Faut qu’ça bouge encore… ‘stie!

Depuis l’annonce de la programmation partielle de la 40ème Nuit sur l’étang, je sens comme un malaise. Le premier malaise vient des petits ragots, des critiques feutrées. Le deuxième malaise vient du manque d’enthousiasme, ou pour être plus juste, du je-m’en-foutisme caractérisé de la communauté par rapport à cet anniversaire. Je sais que certains ont leurs doutes, leurs ras-le-bol de cette «grande messe» où on serait sommé de dire «Amen» au drapeau vert et blanc, fleurdelisé et fleurtrillé, leurs envies de meurtre, leurs rancœurs et autres mesquineries. Ce qui me choque c’est que personne ne semble voir que cet anniversaire – et son succès – dépasse, de très loin, nos petits égos.

En disant cela, je ne tombe pas dans le discours narratif mythifié ou nostalgique d’une grande époque perdue. Bien au contraire, je crois que nous avons devant nous, en face de nous, en nous, la première génération de jeunes Franco-Ontariens aussi brillants que la gang de CANO.  Est-ce que les Patricia Cano, David Poulin, Cindy Doire, Tricia Foster de ce temps ont quoi que ce soit à envier à un Robert Paquette? Un Christian Pelletier qui se démène comme un fou dans la communauté, l’homme invisible visible qui brasse les cages, les idées, et surtout réalise de beaux projets (We Live Up Here) n’a rien à envier à un Gaston Tremblay. Nos jeunes poètes, Daniel Aubin, Sonia Lamontagne, Daniel Groleau-Landry, Guylaine Tousignant, n’ont rien à envier à ceux qui sont devenus – bien plus tard – des monstres sacrés, les Dalpé, Dickson et Desbiens. Ce que font Mélissa Rockburn et Miriam Cusson avec les Productions Roches Brulées, et la prestation extraordinaire de France Huot sur les planches vaut largement les débuts sur scène d’un André Paiement. Pourquoi nier l’évidence? D’où vient cette espèce de déni, voire de dénigrement, on se croirait en présence de clones de Kafka.

Est-il nécessaire de rappeler que si la gang de CANO a autant marqué son époque, c’est parce que tout était à faire, tout était à construire, alors qu’aujourd’hui il s’agit de pérenniser nos institutions, défi bien plus difficile à relever? Faut-il rappeler que le contexte culturel était fort plus accueillant à la création, en plein milieu du mouvement de la contre-culture américaine, alors qu’aujourd’hui nous devons faire face à un mouvement d’anti-culture? Est-il nécessaire de souligner que la gang de CANO n’aurait pu exister sans quelques jésuites allumés alors qu’aujourd’hui les universités sont devenues des boites à fric où les pseudo-compétences professionnelles priment, et de loin, sur les savoirs et la culture? Faut-il rappeler que bien sûr à l’époque le monde participait en masse parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire que d’aller au seul parté en ville, alors qu’aujourd’hui le monde est vautré dans son fauteuil devant un écran?

Est-ce que personne ne se rend compte que certains Anglos, que les ministères, que les traitres, coincés le pied dans le cadre de la porte, n’attendent qu’une chose : qu’on se plante, et si possible de façon monumentale? Nous n’avons jamais été à un moment aussi important de notre histoire. Si nous ne pouvons réussir au moment même où nos artistes brillent, alors la messe est dite. Et dans 40 ans, il n’y aura pas de 80ème anniversaire. Moi j’ai fait le choix de rester à Sudbury; j’ai fait le choix de me définir Franco-Ontarienne, pas seulement par souvenir pour Robert, pas seulement parce que je tripe à lire Jean Marc; parce que je crois en vous et que vous êtes une belle gang; parce que je veux que mes filles dans 40 ans, elles soient sur scène à déclamer du Daniel Aubin, à performer un «freedom frogs have survived» ou à chanter du Patricia Cano.

Maudite Française, devenue franco-ontarienne

Je m’en reviens du concert donné par Patricia Cano, notre chanteuse franco-ontarienne nationale. Je suis en train de braver les 50 cm de marde blanche d’hier et les -30 degrés d’aujourd’hui. Il fait frette en hostie. Je trouve mon courage en me rappelant les derniers Dalpé et Germain que je viens de relire pour un article dit scientifique. Je pense à ces trappeurs, ces chasseurs, ces bûcherons, ces Franco-Ontariens habitant leurs espaces faits de frette, d’hiver, de maudite marde blanche. Ça me donne du courage, pis je pense à mes chums à Minsk, il faisait frette aussi là-bas; pis je pense à Chalamov, au goulag et pis à Ravensbrück, à Simone Veil et à Geneviève Anthonioz – de Gaulle; il faisait frette aussi là-bas. Pis, à un moment l’alcool baisse, pis je me dis « allons Aurélie, t’es pas une ZEK, t’es pas dans les camps, c’est pas si pire », bah non crisse c’est pas si pire, je suis à Sudbury, y fait frette, mais je ne suis pas en mode survie, mais ça m’aide de penser à eux pour braver le froid et la marde blanche.

Fuckées pas mal comme références, bah c’est ça, t’es une maudite Française devenue franco-ontarienne. Les références sont toutes mêlées. Pis là je pense à ma conversation avec Carlos Bernardo, le guitariste brésilien le plus sudburois qui soit, qui m’annonce drette là qu’il vient de déménager à Paris avec sa nouvelle blonde. Moi je pense à mon ex-chum qui m’a amenée icitte dans le frette, pis qu’est maintenant avec une Brésilienne. Je me dis : « crisse, y’aurait un roman à écrire ». Pis ma petite voix intérieure me rappelle « bah, mais tu sais pas écrire ». C’est vrai, alors y’en aura pas de roman. Mais bon, sur le chemin, face au vent, je pensais (c’est une maladie, je peux pas m’en empêcher). Je me disais que tout ça, à c’te soir, c’était bien révélateur des Franco-Ontariens, et que c’était pour ça que je me dis Franco-Ontarienne depuis un bout’. C’est que tout le monde y peut l’être franco-ontarien. Patricia, Carlos, pis moi. Pis en même temps, on vit pas dans notre petit monde icitte dans le Nord, non. Patricia, elle se partage entre icitte, pis le Brésil, pis le Pérou; Carlos, entre icitte, pis le Brésil, pis la France. Pis moi itou. Pis ma fille qui un jour du haut de ses 6 ans à un Anglo qui lui demandait « mais tu es quoi toi? » Elle lui avait répondu drette là « bah, je suis franco-ontarienne parce que je suis née dans le Sault, pis québécoise par mon père, pis française par ma mère ». Maintenant, elle peut dire qu’elle est un peu brésilienne itou parce que son demi-frère est brésilien. Pis en plus la maman du petit, la Brésilienne, elle est aussi italienne, Enwoye donc : Franco-Ontarienne, Québécoise, Française, Brésilienne, pis Italienne. Les appartenances, c’est comme la salade de fruits, plus y’en a, meilleur c’est.

Alors, voilà c’est tout! C’était beau à ce soir de voir que Patricia avait rassemblé plein de monde au Little Montreal pour récolter de l’argent pour les familles de ces pauvres victimes de travailleurs temporaires péruviens. À ce soir, y avait des franco, des anglo, des hispano, peu importe, on était là pour se souvenir. Et pis c’est drôle, mais Stef Paquette a chanté quelques tounes, dont une sur les mineurs. C’était la première fois que je l’entendais. J’ai pas pu m’empêcher d’avoir des larmes. Pis Patricia aussi elle a chanté une chanson sud-américaine sur un Manuel mort au champ de mines. Pis je me suis demandée pourquoi ça venait me chercher. Moi, je suis tourangelle et bordelaise, on fait pas dans les mines, on fait dans le vin. Mais finalement, ça venait me chercher parce que les mines, comme Franco-Ontarienne, maintenant ça fait partie de mon héritage, pis aussi parce qu’au final c’est des travailleurs, qui travaillent la terre, en dessous ou au-dessus, on s’en fiche. C’est des gens qui donnent leur vie à travailler la terre. Et quelque part, notre identité elle est là. En dessous ou au-dessus de la terre.

Pis vous savez quoi? Y avait Marcel Aymar dans la salle. Quand je l’ai vu rentrer, j’ai pas pu m’empêcher de dire « y’a l’homme invisible ». Pis, à la fin du concert, j’ai dit à mon ami, « eh, regarde y’a Marcel Aymar, la première fois que je l’ai vu, je lui ai demandé un autographe ». Pis là, mon ami, québécois de son état, y’a souri. Alors, en maudit, j’ai été lui parlé à Marcel. J’lui ai montré la vidéo que j’avais faite avec mon téléphone du concert de CANO à Sturgeon en juin passé. Juste, genre lui dire que j’étais une vraie fan. Bon c’était quétaine. Mais je m’suis dit « vous, vous pouvez pas comprendre. Vous avez grandi avec CANO. Mais moi c’est là que tout a commencé ». Anyway, pendant tout le concert, j’ai rêvé que Patricia invite sur scène Marcel, pis qu’ils fassent En plein hiver. Ça c’est pas fait, mais chu sûre que j’vais en rêver cette nuit!