19 mars 2012

je me lève tôt parce que c’est lundi matin
j’ai des articles à compléter
à rédiger pour le journal

une brume épaisse enveloppe Sudbury
le ciel descend sur la ville et nous embrasse
on dirait le fantôme de celui avec le regard
d’un renard devenu hibou

à peine primé par mon café
le sien était sans pareil
je pars à pied au bureau
passe par la Patterson

le nuage piétonnier de ce printemps prématuré
colle à mes cheveux et ma moustache
ça fait des larmes sur mes cigarettes
je pense à Robert et je pense à ce brouillard
qui nous rassemblent en rendant visible
l’espace qui nous fusionne
frères et sœurs
saluons
le Père

en après-midi le fantôme se sublime
comme un sourire
relu

« grand ciel bleu par ici »

Dickson

Ça sonne
comme le nom
d’un poète
d’un joueur de baseball
d’un musicien
d’un ami.

Et je m’étonne
qu’aujourd’hui
à Sudbury
rien ne porte
ton nom
sinon
le vent
tes amis
ton souvenir
et ton rire
qui résonne
encore plus fort
aujourd’hui.

Un pont, un parc
ou une école
c’est toute une nation
qui devrait porter
ton nom.

J’oublie
je n’oublie pas.

Et je croque la pomme
du printemps
que t’aimais tant
qui t’aimait tant
et qui t’attend
encore aujourd‘hui
ici.

Souvenirs en vrac de Robert Dickson

À l’occasion du cinquième anniversaire de la mort de Robert, l’équipe de taGueule me propose d’écrire un texte. Quelques souvenirs me reviennent en vrac.


J’en suis à ma première année comme animateur de Radio-Canada à Sudbury. La réalisatrice de l’émission organise un spécial d’une heure sur la poésie. Robert Dickson sera l’invité.  La réalisatrice me fait lire des poèmes de Robert (pour que je découvre son univers). J’aime beaucoup ses textes mais je ne les comprends pas toujours.

Mireille Groleau, réalisatrice, me suggère de choisir deux chansons récentes dont les textes seront analysés par Robert durant l’émission.

Je choisis Le Bateau de Mara Tremblay et La vie ne vaut rien d’Alain Souchon.  Robert est ému par ces chansons. À la fin de l’émission, il me remercie chaleureusement de les lui avoir fait découvrir.

Je ne le sais pas encore mais je viens de me faire un ami avec ce monsieur qui m’intimide beaucoup. Il se dégage de Robert une générosité, une bonté, un amour des belles choses…un charisme. Celui d’un être d’exception.

J’ai un peu peur de lui parler, de paraître nono devant lui.


J’anime une émission au Parc Bell intitulé L’art au grand air. Robert est l’invité et il doit écrire un poème en direct inspiré par l’actualité. Quelques jours auparavant, près de Walden, un accident a causé l’explosion d’un camion. Le véhicule contenait 20 tonnes d’explosifs.  L’explosion a laissé un trou de cinq mètres sur la route.

Dans son poème, Robert fait un parallèle avec le bassin de Sudbury qui s’est formé après l’impact d’une météorite. L’idée est brillante. Il reprendra ce poème dans son recueil Humains paysages en temps de paix relative qui remportera un prix du Gouverneur Général.

Je me rappelle que nous étions très fiers qu’un de ses poèmes ait vu le jour dans notre émission.


Je rencontre Robert par hasard au This ain’t the only cafe. Il m’invite à prendre une (trois) bière(s). J’ai commencé à mieux comprendre ses poèmes alors je suis moins intimidé par lui qu’avant. J’ai moins peur de dire des bêtises.

Robert me parle avec passion de Sudbury, du Nouvel-Ontario, du Nord, de la richesse et de la fragilité de la culture franco-ontarienne.  Je ne le sais pas encore mais il est en train de me transmettre cette passion, comme il l’a fait avec tant d’autres.

Robert Dickson ; issu d’une famille anglophone du sud de l’Ontario, il a probablement été le plus grand amoureux de la culture des francophones du nord, amoureux de ce paysage humain, minier, forestier.

Je me rappelle, après son départ ce soir-là, avoir tenté de voir la culture d’ici avec son regard amoureux. Ça m’a pris quelques années à y arriver. Mais je pense que j’ai compris (merci Robert !).


Stéphane Gauthier me demande d’organiser une première partie à un spectacle de Chloé Ste-Marie lors du premier Salon du livre du Grand Sudbury. Je recrute des poètes qui vont performer leurs textes sur des musiques de Marcel Aymar.

Robert, qui pourtant en a vu d’autres, est fébrile comme un jeune rocker qui va monter sur scène pour la première fois. Juste avant de sortir des coulisses, il me met la main sur l’épaule, me dévisage avec son sourire désarmant et me cite la chanson de Souchon que je lui avais fait connaître : La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie.


Ma vie va mal, je suis sur le bord de la dépression. Je suis devenu voisin de Robert sur la rue Patterson. Il voit que je vais mal, m’invite régulièrement à sa maison. Je décline toujours, je ne veux pas l’embarrasser avec mes problèmes. Quand il insiste, je lui dis que je dois aller faire mon lavage sur la rue Kathleen.

Un soir, il cogne à ma porte avec son panier à linge. Il me dit : Viens à la maison, on va le laver ton linge sale. Je ne pouvais plus refuser.

Je suis entré dans sa fameuse maison jaune et bleue (j’avais l’impression de rentrer dans un temple). Nous sommes descendus dans son sous-sol où était sa laveuse. J’ai vu la fameuse roche dont parle Desbiens dans son poème. Je cite de mémoire : La grosse roche noire dans la cave de Robert Dickson est enceinte de Sainte Poésie, on ne sait pas qui est le père.

Pendant que mon linge se faisait laver, je buvais du vin avec Robert. Quand je suis sorti de chez lui ce soir-là, il n’y avait pas que mon linge qui était propre. J’avais l’impression que Robert avait lavé mon âme. J’ai commencé à me sentir mieux dans les jours qui ont suivi.


C’est la finale du mondial de soccer entre l’Italie et la France. Robert regarde le match avec moi et une bande d’amis au Little Montreal. Le match se terminera avec le coup de boule de Zidane et la victoire des Italiens. C’est la dernière fois que je vois Robert. Je ne le savais pas malade.


J’anime Contact Ontarois à Ottawa. Paul Demers vient me voir ; «Éric, c’est vrai que Robert est malade, la rumeur court, on dit qu’il ne va vraiment pas bien

Je ne le savais pas. Je suis sous le choc.


Un courriel de Christian Pelletier me rappelle que Robert nous a quittés depuis cinq ans.

La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie.


Photo: Alfred Boyd

Or«é»alité dans les entrailles de cette ville

Transhumance des corps

Minsk, ville massacrée sous les coups de marteau
du moujik géorgien

Sudbury, ville massacrée sous les coups de marteau
de mineurs anonymes

Il sent l’alcool et la cigarette
il tient un vase de fleurs sauvages
il habite la maison jaune et bleue
celle de la grosse roche noire
enceinte de sainte Poésie

De l’âme de la poésie russe
récitée comme le Kaddish
à l’âme désâmée de Desbiens
je rêve de Sudbury
ville qui cultive à s’enlaidir

Jardin de curé
vénéré comme une madeleine de Proust
dans les entrailles de cette ville
jaillit la slague
jaillit en anglais, en français, en franglais

Je lis
j’ai mal
ville qui rentre dans mes entrailles
poésie qui perce mes entrailles
identité qui s’attache à mes entrailles

Oréalité
c’est de la poésie qui parle
avant de s’écrire.

Il est parti.

On a bu
on a ri
elle a dessiné la maison jaune et bleue
des bleus j’en ai plein de cœur

Un commencement, un recommencement
affirmation de qui je suis
DEVENUE

Poésie le soir
vue sur son jardin
les bleus saignent rouge

Des rêves fous
un désir fou
de recréer une cuisine de la poésie

La grosse roche noire
enceinte de sainte Poésie
a trouvé son père

Grâce à lui, aux quatre coins,
notre avenir est
DEVENU possible


Photo: Alfred Boyd

Aparté – La paix éternelle

Lundi 19 mars 2007, six heures cinquante-cinq!

Le train ne part jamais avant d’avoir obtenu son bloc et, lorsqu’il l’obtient, il n’a pas le choix, il s’éloigne forcément du quai. Jusqu’à tout dernièrement, je ne savais pas de quoi il s’agissait, car l’expression anglaise « block and tackle » me bloquait littéralement l’esprit. Si l’anglais s’insinue parfois entre nous et la réalité, il nous permet aussi de traverser le miroir, de voir et de décrire l’envers du décor. Dans le Never Neverland de mon monde parfaitement bilingue, j’imaginais un système de poulies et de « blocks » qui s’activait automatiquement au son du sifflet du conducteur, telles les immenses machines sur lesquelles s’articulent les décors mobiles au théâtre. Mais, dans le réel, il n’y a aucun palan qui tire les trains de cour à jardin et encore moins de l’intérieur à l’extérieur de la gare. Il s’agit plutôt d’un bloc horaire qui permet à l’ingénieur de lancer son train sur le réseau ferroviaire avec l’assurance qu’il ne rencontrera pas une autre locomotive sur son chemin… de fer. Un train qui manque son bloc doit attendre qu’une autre case horaire se libère; il est en attente comme un mourant que l’on arrache à la mort, il n’est qu’en sursis.

Dieu n’est pas un aiguilleur ni un régisseur, il ne décide de rien, le destin est une invention commode de l’homme, comme l’horaire d’un train, pour l’aider à accepter l’inévitable, c’est-à-dire la finalité de sa propre vie. Lorsque la mort se glisse dans le corps d’un grand malade, le sujet devient l’objet, il passe la parole à gauche, au narrateur qui, dans les circonstances, passe de l’imparfait au passé simple.

Je me demande comment Robert Dickson se porte. Hier, à grands coups d’imparfait, on m’a annoncé qu’il était sur son lit de mort. Dans la mesure du possible, il semble que Robert a choisi le lieu de son départ. Il s’est retiré dans sa maison jaune, dans sa petite chacunière accrochée au roc noir du Bouclier canadien, celle-là même qui surplombe un merveilleux jardin que plusieurs femmes ont mis à leurs mains. C’est dans ce décor, le sien, qu’il s’est présenté aux portes de l’absurde.

Il n’était pas pratiquant – il préférait l’écriture aux incantations, les métaphores aux bénédictions, les figures de style aux formules magiques. Il a voulu tout finir en beauté, dans son écritoire, sans importuner qui que ce soit.

Le train s’ébranle, le ciel est sombre et bas, des pans de nuages tiennent lieu de frises théâtrales et, comme il se doit, des voiles lourds et violets recouvrent les figurants de ce sanctuaire littéraire. Deus ex machina, au lointain le ciel s’ouvre, serait-ce la main de Dieu qui intervient? De puissants rayons de soleil, véritables jets de lumière, tombent et se détachent en clair-obscur sur une toile de fond urbaine. Saint-Henri, le quartier de Gabrielle Roy, s’embourgeoise au rythme des usines qui se transforment en condos. Sur cette grande scène, au travers des nuages, un seul et unique follow spot solaire illumine l’enseigne de la manufacture des Farines Five Rose qui, en plein jour, perd son charme nocturne, son ascendant et son auréole poétique, ses néons rouges n’étant pas aussi lumineux que le soleil.

J’entends des cloches…

Pourtant, il n’est que sept heures, l’angélus du matin a sonné et midi est encore loin. Des cloches? Serait-ce le grincement des roues et le crissement des wagons, la plainte du fer qui roule de plus en plus vite sur un chemin de fer qui tiendrait lieu de cloche?

On n’a pas démoli l’ancien pont tournant du canal Lachine. Il est toujours là, entouré d’eau, suspendu en position « off » au-dessus de son pilastre de béton. Je voyage en classe confort. De mon hyperbole économique, je crois apercevoir de la slague entre les traverses des rails. Le préposé m’offre un café. Ce n’est qu’un café filtre mais, au-dessus du fumet, l’horizon s’estompe… Tristesse et glissement de conscience : jadis, le café que Robert me servait dans sa Cuisine de la poésie avait une odeur d’Expresso italien et un arrière-goût d’herbes de Provence.

La poésie nous permet de voyager plus vite qu’un train et même d’abolir l’horizon… Absence, silence, souvenance… Un bloc horaire, une parenthèse anachronique s’ouvre pour me laisser voir, là-bas, au-dessus de la gare de triage de Sudbury, un homme poète qui, accoudé au parapet d’un pont, regarde, hume et écoute les convois ferroviaires. Sur un fond brun de rouille, d’odeur de mine, de minerai noir et nickelé, de mazout, de charbon et de sueur d’homme. Le Vieux Pont de fer de Sudbury est si loin, perdu dans le temps… et pourtant si proche, car grâce à la poésie, un long trait d’union de fer métonymique le relie aux voyageurs qui roulent sous le Sudbury Iron Bridge. Un ange passe, le temps se referme sur lui-même et il me semble que j’entends au-dessus de moi voleter l’Imaginaire d’un poète mourant, d’un homme en voie de partance.

Quand Paul-André est mort, je demeurais sur la rue Nelson, à deux pas de chez Robert Dickson, à trois pas du Pont de fer. Je l’ai appris immédiatement, car quelques minutes après sa mort, son âme angoissée planait au-dessus de mon lit tandis que la lame de la grande Faucheuse tournoyait au-dessus de sa dépouille. Les suicidés ne meurent pas en paix. Leur trop grande douleur reste vive et douloureuse; orpheline, elle squatte dans quiconque est proche de la dépouille.

En ce lundi… tout est si tranquille que je pressens qu’en amont un autre poète a pris le train en même temps que moi, je sais qu’il est parti vers Pouce coupé, vers les montagnes Rocheuses, vers les pêches miraculeuses des lacs du Grand Nord. Là où il n’y a pas de limite de pêche, là où il n’y a qu’une seule langue poétique. Ces amis n’ont pas à craindre : son âme, elle repose en paix, bientôt ils se rassembleront pour lui souhaiter ce qu’elle a déjà… la paix éternelle.

Requiescat in pace
Robert Dickson
1944-2007


Ce texte paraîtra en avril 2012 dans Le grand livre aux Éditions Prise de parole.

Photo: Jules Villemaire

Robert Dickson — Cinq ans déjà!

Le 19 mars 2007, à Sudbury, Robert Dickson nous quittait.

Né à Toronto le 23 juillet 1944, Robert a grandi dans une famille anglophone, mais s’est très tôt intéressé à l’étude du français et à cette culture qui deviendrait en quelque sorte sa terre d’accueil.

Robert a été au cœur du mouvement socio-culturel qui a vu le jour en Ontario français dans les années 1970. Un pilier du milieu artistique, il a travaillé au sein du conseil d’administration et du comité d’édition de Prise de parole où il a été le mentor de nombreux jeunes poètes. Il a aussi été cofondateur de La Cuisine de la poésie (avec Pierre Germain), un groupe de poésie-musique-performance. Au milieu des années 1980, La Cuisine de la poésie a d’ailleurs prêté son nom à une collection d’enregistrements sur cassettes produites par Prise de parole. Ces enregistrements constituent d’importants documents d’archives. Heureusement, quelques-uns ont été numérisés (paysages sonores pour les extraits ci-dessous: Daniel Bédard).

Toujours ouvert aux projets collectifs, Robert a collaboré avec plusieurs auteurs-compositeurs-interprètes, notamment les membres du groupe CANO. En 1977, son poème-affiche Au nord de notre vie (conception graphique: Raymond Simond) devient une des chansons-phares du groupe avec la sortie de l’album du même titre (musique: Michel Kendel, Rachel Paiement et André Paiement — A&M Records).

À la fois Sudburois, Franco-Ontarien et Canadien français, Robert a reçu plusieurs prix qui témoignent de sa contribution à la vie artistique du Canada français (Prix du Nouvel-Ontario, 1998; Prix du Centre de recherche en civilisation française de l’Université d’Ottawa, 1999). Il a publié six recueils de poésie : Or«é»alité (1978), Une bonne trentaine (1978), Abris nocturnes (1986), Grand ciel bleu par ici (1997), Humains paysages en temps de paix relative (2002, Prix du Gouverneur général) et Libertés provisoires (2005).

La poésie, la poésie! De Sudbury à Dublin, de Pouce Coupé à Villefranche, de San Cristóbal à Zurich, de Canada Bread (spectacle de 1991) à Sudbury Blues (2006), l’amie fidèle l’accompagnait partout, le nourrissait. Cela dit, il avait son siège social, rue Patterson à Sudbury, là où la porte de son frigo littéraire affichait des lettres aimantées de toutes les couleurs que chacun pouvait manipuler à sa guise. Un mot, un petit bout de poème peut-être. Pas toujours facile. «Toutes les lettres de l’alphabet ne sont pas là,» peut-on lire dans Une bonne trentaine. Et il conclut: «Dans le fond, est littéraire qui veut bien l’être…»

Au fil des années, il a participé au tournage de films dont Le Dernier des Franco-Ontariens (Office national du film du Canada, 1996; réalisation — Jean Marc Larivière) et a signé plusieurs traductions; In the Ring, son adaptation de la pièce Eddy de Jean Marc Dalpé, faisait partie de la saison 1994 du Stratford Festival; il a traduit Frog Moon de Lola Lemire Tostevin sous le titre Kaki, ainsi que Kiss of the Fur Queen de Tomson Highway sous le titre Champion et Ooneemeetoo (2004). Son conte L’Illuminé a été publié dans le collectif Contes sudburois en 2001. Même après son départ, il contribuait au livre La Ville invisible/Site Unseen (2008).

Outre ses activités littéraires, Robert a enseigné la littérature québécoise et franco-ontarienne à l’Université Laurentienne de 1972 à 2004. Oui, la littérature franco-ontarienne! Parce qu’il faut dire qu’il a été un des premiers à se battre (avec cette douceur qu’on lui connaissait) pour que le dire des auteurs de l’Ontario français soit reconnu dans le milieu universitaire. Et le professeur, n’oubliant jamais son rôle d’animateur, savait favoriser les échanges. C’est grâce à lui, entre autres, si l’étudiant que j’étais a pu rencontrer des auteurs de la trempe de Gaston Miron, Roland Giguère, Paul Chamberland, Patrice Desbiens (qui débarquait à Sudbury)…

Robert aimait la bonne bouffe, le bon vin, la bonne musique, les bonnes discussions, les marchés publics, les travailleurs (il a toujours respecté la ligne de piquetage)… Et même quand il lui arrivait de perdre au crib (parce qu’il aimait aussi le crib), il avait ce sourire qui ne quittera jamais ceux et celles qui l’ont côtoyé, ce sourire généreux qui ne laissait personne indifférent.

Cinq ans déjà! Tu nous manques, cher ami! Et sache que le «sentier à inventer» se précise pour ceux et celles qui ont compris l’importance des pierres posées par celui que berçaient L’âge de la parole de Giguère (que tu pouvais réciter par cœur) et ces enfants «têtus, souterrains et solidaires».

«Si je peux poser quelques pierres blanches
pour baliser le sentier à inventer,
je ne serais que très content,
croyant que j’ai ainsi fait quelque chose
de valable avec ma vie.»

 Robert Dickson


Photo de Robert Dickson: Rachelle Bergeron

Lettre à un jeune poète : Rêver au réel de Daniel Groleau Landry

Salut Daniel!

En 1929, dans Briefe an einen jungen Dichter (Lettres à un jeune poète), Rainer-Maria Rilke écrivait: «Pour aborder les oeuvres d’art, rien n’est pire que la critique.» Je t’écris donc à titre de simple lecteur qui découvre ton recueil de poèmes, Rêver au réel.

D’emblée, il est clair que tu aimes le langage et le jeu qu’il te propose (j’ai parfois l’impression que ce sont les sonorités, la musicalité du langage… qui te guident, t’entraînent, te permettent de t’abandonner à une forme d’automatisme où s’enchaînent les idées, les mots…) comme en témoigne cet extrait:

«ripostes et revirements océaniques
en vagues et tourbillons arrondis par
les frictions de fiction et scissions dans les
fissions sur les fissures en sutures sur l’azur
craquelé de morsures et morcelé de rayures
surréalistes et liquides dans les limpides
briques dans les embrasures
des rictus de la lune diurne en éclats de citernes
et les mots les mots les mots»

(page 60)

Il y a souvent une urgence dans ton écriture. Déjà en 2005, je l’ai senti quand, pour la première fois, je t’ai entendu lire quelques-uns de tes textes (embryonnaires, diras-tu) lors d’une soirée de poésie qui avait lieu au Théâtre du Nouvel-Ontario. À l’époque, tu avais 15 ans et tu osais. Puis, en 2008, quand je me suis penché sur tes textes publiés dans La Ville invisible/Site Unseen, j’ai compris que le «jeu» se précisait, que tu découvrais l’élan qui t’a mené à Rêver au réel. Au fil des années, tu m’as envoyé des ébauches, je t’ai fait part de quelques commentaires. Et un jour, tu as soumis ton manuscrit aux Éditions L’Interligne et tu as enclenché le processus éditorial. Une nouvelle discipline sans doute pour celui qui écrit si rapidement, qui aime la spontanéité de lire ses textes en public…

La voix et les vers. Là où s’entremêlent des images qui fouettent, caressent, dénoncent parfois, qu’il s’agisse du désir charnel, de cette langue («un désert de papier sablé»), du «désordre confortable», des limites qu’on ne connaît pas «avant d’atteindre l’âge adulte», de la modernité qui contient «le potentiel de sa propre déchéance», de cette sirène qui «chante la mort des naufragés»…

Puis, intervient la solitude, cette solitude intérieure qu’on arrive difficilement à calmer, cette solitude que nous sommes, cette puissance venue d’on ne sait où qui nous prend comme «le néant de la page blanche», cette amie qui nous dévore.

«la solitude est un état d’esprit la solitude est un étau
d’esprit la solitude est un étal d’esprit
la solitude est un état
la solitude est la solitude et
la solitude hait la solitude

elle est ostentatoire tels les enfants de l’encensoir

(…)

la solitude est un ami fidèle
qui ne sait pas quand retourner chez lui»

(pages 66-67)

De la déchirure aux stigmates des émotions, des «caressantes certitudes de l’amour» au désir, du rêve au réel, tu jongles avec des oppositions qui deviennent à la fois le moteur de ton écriture et un besoin:

«besoin de soulager ma douleur
avec la médecine de la poésie
besoin de coucher avec la poésie
besoin de créer
de la beauté
dans l’univers
pour oublier
l’aile fracturée
de ma colère.
pour oublier
la futilité
de nos civières.»

(page 89)

Une lecture en diagonale de Rêver au réel révèle d’abord un recueil touffu qui respecte le style et l’énergie de tes premiers vers. Cela dit, tu pousses l’aventure plus loin et une première lecture ne permet pas toujours de décortiquer les sens qui se dévoilent et se digèrent lentement.

D’aucuns parleront peut-être d’une poésie qui se veut parfois «cérébrale». Je n’aime pas les étiquettes. En tant que lecteur, je préfère me laisser bercer, prendre mon temps, «participer» au jeu offert… Et sept ans après notre première rencontre, je me réjouis de te savoir dans ce métier instable de poète, ce métier nécessaire et sans uniforme, parfois isolé et souvent exigeant qui transcende ou exprime nos soucis quotidiens, nos besoins profonds.


Daniel Groleau Landry est présentement au Salon du livre de l’Outaouais. Allez le rencontrer au stand no. 501.

Daniel Groleau Landry, Rêver au réel, Ottawa, Éditions L’Interligne, 2012, 142 pages. ISBN: 978-2-923274-87-4

La quête de racines

« On l’a tous lu, mais en a-t-on retenu quelque chose? » C’est la question que posait récemment un internaute au sujet du roman La quête d’Alexandre de Hélène Brodeur. Plus de 30 ans après ma lecture, je relève le défi. Sans relecture, alors soyez indulgents.

J’ai lu ce livre dès sa publication puisque je suis un abonné à Prise de parole et que j’achète tous leurs livres. Si vous aimez la littérature, vous devriez faire de même. Mais je m’égare.

Bon, qu’est-ce qui me revient? D’abord que c’est l’histoire d’un gars, Alexandre, qui quitte son patelin québécois pour aller retrouver son frère parti quelques années auparavant dans le nord de l’Ontario. Il me semble que ça se passe dans les années entre les deux guerres mondiales. Alexandre aboutit dans un petit village dont le nom m’échappe mais qui est calqué sur Val Gagné.

Alexandre finit par retrouver son frère mais les deux hommes n’ont plus grand’ chose en commun et le frère retourne au Québec. Alexandre, lui, reste au village parce que, ben oui, il est en amour. Je ne me souviens plus du nom de la belle et je crois même que l’idylle finit en queue de poisson. Mais bon, l’important c’est qu’Alexandre reste dans le nord de l’Ontario où il fera sa vie.

Hélène Brodeur a écrit deux autres romans qui sont la suite de La quête d’Alexandre. Dans ces livres on suit la vie d’Alexandre qui fait des affaires, qui devient membre de l’Ordre de Jacques Cartier, la Patente et qui finit même par faire de la politique. Voila pour le « pitch » comme disait Ardisson.

Ça c’est plus ou moins l’histoire. Enfin, ce dont je me souviens. Mais ce qui me revient encore plus fort c’est que c’est bien écrit, que c’est un divertissement, un « page-turner ». Mais c’est surtout un livre qui raconte l’histoire de la colonisation du nord de l’Ontario par des parlant français.

On y vit le grand feu qui a détruit plusieurs villes et villages du nord au début du XXe siècle. On suit les Canadiens français du nord alors qu’il vivent la dépression, la guerre et la reconstruction. On apprend les batailles qu’ils ont dû livrer pour obtenir leurs droits en tant que francophones. On comprend leur affiliation à leur paroisse, leur école, leur village. Et on voit comment ils ont trouvé des alliés chez certains anglophones.

Voila donc ce que j’ai retenu. Mon souvenir est un peu flou, bien sûr, ça fait plus de trente ans. Mais le « bottom line » est que c’est un roman intéressant qui nous fait mieux comprendre d’où nous venons.

La corde

Lors des premières conciliabules à l’origine de la renaissance de taGueule, on avait proposé qu’on s’appelle La corde. Ce texte poétique fut pondu à cet effet.


la corde
parce qu’il faut
qu’on s’accorde

en dépit du fait
qu’en effet
c’est con sa corde
celle-là la sienne
malsaine

mais la nôtre
tenue toujours à l’horizon
d’une oréalité tantôt
récalcitrante

la corde au coup de foudre
trop tôt ou tard
parce qu’on n’est pas à bout
de souffle

on sait crier
avec nos crayons de soleil

le dessin d’un destin dénudé
des désuets droits aux buts
sans bornes sur lesquelles
on pourrait se pendre
au lieu de se
répandre


Photo: Corde en tête, Etienne Revault, 1991