Les réseaux et la question identitaire

Il y a quelque temps, une amie montréalaise que je n’avais pas vue depuis longtemps me demandait si je suis encore nationaliste (québécois). Nous étions à Montréal. Comme tout bon visiteur bien éduqué j’ai essayé d’être aimable et poli. Mais j’avais beau chasser l’image de Pauline de ma tête, je n’ai pu réprimer un haussement d’épaule révélateur. L’amie semblait déçue:

– Tu avais pourtant des opinions solides dans le temps.

– Et bien, c’était il y a trente ans et puis, tu sais, aussi surprenant que cela puisse paraître, des idées il m’arrive encore d’en avoir une fois à tous les dix ans.

– Te sens-tu encore québécois?

J’ai soupiré. D’ennui. Puis l’amie a ajouté:

– Forcément, tu as voyagé, tu as vu d’autres cultures et t’es devenu un citoyen du monde.

Elle était cynique. Peu importe, j’ai l’habitude. Difficile de retourner au Québec sans me faire demander de décliner mon identité nationale. Ici, à Sudbury, on me demande parfois (pas souvent si on compare) si je comprends la culture franco-ontarienne. Je vais être franc: pas vraiment. Je ne me sentais pas vraiment biélorusse au Bélarus, ni azéri à Bakou. Mais mon amie déçue se trompait à mon sujet. Je reconnais que le processus de la globalisation est puissant mais l’identité globale ne me dit rien. Trop vaste pour ma petite vie qui se passe au sein de réseaux beaucoup plus précis. Ce ne sont pas des «communautés imaginées», comme dirait B. Anderson. B. Latour, un autre sociologue, parle de «réseaux» ou de «collectifs» où interagissent des acteurs humains et non-humains. Lorsque je pense à ma petite personne ces jours-ci, il y a trois «collectifs» qui me viennent à l’esprit. Ils s’activent tous ici, à Sudbury. Vous en faites aussi partie que vous soyez anglo ou franco, grand ou petit, noir, blanc, jaune ou rouge. C’est comme le smog, ces réseaux. C’est démocratique.

Le premier se compose de petites particules invisibles qui existent peut-être que dans ma tête d’inquiet qui se pose trop de questions. (Mon père, qui s’en posait peu, disait souvent que je me posait trop de questions). Bref, ces petites particules, réelles ou imaginaires, voyagent avec les vents et se posent au sol, généralement lorsqu’il pleut ou qu’il neige. C’est emmerdant parce qu’il pleut ou il neige souvent à Sudbury. Sans faire de bruit, ces petites vicieuses incolores et inodores se mêlent à l’eau et la nourriture. Dans le pire de mes cauchemars, elles cheminent jusque dans les corps de mes enfants. Elles sont radioactives, ces petites merdes que je ne peux pas saisir. Elles ont traversé l’océan pacifique pour se rendre jusqu’ici, à Sudbury. Si on pouvait lire leurs étiquettes, on verrait sans doute: Made in Japan. Et c’est gratuit. Une sorte de liquidation à ciel ouvert, si j’ose dire. Un bon exemple de ce que peut produire un mélange de privatisation et de science à vendre au plus offrant.

Mon immersion dans le deuxième «collectif» devrait pourtant me rassurer. Comme tous les autres gouvernements, le canadien a dit que ce n’était pas grave, qu’il ne fallait pas trop y penser à ces particules. Elles sont si petites et elles viennent de si loin, qu’ils ont dit. Les journalistes semblent avoir décidé de soutenir le gouvernement. Après nous avoir montré les même images pendant des jours et des jours, plus rien. Silence. Le film sur Fukushima est simplement terminé. Comme dans Hiroshima mon amour, tout rapport avec la réalité semble être devenu purement accidentel. Le plus difficile, c’est de ne pas l’oublier. C’est l’un des problèmes avec le silence. On oublie vite et facilement. Et les enfants de Sudbury continuent de manger et de respirer. Tout cela pourrait me rassurer. Il s’agirait de ne pas trop penser. Malheureusement, il y a l’affaire des «Robocalls». Cela me fait réfléchir. Qui est derrière Pierre Poutine? C’est la dernière histoire à la télé. Pourraient-ils nous mentir, tricher, ne pas respecter nos droits les plus fondamentaux? Vit-on encore en démocratie ici à Sudbury et là-bas à Montréal? Mais je pense beaucoup trop, sans doute. Et puis, il y aura peut-être le silence, une autre histoire et l’oubli.

Mais le principal problème pour les gens comme moi qui pensent trop, c’est que les espaces publics de réflexions critiques se font de plus en plus rares ici et maintenant. Je le sais. Je travaille dans un de ces espaces. Ici, à Sudbury. C’est une université. J’ai peur que cet espace soit en train d’être transformé en machine à produire de l’image et à ramasser du fric. Un espace de pouvoir et d’argent plutôt qu’un espace de réflexion et de délibérations rationnelles et égalitaires comme dirait le philosophe J. Habermas. Mais cela, on me dit d’y penser si je veux, mais de ne pas en parler. Cela pourrait nuire au marketing. Cela pourrait te mettre sur la liste noire, qu’on me dit aussi. D’autres m’ont dit qu’il n’y a rien à faire, que c’est la faute de la globalisation et du néolibéralisme. Ils ont peur, eux aussi.

Alors, qui suis-je? Cela dépend du «collectif» dans lequel je suis interactif. Parfois, je suis inquiet dans un réseau où s’activent, peut-être, des particules radioactives Made in Japan. Parfois, je reste bouche-bée devant des journalistes qui se taisent après en avoir parlé sans arrêt. Parfois, j’assiste, éberlué et décontenancé, au démantèlement tranquille d’un espace de réflexion au profit d’une logique se fondant uniquement sur l’image, l’argent et le pouvoir – comme si l’image, l’argent et le pouvoir pouvaient être des fins en soi. Il arrive aussi, comme en ce moment, que j’assiste à l’émergence de nouveaux espaces comme taGueule. Cela ne me donne pas vraiment d’identité hégémonique. Mais cela me rend fier d’être ici, avec vous. Cela me permet de trop penser, comme ils disent. De trop penser avec vous, ici et maintenant. Voilà qui je suis, en ce moment.


Photo: The waiting – anon, Hilarie Mais, 1986

Ode à la poutine, la vraie!

Avec tout le monde qui parle de Pierre Poutine et de Vladamir Poutine ces temps-ci, je commençais à avoir faim. J’avais le goût d’une bonne poutine. La vraie. L’originale. Patates frites fraîches. Sauce brune. Crottes de fromage skouick-skouick.

Mais trouver une vraie poutine est pas mal plus compliqué que je le pensais.

Nous vivons à une époque dangereuse, mesdames et messieurs. Des restaurants, d’un océan à l’autre, sont en train de commettre une fraude épouvantable! Ils vendent de la «poutine» qui ne mérite pas ce nom. Frites congelées, sauce purin, et l’ultime sacrilège, du fromage râpé.

Mais qui a inventé la poutine?

Warwick ou Drummondville? C’est un débat d’importance nationale au Québec.

Plusieurs communautés se battent pour le titre d’Inventeur de la poutine depuis 1957 (ou 1964, dépendant à qui tu le demandes).

« Les jeunes mélangeaient les frites et le fromage en grains dans le sac de papier et ensuite, ils y ajoutaient du ketchup ou du vinaigre. La sauce brune est venue après en même temps que le poulet BBQ. Le type de Drummondville disait qu’il avait parti ça en 1963. Qu’on dise ce qu’on voudra, ça me dérange pas. Tout ce que je peux dire c’est que je suis convaincu que la première poutine a été servie au Café Idéal de Warwick, une journée de fin d’août ou début septembre, en 1957. »

Fernand Lachance

L'inventure de la poutine

L’histoire la plus répandue est que ça serait Fernand Lachance qui aurait inventé la poutine accidentellement en 1957 dans son restaurant Le lutin qui rit à Warwick, Québec. Selon la légende, un de ses clients, Eddy Lainesse, aurait demandé à Fernand de mettre le casseau de fromage et le casseau de frites dans le même sac, auquel Fernand aurait répondu «Ça va faire une maudite poutine», voulant dire un méchant dégât.

Là, ça s’officialise un peu. Le Roy Jucep, restaurant de Drummondville, enregistre une marque de commerce se déclarant l’inventeur de la poutine. Jean-Paul Roy, propriétaire du restaurant en 1964, serait le premier à servir la poutine classique qu’on connaît aujourd’hui. Patates frites fraîches. Sauce brune. Crottes de fromage skouick-skouick. Selon monsieur Roy, le nom «poutine» viendrait d’une déformation du mot «pudding» et du surnom du cuisinier à l’époque, Ti-Pout. Le Roy Jucep serait donc le premier à commercialiser la poutine telle qu’on l’adore aujourd’hui.

Et ça finit pas là! Plusieurs autres se disent créateurs du fameux met national. La page Wikipédia hautement contestée en est la preuve. Chicanez-vous dans les commentaires. Je termine mon analyse des origines de la poutine là.

Larry’s vs. Riv’s

À 1h15 de route de Sudbury, à Sturgeon Falls, un village plus francophone que le Mile-End, les automobilistes de la 17 sont témoins d’une des plus importantes guerres dans l’histoire du Canada. Deux chipstands se battent à coup de pogos et de poutine depuis 25 ans. Tout le monde a sa préférence.

L’été dernier, j’attendais ma poutine au Larry’s quand j’ai aperçu Dominic Giroux, recteur de l’Université Laurentienne, qui attendait la sienne l’autre bord de la rue, au Riv’s. Nos regards se croisent. On est dans un vieux film western. Who’s gonna draw first? Nos mains flottent à quelques centimètres de nos hanches. Simultanément, on saute sur nos téléphones et on s’met à pitonner. À coup de 140 caractères, on s’tweet, on s’chicane et on s’obstine pour déterminer qui est du bon bord de la Main et qui dévorera la meilleure poutine?

Les temps ont changé, mais pas la poutine.

Des disco fries aux cheese fries

Ce que je demande c’est un retour à la poutine classique. Donc, je ne vais pas passer du temps sur les variantes… O.K. fine, il y en a des trop intéressantes à laisser passer.

Poutine italienne (avec sauce spaghetti), poutine mexicaine (avec carne asada, guacamole, crème aigre, fromage et pico de gallo), la dulton (avec saucisses ou boeuf haché), la galvaude (avec poulet et petits pois verts), poutine aux crevettes (de la Gaspésie, avec crevettes et sauce blanche au fromage), Smoked Meat poutine (duh!), poutine foie gras (frites belges, fromage du terroir et morceaux de fois gras), poutine ontarienne (ce que certains nomment la poutine au fromage râpé fait de, vous l’avez deviné, fromage râpé), etc.

En Acadie, il existe deux recettes de poutine. La poutine râpée et la poutine à trou qui est servie comme dessert. On va s’intéresser à la première.

La poutine râpée est considérée comme le plat national des Acadiens et se compare au Knödel dans la cuisine allemande. Elle est concoctée en combinant des patates cuites pilées et des patates crues. La substance est ensuite mottonnée en boules de la grosseur d’une pomme. On fourre du lard ou du porc là-dedans et on fait bouillir pendant 3 heures. C’est pas pantoute une poutine classique, mais maudit qu’ça m’donne la faim! Le stuff avec les fries y’appellent ça du «patachou» (du moins dans le coin du compté de Kent, Nouveau-Brunswick).

La poutine s’internationalise! La côte est des États a commencé à l’adopter sous le nom Disco Fries (ou Elvis Fries). Cette version de plus en plus populaire au New Jersey et à New York est faite de grosses frites, de sauce brune, et de fromage mozzarella.

J’ai beaucoup de respect pour une place comme le Frank’s Deli au centre-ville de Sudbury qui a assez de respect pour la poutine pour appeler la sienne Cheese Fries [our version of poutine]. Elle a deux des ingrédients nécessaires à une vraie poutine. Patates fraîches. Sauce brune. Mais elle utilise un mélange de cheddar et de suisse au lieu des curds classiques. Leurs Cheese Fries sont absolument écoeurantes (dans le  bon sens) mais c’est pas de la poutine et même eux le savent. J’applaudis ces institutions. Kudos!

La poutine comme arme politique

Je n’ai rien à ajouter.

À part peut-être ça…

Chambre des communes
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario)
K1A 0A9

Appelez-moi puriste, je m’en crotte

Je demande un retour à la définition traditionnelle de la poutine. Je n’ai rien contre les cheese fries, les disco fries, et toutes autres variantes exotiques, mais pour l’amour de la Ste-Sauce, n’appelez pas ça de la poutine! C’est un péché mortel!

Je propose que l’on corrige au gros stylo rouge les menus qui induisent en erreur et que l’on certifie les institutions qui font de la vraie poutine!

Vous, chers lecteurs, pouvez faire la certification des vraies poutines. Voici le certificat à imprimer en PDF. Soyez vigilant. Les patates frites doivent être fraiches, la sauce doit être chaude et le fromage doit être en crottes et faire skouick-skouick. Sans un de ces trois éléments, l’établissement ne peut pas être certifié. À vos fourchettes!

Nous ne reculerons pas devant aucune râpe! Sauce-sauce-sauce, solidarité! Patate un jour, poutine toujours!

Poutines hors Québec préférées

Leslie’s Charbroil & Grill, Sudbury, Ontario
9 Main Street East, Chelmsford, Ontario
JP’s, Chelmsford, Ontario
Poutine Palace, Azilda, Ontario
Larry’s Chip Stand, Sturgeon Falls, Ontario
Chez Nous, Timmins, Ontario
Murray’s Street, Ottawa, Ontario
Fritomania, Orléans, Ontario
Glen’s, Kanata, Ontario
Cantine Landriault, Alfred, Ontario
Casse-Croûte St-Albert, St-Albert, Ontario
Micko’s, Heast, Ontario
Ed’s Submarine, Moncton, Nouveau-Brunswick
La Maribel, Caraquet, Nouveau-Brunswick
La Bottine du Festival du Voyageur, Winnipeg, Manitoba
Garage Café, Winnipeg, Manitoba
Prospect Point, Vancouver, Colombie-Britannique

Votre poutine traditionnelle préférée n’est pas là? Commentez et je la rajouterai.

Nos poutines québécoises préférées

La Pataterie Hulloise, Hull, Québec
Chez Morasse, Rouyn-Noranda, Québec
La Banquise, Montréal, Québec
Prince Pizzeria, Sorel, Québec
Hôpital de Val d’Or, Val d’Or, Québec
Chez Ashton, Québec, Québec

Lectures recommandées

New York s’amuse à découvrir la poutine, Cyberpresse
MaPoutine.ca


Photo: Poutine is for lovers

Tu ne voleras point

Mon ti-loup,

Je prends une fois de plus le temps de t’écrire parce que je n’aime pas parler à une machine pour laisser des messages.  Il faut que je te dise absolument que je ne suis pas très fière de ce vous faites toi et ta bande.

Veux-tu bien m’expliquer c’est quoi ces histoires de robots qui appellent du monde pour leur raconter des mensonges? Premièrement, un robot, ça ne parle pas et si ça parle, ça ne raconte pas de menteries.  Maman ne pensait jamais que tu ferais quelque chose comme ça mon trésor.  Tu sais pourtant que c’est contre nos valeurs de raconter des mensonges, on te l’a répété souvent. Et ne me dis pas que ce n’est pas toi, je te connais trop bien.  N’oublie pas, une maman sait tout! Tu dois cesser de jeter la faute sur les autres mon bébé. Tu es un grand garçon maintenant et tu dois prendre tes responsabilités!

Quand t’étais petit, ton entraîneur au hockey avait dit aux joueurs de l’équipe des rouges que la partie aurait lieu dans un aréna à l’autre bout de la ville. Tu te souviens? Comment oublier une telle humiliation! Vous aviez gagné par défaut ce soir-là. Que Dieu vous bénisse! J’étais tellement gênée que mon p’tit poussin soit associé à une telle ignominie. Papa disait que vous l’aviez volée celle-là.  Il n’avait pas tort pour une fois. On te l’a répété souvent mon chéri : « Tu ne voleras point ». Tu sais très bien de quoi je parle.

Ce qui m’inquiète le plus, c’est que tu commences à te comporter comme l’espèce de cowboy du Texas qui a des petits yeux rapprochés. Tu sais, ses parents n’ont jamais vraiment eu confiance en lui. Mais moi je t’aime mon ti-pou et je serai toujours là pour toi.

Prends soin de toi mon poussinot.

Xxx

Maman