Faudrait s’en parler…

Un premier coup d’oeil sur les données linguistiques du recensement de 2011 indique clairement que les choses ne s’améliorent pas pour la francophonie ontarienne. Pas que la situation se soit dramatiquement détériorée au cours des cinq dernières années, mais les tendances au déclin du français se confirment à peu près partout, même dans les régions où les francophones restent majoritaires.

On peut toujours se draper, comme il est devenu l’habitude de le faire en milieux officiels, dans les savantes – et jusqu’à un certain point, pertinentes – pondérations statistiques qui permettent de gonfler un peu artificiellement, à mon avis, la force de la francophonie au Canada (y compris au Québec). Mais quand on regarde les chiffres bruts, la réalité nous revient, implacable, et appelle une intervention rapide pour sauver les meubles.

Le discours optimiste des « lunettes roses » ne fait que masquer une détérioration très réelle. On n’a qu’à regarder sans enrobage les réponses à la question du recensement sur la langue d’usage (la langue la plus souvent parlée à la maison) pour s’en convaincre, au regard des données sur la langue maternelle.

De 2006 à 2011, selon les profils des communautés des deux recensements, le nombre de francophones de langue maternelle a augmenté de près de 5000 seulement (488 815 à 493 300) tandis que le nombre de personnes ayant le français comme langue d’usage a diminué de 5 000 (de 289 035 à 284 115).

Pour avoir une idée de l’accélération de l’assimilation, regardons les chiffres du recensement de 1971, qui donnaient 482 045 francophones selon la langue maternelle, et 352 465 selon la langue d’usage ! Si on compare celui de 1971 aux deux recensements les plus récents (langue maternelle et langue d’usage), on arrive à des taux respectifs de persévérance de la langue de 73,1% en 1971, 59,1% en 2006 et 57,6% en 2011. Évidemment, ces chiffres sont trompeurs et il faut vraiment regarder de région en région, de ville en ville, de village en village pour comprendre la réalité. C’est grand, l’Ontario.

Si, au sud, dans les régions de Penetanguishene, Welland ou Windsor, les taux de persévérance sont à peine de 25% à 35%, ils dépassent régulièrement le seuil des 90% dans des régions de l’Est et du Nord ontarien. À certains endroits, ils frisent le 100 % et le dépassent même dans trois villages. À Jogues, Mattice et Val-Cöté, tous dans la région de Hearst, ce sont les francophones qui assimilent les anglophones… Entre les deux, il y a les agglomérations urbaines d’Ottawa et de Sudbury, où les taux de persévérance sont plus inquiétants, à près de 70% (Ottawa), voire alarmants à près de 55% (pour le Grand Sudbury).

Je retiens, dans un premier temps, avant d’approfondir davantage l’analyse, trois constats :

Premier constat

Il existe donc en Ontario trois zones où les francophones ont des taux de persévérance très, très élevés (90% et plus) :

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[li]le corridor de la route 11, entre Smooth Rock Falls et Hearst[/li]
[li]le secteur Nipissing Ouest, entre Sturgeon Falls et Sudbury[/li]
[li]le secteur de Prescott-Russell, à l’est d’Ottawa[/li]
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Ce sont essentiellement des petites municipalités et des secteurs ruraux, ayant une population limitée, mais dont le caractère majoritairement francophone se maintient pour le moment.

Deuxième constat

En Ontario, plus de 35% des francophones (selon la langue d’usage) demeurent à Ottawa (86 000) et Sudbury (14 000). À Ottawa (je ne sais pas pour Sudbury), ils sont cependant plus dispersés que jadis. Alors qu’auparavant il existait des quartiers canadiens-français, les francophones sont maintenant minoritaires dans tous les quartiers de la capitale. Ils sont cependant nombreux.

Troisième constat

Les taux d’assimilation ont atteint des niveaux dramatiques dans des endroits comme Welland et Windsor, et même Cornwall où, il y a un demi-siècle, les francophones formaient près de la moitié de la population.

Faut s’en parler…

Quand j’étais à l’ACFO, années 60, début années 70, ce phénomène était déjà perceptible, quoique bien moins accentué, mais les moyens de communication entre les différentes communautés étaient presque nuls, et les distances immenses. Il était difficile de concevoir et mettre en application des stratégies coordonnées. Aujourd’hui, avec l’Internet et les médias sociaux, les distances s’estompent.

Pendant qu’il est encore temps, il faut souhaiter que puissent s’amorcer des échanges, sur Facebook, sur Twitter, entre Franco-Ontariens de différentes régions et à l’intérieur de différentes régions, entre Franco-Ontariens et Québécois, entre Franco-Ontariens et Acadiens et francophones de l’Ouest, pour qu’à partir d’analyses réalistes, les enjeux linguistiques (et autres enjeux) fassent l’objet d’un forum permanent en ligne. Le simple fait de créer des contacts par l’intermédiaire du Web aura, j’en ai la conviction, des effets appréciables.

Où cela peut-il mener? Pas la moindre idée. Mais ce peut être un point de départ utile…


Ce texte a originalement été publié le 6 novembre 2012 sur le blogue de Pierre Allard.