Six fois plutôt qu’une

La scène se déroule dans un restaurant du centre-ville d’Ottawa, sur l’heure du midi.

La file s’étend jusqu’à ma table et, sans épier les conservations, je ne peux les empêcher de tomber dans mon oreille.

Deux interlocuteurs se relancent en français. Ils se demandent ce qu’ils vont commander au comptoir de sandwichs. Rien de plus banal.

«Je vais prendre un bon « sisse » pouces», lance le premier, un Franco-Ontarien.

«Tu veux dire un « si » pouces», s’empresse de corriger le second, un Québécois.

«You’re in Ontario here, man», rétorque le Franco-Ontarien du tac au tac.

La file avance et les deux interlocuteurs disparaissent.

Quelques minutes plus tard, j’en viens à me demander lequel des deux a raison. Celui qui donne une couleur locale à sa prononciation dans sa langue maternelle et qui passe immédiatement à sa langue seconde, celle de la majorité, pour se justifier? Ou celui qui s’empresse de corriger ce qu’il perçoit comme une erreur, si bénigne soit-elle, comme s’il n’existait pas d’autre accent correct que le sien?

Ça me laisse perplexe.

J’aime les accents. Ils sont qui nous sommes. Je suis le premier à tendre l’oreille lorsque j’en discerne un que je reconnais ou qui me plaît. J’aime aussi la rectitude linguistique. Celle qu’on laisse trop souvent de côté. Je suis le premier à froncer les sourcils lorsqu’une faute me saute au visage.

Alors voilà.

C’est clair que les accents et la rectitude linguistique ne font pas toujours bon ménage. Le choix est difficile. Mais je choisis l’accent. Quitte à m’écorcher la langue à l’occasion.

Je crois que le Franco-Ontarien a raison d’être fier de son accent et de sa province. Il a également raison d’envoyer paître le Québécois qui le reprend sur sa couleur locale. Le Québécois aurait tout autant raison si les rôles étaient inversés. Mais cet échange doit avoir lieu en français. Autrement, c’est concéder une demi-victoire.

À force de parler d’assimilation et du «Canada anglais» comme d’une société monolithique anglophone, beaucoup de Québécois en sont venus à croire que leur province est la seule porteuse du fait français au sein de la Confédération.

C’est peut-être le temps de se parler. Avec tous nos accents.

Tournons-nous la langue «sisse» ou sept fois, s’il le faut.