Lettre à un jeune poète: Jasmin Ahossin-guezo

Salut Jasmin,

J’espère que tout baigne à Cotonou, que tes spectacles se multiplient et que les gens sont toujours aussi nombreux à recevoir tes vers.

J’avoue que les poètes d’ici pourraient facilement être jaloux du respect et de l’intérêt dont jouissent les poètes et les conteurs du Bénin. Pour ma part, j’ai rarement connu cette qualité d’écoute qui, la première fois que j’ai lu des textes au Centre culturel francophone de Cotonou, m’a (presque) laissé bouche bée, m’invitant à exagérer certains silences afin de mieux savourer l’attention soutenue que m’offraient ces quelques centaines de personnes de tout âge venues découvrir des poètes et des influences de partout.

Dans une lettre récente, tu décrivais ton envie de trouver une maison d’édition en Europe ou au Canada, et tu me demandais de  fournir des adresses. M’est tout de suite revenue cette phrase que tu as publiée un jour sur ta page Facebook: «Derrière chez moi, l’horizon est chez lui». C’est de ce côté que j’ai décidé d’orienter mes propos.

D’abord, un survol de la situation au Canada français. En général, les maisons d’édition se débrouillent ou «survivent» grâce à des subventions qu’une certaine crise économique et les instances gouvernementales rongent de plus en plus. J’ajouterai qu’en Ontario, le domaine de l’édition est relativement jeune. Somme toute, la naissance des premières maisons d’édition de «l’époque moderne» ne remonte qu’au début des années 1970. Ces maisons sont petites (trois ou quatre employés et un comité d’édition composé surtout de bénévoles), les plus audacieuses publiant entre dix et douze livres par année. Il va sans dire que chaque maison a «ses auteurs», ceux qui nourrissent son catalogue, ceux qui au fil des années ont su se tailler une place dans le paysage littéraire. En plus, chaque maison a un mandat que d’aucuns qualifieraient de politique. Par exemple, une maison d’édition franco-ontarienne, tout en demeurant ouverte aux auteurs de l’extérieur, accordera la priorité aux auteurs de l’Ontario, question de promouvoir la littérature des gens d’ici. Il en va de même pour la plupart des maisons du Québec, du Manitoba, de l’Acadie… Certes, il n’est pas impossible de faire accepter un manuscrit si on vit à l’extérieur du Canada, mais dans ton cas, permets-moi de douter qu’il s’agisse de la voie à suivre.

D’une part, il est clair que tu aimes présenter tes textes en public. Cela se voit et s’entend. D’autre part, tu as participé à des festivals internationaux où des auteurs débarquaient avec leurs recueils publiés en France, en Suisse, en Belgique, au Canada… Chemin faisant, tu as même eu l’occasion de rencontrer des poètes franco-ontariens (mdr). De là peut-être ton intérêt de publier, de t’offrir cette «carte de visite».

Cela dit, je trouve que la prestation live demeure ta plus grande force. Slammeur avant tout, adepte de ce style né aux États-Unis au milieu des années 1980 (grâce entre autres à Marc Smith), tu manies bien la liberté que t’offre cette discipline. Tu possèdes des talents d’orateur indéniables et tu réussis à te faufiler entre le sketch, le conte et le poème. Issu d’une longue et riche tradition orale, fils spirituel de ceux qui t’ont précédé (je n’oublie pas Nouréini Tidjani-Serpos que j’ai eu le plaisir de côtoyer), tu dis, traduis, craches désirs, tristesses, moments d’hésitation ou de joie… Et tu réussis à le faire avec une sincérité, avec une modestie qui ne laissent personne indifférent.

Un texte, une salle, un micro. Tu installes la cadence, malaxant les syllabes, consonnes, voyelles de ton «poème minéral (…) tour à tour/terre à terre/éolien/caniculaire…», créant un réseau de sonorités et de sens qui dansent et montent… jusqu’au dernier vers.

«Poème rien du tout
Poème toutes choses
toutes proses
Poème inanité virile
Poème gratuité inhibée
Poème qui se tait»

Et quand un poème se tait, «au lendemain des flammes éteintes», tu passes de ta cour à l’universel, tu «[épures] le temps à rebrousse-sens», disant le jour qui fuit ou l’attente d’une enfant, ce «soleil dans l’altérité du soi», cette «promesse hasardeuse». Et tu inaugures «le chant à l’âme qui vient», frôlant au passage l’insondable grandeur d’une rencontre…

«Pour le créateur rien n’est pauvre, il n’est pas de lieux pauvres, indifférents» affirmait Rainer-Maria Rilke dans ses lettres écrites entre 1903 et 1908. Et ta plume n’arrête devant rien. Néanmoins, j’ai l’impression que ta personnalité passe d’abord et avant tout par le son, par la voix et les mots qui atteignent les gens sans l’intermédiaire de la lecture. Contrairement à ma génération (au début du moins), où la page était le seul support valable, tu disposes de ressources te permettant d’explorer d’autres avenues. Somme toute, tu n’es pas contraint à publier pour partager l’univers qui t’habite.

Non, je n’ai rien contre l’écrit. J’aime et j’aimerai toujours le papier, les livres bien ficelés. Cependant, dans ton cas, je te propose plutôt de miser sur le studio d’enregistrement et la scène, de pique-niquer «à la source du soleil» comme le dit Tidjani-Serpos. Chacun ne doit-il pas trouver son/ses instrument/s? Et ceux-là, à mon avis, te conviennent parfaitement.

Au plaisir de t’entendre!

Ton ami derrière l’eau


Photo: M’Blink

Lettre à un jeune poète : Rêver au réel de Daniel Groleau Landry

Salut Daniel!

En 1929, dans Briefe an einen jungen Dichter (Lettres à un jeune poète), Rainer-Maria Rilke écrivait: «Pour aborder les oeuvres d’art, rien n’est pire que la critique.» Je t’écris donc à titre de simple lecteur qui découvre ton recueil de poèmes, Rêver au réel.

D’emblée, il est clair que tu aimes le langage et le jeu qu’il te propose (j’ai parfois l’impression que ce sont les sonorités, la musicalité du langage… qui te guident, t’entraînent, te permettent de t’abandonner à une forme d’automatisme où s’enchaînent les idées, les mots…) comme en témoigne cet extrait:

«ripostes et revirements océaniques
en vagues et tourbillons arrondis par
les frictions de fiction et scissions dans les
fissions sur les fissures en sutures sur l’azur
craquelé de morsures et morcelé de rayures
surréalistes et liquides dans les limpides
briques dans les embrasures
des rictus de la lune diurne en éclats de citernes
et les mots les mots les mots»

(page 60)

Il y a souvent une urgence dans ton écriture. Déjà en 2005, je l’ai senti quand, pour la première fois, je t’ai entendu lire quelques-uns de tes textes (embryonnaires, diras-tu) lors d’une soirée de poésie qui avait lieu au Théâtre du Nouvel-Ontario. À l’époque, tu avais 15 ans et tu osais. Puis, en 2008, quand je me suis penché sur tes textes publiés dans La Ville invisible/Site Unseen, j’ai compris que le «jeu» se précisait, que tu découvrais l’élan qui t’a mené à Rêver au réel. Au fil des années, tu m’as envoyé des ébauches, je t’ai fait part de quelques commentaires. Et un jour, tu as soumis ton manuscrit aux Éditions L’Interligne et tu as enclenché le processus éditorial. Une nouvelle discipline sans doute pour celui qui écrit si rapidement, qui aime la spontanéité de lire ses textes en public…

La voix et les vers. Là où s’entremêlent des images qui fouettent, caressent, dénoncent parfois, qu’il s’agisse du désir charnel, de cette langue («un désert de papier sablé»), du «désordre confortable», des limites qu’on ne connaît pas «avant d’atteindre l’âge adulte», de la modernité qui contient «le potentiel de sa propre déchéance», de cette sirène qui «chante la mort des naufragés»…

Puis, intervient la solitude, cette solitude intérieure qu’on arrive difficilement à calmer, cette solitude que nous sommes, cette puissance venue d’on ne sait où qui nous prend comme «le néant de la page blanche», cette amie qui nous dévore.

«la solitude est un état d’esprit la solitude est un étau
d’esprit la solitude est un étal d’esprit
la solitude est un état
la solitude est la solitude et
la solitude hait la solitude

elle est ostentatoire tels les enfants de l’encensoir

(…)

la solitude est un ami fidèle
qui ne sait pas quand retourner chez lui»

(pages 66-67)

De la déchirure aux stigmates des émotions, des «caressantes certitudes de l’amour» au désir, du rêve au réel, tu jongles avec des oppositions qui deviennent à la fois le moteur de ton écriture et un besoin:

«besoin de soulager ma douleur
avec la médecine de la poésie
besoin de coucher avec la poésie
besoin de créer
de la beauté
dans l’univers
pour oublier
l’aile fracturée
de ma colère.
pour oublier
la futilité
de nos civières.»

(page 89)

Une lecture en diagonale de Rêver au réel révèle d’abord un recueil touffu qui respecte le style et l’énergie de tes premiers vers. Cela dit, tu pousses l’aventure plus loin et une première lecture ne permet pas toujours de décortiquer les sens qui se dévoilent et se digèrent lentement.

D’aucuns parleront peut-être d’une poésie qui se veut parfois «cérébrale». Je n’aime pas les étiquettes. En tant que lecteur, je préfère me laisser bercer, prendre mon temps, «participer» au jeu offert… Et sept ans après notre première rencontre, je me réjouis de te savoir dans ce métier instable de poète, ce métier nécessaire et sans uniforme, parfois isolé et souvent exigeant qui transcende ou exprime nos soucis quotidiens, nos besoins profonds.


Daniel Groleau Landry est présentement au Salon du livre de l’Outaouais. Allez le rencontrer au stand no. 501.

Daniel Groleau Landry, Rêver au réel, Ottawa, Éditions L’Interligne, 2012, 142 pages. ISBN: 978-2-923274-87-4