera la diffusion radiophonique des pièces auxquelles j’ai contribué et gonflera la somme des droits d’auteurs que me verse la SOCAN. Nous sommes dans une société capitaliste après tout. Au diable l’intégrité, vive la convergence !

PS3: Au fond, je peux bien vous le dire, c’est aussi moi qui a composé l’intégral des pièces de CANO. Mais ne le répétez pas, ça vexerait les musiciens du groupe. C’est une vieille entente entre eux et moi qu’on tient à garder secrète. Admirez ma modestie…

C’est toujours à recommencer

«Je me sens sans pays. Comme francophone hors Québec, j’ai pu de place.»

Le même utilisateur du mystérieux compte YouTube qui avait mis en ligne le documentaire J’ai besoin d’un nom qui nous avait complètement jetés à terre en février vient d’afficher un nouveau vidéo. C’est toujours à recommencer, est un court documentaire produit en 1980 par André Gladu et Michel Brault pour Radio-Canada dans le creux de l’hiver nord-ontarien. C’est froid, c’est sec et c’est pas facile à regarder.

Bien qu’assez misérabiliste comme portrait du fait français à Hearst et à Kapuskasing dans les années 1980, le film présente tout de même quelques points intéressants: la naissance de l’identité «bilingue» chez la plus jeune génération et le sentiment d’être un «peuple sans pays» après la Révolution tranquille au Québec.

Des airs de country à des reels de violon, la musique balise le documentaire. À 3:05, un bûcheron chante son quotidien dans le Nord de l’Ontario dans la pièce titre du documentaire C’est toujours à recommencer.

«J’avais 15 ans avant de m’apercevoir que les Français étaient minoritaires en Ontario. Moi, je pensais que partout en Ontario c’était français comme à Moonbeam.»

‎L’extension naturelle du Québec

Vers la fin des années 1910, le gouvernement ontarien fait une campagne en Europe pour recruter des Néo-Canadiens dans le but de peupler le Nord. Les gens sont venus s’établir dans le Nord de l’Ontario, encore très peu défriché. En même temps, comme il y avait beaucoup de chômage et un manque de terres au Québec, les prêtres colonisateurs du Nord recrutaient en disant que le Nord de l’Ontario «c’était l’extension naturelle du Québec. C’était facile pour les gens d’y croire parce que quand ils s’en venaient s’établir ici c’était français partout, alors ils se sentaient chez eux, ils se sentaient au Québec, en Ontario.» (5:20)

On parle de la manière dont les ouvriers francophones étaient obligés d’apprendre l’anglais pour travailler dans les régions de l’Ontario où ils étaient majoritaires (10:38), des luttes scolaires, de la problématique des conseils scolaires dans les années 1980 (12:30) et de l’émergence d’une nouvelle culture en Ontario français; la culture «bilingue» (16:08). À la fin, le documentaire touche à un point très sensible: le sentiment qu’ont certains francophones hors Québec d’être sans pays suite à la Révolution tranquille au Québec (22:00).

«Je me sens un peu comme la Sagouine. Elle à le savait par exemple ce qu’elle était. Moi, je l’sais pas. J’pense qu’il faut que je le dise que j’suis Franco-Ontarienne parce que moi j’ai vécu toute ma vie dans l’Nord de l’Ontario. Ça m’appartient. C’est mon pays. Je ne sens pas aucune identification avec le Sud de l’Ontario, ça c’est un monde à part. Mais le Nord de l’Ontario, géographiquement, pis le monde qui vivent ici, j’aime, pis c’est moi. Mais je me sens pas du tout comme Canadienne française. Ça fait pas mal longtemps de ça.

Quand j’étais jeune, j’avais le rêve d’un Canada bilingue, d’une mer à l’autre. Monsieur Trudeau, c’était l’exemple parfait de ce que ça pouvait être, le Canada. Mais depuis ce temps là, je me sens sans pays parce que je me sens pas vraiment Québécoise. J’pense que le Québec a fait un cheminement que nous autres on n’a pas pu faire, on peut pas faire, parce qu’on n’a pas les mêmes ressources, on n’a pas de frontières. J’ai l’impression que si j’allais vivre au Québec j’aurais de la difficulté à m’adapter au Québec. Je me sens sans pays. Comme francophone hors Québec, j’ai pu de place.»

Ce documentaire de Radio-Canada répond à très peu de questions, mais en pose plusieurs très percutantes.

Est-ce que le Nord de l’Ontario est vraiment si différent du Nord québécois? Est-ce le Québec oublié? Qu’est-ce qui nous empêche de faire nos valises et de déménager au Québec? Est-ce qu’une «culture bilingue» est possible ou souhaitable? L’assimilation pose-t-elle problème dans le Nord ontarien? Est-ce que les choses ont changé? Est-ce les gens de Kap se sentent franco-ontariens? Does it even matter? Est-ce même un enjeu? Est-ce qu’on y réfléchit? Avons-nous trouvé notre nom? Cherchons nous encore un pays?

Bonne réflexion, cher toi.

«Il n’est pas injuste de rappeler aux francophones qu’ils sont une race de vaincus et que leurs droits n’existent que grâce à la tolérance de l’élément anglais, lequel, avec tout le respect dû à la minorité, doit être considéré comme étant la race dominante.»

– George Drew, premier ministre de l’Ontario, 1943

Tricia Foster : Marginale et triomphante

Ses fans habitués risquent d’être un peu déstabilisés. Tant mieux.

Négligée, le nouvel album de Tricia Foster, s’installe confortablement dans la marge de ce qui se fait habituellement en musique francophone au Canada. Une bouffée d’air frais.

Plongeant entre le trip-hop (Pendule), le drum & bass (M. Le Temps) et le jazz atmosphérique (Leaves), la grande fille avec une grande gueule née dans un trailer park près de North Bay dans le Nord de l’Ontario nous livre un album sombre, saupoudré de fébrilité et minimaliste à nous faire ronger les doigts. Gros phat beat qui fade out pendant une montée fulgurante de cor français. La négligée sait séduire.

Avec Olivier Fairfield (Timber Timbre, Iceberg) à la réalisation, on découvre une Tricia Foster complètement dans son élément. Sa livraison saccadée de texte sans retenue se colle parfaitement aux grooves planants, aux textures rudes et aux ambiances tendues créés par les cors français d’Erla Axelsdóttir et de Pietro Amato (Torngat, Bell Orchestre, Arcade Fire). La guitare se fait discrète, la voix est croustillante, les textes mûrs sont teintés d’images éclatantes, tout comme celle qui les chante. D’ailleurs, belle surprise : sur la deuxième pièce sur l’album, D’éclats de peines, Tricia chante un poème de Brigitte Haentjens tiré du recueil du même nom.

It grows on you. C’est un album qui passerait sous le radar à une seule écoute, mais qui s’avère triomphant après l’avoir dans l’casque pendant plusieurs semaines. Négligée marque clairement une renaissance pour l’artiste qui s’installe quelque part entre de l’early Ariane Moffatt et une Betty Bonifassi pré-Beast. L’artiste plonge entre le français et l’anglais sans hoquets et sans cérémonies, comme toute bonne Franco-Ontarienne. Les deux univers ne sont qu’un seul.

Tricia Foster nous livre son album le plus audacieux et authentique à ce jour. Un album pop percutant d’une grande dame qui mange du groove pour déjeuner, qui a peur de tout mais qui s’arrête à rien et qui ne mâche pas ses mots.

Reste à voir si l’Ontarienne qui a l’habitude de trop parler en show réussira à transposer l’atmosphère monastique en spectacle. Elle fera bien ce qu’elle voudra. C’est comme ça qu’on l’aime.

À écouter et réécouter trop fort et sur vinyle.

Pour les fans de

Betty Bonnifassi, Ariane Moffatt, Torngat

Moments forts

M. Le Temps, La 17, Pendule, D’éclats et de peinte

«Vidéo moche, mais musique intéressante» – Olivier Lalande, journaliste Nightlife et le Voir. Ditto.

Sous le soleil exactement

AMADOU & MARIAM
Folila
Because Music

Huit ans après avoir séduit la planète avec Dimanche à Bamako (réalisé par Manu Chao), le sympathique couple malien propose Folila, un 9e album sans grande surprise. La magie opère-t-elle encore? Ont-ils su évoluer? Innover? Le mélange de tradition et de modernité est-il aussi bien dosé? Honnêtement, on finit par s’en foutre au fil des écoutes…

On s’en fout parce que tout est affaire d’équilibre chez Amadou et Mariam. Encore une fois, des rythmes chauds à vous faire hospitaliser pour déshydratation (cas vécu ici) côtoient des riffs de guitare venus d’un autre siècle. Du soul, du funk, de l’afrobeat, du blues, du reggae. Des mélodies répétitives, des sautillantes, une berceuse, du clinquant, du soleil et de la poussière. En français, en anglais, en dialectes africains. De l’amour, de la politique, de l’idéalisme et encore de l’amour dans les paroles. Amour d’Amadou, de Mariam, de l’Afrique et de l’humanité tout entière. Une brochette impressionnante d’artistes invités (Santigold, TV on the Radio, Theophilus London, Scissor Sisters, etc.) qui donnent tous l’impression de faire partie du groupe depuis toujours. Fraternité universelle dans ce qu’elle a de plus noble, jusqu’à accueillir le «paria» Bertrand Cantat, qui pose sa voix toujours aussi belle et déchirante sur 4 des 13 pièces de l’album.

Or, donc, est-ce qu’Amadou & Mariam répètent la formule qui leur permet de faire le tour du monde depuis ce fameux Dimanche à Bamako ? Oui.

Est-ce que le couple jouit d’un capital de sympathie (ils sont cool, beaux, amoureux et aveugles) qui biaise parfois le sens critique ? Peut-être.

Mais tout ça, on s’en fout, justement. L’esprit critique s’étiole là où survient un tapement de pied. On ouvre alors les fenêtres, on monte le volume et on s’imagine sur une route de Tombouctou. On tente d’oublier le mal qui ronge le Mali depuis quelques mois. Et on se dit que, s’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, ça nous chauffe quand même le coeur et les pieds. Pourrait-on reprocher au soleil de se répéter?

S’aventurer dans la cour arrière de Patrick Watson

Patrick Watson
Adventures In Your Own Backyard
Secret City Records/Domino Records

Si taGueule publie une critique d’un album complètement en anglais, il faut que ce soit un maudit bon album. Eh bien, voici qu’arrive le tout nouvel album du montréalais Patrick Watson, Adventures In Your Own Backyard.

Après une nomination au prix Polaris pour chacun de ses deux plus récents albums (et une victoire d’ailleurs!), la barre était haute pour celui-ci et Watson ne déçoit pas une miette. Pour ce quatrième album, Patrick et sa formation ont enregistré l’album dans leur salle de répétition, d’où vient l’inspiration du titre de l’album. Comparé à Wooden Arms, son dernier album, Adventures In Your Own Backyard est un album moins éclectique, plutôt simple, mais toujours émouvant d’un bout à l’autre. C’est plus terre-à-terre et beaucoup plus axé sur les paroles et le chant.

L’album reprend le style pop/alternatif/folk/cinéma des dernières oeuvres de le formation. De la première piste, Lighthouse, avec son piano somptueux et une fin digne des meilleurs moments de splendeur, jusqu’aux dernières sombres notes de l’instrumental épilogue, Swimming Pools, l’album crée une atmosphère qui éclabousse en toute douceur. Il n’y a pas de chansons cheese, accrochantes ou emmerdeuses. Il n’y a que des simples mélodies permutées par la voix falsetto du chanteur, par des sons de trompettes et par des ambiances parfaitement placées. Les paroles de l’album racontent les ballades autour du voisinage, la campagne, l’amitié; l’album est quasiment un hommage à la vie chez lui au Québec. On dirait un miroir littéraire de The Suburbs d’Arcade Fire.

Patrick Watson célébra ce soir le lancement canadien de son album avec un troisième et dernier spectacle à guichet fermé au Théâtre Corona de Montréal. Pour le Canada et l’Europe continentale, un des albums les plus anticipés de l’année est finalement arrivée. L’album sortira le 20 avril en Allemagne et au Royaume-Uni, le 30 avril ailleurs sur la planète sauf aux États-Unis où ils devront attendre au 1er mai, un 24 heures de plus.

[h3]Pour les fans de[/h3]
Radiohead, Karkwa, Arcade Fire, The Cinematic Orchestra, Jimmy Hunt, City and Colour

[h3]Moments forts[/h3]
Lighthouse, The Quiet Crowd, Into Giants, Noisy Sunday

Canailles: Manger du bois

Le premier album de Canailles est un vrai cirque, un travelling freakshow avec la galerie de monstres pis toutte le kit. Imagine un groupe zydeco-bluegrass du fond d’un bayou qui tombe dans un dumpster du Plateau Mont-Royal. Ajoute Bernard Adamus à l’harmonica pis c’est dans l’sac. À coups de planche à laver et d’accordéon, de mandoline et de banjo, ces bâtardes ont réussi d’un sacré coup à immortaliser l’énergie carnavalesque de leur show sur bobine et ça goutte la bonne vieille gueule de bois.

L’ambiance est autant à la fête (R’tourne de bord) qu’à la peine (Muraille de Chine), autant cabaret (J’l’haïs) que trailer trash (Dans mon litte). Une chose est sure: Canailles rassemble… t’es drette là dans ‘marde avec eux.

En party, lors d’un dance-off entre Canailles et Daft Punk, je ne suis vraiment pas sûr qui gagnerait. L’autotune n’a rien sur ces voix qui faussent parfaitement et le yodeling pourrait tromper les gros synthés, finalement.

Je suis cette gang de mouffettes depuis longtemps. Leur EP, sorti en septembre 2010, est devenu un de mes albums fétiches et je n’ai jamais raté l’occasion de les voir en shows. Elles m’ont accompagné dans des moments de délire à la Townehouse à Sudbury, au festival Rivers & Sky sous un ciel étoilé avec une bouteille de Jameson trop vide et dans le vieux Noranda au Diable rond pendant le Festival de musique émergente… La gang de Canailles. Des vraies de vraies. Sales. Puantes. Pleines d’échardes.

Pogne-toi une p’tite cannisse de Febreeze, pèse play et tiens-toi bien!

Pour les fans de

Mara Tremblay, Bernard Adamus, Lisa LeBlanc, Québec Redneck Bluegrass Project, Tom Waits, Petunia, Lake of Stew

Motel Califorña: Qualité Motel

Les 5 membres de Misteur Valaire ont lancé officiellement hier Motel Califorña, le premier album de Qualité Motel, leur projet parallèle 100% électro. Cet album hyperactif et spontané goûte la limonade et sent la crème solaire!

Au courant des dernières années Qualité Motel s’est forgé un nom sur la scène musicale en faisant des DJ sets lors d’after party et de soirée dansante impromptue (Pop Montréal cette année, dans le métro à la station Place des arts, en aft’heure party des Cowboys Fringants à Sudbury en 2010). Et là, finalement, un album!

Munis de vieux synthés cheaps et de boîtes à gros rythmes comme on les aime, les cinq geeks de Qualité Motel se font un plaisir fou à nous livrer un album pop exutoire sans prétention et submergé d’ironie. Tant bowiesque (Grand farceur) que LMFAO-esque (Arabesque et indécence), nos tympans font face à une armée de collaborateurs. Ceux qui s’ennuyaient de La Patère rose seront enchantés d’entendre Fanny Bloom ouvrir l’album avec la pièce Full of CrimesYann Perreau et la nunavikienne Élisapie Isaac font un surprenant duo sur En selle, Gretel. Un vrai petit bijou. En écoutant l’album, on a des fois l’impression que QM se moque carrément de la musique pop (Le Qualité Motel). On l’apprécie beaucoup. Et comme ultime climax à leurs folies, la pièce Honey Cruller met de l’avant Mitsou qui chante au sujet de Thérèse, une grosse franglo-ontarienne serveuse au Tim Hortons avec un dragon tattoo qui découvre la vie grâce à une soirée de danse. Je pourrais facilement être en crisse de voir l’Ontario immortalisé d’une façon pareille, mais non, c’est fuckin’ pissant.

Parmi les autres voix, nommons SocalledStefie ShockGrand Analog (Winnipeg, Toronto), Pintandwefall (Helsinki, Finlande), James Di SalvioMrs. Paintbrush (Pittsburgh), Karim OuelletCaracolBéni BBQAmélie Glenn et Usetowork. C’est le plaisir.

 «Notre rapport à la pop a beaucoup changé depuis nos débuts, remarque Jules. À l’époque de Mr. Brian [premier album de MV], on était anti-pop, mais le problème, c’est qu’on n’en écoutait pas. Aujourd’hui, sans forcément se taper le dernier Britney en boucle, on peut s’inspirer de l’efficacité d’un hit de Madonna.»

– Luis Clavis, lors d’une entrevue accordée au Voir

Les die-hard fans de Misteur Valaire risquent d’être un peu déçus. Motel Califorña n’est pas la bombe à stimulation de coco qu’était Friterday Night ou Golden Bombay. Ce side-project est une spitoune d’électropop avec de sublimes collaborations bien senties, mais n’est pas à la hauteur du calibre auquel nous a habitué Misteur Valaire.

Pour les fans de

Dance Mix ’95, Misteur Valaire, Duchess Says, LMFAO, Les Rita Mitsouko, La Patère rose, les paparmanes roses

La Nuit sur l’étang 2012 : vision asséchée

À l’époque des têtards

Originalement conçue comme étant une prise de parole pour la communauté franco-ontarienne de l’Université Laurentienne, de Sudbury, voire du Nouvel-Ontario, et en étant le premier lieu de diffusion d’une nouvelle vague d’artistes, La Nuit sur l’étang a déjà été beaucoup plus qu’un simple show rock. C’est pour souligner la clôture du congrès Franco-parole de 1973 (qui avait comme but d’étudier l’état du fait français à l’Université Laurentienne) que ce happening multidisciplinaire où tous y trouvaient quelque chose d’intéressant, a vu le jour… euh, la nuit, pour la première fois.

Cela dit, les temps ont changé. La Nuit d’autrefois n’existe plus. Si on parlait autrefois de ce show annuel comme étant «la folie collective d’un peuple en party», dernièrement on pouvait en parler comme étant «le n’importe quoi individuel d’une petite gang qui n’avait aucune idée ce que voulait le peuple».

Comme l’a dit notre collègue Félix Acheté dans son billet intitulé Pourquoi je ne suis pas à La Nuit sur l’étang, l’évènement est maintenant «un show rock auquel on associe une certaine mythologie, puisqu’on nous dit que ça a déjà été autre chose qu’un simple show». Pis ça finit pas mal là. Or, le nom qu’on y accordait à l’origine s’avérait peut-être plus prophétique qu’on le croyait : dans le fond, un étang, c’est une petite étendue d’eau stagnante. Faudrait-il peut-être voir à retourner à quelque chose de plus qu’un simple show rock?

Retour précaire à l’excellence?

Malgré tout, La Nuit semble quand même vouloir se positionner pour redevenir l’évènement pour lequel elle détient sa renommée. Soulignons quelques points forts et quelques points faibles de l’édition 2012.

Un bar dans la salle? Merci. Y’était temps. Au fil des années, le bar a toujours été un problème. Que ce soit au Collège Boréal, où on divisait la salle en deux (un côté bar, un côté non), à l’École secondaire Macdonald-Cartier (bar dans la cafétéria, spectacle dans le gymnase), ou bien à l’auditorium Fraser (bar dans une salle sur un autre étage entièrement), on ne pouvait pas jadis prendre un verre en écoutant le spectacle. Le choix de déménager le spectacle au Grand Salon de l’Université Laurentienne a au moins permis que les spectateurs puissent prendre une bonne bière en écoutant ce qu’ils ont payé 35 $ pour voir, même si la qualité du son en a souffert.

Malgré ce bon flash, il est resté un grand problème : on ne pouvait pas se commander une bière en français à La Nuit cette année. Ayant lieu à l’Université Laurentienne, La Nuit a dû faire affaire avec Aramark, le service de traiteur qui détient le monopole sur la vente de bouffe et de boisson sur campus. Heureusement, il devrait être facile de rectifier la situation en exigeant des serveurs francophones.

Le même problème était également vrai du côté des gardes de sécurité. Lorsqu’on fait sortir une foule d’au-delà de 300 francophones, n’est-il pas réaliste qu’on engage également des gardes de sécurité qui vont dialoguer avec la foule dans sa langue?

Disons-le. Le calibre des musiciens était élevé, et le choix des artistes était plus cohérent. Ça faisait du bien voir des musiciens franco-ontariens embarquer sur scène. Cela dit, ça faisait bizarre de voir le Jeudi Soir, un groupe composé uniquement de jeunes hommes, monter sur scène après l’ouverture du show par Cindy Doire. Y’ aurait-il eu une façon plus organique d’intégrer ces gars au tout?

Si on pouvait compter au moins 300 spectateurs, il restait, malgré tout, un grand espace vide du côté gauche et à l’avant de la salle. Ça faisait bizarre de voir les trois quarts des spectateurs assis à la droite de la salle, tandis que le côté gauche et le devant étaient vides. C’est presque comme si on ne s’était pas vraiment donné la peine de réfléchir à la disposition de la salle. Disons-le, il est difficile pour La Nuit (ou n’importe quel autre évènement de langue française) d’attirer plus de 300 spectateurs à Sudbury sans faire une campagne de promotion exorbitante. Voilà pourquoi il est doublement important d’accorder une attention particulière à la disposition de la salle. Peut-on suggérer qu’on place moins de chaises et qu’on le fasse de façon à ne pas diviser la salle l’année prochaine?

Du côté des décors, on dira que l’intérieur de la salle était bien décoré. On n’a pas vu d’usages abusifs du drapeau franco-ontarien et les diviseurs de salle étaient recouverts d’affiches de La Nuit. Par contre, à l’entrée de la salle, les décors étaient beaucoup moins bien réfléchis. On y retrouvait plusieurs cut-outs de femmes peinturées de façons éclectiques. L’image d’une femme enceinte avec une pancarte en dessous disant «femme heureuse» aurait franchement pu être mieux réfléchie…

Malgré qu’on ait mentionné sur scène le fait que les décors avaient été fabriqués par le Centre Victoria pour femmes, cela n’était pas indiqué à l’entrée. Peut-être qu’en soulignant ceci aux spectateurs, ces derniers auraient mieux apprécié ce que les décors devaient représenter.

Une Nuit blanche multidisciplinaire pour 2013?

Si le «festival» a cessé d’être «la folie collective d’un peuple en party» au cours des dernières années, l’édition de 2012 était néanmoins une nette amélioration sur celle de 2011.

On a appris que l’année prochaine, La Nuit espère nous livrer un «nouveau» concept pour son quarantième anniversaire, soit celui d’une «Nuit blanche» où on pourra participer à une foire des différents médiums. En fait, on parle plutôt d’un retour à La Nuit des années 70 : multidisciplinaire, plus libre et plus longue. Bref, c’est prometteur, mais seulement si le CA s’assure de mieux définir la vision de la soirée plus précisément. L’édition de 2012 avait comme thème, «les femmes», mais rien de plus. Pourquoi fallait-il souligner les femmes en 2012? Attention, nous ne remettons pas en question la validité de ce choix, mais plutôt la logique du CA en l’adoptant.

À l’automne 2011, La Nuit a tenu son «visionning» (ce qui semblait être un genre d’AGA ouvert à la communauté) afin d’obtenir des commentaires et des suggestions pour s’améliorer. Malgré les quelques heures de discussion, on n’a pas pu déterminer si La Nuit devait être un évènement «toast cheeze whiz» ou «baguette camembert» pour reprendre les mots des participants. C’est à dire, on ne pouvait pas décider si on devait orienter le spectacle vers un public «plus raffiné» ou vers un public de «average joes». L’édition 2012 semble vouloir être «baguette camembert», mais elle ne réussit pas à dépasser le contexte «toast cheeze whiz» pour les raisons qu’on souligne dans ce texte. On est entre les deux mondes. Si on cherche réellement à être le juste milieu, pourquoi ne pas miser sur ceci dans la promotion de l’évènement? De cette façon, on cesse de plaire moyennement à plein de monde et on plait beaucoup à la majorité.

Il faudra donc nous expliquer tout au long de la préparation du quarantième, pourquoi la Nuit blanche est pertinente. On espère entendre plus que «parce qu’on veut un méchant party» comme raison. Les méchants partys, y’en a à longueur d’année à Sudbury.

Si on veut fêter toute la Nuit, tant mieux… mais faisons-le comme du monde. On vous laisse avec quelques suggestions de plus pour l’an prochain : notamment, il faudra penser à offrir de la bouffe (s.v.p. arrangez-vous pour ne pas servir que de la pizza pep and cheese, on est en 2012 et les végétariens existent), un service de navette ou de taxi pour rapporter les gens à la maison (d’ailleurs, pourquoi n’y pense-t-on pas déjà? La conduite en état d’ivresse est déjà un gros problème. Le Regroupement des gens d’affaires francophones du district de Sudbury le fait lors de ses évènements, pourquoi pas la Nuit?), donner de plus longues pauses entre les prestations (désolé, on a de la misère à faire quoi que ce soit pendant plus de 2 heures sans arrêter), et laisser les pros faire leur job (des poètes pour lire de la poésie sur scène, par exemple).  Autrement, La Nuit risque d’être affligée à nouveau par la médiocrité qui l’a paralysée pendant aussi longtemps.


Photo: little goose, dry swamp, par Mele Avery

Dans une galaxie près de chez vous…

AVEC PAS D’CASQUE
Astronomie
Grosse Boîte

Au lieu de simplement rafistoler le folk joliment déglingué de ses deux premiers albums, dont l’excellent Dans la nature jusqu’au cou en 2009, le groupe montréalais Avec pas d’casque a choisi d’ajouter des sonorités plus atmosphériques, voire cosmiques. Défoncer le toit de la shed plutôt que bêtement la repeindre. Du coup, on en voit mieux les étoiles.

Ces étoiles, on les doit à l’arrivée du trompettiste baryton Mathieu Charbonneau (Torngat, The Luyas) et de Mark Lawson (Arcade Fire, etc.) à la console. Ils ont su planter un décor nocturne qui convient parfaitement aux textes du cinéaste Stéphane Lafleur (Continental, un film sans fusil, En terrain connus, le montage de Monsieur Lazhar), toujours aussi étonnant avec sa poésie de bout de ficelle, ces images gossées à même un quotidien à la fois tendre et désarmant :

Ton corps trempé dans la paillette
Ma tête de boule miroir
T’es un gala à toi toute seule
Je garde le vestiaire
(Les oiseaux faussent aussi)

Nous ferons des concours de lumière
De blessures en ordre croissant
Tu voudras que je préfère
J’haïrai évidemment
Mais je veillerai le feu avec toi

Veiller le feu

Qu’il s’agisse d’Apprivoiser les avions, de Veiller le feu ou de La journée qui s’en vient est flambant neuve, les mots et les images nous traversent le corps pour nous laisser émerveillés, mais aussi curieusement apaisés, preuve que le groupe a su dépasser la simple enfilade de métaphores chocs au profit d’un univers somptueux, cohérent. Alors qu’on écoutait les précédents albums d’Avec pas d’casque à la recherche de la jolie phrase à épingler sur son frigo, Astronomie nous invite plutôt à nous étendre au sol, les yeux plantés au ciel. Jamais l’idée d’accorder des «étoiles» à un disque n’aura été plus appropriée.