L’homo francophonensis ou l’histoire d’une coquille vide

Montréal, un 18 mars, il y a environ 5 ans. Nous sommes en plein défilé de la Saint-Patrick. Une journaliste est sur place pour décrire l’événement. Un travail impeccable, sauf pour une phrase qui m’avait, disons, agacé. En décrivant la foule qui s’était déplacée pour participer à la fête, elle tenait à souligner que toutes les communautés culturelles étaient représentées: «Il y avait des Irlandais, disait-elle, mais aussi des Écossais, des Haïtiens, des Chinois et des francophones…»

Ce n’était certainement pas la première fois qu’on me «francophonisait», mais c’est ce jour là que j’ai vraiment pris conscience de toute la portée de cette dernière invention de la rectitude politique. Le temps aurait pu enjoliver les choses et rendre le terme plus acceptable. Au contraire: ma «francophonité» m’irritait à l’époque. Aujourd’hui, elle me fâche. Pourquoi? Parce que le mot «francophone» réduit des millions de Canadiens français à un seul aspect de leur identité: la langue. Il fait du moine l’habit qu’il porte. Par ailleurs, le référant «francophone» n’est accepté que parce qu’il est utile, parce que la langue française est un outil de communication tangible et incontestablement unique en Amérique. Même les ténors de l’antinationalisme le plus primaire n’ont pas encore réussi à nous convaincre que la langue est une invention sociale.

La création de l’être «francophone» vide l’identité collective de près du quart de la population canadienne de toute sa substance. Tous les dictionnaires et tous les ouvrages de référence en témoignent. Leur définition du mot «francophone» est claire: «qui parle français». Rien sur les Franco-Ontariens, rien sur les Québécois, rien sur les Acadiens. Niet. Un francophone, ce n’est rien d’autre qu’un locuteur de la langue française. Bien entendu, le nom commun peut aussi se transformer en adjectif; il peut être attaché à un pays, ou à une nation. On peut parler d’un pays francophone par exemple, ou d’une nation francophone. Tout ce qu’il faut c’est qu’une partie au moins des gens auxquels ont fait référence parlent le français.

Mais voilà, au Canada, l’adjectif a pris la place du nom propre. Il a pris toute la place. Nous avons cessé d’être des gens «qui parlent le français» pour devenir strictement des… «parlent le français». Des francophones. Comme un Irlandais qui n’en est plus un parce qu’il parle anglais, ou gaélique. Il est anglophone, ou gaélophone. C’est vrai, il existe une différence importante: est Irlandais le citoyen de l’État d’Irlande, alors qu’il n’existe pas d’État souverain franco-ontarien, acadien ou québécois. Mais allez dire aux Cullen et aux O’Toole des États-Unis qu’ils ne sont pas irlandais parce que leur passeport n’est pas émis à Dublin. Allez dire aux Catalans qu’ils sont «catalophones» où tout simplement qu’ils ne sont pas catalans s’ils sont «hispanophones».

L’existence d’un État qui puisse donner corps à une identité nationale facilite certainement la définition d’une communauté. Reste qu’il est loin d’en être le seul élément constitutif. Même les plus farouches défenseurs du nationalisme dit «civique» le reconnaissent. Une certaine idée de la nation a traversé les siècles: celle qui se définit à travers une culture commune, une histoire commune, et un territoire commun. Canadien-français, vietnamien, gallois, arménien, bantou, wallon… La liste est longue comme l’Histoire du monde. Mais jamais jusqu’à maintenant un peuple ne s’était défini que par une langue.

Je suis francophone. Je suis un «qui parle français». Et si je parlais anglais? Je deviendrais alors un «qui parle anglais»? Non? Non. Je deviendrais alors un Canadian. C’est tout. Parce que cette façon de vouloir écraser notre identité nationale sous un vocable plus «inclusif» cache un profond malaise. Certains lui ont déjà donné un nom à ce malaise. L’historien Jacques Beauchemin l’a appelé «refus de soi».

Au Canada, la naissance du «francophone» comme référent identitaire quasi-exclusif est directement lié au déchirement du projet d’émancipation nationale: le mouvement indépendantiste québécois doit sa naissance à un désir de faire perdurer la «grande aventure des Français d’Amérique», des Canadiens français. Pourtant, déjà depuis la fin des années 1960, une frange toujours plus importante du mouvement a tenu à prendre ses distances par rapport au nationalisme dit «ethnique» canadien-français. Résultat: on vend l’identité «québécoise» plus civique, plus inclusive, dans l’optique de donner corps à une nation dont on nie l’existence. C’est l’aporie. Les Canadiens français nient leur existence propre pour continuer à exister! Le projet d’indépendance au Québec n’aurait aucun sens sans son moteur canadien-français ou franco-québécois, pour rester dans l’air du temps. D’ailleurs déjà, le mouvement commence à comprendre tout ce qu’il a perdu en troquant son héritage canadien-français pour le vocable plus «convenable» de francophone: sa raison d’être, et donc, son espoir de convaincre une majorité de Québécois d’adhérer à son projet.

Le Canada n’est pas le seul pays où l’on retrouve ce type de refus de soi motivé par un prétendu «patriotisme constitutionnel». L’Occident dans sa quasi-totalité est confronté à ce même «idéal civique» de l’identité nationale, totalement allergique à toute notion de communauté ancrée dans la mémoire, la culture et l’histoire. Né à gauche du spectre politique, c’est le rêve de l’égalité sans limite, quitte à nier l’histoire, l’héritage culturel, ou même jusqu’au bagage familial. Rien qui puisse provoquer le rejet de l’un, ou de l’autre, par l’un, ou par l’autre. Mais pour arriver à ce monde idéal de la feuille blanche, où tout individu peut se construire comme il le veut à partir de rien, il faut d’abord effacer tout relent d’Histoire. Tout ce qui pourrait créer un «nous» et un «eux»… Bref, purger toute la nation de sa substance pour ne laisser qu’une coquille vide.

C’est ça être francophone. C’est une coquille vide. C’est ce qui reste d’une communauté culturelle après que le vampire bien-pensant l’a vidée de toute sa substance culturelle et de toute sa mémoire. Fini le nationalisme trouble-fête qui vient ruiner la grande célébration du genre humain tout-le-monde-il-est-pareil-et-tout-le-monde-il-est-égal par le maintien d’une véritable diversité!

Oui! Le nationalisme est capable des pires crimes et des pires horreurs. Pas besoin de remonter très loin dans l’Histoire pour en avoir la preuve. Oui, l’idée est dangereuse, mais elle est aussi créatrice. Elle est aussi libératrice. L’art, les valeurs partagées, la mémoire collective: ce sont sans doute les dernières préoccupations des chiens et des chats, mais pour le genre humain, ce sont des planches de salut. En fait, notre attachement à ces abstractions est peut-être précisément ce qui fait de nous des Hommes.

J’ai peine à imaginer l’ennui d’un monde sans identité nationale «substantielle», sans histoire, sans mémoire et sans culture. Un monde sans «nous» fondé sur  l’utilitarisme, sur une langue pour nous comprendre, sur des lois pour ne pas nous taper dessus, et sur un territoire pour travailler et consommer. Et faire de l’argent. À mes yeux, dans sa définition actuelle être francophone c’est exactement ça. C’est réduire l’identité à un simple outil du vivre-ensemble. Ou plutôt, du vivre côte-à-côte.

Nous aurons un autre bel exemple de tout ce que je viens d’écrire à Toronto dans quelques jours, à l’occasion de la «Franco-Fête». Pour la fin de semaine du 24 juin. Eh oui! La Saint-Jean-Baptiste, c’était trop «canadien-français», c’était pas assez inclusif. La fête est devenue celle d’un peuple sans substance et sans mémoire. Et si l’idée vous prend de justifier cet abandon de la Saint-Jean parce qu’elle est devenue la «Fête nationale» des Québécois, ravisez-vous: 82% des Québécois sont aussi des Canadiens français confrontés à la même «francophonisation» de leur identité.

Mais prenez garde, chantres de la «francophonisation» du fait français en Amérique! Aussi nobles qu’aient été vos mobiles, l’enfer demeure pavé de bonnes intentions. À force de vouloir nier l’Histoire par souci d’inclusion, vous risquez de créer un mal plus grand encore que celui que vous souhaitiez éviter. Un retour du balancier. De Vancouver à St-John, sachez qu’ils sont encore nombreux ceux et celles qui savent très bien que la langue n’est pas la seule chose qu’ils partagent. Il ne suffit pas de nier l’existence d’un peuple pour le faire disparaître.

Les luttes étudiantes au Québec : 1956-2012

Certes, le Code du travail du Québec ne s’applique pas aux étudiantes et aux étudiants en grève et, en ce sens, ils ne peuvent pas être considérés comme des salariés. Pourtant, comme les 20 000 professeures et professeurs de cégeps, les 45 000 employées et employés de la fonction publique ou les 90 000 enseignantes et enseignants des commissions scolaires, pour ne nommer que ceux-là, les étudiantes et les étudiants constituent une catégorie sociale dont les conditions de vie sont largement tributaires des relations, souvent conflictuelles, qu’elle entretient avec l’État québécois.

Depuis la prise en charge de l’Éducation par l’État au début des années 1960, celui-ci en est venu à jouer un rôle déterminant dans le mode de vie des étudiantes et étudiants de l’enseignement supérieur. Les transferts en nature (le financement des frais de scolarité) et en espèces (le programme d’aide financière aux études) sont, en effet, au cœur de la structuration de la réalité financière quotidienne d’un nombre important d’étudiantes et d’étudiants, comme en témoignent les statistiques et les revendications du mouvement étudiant au cours des cinquante dernières années.

À l’automne 2010, il y avait 180 436 étudiantes et étudiants inscrits dans les collèges et 275 472 dans les universités au Québec. Les dépenses globales de l’État par étudiant s’élevaient à 12 756 $ au collégial et à 29 242 $ à l’université1. En 2009-2010, l’aide totale accordée aux étudiantes et aux étudiants en vertu du programme d’aide financière aux études s’élevait à 876,7 millions $. 21,3 % des étudiantes et des étudiants du réseau collégial et 38,9 % de celles et ceux du réseau universitaire bénéficiaient d’une aide. Au total, près de 142 000 étudiantes et étudiants ont bénéficié du programme de prêts et bourses2.

Mais, et c’est ici que ça compte, ces transferts en nature et en espèces occupent, depuis le début des années 1960, une place centrale dans la structure du revenu des étudiantes et des étudiants. En effet, en moyenne, entre le début des années 1960 et le début des années 2000, le quart du revenu disponible des étudiantes et des étudiants provient de l’aide financière aux études. Ce qui en fait, après les revenus tirés d’un travail rémunéré, la deuxième source de revenus en importance3.

Il n’est donc pas surprenant de constater que les luttes étudiantes, surtout depuis la réforme du programme de prêts et bourses en 1966 sous le gouvernement de l’Union nationale, tournent presque essentiellement autour du gel des frais de scolarité et de la bonification du programme d’aide financière aux études.

Le mouvement étudiant québécois déclenche dix grèves générales entre 1956 et 2012. Et si les organisations étudiantes à l’origine de ces mobilisations se sont succédé au cours de cette période, leurs revendications sont demeurées les mêmes. Ainsi, le mouvement étudiant revendique l’abolition ou le gel des frais de scolarité (1958, 1968, 1974, 1978, 1986, 1990, 1996 et 2012). La bonification du programme des prêts et bourses est aussi au cœur des luttes étudiantes au cours de cette période. Le mouvement étudiant réclame entre autres l’instauration d’un présalaire (1956, 1978), la diminution du montant des prêts au profit d’une augmentation de celui des bourses (1968, 1974, 1978, 1988 et 2005), l’abolition de la contribution parentale et de celle de la conjointe ou du conjoint (1974 et 1978) et, de façon générale, la fin de l’endettement étudiant.

À travers leurs moyens d’action, leurs modes d’organisation et leurs revendications, les étudiantes et les étudiants ne visent pas seulement une accessibilité plus grande aux études supérieures et un élargissement des droits sociaux qui sont rattachés à leur statut, mais surtout une contestation des normes régissant leur existence au cours de cet instant précis de leur vie, car, et on l’a vu, les transferts de l’État en enseignement supérieur jouent un rôle déterminant sur le mode de vie d’un nombre significatif d’étudiantes et d’étudiants. Par conséquent, lorsque l’État décide de modifier unilatéralement le financement de l’éducation supérieure, par un dégel des frais de scolarité ou par une modification du programme d’aide financière aux études, il affecte profondément les façons de vivre, comme se loger, se vêtir et se nourrir, des étudiantes et des étudiants.

Somme toute, tout comme les autres groupes sociaux qui négocient leurs conditions de vie avec l’État, les étudiantes et les étudiants forment une catégorie sociale qui défend ses intérêts face à un État qui, trop souvent, définit seul les contours de leurs conditions de vie.


Quelques jalons historiques : 1956-2012

Octobre 1956

1 000 étudiantes et étudiants marchent sur le Parlement à Québec. Elles et ils revendiquent l’abolition des frais de scolarité et du système de prêt étudiant, l’institution d’un présalaire étudiant et, plus largement et à plus long terme, la gratuité scolaire à tous les niveaux d’enseignement.

Mars 1958

Environ 21 000 étudiantes et étudiants universitaires sont en grève générale illimitée pour dénoncer le gouvernement de Maurice Duplessis qui refuse de négocier. Parallèlement, une étudiante (Francine Laurendeau) et deux étudiants (Jean-Pierre Goyer et Bruno Meloche) occupent les bureaux du premier ministre.

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Septembre 1961

Adoption par l’Association générale des étudiants de l’Université de Montréal (AGEUM) de la charte de l’étudiant universitaire. Il s’agit d’une adaptation québécoise de la Charte de Grenoble du mouvement étudiant français. Selon certains, c’est la naissance du syndicalisme étudiant.

13 mai 1964

Création du ministère de l’Éducation à la suite des travaux de la commission Parent.

Novembre 1964

Fondation, au Centre social de l’Université de Montréal, de l’Union générale des étudiants du Québec (UGEQ). La nouvelle organisation revendique l’abolition des frais de scolarité, la reconnaissance des étudiantes et des étudiants comme de jeunes travailleurs intellectuels ayant droit à un salaire, la cogestion et la création de nouvelles institutions publiques.

Octobre 1968

Le 12 octobre, une quinzaine de cégeps, certaines facultés et certains départements universitaires sont en grève générale illimitée pour réclamer une meilleure planification de l’accessibilité au marché du travail, la gratuité scolaire, la création d’une deuxième université de langue française à Montréal, la bonification du programme des prêts et bourses, la cogestion et l’abolition de la politique des présences obligatoires au cégep.

Le 21 octobre, 10 000 étudiantes et étudiants participent à une manifestation à Montréal. Celle-ci est suivie d’une nouvelle vague de grèves et d’occupations en novembre. Des lock-out sont décrétés aux cégeps Édouard-Montpetit, de Chicoutimi et de Jonquière.

À la suite de cette mobilisation, les frais de scolarité sont gelés jusqu’en 1990.

Mars à septembre 1969

Dissolution de l’UGEQ, de l’AGEUM et de l’Association des étudiants de l’Université Laval (UGEL). Certains leaders du mouvement étudiant d’octobre 1968 considèrent, malgré les gains, que cette mobilisation fut un échec.

Automne 1974

Un premier mouvement de grève s’amorce le 9 octobre aux cégeps de Rosemont, de Joliette, de Rouyn-Noranda, de Saint-Hyacinthe et de Saint-Jean pour réclamer le retrait des tests d’aptitude aux études universitaires (TAEU). Le gouvernement du Québec retire les TAEU.

En novembre, une nouvelle mobilisation voit le jour au cégep de Rimouski afin d’abolir les frais de scolarité et d’améliorer le système des prêts et bourses (suppression de la contribution parentale et de celle du conjoint, diminution de la contribution de l’étudiante et de l’étudiant et diminution du montant maximum du prêt de 700 $ à 500 $). Le mouvement de grève gagne rapidement du terrain et une trentaine de cégeps y adhèrent, en plus de certaines écoles secondaires et des départements universitaires. Environ 100 000 étudiantes et étudiants sont alors en grève.

Dans la semaine du 9 au 14 décembre, la police antiémeute intervient dans plusieurs cégeps, à la demande des administrations locales qui tentent de briser la grève par le recours au lock-out.

22 mars 1975

Fondation de l’Association générale des étudiantes et étudiants du Québec (ANEEQ) à l’Université Laval.

Automne 1978

En abandonnant ses promesses électorales en matière d’éducation (gratuité scolaire à tous les niveaux et instauration d’un présalaire pour les étudiantes et les étudiants), le gouvernement péquiste mobilise les troupes étudiantes.

Le 7 novembre 1978, les étudiantes et les étudiants du cégep de Rimouski votent pour la grève générale illimitée. Elles et ils sont suivis quelques jours plus tard par celles et ceux de Chicoutimi et de La Pocatière. Le 23 novembre, on compte une trentaine d’établissements impliqués dans le mouvement. Le même jour, une manifestation de 1 500 personnes, qui se tient devant les bureaux du ministère de l’Éducation à Montréal, se transforme en occupation improvisée.

Les étudiantes et les étudiants de l’UQAM rejoignent le mouvement. C’est la première fois qu’une université est complètement fermée en raison de cet exercice du droit de grève. Plusieurs départements des sciences humaines des universités de Montréal et de Laval décident aussi de joindre le mouvement.

Au total, plus de 100 000 étudiantes et étudiants des collèges et des universités sont en grève générale. Elles et ils réclament l’abolition des frais de scolarité, l’abolition de la contribution parentale et de celle du conjoint, l’abolition de l’endettement étudiant, la diminution de la contribution étudiante et, à moyen terme, la gratuité scolaire intégrale.

Automne 1986

Le 7 octobre 1986, les étudiantes et les étudiants du Vieux-Montréal amorcent un mouvement de grève et revendiquent le maintien du gel des frais de scolarité jusqu’à la fin du mandat du gouvernement Bourassa, le retrait des frais afférents à l’université et une réforme du programme d’aide financière aux études.

Le mouvement regroupe environ 25 associations, dont une seule universitaire, l’Association générale des étudiants de l’Université du Québec à Montréal (AGEUQAM). Plusieurs départements de l’Université de Sherbrooke votent pour la grève, mais les autres composantes ne suivent pas, ce qui empêche le débrayage.

Le 22 octobre 1986, le gouvernement s’engage à maintenir le gel des frais jusqu’en 1989, mettant fin au mouvement.

Automne 1988

Le 26 octobre, plus de 100 000 cégépiennes et cégépiens amorcent une grève de trois jours dans 23 des 44 établissements du Québec pour réclamer une amélioration du régime des prêts et bourses. Cinq autres établissements se joignent par la suite au mouvement.

Le 29 octobre, l’Association nationale des étudiants et étudiants du Québec (ANEEQ) se prononce en faveur du déclenchement d’une grève générale illimitée. Le mouvement s’enclenche avec le ralliement d’une vingtaine d’associations étudiantes, mais certaines, collégiales, s’y opposent.

Le mouvement décline et l’ANEEQ met fin à la grève le 13 novembre. Les cours reprennent dans les cégeps, mais la grève déclenchée le 2 novembre par les 12 000 étudiantes et étudiants des sciences humaines, arts et lettres de l’UQAM se poursuit pendant trois jours.

1990

L’Association nationale des étudiantes et des étudiants du Québec (ANEEQ) et la nouvelle Fédération des étudiantes et étudiants du Québec (FEEQ, qui deviendra plus tard la FEUQ) lancent un mouvement pour s’opposer au dégel des frais de scolarité (les frais universitaires, qui sont de 540 $ – gelés depuis 20 ans – devaient passer à 890 $ l’année suivante, puis à 1240 $ l’année d’après).

Même si la majorité des associations étudiantes n’ont pas obtenu le mandat de grève, les étudiantes et les étudiants en sciences humaines et en arts et lettres de l’UQAM débrayent le 13 mars. Ils sont suivis le lendemain par les étudiantes et les étudiants du Cégep de Rimouski et de l’Université du Québec à Rimouski, ainsi que par celles et ceux des cégeps de Saint-Laurent, de Joliette et de Rosemont.

Plusieurs manifestations, parfois accompagnées d’arrestations, marquent les journées de protestation. Au plus fort de la mobilisation, seulement une douzaine de cégeps et trois universités (l’UQAM, l’UQAR et l’Université de Montréal) étaient en grève. Le mouvement perd de son importance et ne réussit pas à faire fléchir le gouvernement.

1993

Dissolution de l’ANEEQ.

Automne 1996

Les étudiantes et les étudiants du cégep Maisonneuve déclenchent une grève générale, le 23 octobre, pour protester, notamment, contre la possibilité que le gouvernement péquiste hausse les frais de scolarité à l’université et augmente les frais afférents au cégep.

Les cégeps du Vieux-Montréal et Marie-Victorin emboîtent le pas. La Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) décident, le 31 octobre, de se joindre au mouvement, qui s’étendra alors à plusieurs établissements.

Le 8 novembre, 23 cégeps sont en grève, soit plus de 60 000 étudiantes et étudiants sur un total de 165 000. Les étudiantes et les étudiants de McGill, de l’Université de Montréal, de Concordia et de l’UQAM rejoignent le mouvement.

La ministre de l’Éducation, Pauline Marois, annonce, dix jours plus tard, le gel des frais de scolarité à l’université et le maintien du plafond des frais afférents au cégep. Le mouvement prend fin le 25 novembre après une vingtaine de jours de grève.

Hiver 2001

Fondation de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) au cégep de Valleyfield.

Hiver 2005

Six cégeps et une douzaine d’associations étudiantes universitaires entrent en grève générale illimitée le 21 février afin de protester contre la conversion de 103 millions $ de bourses en prêts. Environ 185 000 étudiantes et étudiants sont en grève au plus fort de la mobilisation.

La FEUQ et la FECQ en arrivent finalement, après près de 6 semaines de grève, à une entente de principe avec le ministère de l’Éducation, qui consiste à réinvestir 482 millions de dollars de prêts en bourse, pour les cinq prochaines années. Le retour des 103 millions de dollars est promis pour 2006. La FEUQ invite alors ses membres à accepter l’offre pour mettre fin à la grève tandis que la FECQ qualifie l’offre de suffisamment intéressante. La Coalition de l’association pour une solidarité syndicale étudiante élargie (CASSÉÉ), qui a été exclue des négociations avec le gouvernement, invite ses membres à rejeter l’offre de principe et à continuer les moyens de pression.

Sur les 185 000 étudiantes et étudiants ayant participé au mouvement de grève générale illimitée, 110 000 votent contre l’entente, alors que 75 000 l’acceptent. La majorité des associations membres de la FECQ et de la FEUQ entérine toutefois l’entente de principe, d’où l’arrêt rapide de leurs moyens de pression, alors que bon nombre d’associations membres de la CASSÉÉ poursuivent la grève jusqu’au 14 avril.

Hiver et Printemps 2012

Le 13 février, des associations étudiantes lancent un mouvement de grève pour contrer la décision du gouvernement du Québec d’augmenter annuellement de 325 $ les droits de scolarité dans les universités, et ce, pendant cinq ans.

La grève est déclenchée le 13 février 2012 par l’Association des chercheuses et chercheurs étudiants en sociologie de l’Université Laval et le Mouvement des étudiantes et des étudiants en service social de l’Université Laval. Ils sont suivis dès le lendemain par les facultés des sciences humaines, de science politique, de droit et d’arts de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Le 16 février, le Cégep du Vieux-Montréal est le premier à rentrer en grève suivi, le 20 février, par d’autres cégeps qui viennent grossir les rangs des grévistes, qui se chiffrent à ce moment à plus de 30 000. Le 27 février, de nombreuses associations se joignent au mouvement. Il y a plus de 65 000 étudiantes et étudiants en grève. Le 5 mars 2012, le mouvement regroupe environ 123 300 étudiantes et étudiants en grève générale illimitée et plus de 9 500 étudiants ont ce mandat en poche. Le nombre d’étudiantes et d’étudiants en grève atteint son sommet le 22 mars : 309 000 étudiantes et étudiants sont en grève. Cependant, plusieurs de celles-ci et ceux-ci sont en grève limitée en raison de la manifestation nationale du 22 mars, qui mobilise plus de 200 000 personnes.

La grève étudiante est principalement coordonnée par la Coalition large de l’ASSÉ (CLASSE), par la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et par la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ).

En dépit de cette mobilisation historique – la plus imposante et la plus longue – la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Line Beauchamp, refuse de négocier avec les organisations étudiantes et nie le processus démocratique à l’œuvre dans les différentes assemblées générales. Le 17 avril 2012, plus de 170 000 étudiantes et étudiants sont toujours en grève.

Au cours de la semaine du 23 avril, il y a eu des discussions entre les leaders étudiants et les délégués gouvernementaux pour abaisser les tensions. Invoquant des incidents lors d’une manifestation le 24 avril à Montréal, la Ministre Beauchamp exclut la CLASSE des pourparlers. En réaction, les leaders de la FEUQ et de la FECQ ont suspendu les discussions avec le gouvernement. Cela a créé une réaction de frustration et une série de 3 manifestations nocturnes se sont déroulées le 24, 25 et 26 avril. La manifestation du 24 avril a été marquée par d’autres actes de vandalisme, commis par un petit groupe des Blacks Bloc, et des arrestations. Néanmoins, les marches se sont déroulées pour la plupart dans le calme.

Le vendredi 27 avril à 11 heures, Jean Charest convoque les médias en conférence de presse pour divulguer l’offre faite aux étudiantes et étudiants. La proposition comprend l’étalement des hausses sur 7 ans, mais aussi son indexation, et un élargissement de l’accès aux prêts étudiants. Cette offre, perçue par la majorité des étudiantes et es étudiants comme une insulte, entraîne une 4e manifestation nocturne consécutive. Le lendemain soir, pour leur 5e manifestation nocturne d’affilée à Montréal, les participantes et participants voient à désormais désapprouver quiconque voudrait s’adonner à la casse. Le 30 avril, une septième manifestation nocturne consécutive a lieu sous le thème d’un «carnaval nocturne» : les participantes et participants sont déguisés et pacifiques. Une autre a également lieu le même jour : la «manifestation lumino-silencieuse», qui se déroule en silence. Pour un neuvième soir de suite à Montréal, le 2 mai, la marche se déroule dans la calme, les manifestantes et manifestants se dirigent vers la résidence privée du premier ministre, où ils font un sit-in, plusieurs déguisés richement, en guise de dérision. Leur principal slogan : «Manif chaque soir, jusqu’à la victoire». Ce jour-là, le ministre des Finances déclarait compter sur les élections plutôt que sur des discussions, afin de régler le conflit, toute négociation étant impossible, selon lui. Le 3 mai, une dixième manifestation nocturne a lieu, certaines manifestantes et manifestants sont déguisés en zombies, d’autres sont presque nus, plusieurs se rendent jusqu’à la résidence du maire de Montréal, qui voudrait leur interdire le port de masques. En date du 14 mai, ces manifestations continuent de se dérouler chaque soir, le compte est donc de 21 manifestations nocturnes.

En raison des manifestations quotidiennes à Montréal, le PLQ décide de déplacer à Victoriaville son Conseil général qui s’ouvre le vendredi 4 mai 2012 à 19 h.

Peu avant l’ouverture du Conseil, le gouvernement Charest décide de convoquer, à Québec, les représentants des quatre groupes d’associations d’étudiantes et d’étudiants, les chefs des centrales syndicales, les recteurs d’université et de la Fédération des cégeps, avec le négociateur en chef du gouvernement ainsi que les ministres Line Beauchamp et Michelle Courchesne, pour conclure une entente de principe visant un retour à la normale. Les représentantes et représentants entament des pourparlers en fin d’après-midi.

Au même moment, à Victoriaville, plusieurs dizaines d’autobus remplis de manifestantes et manifestants se rendent sur place, à environ un à deux kilomètres du palais des congrès. Elles et ils marchent jusqu’à ce lieu où se tenait le Conseil et, moins d’une heure après le début des manifestations, il y a des affrontements entre des manifestantes et manifestants et l’escouade anti-émeute de la Sûreté du Québec. Les négociations à Québec sont alors brièvement interrompues pour permettre aux leaders étudiants de lancer un appel au calme, avec diffusion immédiate jusque sur les réseaux sociaux.

Les affrontements font plusieurs blessés, incluant 3 policiers. Deux manifestants blessés reposent dans un état critique à l’hôpital, dont un étudiant qui perd l’usage d’un œil.

Quelques jours plus tard, deux partis d’opposition, Québec solidaire et le Parti québécois réclament, en vain, la tenue d’une enquête publique indépendante sur le comportement policier lors de la manifestation de Victoriaville. Le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, leur réplique de s’en remettre au commissaire à la déontologie policière.

Le samedi 5 mai, après 22 heures consécutives de négociation, les représentantes et représentants des différents groupes en viennent à une entente de principe, qui stipule que la hausse des «droits de scolarité» s’applique, mais que si des coupures dans les «droits afférents» (frais institutionnels obligatoires) ont lieu, cela pourrait laisser inchangé le total de la facture à payer par les étudiantes et étudiants. À cette fin, l’entente prévoit la création d’un Conseil provisoire des universités (CPU) pour étudier la possibilité de revoir les dépenses universitaires avant 2013. Cette entente est plutôt perçue par les leaders étudiants non pas comme une entente officielle, mais comme une «feuille de route» à soumettre au vote libre des différentes associations étudiantes, de sorte que la grève générale illimitée demeure jusqu’à nouvel ordre. Mais, le parti au pouvoir se fait aussitôt triomphaliste, proclamant que, par l’entente obtenue, le «Québec maintient intégralement les hausses» et le premier ministre, Jean Charest, tient les étudiantes et les étudiants responsables de la durée du conflit. Plusieurs étudiantes et étudiants sur les réseaux sociaux disent que l’entente de principe est une «arnaque» et une «grossièreté». Tous les signes laissent donc croire que l’«offre» sera rejetée par les étudiants. L’impasse est confirmée en moins d’une semaine : les assemblées de chacune des quatre associations rejettent la proposition et la ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, se dit prête à ajouter des précisions à l’entente, mais «veut éviter que les gestes qu’elle pose soient perçus comme un «recul» par l’opinion publique», ajoutant (en maintenant sa demande monétaire) que «personne n’a à abandonner ses revendications pour autant».

Au milieu de l’après-midi du lundi 14 mai 2012, à la 14e semaine de grève étudiante, la ministre de l’Éducation et vice-première ministre du Québec annonce sa démission de la vie politique. De son propre aveu, elle espère que cette décision «servira d’électrochoc» en vue de régler le conflit étudiant. Pourtant, dans la matinée, elle avait tenue une conférence téléphonique avec les leaders et porte-parole des quatre groupes d’associations étudiantes, sans faire référence à cette possible éventualité.

Afin de mettre fin au conflit qui oppose le mouvement étudiant au gouvernement du Québec, ce dernier décide de déposer une Loi spéciale (Loi 78) qui, selon la plupart des acteurs de la société québécoise,  limite les libertés civiles, menace la démocratie et qui, de surcroît, bâillonne les enseignantes et les enseignants des cégeps. Il est on ne peut plus clair, depuis le dépôt du projet de loi spéciale le 17 mai dernier, que le premier ministre du Québec, Jean Charest, n’est ni le premier ministre de la Jeunesse ni celui de la négociation, mais bien celui de la répression tous azimuts.

Références

1. MELS, Indicateurs de l’éducation – édition 2011, MELS, secteur des politiques, de la recherche et des statistiques, p. 23.

2. Ibid., p. 46.

3. Voir : J. Brazeau, Les résultats d’une enquête auprès des étudiants dans les universités de langue française du Québec, Montréal, Département de sociologie de l’Université de Montréal, 1962 ; Robert Ayotte, Budget de l’étudiant des niveaux collégial et universitaire, Québec, Ministère de l’Éducation, direction générale de la planification, 1970 ; Bureau de la statistique du Québec, Enquête sur le mode de vie des étudiants du post-secondaire, Québec, BSQ, 1986; Fédération universitaire du Québec, Étude sur les sources et les modes de financement des étudiants de premier cycle, Québec, FEUQ, 2010.

Mario Beauchemin, La centralité de l’État providence dans le mode de vie des étudiantes et étudiants universitaires au Québec : 1950-1985, Québec, Université Laval, 1991, 139 p.

Benoît Lacoursière, «Brève histoire du mouvement étudiant», Revue Ultimatum, 2005-2006.

Radio-Canada : Les grèves étudiantes au Québec : quelques jalons

Wikipédia : Grève étudiante québecoise de 2005

Wikipédia : Grève étudiante québecois de 2012


Image: Francine Laurendeau, Jean-Pierre Goyer et Bruno Meloche occupent les bureaux du premier ministre

Six fois plutôt qu’une

La scène se déroule dans un restaurant du centre-ville d’Ottawa, sur l’heure du midi.

La file s’étend jusqu’à ma table et, sans épier les conservations, je ne peux les empêcher de tomber dans mon oreille.

Deux interlocuteurs se relancent en français. Ils se demandent ce qu’ils vont commander au comptoir de sandwichs. Rien de plus banal.

«Je vais prendre un bon « sisse » pouces», lance le premier, un Franco-Ontarien.

«Tu veux dire un « si » pouces», s’empresse de corriger le second, un Québécois.

«You’re in Ontario here, man», rétorque le Franco-Ontarien du tac au tac.

La file avance et les deux interlocuteurs disparaissent.

Quelques minutes plus tard, j’en viens à me demander lequel des deux a raison. Celui qui donne une couleur locale à sa prononciation dans sa langue maternelle et qui passe immédiatement à sa langue seconde, celle de la majorité, pour se justifier? Ou celui qui s’empresse de corriger ce qu’il perçoit comme une erreur, si bénigne soit-elle, comme s’il n’existait pas d’autre accent correct que le sien?

Ça me laisse perplexe.

J’aime les accents. Ils sont qui nous sommes. Je suis le premier à tendre l’oreille lorsque j’en discerne un que je reconnais ou qui me plaît. J’aime aussi la rectitude linguistique. Celle qu’on laisse trop souvent de côté. Je suis le premier à froncer les sourcils lorsqu’une faute me saute au visage.

Alors voilà.

C’est clair que les accents et la rectitude linguistique ne font pas toujours bon ménage. Le choix est difficile. Mais je choisis l’accent. Quitte à m’écorcher la langue à l’occasion.

Je crois que le Franco-Ontarien a raison d’être fier de son accent et de sa province. Il a également raison d’envoyer paître le Québécois qui le reprend sur sa couleur locale. Le Québécois aurait tout autant raison si les rôles étaient inversés. Mais cet échange doit avoir lieu en français. Autrement, c’est concéder une demi-victoire.

À force de parler d’assimilation et du «Canada anglais» comme d’une société monolithique anglophone, beaucoup de Québécois en sont venus à croire que leur province est la seule porteuse du fait français au sein de la Confédération.

C’est peut-être le temps de se parler. Avec tous nos accents.

Tournons-nous la langue «sisse» ou sept fois, s’il le faut.

Trop, c’est comme pas assez

Je suis une hybride, une métisse à la peau blanche.

Je suis, pour paraphraser une chanson de Jean Leloup, une fille d’Ottawa, grandi à Ste-Catherine, d’une mère franco-ontarienne et d’un père du bas de Lachine.

Trop québécoise pour les Canadians, trop ontarienne pour les Québécois, je suis entre deux chaises. Parfaitement bilingue, j’ai appris à parler l’anglais quand j’ai commencé à parler. Je suis donc trop anglaise pour les français, et trop française pour les anglais. Pas assez ontaroise, pas assez québécoise.

Je ne suis pas une vraie Québécoise selon les uns, je ne suis pas une vraie Canadienne selon les autres. Je suis une expatriée dans mon propre pays. Pourtant, sur papier, je suis la Canadienne modèle. Je suis le wet dream de Pierre Elliott Trudeau.

J’ai lu quelque part qu’on ne pouvait pas ne pas être indépendantiste si on connaissait bien son Histoire. Eh bien! Je connais mon Histoire sur le bout des doigts. Et parce que je connais mon Histoire, je ne suis pas souverainiste, ne le serai jamais. Être souverainiste, ce serait renier le pays de mes ancêtres, eux qui l’ont bâti, l’ont porté à bout de bras et me l’ont légué. Ce serait trahir leur mémoire. Être souverainiste, ce serait pour moi la même chose que déshériter mes enfants, les priver de leur bien le plus précieux. Ce serait écraser leur avenir. Être souverainiste, ce serait aussi renier une partie de moi-même, de mon identité.

Je crois au Canada, même si je ne crois pas au Canada ultra-militariste et born again de Stephen Harper. Les premiers ministres, les gouvernements, sont toujours remplacés, un jour ou l’autre. En attendant ce jour, je continue à bâtir ce pays, pour le léguer à mon tour à mes enfants.

N’en déplaise à ceux qui trouvent que je suis trop ceci, ou pas assez cela, je ne suis pas une french frog. Je ne suis pas une dead duck. Je ne suis pas une vendue, ni une colonisée. Je suis canadienne-française, et je le dis avec fierté.

Je suis tanné

Je suis tanné qu’on me parle d’assimilation.
Je suis tanné qu’on parle de l’assimilation dans les médias québécois. Le but de ces reportages n’est pas d’informer, c’est de faire peur.
Je suis tanné d’être la personnification des peurs des Québécois face à la fin possible, plausible, probable, éventuelle, inévitable et certaine du fait français en Amérique.
Je suis tanné de dire aux Québécois qu’il y a des francophones au Manitoba.
Je suis tanné de leur faire comprendre aussi que mes parents ne sont pas nés au Québec. Je suis tanné d’expliquer que nous y sommes depuis des générations et que nous n’avons ni le goût, ni le besoin de déménager au Québec pour vivre en français.

Je suis tanné d’être un animal exotique dans un pet-shop.
Je suis tanné d’être une curiosité.
Je suis tanné qu’on me dise que je suis un francophone «hors» Québec. Je ne suis pas à l’extérieur de quoi que ce soit.
Je suis tanné qu’on dise qu’il y a un million de francophones «hors» Québec. Ce n’est pas vrai : il y en a 300 millions.
Je suis tanné qu’on me demande où sont mes bottes et mon chapeau de cowboy.
Je suis tanné qu’on me demande si les nuits sont longues à Winnipeg.
Je suis tanné de Pierre Lalonde.
Je suis tanné de corriger les gens : Gabrielle Roy et Daniel Lavoie ne sont pas des Québécois.
Je suis tanné que notre culture semble souvent se résumer à ces deux figures.

Je suis tanné d’écouter les médias québécois. Je me fous éperdument de la congestion des ponts à Montréal.
Je suis tanné d’écouter la télévision québécoise. J’en ai rien à cirer des nouvelles « régionales » provenant du Québec. Une décision du conseil municipal de Victoriaville ne constitue pas, à mon sens, une nouvelle «nationale.»
Je suis tanné d’avoir seulement deux ou trois heures d’antenne à Radio-Canada qui soient produites ici.
Je suis tanné qu’à la météo de Radio-Canada, il y ait 2 cartes pour les provinces atlantiques (pourtant, il y a 4 provinces), 6 cartes pour le Québec, 2 cartes pour l’Ontario et 1 carte pour le reste (environ la moitié du pays.) Comme quoi la météo à Vancouver et Winnipeg est sensiblement la même.
Je suis tanné de ne pas me reconnaître à la télévision francophone.
Je suis tanné de ne pas m’y identifier.
Je suis tanné que nos histoires et nos visages n’y sont pas.
Je suis tanné que nous soyons réduits à des magazines culturels où nous nous «amusons» en français.
Je suis tanné de me faire passer pour un cave.

Je suis tanné que nos produits culturels ne soient pas disponibles partout au pays, y inclus au Québec.
Je suis tanné que notre littérature ne soit pas connue.
Je suis tanné de voir nos artistes s’exiler au Québec.
Je suis tanné de voir nos artistes préférer pratiquer leur art en anglais.
Je suis tanné qu’on me demande si c’est difficile de faire du théâtre en français au Manitoba. Je ne sais pas. Est-ce que c’est difficile de faire du théâtre à Montréal?

Je suis tanné de faire les choses «pour la bonne cause».
Je suis tanné de voir des spectacles de piètre qualité pour appuyer «la bonne cause». En soutenant ces derniers, nous perpétuons, normalisons et édifions la médiocrité.
Je suis tanné du manque d’esprit critique. Selon moi, une société qui évolue dans l’absence de la critique est vouée à la médiocrité.

Je suis tanné de la francophonie de souche.
Je suis tanné des «pures laines».
Je suis tanné de la xénophobie, de la ségrégation, de la discrimination et du racisme.
Je suis tanné des fascistes.
Je suis tanné de la hiérarchie de la francophonie et de l’élitisme.
Je suis tanné de l’intolérance. D’ailleurs, je ne tolère plus l’intolérance.
Je suis tanné de la fermeture d’esprit. Qui est plus ouvert d’esprit? Des parents anglophones (qui ne parlent pas un traître mot de français) qui décident d’inscrire leur enfant à une école d’immersion pour que leur enfant puisse s’épanouir sur les plans culturel et linguistique ou le francophone qui doute que ce dernier veuille seulement apprendre le français pour s’assurer d’avoir un futur emploi dans la fonction publique?
Je suis tanné du cynisme.
Je suis tanné qu’on dise qu’il y a trop d’anglais dans nos écoles. Tous les adolescents veulent faire partie de la «gang.» Ils veulent appartenir à quelque chose. Lorsque vous évoluez dans un milieu anglophone, n’est-ce pas tout à fait normal de vouloir appartenir à cette «gang»?
Je suis tanné qu’on dise qu’on naît francophone. C’est faux. Dans une situation minoritaire, nous choisissons d’être francophones. Et c’est un choix tout à fait illogique et déraisonné. Pourquoi choisissons-nous consciemment de vivre en marge de la société dans laquelle nous évoluons? C’est un choix émotif, pas du tout logique.
Je suis tanné qu’on dise qu’il y en a qui ont choisi de ne plus parler français. L’ont-ils vraiment choisi?

Je suis tanné que les étudiants de l’immersion se sentent inférieurs et qu’on dise qu’ils viennent diluer la qualité de la langue, qu’ils représentent une menace, qu’ils viendront nous contaminer, qu’ils sont un virus à éradiquer.
Je suis tanné qu’ils ne se sentent pas bienvenus.
Je suis tanné qu’ils se sentent exclus de l’espace francophone.

Je suis tanné qu’on parle des Anglais sans savoir de qui on parle. Ici, les Anglais ne sont pas tous Anglais : ils sont Ukrainiens, Polonais, Juifs, mennonites, Russes, Allemands, Irlandais, Écossais, Islandais et j’en passe.
Je suis tanné qu’on parle de la masse anglophone comme s’il s’agissait d’un monolithe.
Je suis tanné qu’on parle du Québec et de la France comme s’il s’agissait de monolithes.
Je suis tanné des monolithes.

Je suis tanné que les Québécois qui viennent s’installer ici ne se sentent pas chez eux. Idem pour les Français.
Je suis tanné qu’on ne fasse pas plus d’efforts pour intégrer les immigrants «africains.»
Je suis tanné qu’on dise immigrants «africains». L’Afrique est un grand pays (sic.) Prétendre qu’ils sont tous pareils est faux. Si vous avez des doutes, vous n’avez qu’à vous rappeler que les Européens ne sont pas tous pareils. Les Français et les Allemands ne se sont pas toujours bien entendus, à ce que je sache. Idem avec les Anglais.
Je suis tanné du «Speak White».

Je suis tanné de l’extrémisme, du militantisme, du fondamentalisme francophone.
Je suis tanné du dogmatisme, de l’intolérance et de l’intransigeance.
Je suis tanné du fanatisme et des gens qui nous exhortent à adhérer à des principes d’une doctrine dite francophone. La francophonie et la défense de celle-ci ne sont pas une religion. J’espère que nous n’avons pas remplacé les soutanes de la Grande Noirceur par des vestons cravates.
Je suis tanné des grands sorciers et des oracles qui occultent la vérité avec leurs rapports et leurs statistiques.

Je suis tanné d’avoir le sentiment que je n’en fais jamais assez, que je doive toujours en faire plus, que je doive toujours faire un effort.
Je suis tanné de la pression, du stress, et surtout du jugement des autres.

Je suis tanné du ton moralisateur chez certains francophones.
Je suis tanné des prétentieux qui pensent mieux savoir ce qui est bon ou mauvais pour moi.
Je suis tanné de me faire dire comment je devrais vivre ma vie.

Je suis tanné que le français soit tellement un «guilt trip».
Je suis tanné de me sentir coupable quand je parle anglais.
Je suis tanné de me faire dire que je parle tout croche, que je parle avec un accent, que j’utilise way too much d’anglais or que c’est pas alright de talker pis de hang-outter avec mes buds avec une beer, en franglais.
Je suis tanné qu’on me corrige constamment.
Je suis tanné de me promener avec un Bescherelle pis un Petit Robert dans ma poche arrière.
Je suis tanné de conjuguer le participe passé.

Je suis tanné qu’on me parle d’exogamie.
Je suis tanné qu’on me demande si mon épouse parle français.
Je suis tanné qu’on lui réponde en anglais même si elle comprend le français.
Je suis tanné qu’on me demande si on parle français à la maison.
Je suis tanné qu’elle se sente exclue, même dans ma propre famille.
Je suis tanné qu’on me demande si mon fils parle français. Il a deux ans. Il parle en «Bébé.»

Je suis tanné de l’ignorance.
Je suis tanné de l’arrogance.
Je suis tanné de la suffisance.

Je suis tanné d’expliquer, de revendiquer, de défendre.
Je suis tanné de me battre.

Je suis tanné de toujours être sur le point de disparaître.
Je ne suis pas un lapin.

Je suis tanné de mourir.

Harper, père du Québec

Dans une cinquantaine d’années, le Québec célébrera peut-être ses 20 ou 25 ans d’indépendance. Pour l’occasion, on honorera les héros, René Lévesque, Jacques Parizeau et les autres qui sont encore inconnus mais qui, à force d’idéalisme trompeur, auront convaincu les Québécois de voter «oui». Mais je vous gage un ver de terre – dans 50 ans, c’est tout ce que j’aurai sous la main – que personne ne mentionnera celui qui aura fait le plus pour l’indépendance du Québec, Stephen Harper.

C’est Justin Trudeau qui le premier aura eu le courage de dire publiquement ce que plusieurs d’entre nous craignent. Harper est en train de faire du Canada un pays où même les plus ardents fédéralistes (québécois ou pas) ne se reconnaissent plus. Au diable l’entraide, les traditions, l’environnement, les droits des femmes, le respect du français, la Charte des droits, les Francos hors Québec. Les con-serviteurs de Harper n’aiment probablement même pas le sirop d’érable.

Tout ce qui compte pour ces disciples de l’école de Calgary ce sont les profits des banques et des pétrolières, la loi et l’ordre, le contrôle des citoyens, les médias serviles. Et tout ça sous l’oeil du même dieu mesquin adoré par la droite américaine et célébré ici dans de petites chapelles en plein Parlement. Peut-on être plus loin des valeurs québécoises et canadiennes-françaises?

Que ce soit le projet omnibus contre le crime qui favorise la prison plutôt que la réhabilitation, l’abolition du registre des armes à feu, le refus de financer des organismes caritatifs qui incluent la contraception et l’avortement dans les soins prodigués aux femmes du Tiers-Monde; que ce soit la nomination d’un vérificateur général incapable de répondre aux questions des députés francophones, l’installation d’un juge unilingue à la Cour Suprême, le retour du qualificatif «royal» dans la marine et l’aviation militaire canadiennes, le remplacement d’une toile du grand peintre canadien Alfred Pellan par un portrait de Her Majesty, il est clair que ce gouvernement se crisse des Canadiens français.

Dans le Québec social démocrate et nationaliste – même les fédéralistes se croient une nation – les indépendantistes n’ont pas été long à identifier cette brèche et à s’y engouffrer. Depuis quelques mois, la leader du PQ, Pauline Marois, ne fait plus campagne contre le Premier ministre du Québec, Jean Charest, mais plutôt contre le gouvernement Harper. Elle et ses stratèges ont compris que Harper est leur plus grand allié. À force de démontrer comment ce gouvernement est loin des valeurs québécoises – et, on l’a vu plus haut, la job n’est pas dure – ils assimilent Harper à Ottawa. Ottawa, donc le fédéralisme, devient ainsi l’empêcheur de danser en rond, la source de tous les malheurs des Québécois. Il suffit de marteler ce message simple assez longtemps et la flamme indépendantiste s’embrasera.

Afin d’éviter la catastrophe, il faudrait que Harper change mais je ne vois malheureusement pas pourquoi ce démagogue ferait ainsi; il n’a pas l’étoffe d’un homme d’État. Tout se jouera dans les prochaines années et il devient de plus en plus possible que, dans cinquante ans, le Québec et le Canada soient à couteaux tirés et définitivement dans la merde. Comme disait la Vierge de Fatima, «Pauvre Canada».


Image: Emperor Haute Couture, par Margaret Sutherland, 2011

Les réseaux et la question identitaire

Il y a quelque temps, une amie montréalaise que je n’avais pas vue depuis longtemps me demandait si je suis encore nationaliste (québécois). Nous étions à Montréal. Comme tout bon visiteur bien éduqué j’ai essayé d’être aimable et poli. Mais j’avais beau chasser l’image de Pauline de ma tête, je n’ai pu réprimer un haussement d’épaule révélateur. L’amie semblait déçue:

– Tu avais pourtant des opinions solides dans le temps.

– Et bien, c’était il y a trente ans et puis, tu sais, aussi surprenant que cela puisse paraître, des idées il m’arrive encore d’en avoir une fois à tous les dix ans.

– Te sens-tu encore québécois?

J’ai soupiré. D’ennui. Puis l’amie a ajouté:

– Forcément, tu as voyagé, tu as vu d’autres cultures et t’es devenu un citoyen du monde.

Elle était cynique. Peu importe, j’ai l’habitude. Difficile de retourner au Québec sans me faire demander de décliner mon identité nationale. Ici, à Sudbury, on me demande parfois (pas souvent si on compare) si je comprends la culture franco-ontarienne. Je vais être franc: pas vraiment. Je ne me sentais pas vraiment biélorusse au Bélarus, ni azéri à Bakou. Mais mon amie déçue se trompait à mon sujet. Je reconnais que le processus de la globalisation est puissant mais l’identité globale ne me dit rien. Trop vaste pour ma petite vie qui se passe au sein de réseaux beaucoup plus précis. Ce ne sont pas des «communautés imaginées», comme dirait B. Anderson. B. Latour, un autre sociologue, parle de «réseaux» ou de «collectifs» où interagissent des acteurs humains et non-humains. Lorsque je pense à ma petite personne ces jours-ci, il y a trois «collectifs» qui me viennent à l’esprit. Ils s’activent tous ici, à Sudbury. Vous en faites aussi partie que vous soyez anglo ou franco, grand ou petit, noir, blanc, jaune ou rouge. C’est comme le smog, ces réseaux. C’est démocratique.

Le premier se compose de petites particules invisibles qui existent peut-être que dans ma tête d’inquiet qui se pose trop de questions. (Mon père, qui s’en posait peu, disait souvent que je me posait trop de questions). Bref, ces petites particules, réelles ou imaginaires, voyagent avec les vents et se posent au sol, généralement lorsqu’il pleut ou qu’il neige. C’est emmerdant parce qu’il pleut ou il neige souvent à Sudbury. Sans faire de bruit, ces petites vicieuses incolores et inodores se mêlent à l’eau et la nourriture. Dans le pire de mes cauchemars, elles cheminent jusque dans les corps de mes enfants. Elles sont radioactives, ces petites merdes que je ne peux pas saisir. Elles ont traversé l’océan pacifique pour se rendre jusqu’ici, à Sudbury. Si on pouvait lire leurs étiquettes, on verrait sans doute: Made in Japan. Et c’est gratuit. Une sorte de liquidation à ciel ouvert, si j’ose dire. Un bon exemple de ce que peut produire un mélange de privatisation et de science à vendre au plus offrant.

Mon immersion dans le deuxième «collectif» devrait pourtant me rassurer. Comme tous les autres gouvernements, le canadien a dit que ce n’était pas grave, qu’il ne fallait pas trop y penser à ces particules. Elles sont si petites et elles viennent de si loin, qu’ils ont dit. Les journalistes semblent avoir décidé de soutenir le gouvernement. Après nous avoir montré les même images pendant des jours et des jours, plus rien. Silence. Le film sur Fukushima est simplement terminé. Comme dans Hiroshima mon amour, tout rapport avec la réalité semble être devenu purement accidentel. Le plus difficile, c’est de ne pas l’oublier. C’est l’un des problèmes avec le silence. On oublie vite et facilement. Et les enfants de Sudbury continuent de manger et de respirer. Tout cela pourrait me rassurer. Il s’agirait de ne pas trop penser. Malheureusement, il y a l’affaire des «Robocalls». Cela me fait réfléchir. Qui est derrière Pierre Poutine? C’est la dernière histoire à la télé. Pourraient-ils nous mentir, tricher, ne pas respecter nos droits les plus fondamentaux? Vit-on encore en démocratie ici à Sudbury et là-bas à Montréal? Mais je pense beaucoup trop, sans doute. Et puis, il y aura peut-être le silence, une autre histoire et l’oubli.

Mais le principal problème pour les gens comme moi qui pensent trop, c’est que les espaces publics de réflexions critiques se font de plus en plus rares ici et maintenant. Je le sais. Je travaille dans un de ces espaces. Ici, à Sudbury. C’est une université. J’ai peur que cet espace soit en train d’être transformé en machine à produire de l’image et à ramasser du fric. Un espace de pouvoir et d’argent plutôt qu’un espace de réflexion et de délibérations rationnelles et égalitaires comme dirait le philosophe J. Habermas. Mais cela, on me dit d’y penser si je veux, mais de ne pas en parler. Cela pourrait nuire au marketing. Cela pourrait te mettre sur la liste noire, qu’on me dit aussi. D’autres m’ont dit qu’il n’y a rien à faire, que c’est la faute de la globalisation et du néolibéralisme. Ils ont peur, eux aussi.

Alors, qui suis-je? Cela dépend du «collectif» dans lequel je suis interactif. Parfois, je suis inquiet dans un réseau où s’activent, peut-être, des particules radioactives Made in Japan. Parfois, je reste bouche-bée devant des journalistes qui se taisent après en avoir parlé sans arrêt. Parfois, j’assiste, éberlué et décontenancé, au démantèlement tranquille d’un espace de réflexion au profit d’une logique se fondant uniquement sur l’image, l’argent et le pouvoir – comme si l’image, l’argent et le pouvoir pouvaient être des fins en soi. Il arrive aussi, comme en ce moment, que j’assiste à l’émergence de nouveaux espaces comme taGueule. Cela ne me donne pas vraiment d’identité hégémonique. Mais cela me rend fier d’être ici, avec vous. Cela me permet de trop penser, comme ils disent. De trop penser avec vous, ici et maintenant. Voilà qui je suis, en ce moment.


Photo: The waiting – anon, Hilarie Mais, 1986

À l’aube du printemps: Mes Aïeux

C’était en 2000. Un groupe osait tripoter l’ADN québécois à même son folklore. Quelques puristes ont fait la grimace tandis que les autres applaudissaient ce vent de fraîcheur inusité et hautement théâtral. 13 ans et 650 000 albums vendus plus tard – merci à Dégénérations, chanson valant à elle seule trois années de bac en sociologie -, plus personne ne doute de la pertinence de Mes Aïeux. Et ils sont de retour…

À l’aube du printemps, vous avez les deux pieds dans la neige brune et la boue quand, soudain, vous levez les yeux au ciel pour y apercevoir une volée d’outardes. Un ballet majestueux où les oiseaux se relaient sans orgueil en tête du peloton afin de maintenir le cap et le rythme. Une image forte qui aura guidé Stéphane Archambault et sa bande dans l’écriture de ce cinquième album résolument en phase avec son époque, où l’on attend encore des leaders inspirants.

Dès l’ouverture, on nous prend à bras-le-corps : Viens-t-en incite à la mobilisation, au mouvement. Crescendo délicat, on emboîte le pas et on aura bien besoin de cet élan pour piquer à travers les chansons suivantes comme autant de nuages dans l’horizon. Le gris domine et les questions essentielles abondent: «Quelqu’un sait-il où on s’en va ?», «À l’autre bout du pont, qu’est-ce qui m’attend ?» (En ligne), «Y a-t-il un sens à ta vie ?» (Des réponses à tes questions). Le principal intéressé ne trouvera pas, même après avoir interrogé père, mère, prof, psy et curé. Pas plus de réponses du côté de La Stakose, qui tire sur tout, espérant abattre un coupable qui se trouve peut-être de l’autre côté du fusil. Et on croit trouver un peu de répit avec La berceuse, mais on constate rapidement qu’elle ne sert qu’à nous endormir tandis qu’on pille nos ressources naturelles…

Que ce soit musicalement ou par les termes abordés, Mes Aïeux s’éloigne plus que jamais des racines traditionnelles qui les ont tant inspirés. Oui, l’increvable Yâb’ vient faire son tour (Histoire de peur) et on salue une bastringue moderne et séductrice (Je danse avec toi) mais l’essentiel est ailleurs. On a affaire à un disque profondément ancré dans son époque. Si le résultat est parfois lourd dans le propos, l’humour sauve la mise encore une fois. Et il y a de beaux moments plus légers (Je danse avec toi, Au gré du vent) qui permettent de garder le cap et d’arriver à bon port (Bye bye). On termine le voyage émerveillé par la résilience légendaire des Oies sauvages (la chanson la plus réussie du disque) autant que par ce groupe qui a su demeurer unis, persuadés de la force du nombre sur l’individualisme ambiant et surtout, convaincus que «malgré les défaites, on a encore nos ailes»…

Date de sortie: 12 mars 2012


Pochette: Marianne Chevalier

Ode aux accents

Je suis québécoise et depuis peu, je travaille dans le domaine de la radio, ici, en Ontario. Mon travail exige que je fasse des efforts pour avoir un certain niveau de français. Ça va de soi, puisque ma voix et mon parler sont mes outils de travail (outils sur lesquels j’ai travaillé pendant deux ans, au collège, et sur lesquels je continuerai à travailler toute ma vie).

Depuis mon arrivée dans la province, il m’est arrivé à quelques reprises que des gens me disent être gênés lorsqu’ils parlaient avec moi parce qu’ils trouvaient qu’ils ne «parlaient pas bien français».

Amis franco-ontariens, je tiens à mettre une chose au clair avec vous, ainsi qu’avec l’ensemble des francophones et des francophiles de ce monde : arrêtez tout de suite de vous sentir mal de ne pas «bien parler français».

S’il y a bien une chose qui rend le français magnifique, c’est ses milliers d’accents provenant de partout dans le monde. Pour moi, le fait que notre langue se présente sous plusieurs formes reflète la diversité des gens qui la parlent et prouve qu’elle évolue, qu’elle s’adapte, qu’elle est vivante.

Qu’elle soit parsemée de «là, là», comme au Saguenay-Lac-Saint-Jean, ou que celui qui la parle termine ses phrases avec des «de» (franco-ontariens, vous savez de quoi je parle de), ma langue, je l’aime et je la trouve belle.

Bien sûr, il y a quand même un certain code à respecter pour ce qui est de l’écrit. Je considère qu’avoir une écriture de qualité est primordial, peu importe la langue. De toute façon, écrire et parler sont deux choses bien distinctes. Je crois toutefois qu’il faut parler le français avec notre cœur, sans avoir peur d’assumer la manière dont il a été façonné par notre histoire.

Bref, que vous ayez un accent belge, québécois, franco-ontarien ou rwandais, ce n’est pas important. L’important, c’est de continuer à parler le français, à le transmettre avec toute sa complexité et sa richesse et, d’abord et avant tout, d’en être fier.