Salut Ariane,
Puisque des curieux d’un peu partout liront peut-être cette missive, soulignons que je ne te connais pas, que je ne t’ai jamais rencontrée. Et c’est tant mieux! Non pas parce que je n’aimerais pas te rencontrer un jour, mais plutôt parce que je n’ai pas à tenir compte (ou à tenter de m’éloigner) du vécu de l’auteure que tu es, de tes petites manies (nous en avons tous), de tes valeurs, de tes goûts, de tes influences, de tes lectures préférées… Somme toute, je n’ai que ton recueil, tes textes, cette matière première de l’inconscient qui me parvient en ce début de printemps.
Lorsque j’ai reçu Avant l’oubli, la sobriété de la couverture m’a d’abord frappé. Puis, j’ai appris qu’il s’agissait d’un premier recueil et j’ai feuilleté maladroitement, comme je le fais souvent (chacun ses petites manies), à la recherche de quelques perles, quelques images qui sautent aux yeux et qui incitent à poursuivre.
Après un survol initial, j’ai plongé, relisant lentement ces poèmes à la fois tendres et crus où progressivement se dessine un univers qui à la fois unit et divise une fille et sa mère. Ici, pas de solutions faciles puisque la mère vit ses dernières heures. Ici, nous nous retrouvons devant l’épreuve d’aimer, l’instinct ressenti au plus petit moment, les balbutiements d’une quête où le passé et le présent s’entremêlent, entre le noir et le blanc.
Ton recueil s’ouvre sur une phrase de Pascal de Duve qui, à mon avis, donne le ton, situe le lecteur, prépare le dialogue à venir: «Peut-être la mort aura-t-elle le dernier mot, mais l’amour aura eu le plus beau».
Puis, tu enchaînes, découpant les vers (des vers brefs et nerveux à souhait où je sens parfois une certaine retenue — inévitable, diront certains), des vers où la juxtaposition du silence et des «phrases incomplètes» participe à la précarité que tu installes dès le premier poème.
Je conserve la durée
le silence
les phrases incomplètes
leur arrêt menaçant
fragile
pose blanche inerte du visage(page 11)
En cours de lecture, m’est revenue cette phrase de Rainer-Maria Rilke: «En une seule pensée créatrice revivent mille nuits d’amour oubliées». Un petit rapprochement et déjà, j’étais plus près de cette œuvre de mémoire à laquelle tu me conviais («ma mémoire à l’encre faible», oubliant «le temps qui reste», inscrivant l’autre «dans la marge de tout après-midi/passé près des pommiers/à humer leur parfum»).
Des textes courts, certains hachurés presque, des clins d’oeil qui illuminent la nécessité de sentir. Autant de fragments où les images se succèdent («lumière blonde déversée sur les lattes de bois», «frêle bourdonnement/pénombres installées/au creux du regard», «la chambre épuise ta beauté»), déposant lentement, avec douceur, les pièces de ton casse-tête mnémonique.
Progressivement, des états de tension ou de paralysie surgissent entre le souvenir et l’attente, se précisent, se mêlent à qui nous sommes, comme si le lecteur ou la lectrice t’accompagnait le moment de la chute venu.
L’écorce qui recouvre l’intime
érosion amoureuse
lentement
retourne à la terre(page 29)
Un recueil d’une belle sensibilité, «comme une lenteur/greffée à la peau», celle qui donne raison aux sentiments et au développement naturel de cette grisaille intérieure qui conduit, avec humilité et patience, à un autre état de connaissance.
Sentir qu’il n’y a eu entre nous
qu’une longue conversation
toujours la même:
en retrouver la source(page 31)
J’ai lu. J’ai relu. Et tes questions sont devenues les miennes jusqu’à la toute fin où d’une part «le jour se libère», où d’autre part:
Tu demeures
pour moi
une douce et subtile
illusion:
un fantôme
qui ne quitte jamais la chambre(page 68)
Vivre pleinement l’instant, les «pépiements (…) sonores et vivants (…) le silence traversé par un moineau». Et peut-être en les vivant, entrer un jour dans les réponses. Je te le souhaite!
Ariane Bessette, Avant l’oubli, Ottawa, Les Éditions David, 2011, 74 pages.
ISBN 978-2-89597-199-3