J’veux pu worryer mon brain avec ça…

Aujourd’hui, je vous parle de la «controverse» qui a eu lieu entourant le texte de Christian Rioux dans le Devoir. Vous l’avez déjà lu, celui où il s’empresse de traiter le chiac d’une «sous-langue d’êtres handicapés en voie d’assimilation». Bon. On est peut-être arrivés un peu en retard à la game, mais fuck it.

Pourquoi prenons-nous le temps de revenir sur un débat essentiellement clos (Rioux est dans les patates, c’est lui qui n’a pas compris)? Parce qu’on se sent obligé de le faire et parce que le français au Canada a d’autres chats à fouetter que celui-là. Rendu en 2012, on penserait qu’on serait rendu à un point où ce genre de texte ne paraîtrait jamais dans un des plus grands journaux du pays.

Peu importe, je ne suis pas sociolinguiste. Je suis un gars de Sudbury (d’Azilda!) qui a grandi avec une mère originaire de l’Abitibi (mais installée avec sa famille depuis l’âge de 5 ans à Sudbury… ses parents n’ayant toujours pas maîtrisé l’anglais) et un père originaire de Sudbury (d’Azilda!).

Si Rioux parle des Acadiens en tant qu’êtres handicapés, c’est qu’il considère le chiac comme étant une crutch. Mais comprend-il la réalité de l’Acadie? Comprend-il que dans le cas de certains Acadiens, ne pas parler le chiac chez soi, c’est l’équivalent d’un anglophone du Nouveau-Brunswick qui adopterait un accent britannique juste parce qu’il trouve son dialecte régional «inaccessible» pour les anglophones de l’Alberta?

Transposons-nous en Ontario français, plus spécifiquement à Sudbury (je me limite à Sudbury parce que je ne veux pas faire des généralisations grossières au sujet de régions qui me sont moins familières. Même Sudbury n’est pas monolithique à cet égard) où le français de la rue est essentiellement composé d’une majorité de mots français, (mais aussi de mots anglais) parfois familiers et détenant un mélange de syntaxe anglaise et française. Si un mot veut escaper en anglais par exemple, on ne se gêne pas de le dire pis de switcher back au français tusuite après. Nous, ces mots-là, on ne les voit pas en italiques dans nos têtes! On me prendra peut-être pour un clown, mais c’est comme ça que je parle avec ma famille, c’est comme ça que je parle avec ma blonde et c’est comme ça que je suis au naturel. Ça ne m’empêche pas de parler un français standard quand il le faut, ni d’écrire avec un niveau de langue digne d’être lu.

La réalité de nos milieux, minoritaires ou pas, fait en sorte qu’on fait des emprunts linguistiques, et ce, tant à Shédiac, qu’à Moncton, qu’à Chelmsford, qu’à Saint-Boniface et même qu’à Montréal ou à Québec. On s’en crisse pas mal, puis on se sent très bien dans notre peau.

Et ça va de même en anglais. Mise en situation : Je suis étudiant à la maîtrise en histoire à l’Université Laurentienne. Les étudiants du cycle supérieur partagent un bureau. Certains parmi eux étudient en français (2) et certains étudient en anglais (6). Quand je parle à mes collègues anglophones (du moins ceux qui ne comprennent pas le français, parce que certains d’entre-eux le comprennent et le parlent effectivement) je ne me gêne pas d’aller piger un mot en français s’il véhicule mieux l’idée que j’ai en tête. Parfois je dois l’expliquer, mais la plupart du temps, ils comprennent la nuance entre les deux mots. Tout le monde dort moins niaiseux en conséquence. Peut-être est-ce une réalité propre à mon milieu, mais le monde académique semble avoir tendance à emprunter aisément des mots comme l’establishment ou le globalism alors que des termes «équivalents» existent également en français. On ne se gêne pas non plus de citer des phrases entières dans des langues étrangères par crainte de déformer les idées de l’auteur initial au moment de la traduction!

Dans le texte de Joseph Edgar, publié le 5 novembre, il nous dit «Le chiac, c’est pas le français universel ». Mais là, le franglais de Sudbury, le joual de Rouyn, la langue de la rue de Montréal puis le làlàlage du Saguenay non plus.

Suivez-moi.

«Et si on veut participer à un monde francophone et se faire comprendre dans ce monde francophone, on pourrait peut-être songer à être un peu plus humble et faire un effort pour mieux se faire comprendre». Ici, je suis d’accord! Mais peut-on laisser de la place aux deux? Est-ce vraiment si inconcevable de maintenir son dialecte régional (dans une forme correcte… c’est-à-dire en évitant les calques et en conjuguant ses verbes correctement, etc.) tout en apprenant la «bonne façon» de dire quelque chose? Est-ce mal de continuer à rouler son R au moment d’une présentation si le vocabulaire et la syntaxe sont corrects?

Suis-je le seul à voir quelque chose de beau dans les régionalismes? Suis-je le seul à trouver ça cute d’entendre le «so-sisse» des Abitibiens ou bien le R roulé de Sturgeon Falls? Est-ce vraiment inconcevable de dire «ah vous dites « vidéo » au féminin? À Sudbury on le dit généralement au masculin» alors que ce ne soit pas nécessairement le cas dans le restant du monde?

On pourrait-ti arrêter de worryer nos brains avec ça pis juste vivre en paix?

Panégyriques sur une casserole

Ce poème fut écrit à la suite des soirées de casseroles qui ont eu lieu à Sudbury. Que les manifs aient pris cette forme, et que cette expression particulière de solidarité soit celle qui a pris de l’ampleur partout au pays mérite, je crois, notre attention.


i.
là où j’l’ai échappée au sol
y a quelques soirées
soupers
semaines
petite concavité
aux frappes de la cuillère
résonne
«bonjour»
«réveille»
raisonne

taches noires
témoignent de la soirée
où on a brûlé
le spaghetti
le riz
les justes desserts
la sensibilité

(c’était quand même
par accident)

où sont-ils
les mille
milliards d’repas
que l’on expose
dans les boulevards…?

notre vaisselle
drum core arythmique
lavée dans la poussière
l’essence
l’essentialisme
le courant
dans la rue

je crie l’alarme
sur l’eraflure
qu’il a fallue
pour enlever
une croûte brûlée
de mélasse noire

et quelle sonate

poêle et cuillère
réchauffant bien
ce qu’on n’avalera
jamais

j’ai faim
mais beaucoup moins envie
de m’mordre la langue

j’ai l’goût du métal
inoxydable
le son du sang
le goût d’érable

 

ii.
nos vieilles photos:
faudra ‘xpliquer
à nos enfants
qu’on a eu tort

que leur cacaphonie
dans la cuisine
à trois, quatre ans

—on n’avait pas compris
encore
que c’est comme ça
la politique

faut fouiller dans l’cabinet
sous l’évier
pour trouver sa voix

L’Ontario ou le triomphe de la paix sociale

D’un côté: 15 semaines d’ étudiants en grève, de manifestations à répétition, de vitres cassées. 14 semaines d’arrestations, de cocktails molotov et de blessés, par centaines. L’Histoire est en marche: de Gatineau à Gaspé, le Québec est en ébullition.

Puis, on traverse l’Outaouais. Le no man’s land. D’un côté le bruit, les feux d’artifices, le bal, et de l’autre: le silence. La tranquillité. La grande paix sociale. Le contraste est saisissant. Il parle fort. Et impossible de ne pas se poser la question: un pareil bouleversement serait-il possible en Ontario? Certains diront que c’est une affaire d’actualité; que c’est tout bonnement une histoire de conjoncture. Ce serait donner trop de crédit au hasard. Non, la ligne est trop bien tracée. Si bien en fait qu’on dirait un mur. Et les murs ne se bâtissent pas tout seuls. Suffit la complaisance.

L’Ontario est le plus près qu’une société puisse l’être de l’inoculation contre les bouleversements sociaux. Tout peut changer, ça va de soit. Mais pour qu’un véritable mouvement de masse se développe dans la province, il faut compter sur une véritable catastrophe. Économique surtout. Écologique probablement. Mais politique? Sociale? Non. Il faudra bien plus. L’Ontario est une merveille de paix sociale: un chef-d’œuvre de démocratie libérale. Et ça n’a rien d’une coïncidence.

Il y a quelques semaines, des étudiants de l’Université Laurentienne, à Sudbury, nous en ont donné un témoignage éloquent. Dans un acte lourd de symbole, une poignée d’entre eux ont décidé de porter le carré blanc à l’école. L’emblème de la capitulation. Ils en avaient contre l’administration qui a décidé d’augmenter de 8 à 15% les droits de scolarité de ses programmes. Et pourtant, nos pauvres étudiants sont loin de la gratuité. Ils paient déjà, en moyenne 6640$ par année pour obtenir leur diplôme. Repeat after me: 8% de 6640$, means 531$. 15%, c’est 996$. Tout le conflit étudiant au Québec repose sur une augmentation des droits de scolarité de 375$ par année, pendant 5 ans. Et en bout de ligne, cette augmentation doit porter la moyenne des droits de scolarité dans la province à 3793$ par année, par étudiant. C’est presque 3000$ de moins qu’en Ontario.

Le fait est qu’il faut remonter loin, très loin, dans l’histoire ontarienne pour y trouver quoi que ce soit qui puisse passer pour un bouleversement social majeur. Des mouvements de contestation existent mais ils sont rares. Ils sont limités. Et le plus souvent, ils sont ponctuels. La plus grande manifestation qui a eu lieu lors du G20, celle du 26 juin 2010, comptait 10 mille personnes. C’est ce que mobilise le mouvement étudiant québécois presque chaque soir depuis presque qu’un mois. (Étonnant, lorsqu’on sait que les policiers ont tout de même arrêté plus de 1000 personnes durant le sommet à Toronto, ce qui en a fait la plus grande arrestation en masse de l’histoire du pays).

Même au plus fort de la contestation contre la «révolution du bon sens» du gouvernement de Mike Harris — qui d’un coup, réduisait l’assistance sociale de 22%, gelait les places en garderie et le financement des services sociaux en général — les mouvements d’opposition n’ont pas réussi à mobiliser plus 100 mille personnes en même temps. Et pourtant, la manifestation d’appui aux syndiqués de Hamilton, en février 1996, reste la plus importante mobilisation de l’histoire de l’Ontario. À Montréal, en 2003, ils étaient cent cinquante mille à manifester par -25 degrés… contre la guerre en Irak! Au Québec, il y belle lurette que les manifestations de cent mille personnes ne font plus l’Histoire.

Mais d’où vient cette attitude, que certains qualifieront de profondément civique et d’autres de foncièrement docile? De l’histoire? De l’économie? De la culture? L’Ontario est-elle le mélange rêvé d’une saine société libérale, d’un parlementarisme britannique efficace et d’une économie de marché prospère? Ça va de soi, la réponse dépend du point de vue de l’observateur. Pour un jeune militant du parti libéral, l’Ontario est l’exemple d’une province qui va bien, qui sait «gérer ses affaires». Pour le cadre d’entreprise aussi. Le travailleur de Vale, à Sudbury, verra les choses autrement. Le chômeur, encore plus autrement. Et que dire de l’immigrant coréen qui gagne sa croûte à Toronto.

C’est d’abord cette multitude d’intérêts qui mine les mouvements sociaux de la province. Le tissu social ontarien s’amincit d’année en année. Il est désormais trop faible pour être un terreau fertile à la contestation. L’individualisme propre aux sociétés libérales combiné à un morcellement grandissant de la collectivité ontarienne forment un puissant somnifère. Les citoyens s’endorment ensemble, mais se réveillent tout seuls.

Pour plusieurs, c’est une question de culture. De mœurs. Historiquement, il n’existe pas de «culture de la contestation» en Ontario, peut-on entendre. Mais cette culture est absente chez qui? Les Presbytériens? Les ouvriers? Les Irlandais? Ou alors les Musulmans? Les femmes? Les hommes? Et pourquoi pas tient, les Franco-Ontariens? La question est lancée. De quelle «culture» parle-t-on? Qu’est-ce que la «culture ontarienne» qui n’a pas «l’habitude de la contestation»? Pour se mobiliser, il faut d’abord s’avoir à qui s’adresser. Il faut d’abord trouver qui partagent nos frustrations, et après, poser la grande question. Où a lieu la manifestation? Il faut avoir des yeux pour ceux qui nous entourent et, surtout, avoir la ferme conviction que son bonheur individuel dépend du bonheur collectif.

Un projet commun, une identité commune attachée à une cause commune, peut facilement briser les chaînes de l’habitude. Le Québec d’avant 1960 aurait facilement satisfait la définition que certains peuvent avoir d’une société «harmonieuse». Les mouvements sociaux n’avaient rien de féconds sous Duplessis. L’ordre et la loi régnaient. Les Canadiens français ont subi bien des injustices sans broncher. Mais ce respect de l’autorité n’est pas suffisant pour contenir les sautes d’humeur d’une société civile constituée, d’une collectivité qui partage une certaine idée du «bien commun». C’est pour cette raison, entre autre, qu’a pu fleurir la Révolution tranquille au Québec et même certains bouleversements sociaux avant 1960 (les crises de la conscription de 1917 et de 1944, par exemple).

Le gouvernement de Dalton McGuinty vient d’adopter l’un des budgets les plus austères depuis Mike Harris. Un budget que certains considèrent même plus radical — dans son objectif de mettre fin au déficit — que l’était celui des conservateurs en 1996. Pour une majorité d’Ontariens, ce budget veut dire moins de services pour le même prix. La fédération du travail a fait son possible pour mobiliser ne serait-ce que le milieu syndical. Le résultat? L’une des plus grandes manifestations de l’histoire récente de la province. Dix mille personnes ont marché quelques heures à Toronto.

Et puis quoi encore? Peut-on accuser une société paisible de ne pas être assez «bouleversée»? Ne doit-on pas plutôt se réjouir de cette harmonie sociale? C’est le genre de question que se pose l’Intelligentsia des grands quotidiens de la province. Margaret Wente dans le Globe and Mail parle avec mépris des étudiants qu’elle traite de «Grecs du Canada». Pour le Toronto Star, c’est le triomphe de l’anarchie… Pour ces gens, il semble d’autant plus choquant de voir les jeunes se révolter quand en Ontario tout va tellement bien! Les patrons et les travailleurs vont main dans la main, les gouvernants et les gouvernés mangent à la même table, et les fontaines de miel, et les petits oiseaux, et Imagine all the people! Living life in peace!… Mais nous doutons que ce soit le tableau qu’imaginait Lennon.

Car il faut bien l’avouer, si Jean Charest le pouvait, il échangerait sur le champ ses tributaires québécois pour des Ontariens. Sans même réfléchir. Et on imagine facilement que dans les pires cauchemars de Dalton McGuinty, l’Ontario est peuplé de Québécois! L’ordre et la paix ont fait leur preuve, reste que c’est la révolte qui nous a donné le droit de vote. Ou le salaire minimum. Ou la liberté de conscience.

Ces quelques lignes n’avaient pas pour but de peindre en noir la province d’Étienne Brulé et d’Alexander Graham Bell. L’Ontario ne doute pas de sa valeur et avec raison. Pourtant, les Ontariens sont mûrs pour une prise de conscience. Et le plus tôt sera le mieux.

En attendant, nous prenons la liberté de saluer l’exemple québécois. Et de remercier tous ces étudiants et ces étudiantes qui nous prouvent, encore une fois, que le choc des idées vaut bien mieux que la paix des cimetières.


Photo : Bettman/CORBIS, Indiana University, 1971

Un conte de deux cités: impressions de la grève étudiante

J’habite l’arrondissement d’Outremont à Montréal, mais juste. À quelques rues à l’est, c’est le Plateau Mont-Royal. Dans ces rues limitrophes, il y a un grand nombre de familles juives hassidiques. Cela fait plusieurs années que j’habite le quartier et il faut dire que le contact est minimal. On a toujours l’impression, à tort ou à raison, que cette communauté ne s’intéresse pas à «nos» affaires.

Hier soir, j’avais décidé de descendre dans la rue à huit heures pour me joindre à la marche des casseroles du quartier. Depuis l’adoption de la loi spéciale il y a une semaine, ces manifestations «spontanées» se déroulent dans les divers quartiers de Montréal et dans d’autres villes du Québec. Gens de tout âge y sont présents. J’avais assisté brièvement à des marches de casseroles d’autres quartiers, notamment le quartier populaire de Hochelaga et dans le Quartier Latin, mais jamais muni de ma propre casserole.

Il y a presque deux mois, lorsque je vous ai écrit pour faire état de la grève étudiante au Québec, la grève suscitait relativement peu d’intérêt dans le ROC (Rest of Canada). À ce moment-là, Québec refusait toujours de négocier avec les étudiants alors qu’aujourd’hui on parle de négociations entre le gouvernement et les quatre associations étudiantes nationales (la Fédération étudiante collégiale, la Fédération étudiante universitaire, la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante et la Table de concertation étudiante). Une proposition de baisse de la hausse à déjà été faite par le gouvernement. C’est un début.

À ce moment-là, il n’y avait pas encore d’injonctions, de grande manifestation nationale pour la fête de la terre du 22 avril, d’augmentation de la hausse, d’entente bidon ni la démission de la ministre Beauchamp. Il n’y avait pas encore la loi spéciale (l’oie spéciale qui distribue des amandes salées), les manifestations nocturnes, les arrestations de masse qui augmentaient en nombre jusqu’à ce que, selon certains, la bureaucratie policière nécessite quelques soirs de répit avant de recommencer de plus belle. Le 22 mai, il y a eu une autre manifestation nationale contre la loi spéciale qui a réuni jusqu’à 400 000 personnes dans les rues de Montréal. Et bien sûr, il y a deux mois, Anarchopanda n’était qu’un autre prof contre la hausse. Aujourd’hui, le monde entier parle de nous.

Si les manifestations nocturnes demeurent essentiellement étudiantes, les concerts de casseroles rejoignent tous ceux qui sont contre l’atteinte aux droits fondamentaux et ceux qui en ont crissement marre de Charest et de son gouvernement. Et ceux-ci sont de tous les âges.

Je descendais donc dans la rue, armé d’une cuiller en bois et d’une casserole. C’est une expérience tout autre que celles des marches nocturnes. Les manifestations sont plus petites, la présence policière est moindre, donc moins violente. Il y a moins de colère, l’ambiance est plus festive. Pour une première fois, peut-être, les voisins se parlent, se sourient et côtoient. Il n’y a pas de juifs hassidiques dans notre défilé, mais il y en a plusieurs qui nous observent du coin de la rue ou de leur perron. Il y a des hommes qui sourient dans leurs longues barbes en nous voyant, ils doivent trouver ça drôle, étrange. Parfois, je remarque une femme qui tape dans ses mains. Les enfants nous regardent avec émerveillement. Mais il n’y a personne qui se joint à nous.

Après une petite pause concert devant la maison du maire de Montréal, nous poursuivons notre chemin pour enfin rejoindre l’artère principale, l’avenue du Parc. Rendu à l’angle Laurier, je décide de rentrer chez moi plutôt que d’aller jusqu’au centre-ville. Mes jambes me font mal, victimes du déménagement de ma blonde, la veille.

Devant la synagogue à deux pas de chez moi, un groupe d’«adolescents» hassidiques se tient, comme nous nous tenions jadis sur les marches de l’école après la fin des cours. Ils sont quatre ou cinq, ils ont tous l’air d’avoir 15 ou 16 ans. Il fait déjà nuit, le ciel est sombre. Alors que je passe devant eux, j’entends un «Hello».

Je réponds : «Hello».

Je m’apprête à continuer tranquillement mon chemin quand j’en entends un qui m’interpelle.

«Hey, we saw somebody with, under the red square, the black square. What does it mean?»

«It’s for the law»

«So the red is for the students and the black for the law?»

«Yes, against the law that was passed.»

Il explique en Yiddish pour un de ses camarades qui ne doit pas bien comprendre l’anglais.

Ensuite, il dit «We have one too» et il sort un petit carré rouge de la poche de son long manteau noir.

«Thank you» dis-je en souriant, puis «Good night», avant de monter chez moi.

C’est peut-être la plus longue conversation que je n’ai jamais eue avec ces jeunes qui vivent à deux pas de chez moi. Je ne sais pas ce qu’ils pensent vraiment de la grève, du mouvement étudiant. Mais ils sont certainement curieux.

Les choses ont changé au Québec.

Je sais qu’il ne s’agit que d’un fait anecdotique qui n’explique en rien ce qui se passe vraiment au Québec. Mais il est emblématique de l’omniprésence de ce mouvement dans tout ce qui se passe actuellement.

Il y a quelque chose dans l’air qu’il n’y a pas encore dans le ROC.

Alors qu’à l’Assemblée nationale, ceux et celles qui se déclarent la représentation légitime du peuple se préparaient à adopter une loi spéciale draconienne et sûrement anticonstitutionnelle et que dans les rues de Montréal, de Québec, de Sherbrooke et ailleurs, la résistance québécoise se préparait à une énième manifestation, je filais à l’anglaise vers le calme d’une province amorphe où le carré rouge que je portais fidèlement ne provoquait ni la peur aux bourgeois banlieusards ni la fierté aux vieux travailleurs dans les autobus municipaux.

Toronto était calme. Toronto n’était pas concernée par ce qui se passait alors et ce qui se passe toujours à Montréal. Les nouvelles circulaient aussi lentement que les autos des riches de Rosedale en direction de leur petit palais des Muskokas ou des Kawarthas pour fêter la reine du Canada avec une caisse de bière et un coup de soleil. On ne savait donc pas que la politice militarisée matraquait avec encore plus d’impunité. Que les politiciens rétrogrades font l’apologie de la violence sous prétexte que les têtes et les cerveaux d’un jeune ne valent pas la vitrine bien assurée d’une banque qui s’amuse à financer le meurtre par voie de fait minier d’un village entier en Amérique du Sud. Que les dispositions d’une loi matraque sont une machine à remonter dans le temps qui permettent à la ministre Courchesne de défaire et réinterpréter les lois de la province et au premier ministre de se donner des airs de Le Noblet.

Les oiseaux chantaient paisiblement, les gens marchaient dans les rues, désunies, sans scander de slogans. Je me suis permis le privilège d’une fin de semaine paisible alors que les miens étaient sur la place publique à revendiquer en risquant éventuellement de perdre leurs yeux, leurs oreilles ou leur liberté.

Malgré les tentatives d’étaler le beurre d’érable, je me ressentais d’autant plus étranger dans ma ville natale que d’habitude. Toronto avait quelque chose de mort. Il y a quelque chose de vivant dans la résistance, il y a quelque chose de vivifiant dans la revendication. J’espère que le Maple Spread réussit à libérer mon Ontario natal des griffes de Morphée pour qu’il ressente la liberté qui ne vient qu’en la réclamant. Pour le moment, le printemps n’est arrivé qu’au Québec. Mais les saisons ne connaissent pas les frontières.

Je ne sais pas vraiment où je veux en venir, à part vous faire part de quelques impressions. Pour les faits, il faudra aller ailleurs. Je vous laisse avec une chanson de notre chanteur populaire national, Damien Robitaille :


Photo: Steve Duchesne

Printemps érable 101

Cela fait déjà quelques mois que taGueule est en ligne. Cela fait un certain temps qu’on réfléchit à notre société sur plusieurs niveaux. On critique et on applaudit les institutions, les artistes, les politiciens, le organismes, etc. aux niveaux local, provincial et fédéral, toujours (dans la mesure du possible) en tentant de faire des liens avec l’Ontario français.

Également, vous avez sans doute remarqué que notre rythme de production a ralenti. On prend plus de temps à travailler nos idées, à réfléchir (pour ne pas gueuler dans le vide) et à peaufiner nos textes. On commence à comprendre les rouages de notre nouvelle bebelle, puis jusqu’à présent, ça roule en titi.

En même temps, si notre rythme de production a ralenti, c’est qu’on s’est branché sur le conflit social qui se passe au Québec depuis le mois de février. En créant taGueule, un des objectifs qu’on voulait atteindre était de ne jamais sombrer dans le nombrilisme. C’est à dire, s’il y’avait un évenement important qui se passait dans le monde qui n’était pas une question profondément franco-ontarienne, on voulait en parler malgré tout. De toute façon, une grande partie de nos collaborateurs sont étudiants, professeurs ou de jeunes professionnels récemment diplômés. Cette crise sociale (qui a vu ses débuts en tant que crise étudiante) nous intéresse. Impossible pour nous de continuer à se mettre le doigt dans ce qui semble être des petits paper-cuts franco-ontariens lorsqu’on les compare aux hémorragies de problèmes de nos voisins. Non seulement qu’une grande partie de ce que réclament les Québécois en ce moment s’applique également aux Franco-ontariens, mais elle s’applique aussi au monde occidental en général.

Depuis l’adoption de la loi 78 par l’Assemblée nationale du Québec le 18 mai, les manifestations quotidiennes se terminent de façon de plus en plus brutale. Les arrestations de masse, les plaintes d’agression sexuelle, des coups de matraque aux journalistes, la poivre de cayenne en pleine face, de la casse par des agitateurs (qui ne représentent pas la grande majorité des manifestants) mais et aussi par la police sont devenus des activités quotidiennes. Ce conflit n’est plus qu’une question étudiante, ce n’est plus qu’une question de droits de scolarité. Au contraire, c’est une question sociale, une critique d’une société néolibérale corrompue dans son ensemble.

Je pourrais m’étendre davantage sur le sujet, mais ceux que je voudrais convaincre me prendraient pour un petit socialiste de la go-gauche, et ceux qui m’écouteraient ont déjà entendu cette histoire. Ce que je voudrais faire au lieu, c’est de vous offrir un guide; une marche à suivre qui servirait à comprendre ce qui se passe au Québec (et qui commence à s’étendre partout au Canada). Les sources que je vous offre sont nécessairement subjectives (comme n’importe quelle source que vous lirez à n’importe quel sujet). Cela dit, elles vous offrent une vitrine sur ce qui se passe réellement en ce moment, chose que les médias traditionnels ont malheureusement très peu faite. À mon avis, cela vous permettra de formuler votre propre opinion en utilisant votre pensée critique.

Le petit guide du printemps érable 101

Par où commencer?

Twitter

Twitter. Vous savez, le médium de communication archaïque, à 140 caractères? Celui que vous n’avez jamais pris la peine de maîtriser? Eh bien oui, une grande partie de l’information relayée au sujet du conflit est transmise par Twitter en raison de sa simplicité. C’est que même sans un téléphone intelligent, Twitter vous permet de faire des mises à jour et à vous informer sur ce qui se passe autour du monde, instantanément. Je vous offre un guide complet sur l’utilisation de Twitter, ainsi qu’un guide de recherche pour suivre le conflit.

1) Suivez des utilisateurs intéressants et engagés. En voici quelques-uns: @GNadeauDubois (porte-parole de la CLASSE), @ASSEsolidarite (twitter officiel de la CLASSE), @ThomasGerbet (journaliste de Radio-Canada qui tweet souvent en direct des manifs avec des photos), @JoseeLegault (chroniqueuse politique au voir.ca), @SPVM (service de police de la ville de Montréal), @FEUQ (Fédération étudiante universitaire du Québec), @FECQ (Fédération étudiante collégiale du Québec).

2) Faites des recherches dans Twitter pour les #hashtags: #manifencours (pour les manifestations en cours), #casserolesencours (pour les casseroles en cours à partir de 20h à chaque soir), #ggi (acronyme pour la «Grève générale illimitée» qui a lieu en ce moment), #loi78 (pour suivre ce qui se passe par rapport à la loi et ses répercussions), #PrintempsErable (un joli jeu de mots sur le «printemps arabe» de 2011), #MapleSpread (to spread the Maple to our anglophone friends in the rest of Canada).

Livestream

CUTV (Concordia University TV) couvre les manifestations de Montréal en direct depuis le début. Étant la presse étudiante de l’Université Concordia, ils se font souvent prendre pour des manifestants (et traités ainsi; heureusement sur caméra). Ce qui est génial, c’est qu’on voit le conflit se dérouler devant nos yeux, en direct. Même si on ignore le journalisme qui est parfois médiocre et tout sauf neutre (être en ondes toute une soirée de temps, souvent de 14 h à 1 h du matin, et ce, depuis le début du conflit, c’est taxant), on voit immédiatement que ce conflit transcende la question des frais. Dès que le soleil tombe, les manifestants pacifiques font face à la police, souvent de façon assez brusque.

Pour écouter les manifestations en direct, vous n’avez qu’à cliquer sur l’écran en haut à gauche de cette page.

YouTube

Ici, vous pourrez vous rattraper sur tout ce que vous avez manqué. Je vous suggère quelques clips qui vous permettront de voir des exemples des abus dont je parlais tantôt. Bien que la plupart de ces clips semblent pencher du côté des manifestants, il faut se poser les questions suivantes:

Est-ce que parler à un policier mérite qu’on se fasse poivrer? Je croyais qu’il était dangereux de se servir de poivre de cayenne de façon aussi grossière

Est-ce que de barrer la route à un policier souhaitant décoller en voiture mérite qu’on se fasse lutter?

Est-ce que le fait de se faire lancer une chaise à partir d’une terrasse justifie le fait de lancer des gaz lacrymogènes à tous les clients qui s’y trouvent ET de leur relancer la chaise?

Qu’est-ce qui justifie le fait de donner de coups de matraque à des gens déjà par terre ou à une foule qui se disperse déjà?

En tout cas, si ce que vous aurez appris sur ces méthodes n’est pas assez pour vous convaincre qu’il y a quelque chose de profondément mal avec ce conflit, dites-vous qu’en Ontario, on paie déjà le double, voire le triple de ce que paient les étudiants qui ont déclenché cette crise. Dites-vous que selon les normes provinciales, les frais des étudiants augmenteront jusqu’à 5% l’an prochain. Dans une institution ontarienne relativement peu dispendieuse comme l’Université Laurentienne (±5900$ par année en 2011-2012) cela équivaut à environ 270$. On n’est franchement pas loin l’augmentation annuelle de 325$ à laquelle faisaient face les étudiants québécois n’est-ce pas? Je ne demande pas pourquoi les étudiants de l’Ontario n’ont pas encore agi de façon importante. Le discours des différences culturelles, budgétaires, etc., je l’ai déjà entendu. Ce que je me pose comme question, c’est plutôt pourquoi, même si l’accessibilité à l’éducation en Ontario est en pire état qu’au Québec, on se contente de ces réponses au lieu d’agir? Les Québécois ont entendu une grande partie de ces réponses-là aussi, ça ne les a pas empêchés, eux.

Si vous habitez la région de Sudbury, je vous invite à une première manifestation le 1er juin à 16 h, non seulement pour démontrer notre solidarité envers les étudiants québécois, mais également pour montrer à nos politiciens qu’on peut se mobiliser, que le même genre de conflit arrivera sous peu en Ontario s’ils n’agissent pas. Si non, je vous invite à vous informer sur ce qui se passe dans votre région et de commenter ci-bas. Si vous ne trouvez rien, c’est peut-être que vous êtes celui qui doit amorcer ce réveil de conscience…


Illustration : Mimi

Deux polices de la langue très différentes

Le 23 septembre 1996. En réclamant davantage d’affichage commercial en français, l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO) tentait d’attirer sur elle un peu de l’attention médiatique dont profitait alors Howard Galganov d’Alliance Québec, qui contestait la loi québécoise limitant l’affichage commercial en anglais.


Je suis devenu assez vieux pour voir l’histoire se répéter et ça n’a rien de réjouissant. Les plus jeunes que moi n’ont qu’à feuilleter le livre Bâtir sur le roc, une histoire de l’ACFO du Grand Sudbury publiée par Prise de parole, pour se faire une mémoire d’emprunt.

En profitant du courant d’air déplacé par Howard Galganov, le militant qui réclame de l’affichage commercial en anglais à Montréal, voici que l’Association canadienne-française de l’Ontario à Sudbury et à Ottawa réclame à son tour des affiches en français. L’occasion est belle, après tout, de mettre l’émoi anglais au service du français. Or, ce n’est pas la première fois que l’ACFO de Sudbury s’y essaie. Ils ont déjà fait ce bel effort dans les années soixante-dix. Aujourd’hui, peu de traces en restent. Malgré les trente années de débat constitutionnel qui ont suivi, Sudbury ne s’affiche pas plus en français aujourd’hui. Car en vérité, une affiche commerciale française en Ontario, c’est au mieux une dépense inutile et au pire, un irritant inutile. Pour tout dire, même les commerçants francophones n’affichent pas en français.

On dit qu’il y a deux minorités de langue officielle au Canada. Parfois même, comme ces temps-ci, on prétend que leur cause est la même. C’est ainsi qu’un chroniqueur de la Montreal Gazette a pu reprocher aux Franco-Ontariens la timidité de leur version du brouhaha de Galganov. Eh bien, voilà justement la preuve que les deux minorités ont en vérité bien peu en commun à part leur nombre. Le gouvernement du Québec subventionne trois universités unilingues anglaises ; le gouvernement de l’Ontario, aucune université unilingue française. Il y a sept collèges anglais au Québec établis depuis longtemps, contre deux collèges tout récents en Ontario. Ne cherchez pas en Ontario l’équivalent des hôpitaux anglophones du Québec, des médias, des services, des commerces anglophones, et ainsi de suite.

Mais la plus grosse différence, la voici. Howard Galganov a pour cible une loi, qu’il juge injuste et oppressive peut-être, mais une loi formelle aux limites claires. Les Canadiens-Français d’Ontario, eux, ont pour cible une loi autrement difficile à contester : la loi des attitudes. En Ontario, les lois couchées sur papier sont de notre bord. La constitution canadienne garantit l’éducation en français. Or l’Ontario s’en balance sans que personne ne s’en indigne. De même, la loi 8 sur les services gouvernementaux en français peuvent rester fictifs sans que personne ne s’en offusque. En Ontario, on n’aura jamais besoin d’une loi officielle pour limiter le français comme on en a une au Québec pour limiter l’anglais. Ici la loi des attitudes est un frein bien suffisant. C’est une loi si bien ancrée dans les cœurs et les esprits de la majorité qu’elle se passe bien d’une police de la langue.

En dépit de leur forte population canadienne-française et en dépit de trente ans de discours sur le beau Canada bilingue, Sudbury, Timmins ou Kapuskasing demeurent des villes anglaises qui n’ont jamais voulu montrer leur visage français. On peut décrire la mentalité ontarienne de bien des manières, mais jamais on ne pourra dire qu’elle aime les « visage à deux faces ». Pour avoir deux faces, pour jouer le majoritaire minoritaire, il faut un Anglo-Montréalais comme Howard Galganov. Et pour ne pas perdre la face, l’ACFO s’en tiendra à des demandes timides et vite oubliées.


Ce texte fut publié dans le recueil de nouvelles De face et de billet, par Normand Renaud, aux éditions Prise de parole, 2002. Reproduit avec permission.

Photo: Bon Cop, Bad Cop

Discours de clôture de Jean Marc Dalpé au Salon du livre du Grand Sudbury

Salon du livre du Grand Sudbury, 13 mai 2012


D’abord et avant tout : Merci. Merci pour l’invitation, merci pour l’accueil. Et puis bravo. Bravo Guylaine, Bravo Pierre-Paul, Bravo Nathalie, Catherine, Normand, Stéphane, bravo à tous les bénévoles, aux exposants, aux auteurs, aux animateurs… Votre président vous salue et vous applaudit.

Voilà bien des années, j’ai lu et puis retenu une courte phrase de James Joyce qui m’est toujours restée et qui m’est revenue en apprenant que je devais prendre la parole ici en fin de Salon : «La littérature témoigne de l’esprit indomptable de l’homme.»

C’est ma traduction, donc c’est-tu vraiment ça qu’y’ a dit? Mais je vous la relance quand même : «La littérature témoigne de l’esprit indomptable de l’homme.»

Que nos histoires se déroulent à Dublin, Sudbury, Paris ou Nairobi.
Que nos héros soient blancs, noirs, rouges, verts, fourbes, fripons, enfirouapeurs, saints ou damnés
Qu’ils soient, en colère, en joualvère, en transit ou pris au fond d’une mine dans la noirceur
Que nos héroïnes soient sorcières, servantes, fortes, fragiles, blessées, blasées, bluesées, enceintes, en flammes, en chute libre, ou en amour
Ou encore en furie crissement fuckin fâchée raide man contre l’état du monde
Et comment ne pas l’être?

Il y a toujours quelque chose de pourri au royaume du Danemark.

Même quand le Danemark n’est pas le Danemark, mais Montréal, Hearst, Rouyn. Ou Batoche ou Sarajevo ou Gaza.
Même quand le Danemark n’est pas le Danemark, il y a toujours dans les couloirs du pouvoir des mon’onc Claudius et des mamans ma’tante Gertrude qui se pavanent qui se gavent et qui méprisent tous les Hamlet de ce monde.

Et si ton héroïne se nomme Antigone, son Danemark pourri sera Thèbes sous le joug de son oncle Créon; et si elle se nomme Anna Karénine, son Danemark pourri sera la Russie sous le règne des Tsars; et si elle se nomme par contre Philomena Moosetail, son Danemark pourri sera la réserve de Wasaychigan Hill…

Oui, que nos histoires, celles que nous lisons, que nous écrivons, que nous racontons
Se déroulent ici ailleurs dans le passé demain
Toutes les fictions nous rappellent qu’il y a quelque chose de pourri au Royaume
Que nous sommes mortels parmi les mortels, faillibles, souvent faibles
Mais en vie… calvaire, en vie!

Et ce Salon, fête et foire des fictions, témoigne aussi d’un esprit indomptable
Celui d’une communauté
Dont on a prédit Ô combien de fois qu’elle allait, devait s’éteindre :
On connaît la chanson
Et pourtant nous voici encore et toujours
Joyeusement broche à foin en temps de brosse
Rigoureusement stratégique et su’l piton
Quand une menace se pointe à l’horizon
Oui, nous voici encore ici plus déterminé que jamais
S’éteindre? Non merci. On a ben d’trop d’fun et tant à dire, à faire, à bâtir

Checkez vos claques. Vous avez rien vu encore mes pitous
Ça va swinger tantôt mes pitounes.
Et si cet esprit improbable perdure
C’est qu’il se renouvelle, se transforme, s’adapte
Se laisse chambouler et se fait chambouler
Par ceux et celles qui viennent se joindre à ce ‘nous’
Cette (dixit feu Dickson) belle gang de lucky too too
Je parle ici des nouveaux arrivants qui nous apportent leurs épices et leurs rythmes,
leurs accents et leurs vécus.
Je parle ici surtout des nouvelles générations,
Montantes, métissées, mondialisées, et en mouvance,
Celles qui sont déjà là, celles qui s’en viennent
Et qui nous apportent… ce qui est en train de devenir, et ce qui sera.
Comme les générations qui les ont précédées l’ont fait.

Et c’est pourquoi Mon’onc Jean Marc va se permettre de terminer son petit discours en s’adressant à vous, les jeunes :

Les aînés méritent le respect.
Sauf ceux qui ne le méritent pas!
Et tous ceux qui vous traitent avec mépris de ces jours-ci ne le méritent pas.
Et tous les mon’onc en complet cravate, toutes les ma’tantes en tailleur griffé
Qui hypothèquent votre avenir en vendant votre pays, votre territoire au plus offrant
Sans vous consulter, sans vous écouter, sans vous entendre… ne le méritent pas.

Tous ces messieurs dames très civilisés qui se présentent comme les parangons de la culture
N’ont qu’une culture : celle du profit, le leur. Celle du pouvoir, le leur.

Je sais. C’est pas nouveau.

Il y a toujours quelque chose de pourri au royaume du Danemark.

À vous de relever le défi maintenant de le nommer, à vous d’assumer la tâche, non le devoir, de résister à l’abêtissement à l’abrutissement et notamment en créant des œuvres percutantes qui oui témoignent de l’esprit indomptable des hommes et des femmes d’ici.

Cela dit… Ne vous trompez pas… Mon’onc Jean Marc n’est pas prêt à prendre son trou.
S’il y en a qui a l’idée de dire «Tasse toi Mon’onc!», on verra.

Merci beaucoup.


Photo: The Power of Books (2003), Mladen Penev

S’aventurer dans la cour arrière de Patrick Watson

Patrick Watson
Adventures In Your Own Backyard
Secret City Records/Domino Records

Si taGueule publie une critique d’un album complètement en anglais, il faut que ce soit un maudit bon album. Eh bien, voici qu’arrive le tout nouvel album du montréalais Patrick Watson, Adventures In Your Own Backyard.

Après une nomination au prix Polaris pour chacun de ses deux plus récents albums (et une victoire d’ailleurs!), la barre était haute pour celui-ci et Watson ne déçoit pas une miette. Pour ce quatrième album, Patrick et sa formation ont enregistré l’album dans leur salle de répétition, d’où vient l’inspiration du titre de l’album. Comparé à Wooden Arms, son dernier album, Adventures In Your Own Backyard est un album moins éclectique, plutôt simple, mais toujours émouvant d’un bout à l’autre. C’est plus terre-à-terre et beaucoup plus axé sur les paroles et le chant.

L’album reprend le style pop/alternatif/folk/cinéma des dernières oeuvres de le formation. De la première piste, Lighthouse, avec son piano somptueux et une fin digne des meilleurs moments de splendeur, jusqu’aux dernières sombres notes de l’instrumental épilogue, Swimming Pools, l’album crée une atmosphère qui éclabousse en toute douceur. Il n’y a pas de chansons cheese, accrochantes ou emmerdeuses. Il n’y a que des simples mélodies permutées par la voix falsetto du chanteur, par des sons de trompettes et par des ambiances parfaitement placées. Les paroles de l’album racontent les ballades autour du voisinage, la campagne, l’amitié; l’album est quasiment un hommage à la vie chez lui au Québec. On dirait un miroir littéraire de The Suburbs d’Arcade Fire.

Patrick Watson célébra ce soir le lancement canadien de son album avec un troisième et dernier spectacle à guichet fermé au Théâtre Corona de Montréal. Pour le Canada et l’Europe continentale, un des albums les plus anticipés de l’année est finalement arrivée. L’album sortira le 20 avril en Allemagne et au Royaume-Uni, le 30 avril ailleurs sur la planète sauf aux États-Unis où ils devront attendre au 1er mai, un 24 heures de plus.

[h3]Pour les fans de[/h3]
Radiohead, Karkwa, Arcade Fire, The Cinematic Orchestra, Jimmy Hunt, City and Colour

[h3]Moments forts[/h3]
Lighthouse, The Quiet Crowd, Into Giants, Noisy Sunday

Flaherty à l’ONF : « Silence, on coupe! »

Les récentes compressions entreprises dans le budget Flaherty en avril 2012 constituent pour les francophones hors Québec une menace on ne peut plus importante contre l’avenir de ces communautés. Avec le risque de perdre l’une de nos institutions cinématographiques les plus importantes à l’ouest de l’Outaouais, il est important d’apporter la perspective d’une cinéaste sur ce budget fédéral.

L’État des lieux

Qu’en est-il des compressions qui concernent la production cinématographique chez les francophones? Le budget fédéral 2012 annonce, d’une part, des compressions de l’ordre de 191 millions de dollars à Patrimoine canadien. De son côté, le ministère a choisi de répartir ces compressions dans ses institutions à charge. De cette somme, c’est la Société Radio-Canada/CBC qui se voit grande perdante, avec 115 millions de dollars en compressions budgétaires. Du côté de Téléfilm Canada — le plus important bailleur de fonds canadien en matière de création cinématographique (La Sacrée en a profité, tout comme la majorité des longs-métrages québécois) —, l’enveloppe est coupée de 0,6 million de dollars. À l’Office national du film (ONF) du Canada, les compressions sont de l’ordre de 6,7 millions de dollars. Par conséquent, nos institutions et bailleurs de fonds ont la dure tâche de «couper dans le gras» (voire : la moelle) afin d’atteindre les objectifs prescrits par le ministre des Finances Jim Flaherty et de Pat Can. Le résultat? Élimination de 73 postes à l’ONF.

L’impact immédiat

De prime à bord, il faut comprendre la structure de l’ONF en français. Il existe une maison-mère à Montréal ainsi que deux studios régionaux : Acadie, et Ontario et Ouest. Il importe aussi à rappeler aux lecteurs qu’il existait, jusque dans les années soixante-dix, un Studio Ouest et Studio Ontarois, mais que la valse des compressions a forcé leur fusion.

Du côté du Studio Ontario et Ouest, ce sont deux postes clés qui sont éliminés avec les compressions. Compte tenu du fait qu’il n’y a que trois personnes travaillant au Studio, et que ces derniers ont la lourde charge d’administrer les projets de l’ONF à l’échelle de l’Ontario, de l’Ouest ainsi que du Grand Nord, toute coupe ayant pour objet d’éliminer des postes au bureau de Toronto ou dans le dessein de fusionner (encore une fois!) le Studio Ontario et Ouest avec le Studio Acadie est, pour le moins que l’on puisse dire, inquiétant.

Avec ces compressions, il ne resterait qu’une seule personne sur place en Ontario. Bien que, techniquement, cela réfute les allégations d’une fermeture du Studio, nul besoin d’un bac en gestion pour comprendre qu’un local vide avec une seule personne pour répondre à des téléphones indique, au final, que le Studio prendra la forme d’une coquille vide. Sans productrice sur les lieux, on est en droit de se questionner à savoir si le programme Tremplin existera toujours. D’ailleurs, comment espérer mettre sur pied les projets en partenariats avec la communauté — comme c’était le cas avec TonDoc et ses nombreux partenaires, dont Santé Canada, l’AFO, la FESFO et d’autres — sans productrice au bureau de Toronto?

Nous et notre avenir artistique

Au final, ce qu’il faut comprendre, c’est que ce sont nous, les jeunes, et les générations futures qui sont au point de perdre une importante institution, et c’est nous qui devrions nous indigner le plus. Quel autre producteur appuie de nouveaux réalisateurs avec leurs premières œuvres en région tout en leur payant un salaire adéquat? Quel autre producteur peut garantir une visibilité et une mise en marché pancanadien, et même international, de nos histoires?

Le Studio Ontario et Ouest offre aux nouveaux cinéastes une opportunité de prendre la parole, car souvent, vivant dans la francophonie minoritaire, nous avons de la difficulté à se faire entendre. Voilà le sort qui nous guette à demeurer complaisant face à cette situation budgétaire.


Recommandations de documentaires du programme Tremplin

Voici une liste de mes documentaires préférés du programme Tremplin. Le programme Tremplin permet aux réalisateurs d’une première ou seconde œuvre de mener à terme leur projet de documentaire. Il est important de noter que ces films auraient pu être réalisés par n’importe qui d’entre nous

Mon père, le roi

oehttp://www.onf.ca/selections/concours-tremplin-les-laureats/visionnez/mon_pere_le_roi/

Marie-France Guerrette, Alberta, 2010, 26 min 4 s.

Ce court métrage documentaire capte les souvenirs du fils et de l’ex-épouse d’un homme désormais devenu «roi» d’une secte religieuse. Avec la cinéaste, ils prennent la route pour visiter celui qui les a abandonnés 45 ans plus tôt.

360 degrés

oehttp://www.onf.ca/selections/concours-tremplin-les-laureats/visionnez/360_degres/

Caroline Monnet, Manitoba, 2008, 18 min 3 s.

Sébastien Aubin vit dans un loft à Winnipeg et occupe un emploi de graphiste. C’est aussi un Cri francophone de la nation d’Opaskwayak, au Manitoba. Parallèlement à sa vie professionnelle, il poursuit une quête spirituelle et identitaire. Son désir de transcender le concret l’a amené à apprendre la médecine traditionnelle autochtone.

Pour ne pas perdre le Nord

oehttp://www.onf.ca/selections/concours-tremplin-les-laureats/visionnez/pour_ne_pas_perdre_le_nord/

Sarah McNair-Landry, Nunavut, 2009, 21 min 32 s.

Malgré de grandioses paysages qui semblent encore vierges, le Nunavut n’échappe pas aux maux du reste de la planète. À Iqualuit, on compte deux dépotoirs remplis au-delà de leur capacité et la municipalité n’a aucun plan pour remédier au problème. Certains citoyens inquiets ont décidé d’agir.


Photo: Archives de l’ONF, 1940-1949