Accent grave

La télévision, nous dit-on, est un médium en voie de disparition. Video killed the radio star. La technologie avance et la télévision, avec ses horaires fixes et ses publicités invasives, ressemble de plus en plus à un dinosaure que l’on abandonnera sous peu.

Il est vrai que les modes de diffusion de la télévision ne sont plus les mêmes. C’est le cas depuis l’arrivée du câble. Puis après ça le Pay-Per-View. Ensuite est arrivé HBO avec la boxe et les séries exclusives. Ensuite, le câble numérique a fait exploser les chaînes spécialisées, et donc aussi la tarte des annonceurs. Dès lors, on commence à annoncer la mort imminente de la télévision généraliste, de la programmation régionale, du basic cable à l’ancienne, au profit de ces nouvelles chaînes spécialisées. La vague de l’individualisme ne faisait que commencer; arrivent par la suite les coffrets DVD, les torrents piratés, les sites de streaming à Hong Kong, les PVR, tou.tv, Illico, etc.

Malgré tout cela, la télévision généraliste survit. Elle survit, et peut même connaître du succès. Parlez-en aux frères Rémillard. En transformant TQS en V télé, ils ont prouvé qu’avec une bonne stratégie, on peut être profitable. Avec leur programmation frugale, leur stratégie Web, et un respect pour leur public cible, ils ont renversé la tendance.

Ce n’est pas pour dire que c’est facile. Il faut créer du contenu de qualité pour qu’il soit visionné, consommé par la masse. Le public, plus intelligent qu’autrefois, sait ce qu’il veut et sait comment le trouver.

Ce qui m’amène à cette nouvelle chaîne franco-canadienne, Accents. Un genre de APTN de la francophonie canadienne. Une chaîne comme celle-ci, me semble-t-il, doit avoir pour but d’avoir un impact sur les communautés francophones canadiennes. Si tu veux un impact, il faut que le monde te regarde, c’est la base. La vidéo promotionnelle auquel on a eu droit est idéologique au boutte. On lance à tous bouts de champs l’idée du pays, on parle des Acadiens, on montre des jeunes qui veulent en savoir plus sur les autres cultures francophones du pays, sur la langue qui nous unit, etc. Edmonton, Vancouver, Moncton. Métis, Franco-Manitobains, Acadiens. Du beau nationne-buildingue. Par contre, tout au long de la vidéo, je n’entends rien sur le Québec. Et là, je veux dire rien. On parle du Canada, du pays, des 9,5 millions de francophones. J’entends des accents, mais pas d’accents québécois.

C’est absurde. C’est grave. C’est stupide. Le Québec a l’expertise, l’expérience. En plus, les Québécois se sont servis de la télé pour s’émanciper culturellement. C’est au Québec que se fait la télévision francophone de qualité au Canada. Il existe, au Québec, un marché médiatique de masse en français. Des vedettes. Du prime time. Des late show, de la télé réalité, du documentaire, des quiz. De la bonne télé, de la moins bonne télé, mais de la télé que l’on regarde. Et on veut créer une télévision généraliste sans eux? Dans quel but? Pense-t-on vraiment pouvoir créer assez de bonne programmation franco-canadienne pour remplir une grille horaire? On a TFO depuis des années, en Ontario, en Acadie, pis oui, au Québec, et on a encore pas nécessairement une grille horaire de qualité. Mais TFO grossit. De plus en plus de gens regardent de plus en plus TFO. Pourquoi ne pas juste booster TFO, continuer dans cette veine?

Bon. Je n’ai plus vraiment envie de chialer. Je veux juste souligner, en fin de billet, que cette initiative nous est présentée par la Fondation canadienne pour le dialogue des cultures. Est-ce que je peux me demander entre quelles cultures on essaye de créer un dialogue? Selon moi, et c’est vraiment juste moi, le seul dialogue que l’on devrait chercher à ouvrir en est un entre la masse québécoise, canadienne, francophone, et les petits ilots de francité ailleurs dans la mer anglo-américaine. Faudrait pas manquer le bateau, la mer a l’air rough.

 

À l’enseigne de l’égalité

Dans le cadre du Salon du livre du Grand Sudbury, taGueule parrainera une table ronde sur l’absence du français dans la place publique le samedi 12 mai 2012 à 15 h. Ce n’est pas d’hier qu’on en discute : le 25 octobre 1999, Normand Renaud livrait ce billet en réaction à la nouvelle qu’une cour du Québec avait jugé inconstitutionnelle une section de la loi québécoise qui exige la prédominance du français dans l’affichage commercial. Curieusement, ça lui a fait penser au hockey.


Imaginez un tournoi de hockey entre deux équipes très inégales, non pas à cause de leur talent, mais à cause du règlement. Dans le tournoi que j’imagine, une équipe a droit à trente joueurs, et l’autre, à trois. Que voulez-vous, c’est la règle du jeu. La saison commence et l’inévitable arrive. Malgré les efforts héroïques des minoritaires, l’équipe favorisée mène bientôt au classement avec 909 victoires et 2 défaites. Mais le jeu est juste, car on en suit le règlement.

Tout ça dure longtemps, mais ne fait qu’un temps. À la longue, la grosse équipe trouve le jeu aussi injuste que la petite. À force de réduire ses adversaires en purée, on se beurre de purée soi-même. Ça, ça s’appelle la mauvaise conscience. On en perd jusqu’au goût de gagner.

Ce n’est qu’après tout ça qu’un beau jour, les maîtres du jeu décideront de changer la règle. C’est dur à admettre, mais ils l’admettent : leur règle est déréglée, leur justice est injuste, leur gloire est une honte. Ils proclament donc une nouvelle règle révolutionnaire : le jeu à forces égales. Mais s’ils changent la règle, ils se gardent bien de changer le compte des points. Les meneurs auront toujours droit à l’avance qu’ils ont gagné fair and square sous l’ancienne règle. Et que le jeu continue !

Ce qui paraît absurde en parlant du hockey ne l’est pas du tout en parlant de la société. À la fin du 20e siècle, le Canada est encore pour beaucoup le pays que son passé de privilèges britanniques a façonné. Ce n’est pas par accident que le Canada est aujourd’hui un pays anglais et que les Canadiens-Français, majoritaires au départ, sont minoritaires à l’échelle du pays et dans toutes les provinces sauf une. Ce n’est pas par accident que le principe qui a affirmé l’égalité des deux langues officielles a aussitôt infirmé les efforts faits au Québec pour effacer les acquis du nationalisme britannique d’hier. Si la majorité a changé les règles du jeu politique, ce n’était pas pour y perdre aux éliminatoires. Alors que l’affichage commercial en français est absent partout au Canada, les lois qui le favorisent dans la seule province où il existe sont combattues. La loi du Québec sur l’affichage en français passe pour un affront à la règle suprême, généreuse et moderne de la société canadienne : l’égalité des deux langues officielles. Elle mérite l’intervention de l’arbitre judiciaire et des punitions majeures pour rudesse.

Mais si le Canada veut vraiment la justice à l’avenir, il lui faut corriger l’injustice du passé. C’est ce que le Québec essaie de faire. C’est ce que le reste du Canada pourrait faire à sa manière. Les grandes villes bilingues du pays, Ottawa-Carleton et Sudbury en tête, pourraient se donner des politiques pour promouvoir l’affichage commercial en français. Étant donné qu’elles voudraient l’égalité de droit pour la minorité anglo-québécoise, ces villes pourraient exiger l’égalité de fait pour leur propre minorité franco-ontarienne. Elles pourraient combattre l’entorse à la règle de l’égalité, quand c’est l’indifférence du peuple et non la loi du peuple qui l’impose. Ce serait une manière de ramener à sa destinée bilingue un pays que le jeu du privilège britannique a si longtemps dévoyé.

Si le Québec agace tellement l’opinion canadienne, ce n’est pas parce qu’il maltraite sa minorité. C’est parce qu’il exerce à son tour et à son compte le plus arrogant des privilèges en politique : celui de fixer les règles du jeu. On a beau dire autrement, en matière d’affichage commercial, le principe canadien de la liberté est au service du privilège universel qu’est la loi du plus fort. Le Québec n’accepte pas de jouer ce jeu-là. Sa politique sur l’affichage loge à l’enseigne de l’égalité. C’est une enseigne française.

Commentaire sur le référendum du Québ–… de l’Écosse

Michael Ignatieff, ou Michel de Nostredame, dit Nostradamus?

Si on apprit lundi soir que Michael Ignatieff, l’ancien chef du Parti libéral du Canada, trouvait qu’une décentralisation plus accrue des pouvoirs fédéraux au Canada et au Royaume-Uni vers le Québec et l’Écosse mènerait éventuellement à l’indépendance de ces nations, il s’assura de nuancer ses propos peu de temps après par deux lettres adressées aux éditeurs du Globe and Mail et de La Presse, en anglais et en français respectivement. Peu importe, deux citations de l’entrevue m’ont beaucoup fait réfléchir à la situation du Canada et des Canadiens-français (ou minorités hors-Québec, et des Québécois, et/ou des Acadiens, et des… bon. Whatever, appelez-vous comme vous le voudrez).

“The Canadian example goes to show that you can devolve power down and get those Tory politicians from London out of your hair, and, run your own affairs short of being an independent country. And it’s a kind of waystation, you stop there for a while, but I think the logic eventually is independence, full independence.”

“I think if Scotland goes independent, a lot of other small nations in Europe will start accelerating their quest for independence. Spain, the Catalans and the Basques; Belgium, the Walloons and the Flemish; Quebec. Canada will listen and watch with baited breath for the outcome of this referendum, because if Scotland goes independent, then Quebec will renew its quest for independence. So it will have global effects.”

— Michael Ignatieff

Vraiment? Est-ce que les nationalistes des autres états/états-nations attendent que le vote référendaire en Écosse passe pour entamer les prochaines étapes de leurs plans? J’en doute fortement.

On habite un monde où l’information circule beaucoup trop rapidement pour ça. La preuve, c’est qu’au lendemain de la diffusion de l’entrevue avec BBC, les propos d’Ignatieff avaient déjà fait les manchettes de l’autre côté de la planète. Doit-on croire sincèrement que l’idée de la séparation de l’Écosse du Royaume-Uni ne se serait pas déjà rendue influencer le discours des souverainistes de ce côté de l’Atlantique? Doit-on penser que ces mêmes souverainistes n’ont pas déjà suffisamment de cas historiques pour pouvoir construire leurs propres raisonnements? Je ne pense pas. De toute façon, Ignatieff a bien précisé, le Royaume-Uni est un des pays multinationaux les plus vieux de la Terre. Le Canada n’est pas construit de la même façon, alors on s’inquiète pour rien; le Québec n’est pas, un État au même titre que l’est l’Écosse. N’est-ce pas?

«Puis nous autres dans tout ça?»

Puis pourquoi s’intéresserait un Franco-ontarien à tout ça? De toute façon, lui, il n’est pas Québécois. Admettons qu’Ignatieff avait raison; que le référendum en Écosse passait en 2014, et que ça renouvelait l’indépendantisme au Québec au point de nous mener à un autre référendum. Où retrouverions-nous par rapport à cet enjeu? Que peut nous apprendre l’histoire au sujet de la «rupture» du Canada français à la fin des années 60?

«À Sudbury, les lendemains des États généraux [et de] […] la « territorialisation » du discours nationaliste [canadien-français] au Québec […], sont des plus moroses. Les minorités, déclare-t-on, devront se rabattre sur elles-mêmes pour assurer leur développement, les Québécois ne leur seront plus d’aucun secours. La presse étudiante, qui accepte [initialement] avec plus d’enthousiasme et d’optimisme [que leurs aînés] le projet néonationaliste, conclut avec davantage de facilité à la désagrégation, pour ne pas dire à la caducité du « Canada français ».»

— Michel Bock, 2001, p. 86

Voyant comment, finalement, le Québec nous a pas vraiment abandonné suite à la crise du Canada français de la fin des années 60 (on n’a qu’à compter l’important nombre de «Franco-ontariens d’origine québécoise» qu’il y’a dans nos communautés, et, noter le montant d’énergie qu’ils investissent à son épanouissement), aurions-nous plus de facilité à accepter que, finalement, non seulement a-t-on besoin du Québec mais aussi des autres minorités francophones du pays, et oui, peut-être même du Canada anglais non pour survivre, mais pour bien s’épanouir et bien vivre? Est-ce qu’on appuierait le projet indépendantiste? Est-ce qu’on ferait nos valises? Monterait-on aux barricades pour dénoncer un tel projet?

Comme le Juif russe en 1948, ou l’Irlandais habitant à Londres en 1922, aurions-nous le réflexe «d’entrer au bercail», ou au contraire, considérerions-nous que cette «terre promise» ne serait pas la nôtre? Comme le disait Fernand Dumont en 1997, «Les Acadiens parlent français, mais ils ne s’identifient pas aux Québécois francophones même s’ils sont proches par des voisinages et si un grand nombre d’entre eux vivent au Québec». Pourrait-on faire une analyse aussi monolithique des Franco-ontariens par rapport au Québec? Et par rapport au Canada français? Et par rapport à la référence canadienne-française? En d’autres mots, les vestiges identitaires du Canada français d’autrefois, seraient-ils assez puissants pour nous attirer vers un État souverain «for French-Canadians»?

Références

Michel Bock, Comment un peuple oublie son nom – La crise identitaire franco-ontarienne et la presse française de Sudbury (1960-1975). Sudbury, Institut franco-ontarien/Prise de parole, 2001. 119 p.

Fernand Dumont, «Essor et déclin du Canada français ». Recherches sociographiques, vol. 38, no. 3, 1997. p. 419-467.

Harper, père du Québec

Dans une cinquantaine d’années, le Québec célébrera peut-être ses 20 ou 25 ans d’indépendance. Pour l’occasion, on honorera les héros, René Lévesque, Jacques Parizeau et les autres qui sont encore inconnus mais qui, à force d’idéalisme trompeur, auront convaincu les Québécois de voter «oui». Mais je vous gage un ver de terre – dans 50 ans, c’est tout ce que j’aurai sous la main – que personne ne mentionnera celui qui aura fait le plus pour l’indépendance du Québec, Stephen Harper.

C’est Justin Trudeau qui le premier aura eu le courage de dire publiquement ce que plusieurs d’entre nous craignent. Harper est en train de faire du Canada un pays où même les plus ardents fédéralistes (québécois ou pas) ne se reconnaissent plus. Au diable l’entraide, les traditions, l’environnement, les droits des femmes, le respect du français, la Charte des droits, les Francos hors Québec. Les con-serviteurs de Harper n’aiment probablement même pas le sirop d’érable.

Tout ce qui compte pour ces disciples de l’école de Calgary ce sont les profits des banques et des pétrolières, la loi et l’ordre, le contrôle des citoyens, les médias serviles. Et tout ça sous l’oeil du même dieu mesquin adoré par la droite américaine et célébré ici dans de petites chapelles en plein Parlement. Peut-on être plus loin des valeurs québécoises et canadiennes-françaises?

Que ce soit le projet omnibus contre le crime qui favorise la prison plutôt que la réhabilitation, l’abolition du registre des armes à feu, le refus de financer des organismes caritatifs qui incluent la contraception et l’avortement dans les soins prodigués aux femmes du Tiers-Monde; que ce soit la nomination d’un vérificateur général incapable de répondre aux questions des députés francophones, l’installation d’un juge unilingue à la Cour Suprême, le retour du qualificatif «royal» dans la marine et l’aviation militaire canadiennes, le remplacement d’une toile du grand peintre canadien Alfred Pellan par un portrait de Her Majesty, il est clair que ce gouvernement se crisse des Canadiens français.

Dans le Québec social démocrate et nationaliste – même les fédéralistes se croient une nation – les indépendantistes n’ont pas été long à identifier cette brèche et à s’y engouffrer. Depuis quelques mois, la leader du PQ, Pauline Marois, ne fait plus campagne contre le Premier ministre du Québec, Jean Charest, mais plutôt contre le gouvernement Harper. Elle et ses stratèges ont compris que Harper est leur plus grand allié. À force de démontrer comment ce gouvernement est loin des valeurs québécoises – et, on l’a vu plus haut, la job n’est pas dure – ils assimilent Harper à Ottawa. Ottawa, donc le fédéralisme, devient ainsi l’empêcheur de danser en rond, la source de tous les malheurs des Québécois. Il suffit de marteler ce message simple assez longtemps et la flamme indépendantiste s’embrasera.

Afin d’éviter la catastrophe, il faudrait que Harper change mais je ne vois malheureusement pas pourquoi ce démagogue ferait ainsi; il n’a pas l’étoffe d’un homme d’État. Tout se jouera dans les prochaines années et il devient de plus en plus possible que, dans cinquante ans, le Québec et le Canada soient à couteaux tirés et définitivement dans la merde. Comme disait la Vierge de Fatima, «Pauvre Canada».


Image: Emperor Haute Couture, par Margaret Sutherland, 2011

Nous sommes solidaires avec les étudiants en grève

C’est aujourd’hui qu’a lieu la plus importante manifestation à date contre la hausse des frais de scolarité au Québec. taGueule en profite pour déclarer sa solidarité envers ceux qui ont décidé de défendre les choix de société du Québec.

Avec taGueule, on est assez explicite dans notre recherche d’une certaine objectivité pour la plateforme. Mais lorsqu’on se retrouve face à un mélange dangereux de répression économique, de rhétorique condescendante et de brutalité policière, on se permet de prendre position.

Les actions du gouvernement du Québec n’ont rien d’exceptionnel; elles s’inscrivent dans la réalité de notre époque, cette époque où des escrocs font tomber les banques, où on fraude des élections à coup de téléphone, et où on cherche à couper dans les dépenses publiques au nom de l’austérité. En ce sens, il est primordial que nous soyons conscients de ce qui se passe au Québec, si seulement pour dénoncer les difficultés auquel font face les étudiants qui tentent de manifester, et l’absurdité des mesures prises pour taire le mouvement.

Malgré les pressions de l’époque, les étudiants choisissent de prendre la rue pour défendre les choix de société qui leur sont chers. Et ils le payent cher.

Ils assument le fardeau que représente cette grève: leur éducation, leur réputation, et leur santé en souffrent, mais ils continuent à prendre la rue, si ce n’est que pour lutter contre l’attitude fermée, autocratique, et franchement inquiétante du gouvernement, des médias et des structures d’autorité. Ce n’est pas juste une grève, ce n’est pas juste une hausse, ce n’est pas juste du pepper spray dans la face ou un pont bloqué; c’est la légitimité de toute contestation sociale qui est en jeu.

Une solidarité avec le mouvement étudiant est une solidarité contre Harper, contre Wall Street, contre l’aliénation, contre les pressions sociales de ce monde qui rendent nécessaire la contestation et la désobéissance civile. C’est une solidarité contre le silence qu’on essaye trop souvent d’imposer à une génération contestataire. C’est une solidarité pour l’accès à l’éducation, mais aussi pour le droit de participer à la démocratie. C’est une solidarité pour dire qu’on est tannés de se laisser faire et de se laisser imposer un modèle de société par une génération déconnectée.

C’est une solidarité pour mettre fin au mythe que les problèmes québécois ne sont pas les nôtres.

“High tuition is not an economic necessity, as is easy to show, but a debt trap is a good technique of indoctrination and control. And resisting this makes good sense.”

— Noam Chomsky, 19 mars 2012

Le Québec en grève!

Nous étions 30 000, le carré rouge épinglé au cœur, à déambuler dans les rues ensoleillées de Montréal pour la manifestation familiale. Nous étions étudiants, amis, parents, professeurs, chargés de cours, élèves du secondaire, artistes et citoyens de tout genre. Nous étions 30 000 de tous les secteurs de la société québécoise à unir nos voix à celle de la cause étudiante. C’était incroyable de vivre une telle démonstration de solidarité. Nous avons pu profiter des bonnes grâces de Dame Nature. Il faisait beau, on aurait dit le printemps. Le beau mouvement qui germait sous la neige de février commençait à fleurir. Il ne reste qu’à espérer qu’il portera fruit.

Tout a commencé le 13 février avec trois associations étudiantes. Aujourd’hui, il y en a 161, représentant plus de 200 000 étudiants. Combien de temps encore le gouvernement pourra-t-il nous ignorer? Combien serons-nous avant qu’il réplique par autre chose que le gaz lacrymogène, les matraques et les grenades assourdissantes qui nous éborgnent?

Combien de temps serons-nous en grève?

Pourquoi la grève?

Parce que le droit à l’éducation est en péril. Parce que la fonction même de l’éducation supérieure est en péril. Plus concrètement, parce que le gouvernement a proposé une hausse de 325$ par année pour les cinq prochaines années, soit une hausse de 1 625$. Notons que le gouvernement avait déjà dégelé les frais en 2007. Depuis, chaque année a coûté 100$ de plus que la précédente. En dix ans, donc, les frais de scolarité passeront de 1 668$ en 2006-2007 à 3 793$ en 2016-2017. C’est plus que le double. Et on ne compte même pas les frais afférents et autres frais obligatoires, qui eux ne cessent d’augmenter depuis la nuit des temps.

Les Ontariens, qui payent les frais de scolarité les plus élevés au pays, se montreront peut-être insensibles à notre cause. Mais ils connaissent très bien la difficulté de payer leurs études alors que leurs salaires stagnent et que le coût de la vie augmente. Ils savent à quel point leurs études sont mises de côté afin de travailler de plus en plus d’heures pour pouvoir les payer. Oui, ils savent à quel point l’éducation est devenue synonyme d’endettement. Plutôt que de nous jalouser, pourquoi ne pas suivre notre exemple?

Car nous savons que si nous ne faisons rien, la situation ne va qu’empirer. Nous savons d’expérience que lorsque l’on hausse les frais de scolarité, de nombreux étudiants font face à une terrible alternative: abandonner leurs études ou se noyer davantage dans les dettes d’études. Ce n’est pas ainsi que l’on construit une société forte et solidaire, une société libre.

Toutes les études le démontrent. Même un rapport du ministère de l’Éducation constate que des milliers d’étudiants n’auront bientôt plus accès aux études. Non, le Québec ne saura être l’exception. On peut s’attendre à ce qui s’est passé en Ontario ou au Royaume-Uni lorsque l’on a haussé les frais de scolarité: une baisse des taux de fréquentation de jeunes issus des familles les plus pauvres. Une éducation de plus en plus réservée aux riches. Il n’y a aucun doute, lutter contre la hausse des frais est une question de justice sociale.

Le gouvernement Charest s’acharne à nous comparer à l’Ontario, à la Nouvelle-Écosse, aux États-Unis. Nous préférons tourner notre regard vers l’Europe. Oui, nous payons moins qu’ailleurs au Canada, mais nous payons plus que les étudiants d’une quinzaine de pays européens, dont certains offrent la gratuité scolaire, voire le salariat étudiant. Pourquoi se comparer au pire, alors qu’on pourrait se comparer au meilleur?

Le gel des frais, la réduction ou la gratuité scolaire ne sont pas des propositions impossibles. La hausse n’est pas inévitable et elle n’est pas économiquement nécessaire. Il s’agit simplement d’un choix de société, comme celui d’avoir la gratuité dans le système de soins de santé. Comme celui d’avoir la gratuité scolaire pour l’éducation primaire et secondaire. Ce n’est qu’un manque de volonté politique qui nous empêche d’accéder à la société qu’on nous avait promise il y a quarante ans. L’argent il y en a, il s’agit de savoir où le prendre et où le dépenser. Mais le gouvernement ne veut pas entendre parler de solutions. Il est plus facile de faire payer ceux qui n’ont pas d’argent que de faire payer ceux qui en ont. Le gouvernement n’est pas obligé d’adopter des mesures d’austérités antisociales, il choisit de le faire.

Oui, d’accord, mais pourquoi la grève?

Parce que ça fonctionne. C’est en fait le seul moyen efficace de faire reculer le gouvernement. En 1968, des milliers d’étudiants déclenchaient la grève pour la gratuité scolaire et l’autogestion des universités. Évidemment, ils n’ont pas eu tout ce qu’ils voulaient, mais c’est grâce à cette grève que les frais de scolarité ont été gelés. D’autres grèves ont eu lieu au cours des années 1970 et 1980 afin de maintenir le gel et d’améliorer l’accessibilité aux études. En 1996, le Parti Québécois proposait une hausse de 30% des frais de scolarité. Une grève a permis encore une fois de geler les frais. En 2005, la plus grande grève générale étudiante a eu lieu lorsque le gouvernement Charest a proposé de couper 103 millions $ du programme de bourses. Encore une fois, le gouvernement a reculé.

Les grèves fonctionnent. C’est d’ailleurs pourquoi le gouvernement refuse de nous parler, traite notre grève de boycott et nous envoie l’antiémeute dès le premier signe de rassemblement. Mais à un moment donné, la grève sera trop coûteuse pour le gouvernement. Il faudra qu’il prenne une décision, soit reculer, soit annuler la session, avec tous les problèmes bureaucratiques et sociaux que cela engendrera.

La grève, lorsqu’appuyée par un nombre suffisant d’étudiants, a toujours mené à un recul du gouvernement. Si le mouvement étudiant s’était bien mobilisé contre le dégel en 2007, il est peu probable que le gouvernement ait proposé de nouvelles hausses en 2010. Si le mouvement de grève ne réussit pas, on pourra sûrement s’attendre à de nouvelles hausses.

Tant que nous sommes solidaires, tant que nous avançons, le gouvernement sera obligé de reculer.

Ode à la poutine, la vraie!

Avec tout le monde qui parle de Pierre Poutine et de Vladamir Poutine ces temps-ci, je commençais à avoir faim. J’avais le goût d’une bonne poutine. La vraie. L’originale. Patates frites fraîches. Sauce brune. Crottes de fromage skouick-skouick.

Mais trouver une vraie poutine est pas mal plus compliqué que je le pensais.

Nous vivons à une époque dangereuse, mesdames et messieurs. Des restaurants, d’un océan à l’autre, sont en train de commettre une fraude épouvantable! Ils vendent de la «poutine» qui ne mérite pas ce nom. Frites congelées, sauce purin, et l’ultime sacrilège, du fromage râpé.

Mais qui a inventé la poutine?

Warwick ou Drummondville? C’est un débat d’importance nationale au Québec.

Plusieurs communautés se battent pour le titre d’Inventeur de la poutine depuis 1957 (ou 1964, dépendant à qui tu le demandes).

« Les jeunes mélangeaient les frites et le fromage en grains dans le sac de papier et ensuite, ils y ajoutaient du ketchup ou du vinaigre. La sauce brune est venue après en même temps que le poulet BBQ. Le type de Drummondville disait qu’il avait parti ça en 1963. Qu’on dise ce qu’on voudra, ça me dérange pas. Tout ce que je peux dire c’est que je suis convaincu que la première poutine a été servie au Café Idéal de Warwick, une journée de fin d’août ou début septembre, en 1957. »

Fernand Lachance

L'inventure de la poutine

L’histoire la plus répandue est que ça serait Fernand Lachance qui aurait inventé la poutine accidentellement en 1957 dans son restaurant Le lutin qui rit à Warwick, Québec. Selon la légende, un de ses clients, Eddy Lainesse, aurait demandé à Fernand de mettre le casseau de fromage et le casseau de frites dans le même sac, auquel Fernand aurait répondu «Ça va faire une maudite poutine», voulant dire un méchant dégât.

Là, ça s’officialise un peu. Le Roy Jucep, restaurant de Drummondville, enregistre une marque de commerce se déclarant l’inventeur de la poutine. Jean-Paul Roy, propriétaire du restaurant en 1964, serait le premier à servir la poutine classique qu’on connaît aujourd’hui. Patates frites fraîches. Sauce brune. Crottes de fromage skouick-skouick. Selon monsieur Roy, le nom «poutine» viendrait d’une déformation du mot «pudding» et du surnom du cuisinier à l’époque, Ti-Pout. Le Roy Jucep serait donc le premier à commercialiser la poutine telle qu’on l’adore aujourd’hui.

Et ça finit pas là! Plusieurs autres se disent créateurs du fameux met national. La page Wikipédia hautement contestée en est la preuve. Chicanez-vous dans les commentaires. Je termine mon analyse des origines de la poutine là.

Larry’s vs. Riv’s

À 1h15 de route de Sudbury, à Sturgeon Falls, un village plus francophone que le Mile-End, les automobilistes de la 17 sont témoins d’une des plus importantes guerres dans l’histoire du Canada. Deux chipstands se battent à coup de pogos et de poutine depuis 25 ans. Tout le monde a sa préférence.

L’été dernier, j’attendais ma poutine au Larry’s quand j’ai aperçu Dominic Giroux, recteur de l’Université Laurentienne, qui attendait la sienne l’autre bord de la rue, au Riv’s. Nos regards se croisent. On est dans un vieux film western. Who’s gonna draw first? Nos mains flottent à quelques centimètres de nos hanches. Simultanément, on saute sur nos téléphones et on s’met à pitonner. À coup de 140 caractères, on s’tweet, on s’chicane et on s’obstine pour déterminer qui est du bon bord de la Main et qui dévorera la meilleure poutine?

Les temps ont changé, mais pas la poutine.

Des disco fries aux cheese fries

Ce que je demande c’est un retour à la poutine classique. Donc, je ne vais pas passer du temps sur les variantes… O.K. fine, il y en a des trop intéressantes à laisser passer.

Poutine italienne (avec sauce spaghetti), poutine mexicaine (avec carne asada, guacamole, crème aigre, fromage et pico de gallo), la dulton (avec saucisses ou boeuf haché), la galvaude (avec poulet et petits pois verts), poutine aux crevettes (de la Gaspésie, avec crevettes et sauce blanche au fromage), Smoked Meat poutine (duh!), poutine foie gras (frites belges, fromage du terroir et morceaux de fois gras), poutine ontarienne (ce que certains nomment la poutine au fromage râpé fait de, vous l’avez deviné, fromage râpé), etc.

En Acadie, il existe deux recettes de poutine. La poutine râpée et la poutine à trou qui est servie comme dessert. On va s’intéresser à la première.

La poutine râpée est considérée comme le plat national des Acadiens et se compare au Knödel dans la cuisine allemande. Elle est concoctée en combinant des patates cuites pilées et des patates crues. La substance est ensuite mottonnée en boules de la grosseur d’une pomme. On fourre du lard ou du porc là-dedans et on fait bouillir pendant 3 heures. C’est pas pantoute une poutine classique, mais maudit qu’ça m’donne la faim! Le stuff avec les fries y’appellent ça du «patachou» (du moins dans le coin du compté de Kent, Nouveau-Brunswick).

La poutine s’internationalise! La côte est des États a commencé à l’adopter sous le nom Disco Fries (ou Elvis Fries). Cette version de plus en plus populaire au New Jersey et à New York est faite de grosses frites, de sauce brune, et de fromage mozzarella.

J’ai beaucoup de respect pour une place comme le Frank’s Deli au centre-ville de Sudbury qui a assez de respect pour la poutine pour appeler la sienne Cheese Fries [our version of poutine]. Elle a deux des ingrédients nécessaires à une vraie poutine. Patates fraîches. Sauce brune. Mais elle utilise un mélange de cheddar et de suisse au lieu des curds classiques. Leurs Cheese Fries sont absolument écoeurantes (dans le  bon sens) mais c’est pas de la poutine et même eux le savent. J’applaudis ces institutions. Kudos!

La poutine comme arme politique

Je n’ai rien à ajouter.

À part peut-être ça…

Chambre des communes
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario)
K1A 0A9

Appelez-moi puriste, je m’en crotte

Je demande un retour à la définition traditionnelle de la poutine. Je n’ai rien contre les cheese fries, les disco fries, et toutes autres variantes exotiques, mais pour l’amour de la Ste-Sauce, n’appelez pas ça de la poutine! C’est un péché mortel!

Je propose que l’on corrige au gros stylo rouge les menus qui induisent en erreur et que l’on certifie les institutions qui font de la vraie poutine!

Vous, chers lecteurs, pouvez faire la certification des vraies poutines. Voici le certificat à imprimer en PDF. Soyez vigilant. Les patates frites doivent être fraiches, la sauce doit être chaude et le fromage doit être en crottes et faire skouick-skouick. Sans un de ces trois éléments, l’établissement ne peut pas être certifié. À vos fourchettes!

Nous ne reculerons pas devant aucune râpe! Sauce-sauce-sauce, solidarité! Patate un jour, poutine toujours!

Poutines hors Québec préférées

Leslie’s Charbroil & Grill, Sudbury, Ontario
9 Main Street East, Chelmsford, Ontario
JP’s, Chelmsford, Ontario
Poutine Palace, Azilda, Ontario
Larry’s Chip Stand, Sturgeon Falls, Ontario
Chez Nous, Timmins, Ontario
Murray’s Street, Ottawa, Ontario
Fritomania, Orléans, Ontario
Glen’s, Kanata, Ontario
Cantine Landriault, Alfred, Ontario
Casse-Croûte St-Albert, St-Albert, Ontario
Micko’s, Heast, Ontario
Ed’s Submarine, Moncton, Nouveau-Brunswick
La Maribel, Caraquet, Nouveau-Brunswick
La Bottine du Festival du Voyageur, Winnipeg, Manitoba
Garage Café, Winnipeg, Manitoba
Prospect Point, Vancouver, Colombie-Britannique

Votre poutine traditionnelle préférée n’est pas là? Commentez et je la rajouterai.

Nos poutines québécoises préférées

La Pataterie Hulloise, Hull, Québec
Chez Morasse, Rouyn-Noranda, Québec
La Banquise, Montréal, Québec
Prince Pizzeria, Sorel, Québec
Hôpital de Val d’Or, Val d’Or, Québec
Chez Ashton, Québec, Québec

Lectures recommandées

New York s’amuse à découvrir la poutine, Cyberpresse
MaPoutine.ca


Photo: Poutine is for lovers

La trahison québécoise, un mythe canadien-français

Aux États généraux du Canada français de l’automne 1967, presque cent pour cent des délégués du Québec et une petite minorité d’Acadiens ont appuyé une motion favorable au droit du Québec, « territoire national des Canadiens français », à l’autodétermination; les délégués de l’Ouest et de l’Ontario, s’ils ne se sont pas abstenus de voter, s’y sont opposés aux deux tiers environ. On a souvent dit, avec un sens du dramatique, que le Canada français était mort cette journée-là, ou plus exactement que les nationalistes québécois avaient trahi les minorités françaises des autres provinces.

Hors Québec, le récit de la trahison du Canada français par le Québec relève de la vérité historique. Cette trahison est en quelque sorte devenue la blessure fondamentale, une trahison symboliquement équivalente, dans la mémoire, à la déportation des uns et à la conquête des autres. Nul n’a donc été surpris de lire l’expression de ce mythe sur taGueule dans les premières heures, les premiers jours tout au plus, qui ont suivi la renaissance du site. (Note pour les curieux: c’était dans un des commentaires en réponse à l’article du 21 février sur l’université franco-ontarienne.)

Le succès du récit de l’abandon québécois des Canadiens français, et des Franco-Ontariens par la même occasion, s’explique à la fois par son extrême simplicité narrative et sa grande utilité en tant que symbole identitaire. Sur le plan narratif, son simplisme tient dans sa caractérisation sans nuance des personnages : d’un côté les bons, les victimes, les généreux qui tendaient la main; de l’autre les méchants, les bourreaux, les égoïstes qui ont refusé la main tendue. Sur le plan identitaire, ce récit est utile parce qu’il fournit aux Franco-Ontariens un repoussoir, cet Autre dont tout groupement par référence a besoin pour se rappeler ce qu’il n’est pas.

Mais le Canada français a-t-il eu la consistance, la solidité qu’on lui attribue, et l’avait-il encore en 1967? Si oui, peut-on vraiment croire, alors, que son destin se soit joué à l’occasion d’une assemblée populaire, les fameux États généraux du Canada français? Et si la réponse est non, à quoi ce manque de consistance tenait-il?

1. Le Canada Français, le discours et l’agir

Au milieu des années 1970, le sociologue Jean-Paul Hautecœur avait soulevé une certaine controverse en publiant L’Acadie du discours, un essai arguant – je simplifie énormément – que l’Acadie était sans consistance réelle, n’existant que dans les multiples discours à son sujet. Si je ne crois pas, pour les raisons que j’exposerai brièvement ci-dessous, qu’on puisse soutenir un tel argument au sujet du Canada français, je mentionne quand même ce livre parce qu’il nous rappelle de toujours distinguer deux ordres de réalité, celui du monde palpable et celui du discours.

Je dirai d’emblée que le Canada français fut d’abord une abstraction, une idée née de la volonté des anglophones d’assimiler sa minorité de langue française. Au début du XIXe siècle, en effet, au temps des luttes patriotes et réformistes du Bas-Canada, la notion de Canada français n’existait pas. Deux facteurs clés ont toutefois contribué à son invention : les effets d’une forte immigration en provenance des îles britanniques et l’union politique du Bas-Canada et du Haut-Canada. Devenus majoritaires et maîtres incontestés du jeu politique, et par surcroît en processus de détachement par rapport à la Grande-Bretagne (gouvernement responsable, 1848), les Britanniques du Canada-Uni ont commencé à employer le nom Canadians pour se nommer eux-mêmes, accolant du même coup à leurs voisins celui de French Canadians pour bien s’en distinguer. Il faut le souligner : s’il y avait un French Canada et des French Canadians, il n’y avait pas d’English Canada, ni d’English Canadians. Si les Canadiens anglais existent aujourd’hui, c’est parce que les nationalistes québécois les ont inventés.

Le French Canada a pris corps à mesure que les francophones ont intériorisé l’identité que les anglophones leur avaient attribuée. Petit à petit, les premiers Canadiens se sont faits canadiens-français, un processus dont le sociologue Fernand Dumont a magistralement retracé les étapes dans son livre Genèse de la société québécoise. En s’appropriant le nom et l’identité que la majorité leur donnait, ils ont aussi dû se construire une nouvelle référence commune et s’imaginer un nouveau territoire symbolique. L’essence de ce Canada français émergeant s’est résumée au partage de la langue française, de la foi catholique, d’un passé pétri d’héroïsme pieux et de traditions populaires (jamais très clairement énumérées).

Cette construction intellectuelle a eu du succès. Beaucoup l’ont trouvée réconfortante. Le Canada français servit de refuge contre le monde dominé par l’Anglo-Protestant; il fut un prix de consolation pour ceux que l’hégémonie anglo-saxonne bloquait dans leur ascension sociale, politique ou économique. Qu’on ne s’y trompe pas : la petite élite sociale composée de l’évêque, du député, du médecin et de l’avocat avait tout intérêt à croire au Canada français, à le promouvoir et à lui donner corps, car en faisant sa promotion, en lui donnant consistance, c’est sa propre position sociale prééminente qu’elle promouvait et reconduisait. L’invention des Canadians est ainsi devenue une self-fulfilling prophecy à partir du moment où les descendants des premiers Canadiens en ont accepté l’existence. De fait, à force de chercher de multiplier les initiatives pour lui donner corps, on est bel et bien parvenu à donner une certaine consistance à ce Canada français, à ce nouveau groupement par référence qui s’étirait bien au-delà de la vallée du Saint-Laurent, territoire historique des premiers Canadiens. On citera à témoin le chapelet de réseaux associatifs et institutionnels qui se sont développés au fil des ans et des générations. Soucieuse de maintenir sa position dominante au sein de ce groupement référentiel, l’élite sociale du Canada français n’a d’ailleurs pas ménagé les efforts pour étoffer ces réseaux, veillant même à rattraper jusqu’en Nouvelle-Angleterre ceux et celles qui s’en étaient extraits en émigrant.

2. Le Canada Français à l’épreuve du changement social

Loin d’avoir été imperméable au changement social induit par la modernité, malgré ce qu’on a souvent dit, le Québec francophone fut au contraire aspiré par celui-ci, participant aux grands mouvements et s’inscrivant dans les grands courants. La complexité et la force d’entraînement du changement social qui découlaient de ces courants ont donné du fil à retordre aux chantres du Canada français. Personne, en effet, n’était soit au Canada français, soit ailleurs; les références des uns et des autres se mélangeaient, s’emmêlaient. À la ville – entendons Montréal et, dans une moindre mesure, Québec –, le discours paternaliste sur l’existence d’une communauté homogène, pieuse et soudée depuis la Nouvelle-France se heurtait à la présence d’une immigration européenne bigarrée et aux bouleversements causés par le progrès technique.

Les célébrations du Canada français avaient beau se multiplier et résonner, d’autres forces étaient en action. L’idée voulant qu’une communauté de langue française puisse croître, prospérer et vivre en tant que nation ailleurs qu’au Québec se voyait constamment mettre à mal sur les fronts politique, économique et juridique, notamment. Les efforts concertés des catholiques irlandais et des protestants pour éliminer le français en dehors du Québec avaient de quoi ébranler les plus idéalistes. L’indépendance du Québec – ce rêve un peu fou hérité des Patriotes – fut régulièrement remise à l’avant-plan : par Jules-Paul Tardivel dans son roman Pour la patrie en 1895, par le député Joseph-Napoléon Francœur dans une motion législative en 1917, par la revue L’Action nationale en 1922 et encore par les corporatistes des Jeunesses patriotes dans les années 1930. Le discours ambiant sur la valeur de l’identité nationale canadienne-française n’empêcha pas ces gens, à la lumière des faits qui leur paraissaient les plus significatifs, d’imaginer en toute bonne foi, pour eux-mêmes et leurs descendants, un avenir qui passerait par le charcutage du territoire de référence du Canada français.

3. Le provincialisme canadien et l’intégration continentale

Il n’y eut pas que les rebuffades politiques, économiques et juridiques qui lézardèrent le bel édifice du Canada français fait de passé, de langue, de foi et de traditions. D’autres causes ont agi, que je présenterai ci-dessous. Les deux premières nous renvoient au développement du provincialisme au Canada et la troisième à l’intégration continentale nord-américaine par la culture populaire.

Premièrement, les politiques sociales d’après-guerre ont eu pour effet d’accentuer la présence du gouvernement provincial dans la vie des citoyens. En 1945, une fois la paix revenue, le Canada a pris le virage du keynésianisme en matière socioéconomique. Les gouvernements ont mis sur pied un authentique État-Providence, investissant massivement afin de multiplier les services sociaux et d’améliorer les conditions de vie générales de leurs populations. (Ce fut moins vrai au Québec, mais cela est sans importance pour ce texte.) En vertu des compétences exclusives en matière d’affaires sociales que leur reconnaissait l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, les gouvernements provinciaux ont acquis une place considérable dans la vie des citoyens. Dans la même veine, en éducation cette fois, Sudbury vit le collège Sacré-Cœur, établissement chargé d’assurer la reproduction sociale de l’élite franco-ontarienne sudburoise, se transformer en université bilingue et initier la création de l’Université Laurentienne afin de pouvoir accéder indirectement à du financement provincial pour ses activités. Pour les Franco-Ontariens, en santé, en éducation et en d’autres domaines encore, les appels à Queen’s Park ont remplacé les campagnes de souscription populaire d’antan organisées par le curé ou avec sa bénédiction. Du coup, la solidarité nationale canadienne-française devint moins nécessaire ou urgente, donc plus susceptible de s’étioler.

Deuxièmement, la démocratisation de la voiture et l’expansion du réseau routier ont fait en sorte de progressivement relier les grandes villes, les petites villes et les villages. Le nombre de véhicules immatriculés en Ontario a grimpé de 4 200 environ, en 1910, à plus de 562 000, en 1930. Dans le cas particulier de la région de Sudbury, une route entre Sault-Sainte-Marie et Ottawa, accessible aux Sudburois, existait déjà début des années 1930. Quant au lien routier avec Toronto, on a fini de l’asphalter dans les années 1950. Sous l’effet des nombreux chantiers du ministère provincial de la Voirie ou des Transports, chaque grande ville s’est muée en pieuvre aux tentacules de bitume, attirant vers elle les plus petites agglomérations. Toronto l’est devenue pour Sudbury et Sudbury pour la myriade de petites villes et de villages tout autour. De moins en moins isolées, les petites localités canadiennes-françaises du Nord de l’Ontario se sont vues rattacher à un territoire toujours plus vaste, plus uni et plus anglo-saxon; de nouvelles lignes de communication se sont ouvertes; les distances se sont estompées; les morceaux plus ou moins épars de l’écoumène ontarien se sont liés les uns aux autres. Dans cette foulée, le contact avec l’Anglais s’est accru là même où il avait naguère été quasiment inexistant. En décloisonnant les petites enclaves francophones, l’asphaltage des routes et la multiplication des voitures ont participé à réorienter leur destin et celui de tous les Franco-Ontariens.

Troisièmement, enfin, la radio et la télévision se sont instituées dans la vie des francophones d’Ontario en anglais principalement, quand ce ne fut pas exclusivement. Cette implantation dans les mœurs s’est notamment traduite par une incursion de la culture populaire étatsunienne et Canadian dans le quotidien. La radio canadienne s’est développée à compter de 1922. La première station sudburoise permanente vit le jour au milieu des années trente. À partir de 1947, du français fut occasionnellement entendu sur les ondes d’une station bilingue. La première station entièrement francophone, propriété de Baxter Ricard et affiliée à Radio-Canada, n’a commencé à diffuser qu’en 1957. En ce qui concerne la télévision, elle s’est implantée en anglais à Sudbury à l’automne 1953, un an à peine après son inauguration officielle au Canada. En français, Ottawa a eu son antenne radio-canadienne en 1955, mais le Nord et le reste de la province ont dû attendre plusieurs années.

4. La trahison et le confort de la victime

Personne n’a abandonné ou trahi qui que ce soit lors des États généraux du Canada français. Ce jour de novembre 1967 a fait comprendre et admettre aux plus lucides que les horizons des différentes communautés ne se rejoignaient plus, si tant est qu’ils l’eussent déjà fait ailleurs que dans le discours.

La thèse de la trahison du Québec est néanmoins populaire parce qu’elle autorise un récit victimaire. Se poser en victime, c’est se donner le droit de se plaindre, d’exiger des comptes, des réparations et de l’attention. C’est s’autoriser à justifier sa médiocrité, ses ratés, ses carences. Comme ces Québécois qui aiment bien attribuer leurs divers ratés à l’abandon par la France, à la Conquête, à la domination anglaise ou à Ottawa, des Franco-Ontariens aiment casser du sucre sur le dos des Québécois, surtout s’ils sont nationalistes ou souverainistes, pour expliquer ou excuser l’anglicisation galopante de leur communauté. Et pourquoi s’en priveraient-ils, d’ailleurs? Ils trouveront toujours au Québec des alliés complaisants qui, par attachement sincère ou intéressé au Canada, diaboliseront le mouvement d’émancipation nationale que les Québécois ont hérité des Patriotes ou le réduiront qui à de l’étroitesse d’esprit, qui à de l’ignorance, qui encore à de l’ethnicisme. Le fils de Sudbury qui contrôle le journal La Presse depuis 1967 – quel hasard! – abat d’ailleurs une besogne admirable à cet effet.

Paradoxalement, le ressentiment antiquébécois des Franco-Ontariens est à la mesure de leur désir de reconnaissance aux yeux des Québécois. C’est une donnée normale et habituelle du rapport entre minorité et majorité, facilement observable au Québec à l’égard du Canada et de la France et au Canada à l’égard des États-Unis. Le dur désir de durer, celui-là même qui, de l’autre côté de l’Outaouais, maintient actuelle l’idée d’indépendance, garde en vie le feu du Canada français en Ontario. C’est pour cela que, malgré son caractère de farce politique, la reconnaissance symbolique par la Chambre des Communes d’une sorte de nation ethnique québécoise au sein du Canada uni en 2006 a suscité l’opposition de 77 % des francophones hors Québec et même d’un peu plus encore de Franco-Ontariens. C’est aussi pour cela que, dans la foulée de cette pantalonnade parlementaire, l’hebdomadaire sudburois Le Voyageur a appelé de ses vœux à la reconnaissance d’une nation canadienne-française dont personne, je présume, ne saurait dire en quoi elle consiste. La vigueur de l’opposition franco-ontarienne avait quelque chose de ridicule dans la mesure où les Franco-Ontariens pratiquent eux-mêmes, à l’échelle de leurs moyens limités, un type de souverainisme identique par nature à celui des Québécois. (J’y reviendrai dans un prochain texte.)

Le dur désir de durer, disais-je un peu plus haut. Tout semble toujours y ramener quand on est francophone en Amérique.

Laurentie: un WTF cinématographique

Il y a une couple de semaines, je suis allé voir L’acadie! L’acadie!?! à la cinémarobothèque de l’Office National du Film à Montréal avec ma blonde. Elle ne l’avait jamais vu et il fallait, évidemment, que je lui montre ce classique.  En passant par là, j’ai pris un programme pour les Rendez-vous du cinéma québécois qui était en full swing à ce moment-là. C’est en regardant le programme que je me suis dit qu’il semblait y avoir des ben bons films. Et qui l’eut cru, il y avait un film franco-ontarien.

C’est la description du film qui m’avait convaincu. En gros, Laurentie, c’est un film qui met en scène toute l’angoisse et le malaise d’un francophone cherchant à se retrouver des repères alors qu’il est confronté à une proximité menaçante de l’autre : son voisin anglophone.

Fait que, n’ayant pas vraiment le budget ou le temps de voir plus d’un film aux RVCQ cette année, je me suis dit Fuck it, forget le film franco-ontarien, je vais aller voir Laurentie à la place. D’ailleurs, je l’avais déjà vu, La Sacrée, pis ça avait plus le goût d’une Molson réchauffée qu’une bonne bière artisanale. Je sais, je sais, c’est un premier long métrage de fiction franco-ontarien, c’est important. Well, Aurore, l’enfant martyre aussi, c’était important.

Bon, back to Laurentie. Le titre de ce film québécois est une référence à ce pays lyrique imaginé par toute une génération d’intellectuels nationalistes de droite ultramontaine. Vous savez, la clique brébeufienne et certains profs de l’Université vaticane de Montréal. Oh oui, Pierre Trudeau y adhérait, je crois que vous le connaissez. En tout cas, le but de cette bourgeoisie nationaliste : la fondation d’une république catholique française fondée sur le modèle des états franquiste, en Espagne, et fasciste, en Italie.

Les réalisateurs, Mathieu Denis et Simon Lavoie, ont choisi le titre ironiquement. Le film ne se passe pas à cette époque-là; il se déroule plutôt dans le Montréal de nos jours. Louis Després, 28 ans (incarné par Emmanuel Schwartz), y va pas très bien. Non, en fait, il va assez mal. Il est perdu. Il est un être totalement asocial et il s’apprête à perdre le nord. Il emménage dans un nouvel appartement. Son voisin est un anglophone.

Pour l’anglophone la vie est belle. Il est étudiant, il est content, populaire, bref il est tout le contraire de Louis, qui l’observe discrètement, avec une fascination perverse. Louis ne parle à personne. Il ne s’intéresse pas à la banalité de la vie que se racontent ses collègues.

Certains plans-séquences durent de cinq à dix minutes. Le temps s’étire, le vide de la vie se fait sentir. Louis va boire dans un bar avec ses amis. Il se bat avec des Anglais. Louis boit de la bière avec ses chums. En silence. Louis se paye une danse contact dans un bar de danseuses. Louis se branle au travail. Louis baise sa blonde sans romantisme et à vrai dire, sans érotisme. Louis se branle dans la salle de bain de son voisin durant un party. Sans jamais jouir. Ce film est fabriqué à partir de scènes comme ça, étirées au maximum. Une scène montre même un vieux à marchette qui se dirige lentement vers la sortie de l’église. En temps réel. La seule scène où Louis semble heureux est un retour en campagne, dans un semblant de Laurentie, mais la réalité le reprendra et le ramènera de force à Montréal. Dans certaines scènes, des extraits de textes sont projetés sur l’image, citant des poèmes de Saint-Denys Garneau, Anne Hébert, Gaston Miron, Hubert Aquin qui contrastent par leur espoir d’un pays, le désespoir des images.

La force du film est  sa construction cinématographique particulière et le culot de nous montrer des scènes crues en temps réel, ce qui se voit rarement de nos jours au cinéma. Et il faut avouer que c’est un risque qui a valu la peine.

Pour ce qui est du message politique, à part critiquer le marasme du mouvement nationaliste au Québec et le manque d’identité claire et précise au Québec, il est difficile de savoir exactement ce que les réalisateurs voulaient dire.  Après la projection de branlages sur l’écran, j’ai assisté à une séance de masturbation intellectuelle au Bistro SAQ où les réalisateurs se défendent contre un panel qui ne se reconnaît pas dans leur film. « Je n’ai aucun malaise face à mes voisins anglophones » ou « Je suis capable de vivre mes deux identités sans problème », entend-on. Je crois qu’ils sont tombés à côté de la plaque. J’avais l’impression que le panel avait pris le film pour une apologie d’Hérouxville plutôt qu’un portrait de la situation qui lui donne voix. Et le besoin de régler la question, justement pour pas que l’on repasse par Hérouxville sur le chemin de l’affirmation identitaire. Mais certaines interventions des réalisateurs m’ont laissé perplexe. Je n’avais peut-être pas bien compris; c’était peut-être moi qui étais tombé à côté de la plaque. En tout cas, le film provoque la discussion, c’est déjà ça. Et explorer la complexité de cette question au Québec est aussi essentiel à la résolution de la question identitaire chez nous, en Franco-Ontarie.

Outre la question politique, le film demeure intéressant. Je ne sais toujours pas si je l’ai « aimé ». Ce n’est peut-être pas le genre de film que l’on aime ou que l’on déteste. Néanmoins, il participe et contribue à la richesse du cinéma québécois et propose autre chose d’un point de vue esthétique. Principalement pour cette raison, il mérite d’être vu.

Quand une inondation se déverse dans un complexe linguistique

Le 29 mai 1996. À Timmins, la rivière Mattagami débordait sous l’effet des crues du printemps. De nombreuses demeures étaient inondées. La nouvelle était assez grosse pour attirer les grands journaux, même du Québec.


Les inondations à Timmins ont mérité que pour une rare fois, le journal la Presse de Montréal envoie un journaliste dans le Nord ontarien et y consacre une pleine page. C’est bienvenu. Sauf qu’après avoir donné les faits sur la crue de la rivière, le reportage se dilue dans d’autres eaux. Le journaliste constate qu’il y a des francophones à Timmins et que leurs conversations passent spontanément du français à l’anglais. Il observe que francophones et anglophones s’entraident dans la catastrophe sans trébucher sur leurs langues. Et ainsi de suite jusqu’à la toute dernière phrase de l’article, qui rapporte le cri du cœur d’un sinistré : « Ça c’est ma propriété, pis j’t’assez proud de ça. Oh my God ! »

Bon, un journaliste a perdu le fil de sa nouvelle. Il n’y a pas encore de quoi faire un plat. Mais le rédacteur du gros titre, lui – qui n’est probablement pas le journaliste lui-même – a vu dans cette remarque-là la phrase clef de l’article. Donc quel est le gros titre en gros caractères de cette grosse nouvelle ? Eh, oui : « C’est ma propriété et j’t’assez proud de ça », en caractères trop gros et gras pour qu’on puisse les manquer.

C’est vrai que c’est le genre de « franglais » qu’on entend parfois en Ontario. C’est vrai que ça peut laisser une drôle d’impression. Mais comment se peut-il que dans toute cette catastrophe naturelle, c’est ce détail-là qui vole la vedette ? Si j’allais faire un reportage sur un des grands festivals touristiques de Montréal et que je l’intitulais, en gros caractères, « Des mendiants dans toutes les rues », même si c’est tristement vrai, n’est-ce pas que j’aurais l’air tendancieux ? Voilà pourtant où en sont ces journalistes québécois qui n’ont pas pu parler d’une inondation sans la déverser dans leur complexe linguistique. Et nous revoilà, pour la combientième fois, victimes de cette attitude si agaçante que tant de journalistes québécois avant celui-ci ont manifestée. Quand par un gros hasard ils sont amenés à parler de nous, c’est uniquement pour finir par dire, peu importe le prétexte, que hors le Québec, tout finit par l’assimilation. Même les inondations. Mais jamais n’est-il question pour eux de lever le petit doigt contre ça. Car nous ne sommes pas du bon pays.

Le Québec est bien loin d’imiter ce qui s’est passé en Allemagne, ce pays divisé par le rideau de fer et pourtant resté si solidaire qu’il est réuni aujourd’hui. Pendant la guerre froide, l’Allemagne de l’Ouest a trouvé toutes sortes de façons de commercer avec l’Allemagne de l’Est, de la soutenir économiquement, d’y injecter des fonds, d’entretenir des liens étroits, même si son voisin était en principe un pays souverain et hostile. Une entraide semblable s’est pourtant déjà vue entre Canadiens-Français, à une autre époque. Au tournant du siècle, de vieilles paroisses du Québec faisaient des collectes quand de jeunes paroisses françaises de l’Ontario connaissaient des malheurs. De nos jours, ce ne sont pas des idées pareilles mais des moqueries qui viennent à l’esprit des Québécois, même si c’est en Ontario que se joue en premier « leur » bataille pour la survie du français en Amérique.

Chers cousins Québécois, vous pourriez, si vous vouliez, être indépendantistes et en même temps soutenir vos cousins Canadiens-Français. Vous pourriez être souverainistes sans nous abandonner tout à fait, et surtout sans nous rabaisser à chaque occasion pour soulager votre mauvaise conscience. Mais vous semblez bien loin d’adopter une attitude aussi mature, confiante et conséquente. C’est pour ça que je vous le dis en grosses lettres majuscules : Oh ! mon dieu, je ne suis pas fier de vous.