Accent grave

La télévision, nous dit-on, est un médium en voie de disparition. Video killed the radio star. La technologie avance et la télévision, avec ses horaires fixes et ses publicités invasives, ressemble de plus en plus à un dinosaure que l’on abandonnera sous peu.

Il est vrai que les modes de diffusion de la télévision ne sont plus les mêmes. C’est le cas depuis l’arrivée du câble. Puis après ça le Pay-Per-View. Ensuite est arrivé HBO avec la boxe et les séries exclusives. Ensuite, le câble numérique a fait exploser les chaînes spécialisées, et donc aussi la tarte des annonceurs. Dès lors, on commence à annoncer la mort imminente de la télévision généraliste, de la programmation régionale, du basic cable à l’ancienne, au profit de ces nouvelles chaînes spécialisées. La vague de l’individualisme ne faisait que commencer; arrivent par la suite les coffrets DVD, les torrents piratés, les sites de streaming à Hong Kong, les PVR, tou.tv, Illico, etc.

Malgré tout cela, la télévision généraliste survit. Elle survit, et peut même connaître du succès. Parlez-en aux frères Rémillard. En transformant TQS en V télé, ils ont prouvé qu’avec une bonne stratégie, on peut être profitable. Avec leur programmation frugale, leur stratégie Web, et un respect pour leur public cible, ils ont renversé la tendance.

Ce n’est pas pour dire que c’est facile. Il faut créer du contenu de qualité pour qu’il soit visionné, consommé par la masse. Le public, plus intelligent qu’autrefois, sait ce qu’il veut et sait comment le trouver.

Ce qui m’amène à cette nouvelle chaîne franco-canadienne, Accents. Un genre de APTN de la francophonie canadienne. Une chaîne comme celle-ci, me semble-t-il, doit avoir pour but d’avoir un impact sur les communautés francophones canadiennes. Si tu veux un impact, il faut que le monde te regarde, c’est la base. La vidéo promotionnelle auquel on a eu droit est idéologique au boutte. On lance à tous bouts de champs l’idée du pays, on parle des Acadiens, on montre des jeunes qui veulent en savoir plus sur les autres cultures francophones du pays, sur la langue qui nous unit, etc. Edmonton, Vancouver, Moncton. Métis, Franco-Manitobains, Acadiens. Du beau nationne-buildingue. Par contre, tout au long de la vidéo, je n’entends rien sur le Québec. Et là, je veux dire rien. On parle du Canada, du pays, des 9,5 millions de francophones. J’entends des accents, mais pas d’accents québécois.

C’est absurde. C’est grave. C’est stupide. Le Québec a l’expertise, l’expérience. En plus, les Québécois se sont servis de la télé pour s’émanciper culturellement. C’est au Québec que se fait la télévision francophone de qualité au Canada. Il existe, au Québec, un marché médiatique de masse en français. Des vedettes. Du prime time. Des late show, de la télé réalité, du documentaire, des quiz. De la bonne télé, de la moins bonne télé, mais de la télé que l’on regarde. Et on veut créer une télévision généraliste sans eux? Dans quel but? Pense-t-on vraiment pouvoir créer assez de bonne programmation franco-canadienne pour remplir une grille horaire? On a TFO depuis des années, en Ontario, en Acadie, pis oui, au Québec, et on a encore pas nécessairement une grille horaire de qualité. Mais TFO grossit. De plus en plus de gens regardent de plus en plus TFO. Pourquoi ne pas juste booster TFO, continuer dans cette veine?

Bon. Je n’ai plus vraiment envie de chialer. Je veux juste souligner, en fin de billet, que cette initiative nous est présentée par la Fondation canadienne pour le dialogue des cultures. Est-ce que je peux me demander entre quelles cultures on essaye de créer un dialogue? Selon moi, et c’est vraiment juste moi, le seul dialogue que l’on devrait chercher à ouvrir en est un entre la masse québécoise, canadienne, francophone, et les petits ilots de francité ailleurs dans la mer anglo-américaine. Faudrait pas manquer le bateau, la mer a l’air rough.

 

Je suis tanné

Je suis tanné qu’on me parle d’assimilation.
Je suis tanné qu’on parle de l’assimilation dans les médias québécois. Le but de ces reportages n’est pas d’informer, c’est de faire peur.
Je suis tanné d’être la personnification des peurs des Québécois face à la fin possible, plausible, probable, éventuelle, inévitable et certaine du fait français en Amérique.
Je suis tanné de dire aux Québécois qu’il y a des francophones au Manitoba.
Je suis tanné de leur faire comprendre aussi que mes parents ne sont pas nés au Québec. Je suis tanné d’expliquer que nous y sommes depuis des générations et que nous n’avons ni le goût, ni le besoin de déménager au Québec pour vivre en français.

Je suis tanné d’être un animal exotique dans un pet-shop.
Je suis tanné d’être une curiosité.
Je suis tanné qu’on me dise que je suis un francophone «hors» Québec. Je ne suis pas à l’extérieur de quoi que ce soit.
Je suis tanné qu’on dise qu’il y a un million de francophones «hors» Québec. Ce n’est pas vrai : il y en a 300 millions.
Je suis tanné qu’on me demande où sont mes bottes et mon chapeau de cowboy.
Je suis tanné qu’on me demande si les nuits sont longues à Winnipeg.
Je suis tanné de Pierre Lalonde.
Je suis tanné de corriger les gens : Gabrielle Roy et Daniel Lavoie ne sont pas des Québécois.
Je suis tanné que notre culture semble souvent se résumer à ces deux figures.

Je suis tanné d’écouter les médias québécois. Je me fous éperdument de la congestion des ponts à Montréal.
Je suis tanné d’écouter la télévision québécoise. J’en ai rien à cirer des nouvelles « régionales » provenant du Québec. Une décision du conseil municipal de Victoriaville ne constitue pas, à mon sens, une nouvelle «nationale.»
Je suis tanné d’avoir seulement deux ou trois heures d’antenne à Radio-Canada qui soient produites ici.
Je suis tanné qu’à la météo de Radio-Canada, il y ait 2 cartes pour les provinces atlantiques (pourtant, il y a 4 provinces), 6 cartes pour le Québec, 2 cartes pour l’Ontario et 1 carte pour le reste (environ la moitié du pays.) Comme quoi la météo à Vancouver et Winnipeg est sensiblement la même.
Je suis tanné de ne pas me reconnaître à la télévision francophone.
Je suis tanné de ne pas m’y identifier.
Je suis tanné que nos histoires et nos visages n’y sont pas.
Je suis tanné que nous soyons réduits à des magazines culturels où nous nous «amusons» en français.
Je suis tanné de me faire passer pour un cave.

Je suis tanné que nos produits culturels ne soient pas disponibles partout au pays, y inclus au Québec.
Je suis tanné que notre littérature ne soit pas connue.
Je suis tanné de voir nos artistes s’exiler au Québec.
Je suis tanné de voir nos artistes préférer pratiquer leur art en anglais.
Je suis tanné qu’on me demande si c’est difficile de faire du théâtre en français au Manitoba. Je ne sais pas. Est-ce que c’est difficile de faire du théâtre à Montréal?

Je suis tanné de faire les choses «pour la bonne cause».
Je suis tanné de voir des spectacles de piètre qualité pour appuyer «la bonne cause». En soutenant ces derniers, nous perpétuons, normalisons et édifions la médiocrité.
Je suis tanné du manque d’esprit critique. Selon moi, une société qui évolue dans l’absence de la critique est vouée à la médiocrité.

Je suis tanné de la francophonie de souche.
Je suis tanné des «pures laines».
Je suis tanné de la xénophobie, de la ségrégation, de la discrimination et du racisme.
Je suis tanné des fascistes.
Je suis tanné de la hiérarchie de la francophonie et de l’élitisme.
Je suis tanné de l’intolérance. D’ailleurs, je ne tolère plus l’intolérance.
Je suis tanné de la fermeture d’esprit. Qui est plus ouvert d’esprit? Des parents anglophones (qui ne parlent pas un traître mot de français) qui décident d’inscrire leur enfant à une école d’immersion pour que leur enfant puisse s’épanouir sur les plans culturel et linguistique ou le francophone qui doute que ce dernier veuille seulement apprendre le français pour s’assurer d’avoir un futur emploi dans la fonction publique?
Je suis tanné du cynisme.
Je suis tanné qu’on dise qu’il y a trop d’anglais dans nos écoles. Tous les adolescents veulent faire partie de la «gang.» Ils veulent appartenir à quelque chose. Lorsque vous évoluez dans un milieu anglophone, n’est-ce pas tout à fait normal de vouloir appartenir à cette «gang»?
Je suis tanné qu’on dise qu’on naît francophone. C’est faux. Dans une situation minoritaire, nous choisissons d’être francophones. Et c’est un choix tout à fait illogique et déraisonné. Pourquoi choisissons-nous consciemment de vivre en marge de la société dans laquelle nous évoluons? C’est un choix émotif, pas du tout logique.
Je suis tanné qu’on dise qu’il y en a qui ont choisi de ne plus parler français. L’ont-ils vraiment choisi?

Je suis tanné que les étudiants de l’immersion se sentent inférieurs et qu’on dise qu’ils viennent diluer la qualité de la langue, qu’ils représentent une menace, qu’ils viendront nous contaminer, qu’ils sont un virus à éradiquer.
Je suis tanné qu’ils ne se sentent pas bienvenus.
Je suis tanné qu’ils se sentent exclus de l’espace francophone.

Je suis tanné qu’on parle des Anglais sans savoir de qui on parle. Ici, les Anglais ne sont pas tous Anglais : ils sont Ukrainiens, Polonais, Juifs, mennonites, Russes, Allemands, Irlandais, Écossais, Islandais et j’en passe.
Je suis tanné qu’on parle de la masse anglophone comme s’il s’agissait d’un monolithe.
Je suis tanné qu’on parle du Québec et de la France comme s’il s’agissait de monolithes.
Je suis tanné des monolithes.

Je suis tanné que les Québécois qui viennent s’installer ici ne se sentent pas chez eux. Idem pour les Français.
Je suis tanné qu’on ne fasse pas plus d’efforts pour intégrer les immigrants «africains.»
Je suis tanné qu’on dise immigrants «africains». L’Afrique est un grand pays (sic.) Prétendre qu’ils sont tous pareils est faux. Si vous avez des doutes, vous n’avez qu’à vous rappeler que les Européens ne sont pas tous pareils. Les Français et les Allemands ne se sont pas toujours bien entendus, à ce que je sache. Idem avec les Anglais.
Je suis tanné du «Speak White».

Je suis tanné de l’extrémisme, du militantisme, du fondamentalisme francophone.
Je suis tanné du dogmatisme, de l’intolérance et de l’intransigeance.
Je suis tanné du fanatisme et des gens qui nous exhortent à adhérer à des principes d’une doctrine dite francophone. La francophonie et la défense de celle-ci ne sont pas une religion. J’espère que nous n’avons pas remplacé les soutanes de la Grande Noirceur par des vestons cravates.
Je suis tanné des grands sorciers et des oracles qui occultent la vérité avec leurs rapports et leurs statistiques.

Je suis tanné d’avoir le sentiment que je n’en fais jamais assez, que je doive toujours en faire plus, que je doive toujours faire un effort.
Je suis tanné de la pression, du stress, et surtout du jugement des autres.

Je suis tanné du ton moralisateur chez certains francophones.
Je suis tanné des prétentieux qui pensent mieux savoir ce qui est bon ou mauvais pour moi.
Je suis tanné de me faire dire comment je devrais vivre ma vie.

Je suis tanné que le français soit tellement un «guilt trip».
Je suis tanné de me sentir coupable quand je parle anglais.
Je suis tanné de me faire dire que je parle tout croche, que je parle avec un accent, que j’utilise way too much d’anglais or que c’est pas alright de talker pis de hang-outter avec mes buds avec une beer, en franglais.
Je suis tanné qu’on me corrige constamment.
Je suis tanné de me promener avec un Bescherelle pis un Petit Robert dans ma poche arrière.
Je suis tanné de conjuguer le participe passé.

Je suis tanné qu’on me parle d’exogamie.
Je suis tanné qu’on me demande si mon épouse parle français.
Je suis tanné qu’on lui réponde en anglais même si elle comprend le français.
Je suis tanné qu’on me demande si on parle français à la maison.
Je suis tanné qu’elle se sente exclue, même dans ma propre famille.
Je suis tanné qu’on me demande si mon fils parle français. Il a deux ans. Il parle en «Bébé.»

Je suis tanné de l’ignorance.
Je suis tanné de l’arrogance.
Je suis tanné de la suffisance.

Je suis tanné d’expliquer, de revendiquer, de défendre.
Je suis tanné de me battre.

Je suis tanné de toujours être sur le point de disparaître.
Je ne suis pas un lapin.

Je suis tanné de mourir.