L’Ontario ou le triomphe de la paix sociale

D’un côté: 15 semaines d’ étudiants en grève, de manifestations à répétition, de vitres cassées. 14 semaines d’arrestations, de cocktails molotov et de blessés, par centaines. L’Histoire est en marche: de Gatineau à Gaspé, le Québec est en ébullition.

Puis, on traverse l’Outaouais. Le no man’s land. D’un côté le bruit, les feux d’artifices, le bal, et de l’autre: le silence. La tranquillité. La grande paix sociale. Le contraste est saisissant. Il parle fort. Et impossible de ne pas se poser la question: un pareil bouleversement serait-il possible en Ontario? Certains diront que c’est une affaire d’actualité; que c’est tout bonnement une histoire de conjoncture. Ce serait donner trop de crédit au hasard. Non, la ligne est trop bien tracée. Si bien en fait qu’on dirait un mur. Et les murs ne se bâtissent pas tout seuls. Suffit la complaisance.

L’Ontario est le plus près qu’une société puisse l’être de l’inoculation contre les bouleversements sociaux. Tout peut changer, ça va de soit. Mais pour qu’un véritable mouvement de masse se développe dans la province, il faut compter sur une véritable catastrophe. Économique surtout. Écologique probablement. Mais politique? Sociale? Non. Il faudra bien plus. L’Ontario est une merveille de paix sociale: un chef-d’œuvre de démocratie libérale. Et ça n’a rien d’une coïncidence.

Il y a quelques semaines, des étudiants de l’Université Laurentienne, à Sudbury, nous en ont donné un témoignage éloquent. Dans un acte lourd de symbole, une poignée d’entre eux ont décidé de porter le carré blanc à l’école. L’emblème de la capitulation. Ils en avaient contre l’administration qui a décidé d’augmenter de 8 à 15% les droits de scolarité de ses programmes. Et pourtant, nos pauvres étudiants sont loin de la gratuité. Ils paient déjà, en moyenne 6640$ par année pour obtenir leur diplôme. Repeat after me: 8% de 6640$, means 531$. 15%, c’est 996$. Tout le conflit étudiant au Québec repose sur une augmentation des droits de scolarité de 375$ par année, pendant 5 ans. Et en bout de ligne, cette augmentation doit porter la moyenne des droits de scolarité dans la province à 3793$ par année, par étudiant. C’est presque 3000$ de moins qu’en Ontario.

Le fait est qu’il faut remonter loin, très loin, dans l’histoire ontarienne pour y trouver quoi que ce soit qui puisse passer pour un bouleversement social majeur. Des mouvements de contestation existent mais ils sont rares. Ils sont limités. Et le plus souvent, ils sont ponctuels. La plus grande manifestation qui a eu lieu lors du G20, celle du 26 juin 2010, comptait 10 mille personnes. C’est ce que mobilise le mouvement étudiant québécois presque chaque soir depuis presque qu’un mois. (Étonnant, lorsqu’on sait que les policiers ont tout de même arrêté plus de 1000 personnes durant le sommet à Toronto, ce qui en a fait la plus grande arrestation en masse de l’histoire du pays).

Même au plus fort de la contestation contre la «révolution du bon sens» du gouvernement de Mike Harris — qui d’un coup, réduisait l’assistance sociale de 22%, gelait les places en garderie et le financement des services sociaux en général — les mouvements d’opposition n’ont pas réussi à mobiliser plus 100 mille personnes en même temps. Et pourtant, la manifestation d’appui aux syndiqués de Hamilton, en février 1996, reste la plus importante mobilisation de l’histoire de l’Ontario. À Montréal, en 2003, ils étaient cent cinquante mille à manifester par -25 degrés… contre la guerre en Irak! Au Québec, il y belle lurette que les manifestations de cent mille personnes ne font plus l’Histoire.

Mais d’où vient cette attitude, que certains qualifieront de profondément civique et d’autres de foncièrement docile? De l’histoire? De l’économie? De la culture? L’Ontario est-elle le mélange rêvé d’une saine société libérale, d’un parlementarisme britannique efficace et d’une économie de marché prospère? Ça va de soi, la réponse dépend du point de vue de l’observateur. Pour un jeune militant du parti libéral, l’Ontario est l’exemple d’une province qui va bien, qui sait «gérer ses affaires». Pour le cadre d’entreprise aussi. Le travailleur de Vale, à Sudbury, verra les choses autrement. Le chômeur, encore plus autrement. Et que dire de l’immigrant coréen qui gagne sa croûte à Toronto.

C’est d’abord cette multitude d’intérêts qui mine les mouvements sociaux de la province. Le tissu social ontarien s’amincit d’année en année. Il est désormais trop faible pour être un terreau fertile à la contestation. L’individualisme propre aux sociétés libérales combiné à un morcellement grandissant de la collectivité ontarienne forment un puissant somnifère. Les citoyens s’endorment ensemble, mais se réveillent tout seuls.

Pour plusieurs, c’est une question de culture. De mœurs. Historiquement, il n’existe pas de «culture de la contestation» en Ontario, peut-on entendre. Mais cette culture est absente chez qui? Les Presbytériens? Les ouvriers? Les Irlandais? Ou alors les Musulmans? Les femmes? Les hommes? Et pourquoi pas tient, les Franco-Ontariens? La question est lancée. De quelle «culture» parle-t-on? Qu’est-ce que la «culture ontarienne» qui n’a pas «l’habitude de la contestation»? Pour se mobiliser, il faut d’abord s’avoir à qui s’adresser. Il faut d’abord trouver qui partagent nos frustrations, et après, poser la grande question. Où a lieu la manifestation? Il faut avoir des yeux pour ceux qui nous entourent et, surtout, avoir la ferme conviction que son bonheur individuel dépend du bonheur collectif.

Un projet commun, une identité commune attachée à une cause commune, peut facilement briser les chaînes de l’habitude. Le Québec d’avant 1960 aurait facilement satisfait la définition que certains peuvent avoir d’une société «harmonieuse». Les mouvements sociaux n’avaient rien de féconds sous Duplessis. L’ordre et la loi régnaient. Les Canadiens français ont subi bien des injustices sans broncher. Mais ce respect de l’autorité n’est pas suffisant pour contenir les sautes d’humeur d’une société civile constituée, d’une collectivité qui partage une certaine idée du «bien commun». C’est pour cette raison, entre autre, qu’a pu fleurir la Révolution tranquille au Québec et même certains bouleversements sociaux avant 1960 (les crises de la conscription de 1917 et de 1944, par exemple).

Le gouvernement de Dalton McGuinty vient d’adopter l’un des budgets les plus austères depuis Mike Harris. Un budget que certains considèrent même plus radical — dans son objectif de mettre fin au déficit — que l’était celui des conservateurs en 1996. Pour une majorité d’Ontariens, ce budget veut dire moins de services pour le même prix. La fédération du travail a fait son possible pour mobiliser ne serait-ce que le milieu syndical. Le résultat? L’une des plus grandes manifestations de l’histoire récente de la province. Dix mille personnes ont marché quelques heures à Toronto.

Et puis quoi encore? Peut-on accuser une société paisible de ne pas être assez «bouleversée»? Ne doit-on pas plutôt se réjouir de cette harmonie sociale? C’est le genre de question que se pose l’Intelligentsia des grands quotidiens de la province. Margaret Wente dans le Globe and Mail parle avec mépris des étudiants qu’elle traite de «Grecs du Canada». Pour le Toronto Star, c’est le triomphe de l’anarchie… Pour ces gens, il semble d’autant plus choquant de voir les jeunes se révolter quand en Ontario tout va tellement bien! Les patrons et les travailleurs vont main dans la main, les gouvernants et les gouvernés mangent à la même table, et les fontaines de miel, et les petits oiseaux, et Imagine all the people! Living life in peace!… Mais nous doutons que ce soit le tableau qu’imaginait Lennon.

Car il faut bien l’avouer, si Jean Charest le pouvait, il échangerait sur le champ ses tributaires québécois pour des Ontariens. Sans même réfléchir. Et on imagine facilement que dans les pires cauchemars de Dalton McGuinty, l’Ontario est peuplé de Québécois! L’ordre et la paix ont fait leur preuve, reste que c’est la révolte qui nous a donné le droit de vote. Ou le salaire minimum. Ou la liberté de conscience.

Ces quelques lignes n’avaient pas pour but de peindre en noir la province d’Étienne Brulé et d’Alexander Graham Bell. L’Ontario ne doute pas de sa valeur et avec raison. Pourtant, les Ontariens sont mûrs pour une prise de conscience. Et le plus tôt sera le mieux.

En attendant, nous prenons la liberté de saluer l’exemple québécois. Et de remercier tous ces étudiants et ces étudiantes qui nous prouvent, encore une fois, que le choc des idées vaut bien mieux que la paix des cimetières.


Photo : Bettman/CORBIS, Indiana University, 1971

Un conte de deux cités: impressions de la grève étudiante

J’habite l’arrondissement d’Outremont à Montréal, mais juste. À quelques rues à l’est, c’est le Plateau Mont-Royal. Dans ces rues limitrophes, il y a un grand nombre de familles juives hassidiques. Cela fait plusieurs années que j’habite le quartier et il faut dire que le contact est minimal. On a toujours l’impression, à tort ou à raison, que cette communauté ne s’intéresse pas à «nos» affaires.

Hier soir, j’avais décidé de descendre dans la rue à huit heures pour me joindre à la marche des casseroles du quartier. Depuis l’adoption de la loi spéciale il y a une semaine, ces manifestations «spontanées» se déroulent dans les divers quartiers de Montréal et dans d’autres villes du Québec. Gens de tout âge y sont présents. J’avais assisté brièvement à des marches de casseroles d’autres quartiers, notamment le quartier populaire de Hochelaga et dans le Quartier Latin, mais jamais muni de ma propre casserole.

Il y a presque deux mois, lorsque je vous ai écrit pour faire état de la grève étudiante au Québec, la grève suscitait relativement peu d’intérêt dans le ROC (Rest of Canada). À ce moment-là, Québec refusait toujours de négocier avec les étudiants alors qu’aujourd’hui on parle de négociations entre le gouvernement et les quatre associations étudiantes nationales (la Fédération étudiante collégiale, la Fédération étudiante universitaire, la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante et la Table de concertation étudiante). Une proposition de baisse de la hausse à déjà été faite par le gouvernement. C’est un début.

À ce moment-là, il n’y avait pas encore d’injonctions, de grande manifestation nationale pour la fête de la terre du 22 avril, d’augmentation de la hausse, d’entente bidon ni la démission de la ministre Beauchamp. Il n’y avait pas encore la loi spéciale (l’oie spéciale qui distribue des amandes salées), les manifestations nocturnes, les arrestations de masse qui augmentaient en nombre jusqu’à ce que, selon certains, la bureaucratie policière nécessite quelques soirs de répit avant de recommencer de plus belle. Le 22 mai, il y a eu une autre manifestation nationale contre la loi spéciale qui a réuni jusqu’à 400 000 personnes dans les rues de Montréal. Et bien sûr, il y a deux mois, Anarchopanda n’était qu’un autre prof contre la hausse. Aujourd’hui, le monde entier parle de nous.

Si les manifestations nocturnes demeurent essentiellement étudiantes, les concerts de casseroles rejoignent tous ceux qui sont contre l’atteinte aux droits fondamentaux et ceux qui en ont crissement marre de Charest et de son gouvernement. Et ceux-ci sont de tous les âges.

Je descendais donc dans la rue, armé d’une cuiller en bois et d’une casserole. C’est une expérience tout autre que celles des marches nocturnes. Les manifestations sont plus petites, la présence policière est moindre, donc moins violente. Il y a moins de colère, l’ambiance est plus festive. Pour une première fois, peut-être, les voisins se parlent, se sourient et côtoient. Il n’y a pas de juifs hassidiques dans notre défilé, mais il y en a plusieurs qui nous observent du coin de la rue ou de leur perron. Il y a des hommes qui sourient dans leurs longues barbes en nous voyant, ils doivent trouver ça drôle, étrange. Parfois, je remarque une femme qui tape dans ses mains. Les enfants nous regardent avec émerveillement. Mais il n’y a personne qui se joint à nous.

Après une petite pause concert devant la maison du maire de Montréal, nous poursuivons notre chemin pour enfin rejoindre l’artère principale, l’avenue du Parc. Rendu à l’angle Laurier, je décide de rentrer chez moi plutôt que d’aller jusqu’au centre-ville. Mes jambes me font mal, victimes du déménagement de ma blonde, la veille.

Devant la synagogue à deux pas de chez moi, un groupe d’«adolescents» hassidiques se tient, comme nous nous tenions jadis sur les marches de l’école après la fin des cours. Ils sont quatre ou cinq, ils ont tous l’air d’avoir 15 ou 16 ans. Il fait déjà nuit, le ciel est sombre. Alors que je passe devant eux, j’entends un «Hello».

Je réponds : «Hello».

Je m’apprête à continuer tranquillement mon chemin quand j’en entends un qui m’interpelle.

«Hey, we saw somebody with, under the red square, the black square. What does it mean?»

«It’s for the law»

«So the red is for the students and the black for the law?»

«Yes, against the law that was passed.»

Il explique en Yiddish pour un de ses camarades qui ne doit pas bien comprendre l’anglais.

Ensuite, il dit «We have one too» et il sort un petit carré rouge de la poche de son long manteau noir.

«Thank you» dis-je en souriant, puis «Good night», avant de monter chez moi.

C’est peut-être la plus longue conversation que je n’ai jamais eue avec ces jeunes qui vivent à deux pas de chez moi. Je ne sais pas ce qu’ils pensent vraiment de la grève, du mouvement étudiant. Mais ils sont certainement curieux.

Les choses ont changé au Québec.

Je sais qu’il ne s’agit que d’un fait anecdotique qui n’explique en rien ce qui se passe vraiment au Québec. Mais il est emblématique de l’omniprésence de ce mouvement dans tout ce qui se passe actuellement.

Il y a quelque chose dans l’air qu’il n’y a pas encore dans le ROC.

Alors qu’à l’Assemblée nationale, ceux et celles qui se déclarent la représentation légitime du peuple se préparaient à adopter une loi spéciale draconienne et sûrement anticonstitutionnelle et que dans les rues de Montréal, de Québec, de Sherbrooke et ailleurs, la résistance québécoise se préparait à une énième manifestation, je filais à l’anglaise vers le calme d’une province amorphe où le carré rouge que je portais fidèlement ne provoquait ni la peur aux bourgeois banlieusards ni la fierté aux vieux travailleurs dans les autobus municipaux.

Toronto était calme. Toronto n’était pas concernée par ce qui se passait alors et ce qui se passe toujours à Montréal. Les nouvelles circulaient aussi lentement que les autos des riches de Rosedale en direction de leur petit palais des Muskokas ou des Kawarthas pour fêter la reine du Canada avec une caisse de bière et un coup de soleil. On ne savait donc pas que la politice militarisée matraquait avec encore plus d’impunité. Que les politiciens rétrogrades font l’apologie de la violence sous prétexte que les têtes et les cerveaux d’un jeune ne valent pas la vitrine bien assurée d’une banque qui s’amuse à financer le meurtre par voie de fait minier d’un village entier en Amérique du Sud. Que les dispositions d’une loi matraque sont une machine à remonter dans le temps qui permettent à la ministre Courchesne de défaire et réinterpréter les lois de la province et au premier ministre de se donner des airs de Le Noblet.

Les oiseaux chantaient paisiblement, les gens marchaient dans les rues, désunies, sans scander de slogans. Je me suis permis le privilège d’une fin de semaine paisible alors que les miens étaient sur la place publique à revendiquer en risquant éventuellement de perdre leurs yeux, leurs oreilles ou leur liberté.

Malgré les tentatives d’étaler le beurre d’érable, je me ressentais d’autant plus étranger dans ma ville natale que d’habitude. Toronto avait quelque chose de mort. Il y a quelque chose de vivant dans la résistance, il y a quelque chose de vivifiant dans la revendication. J’espère que le Maple Spread réussit à libérer mon Ontario natal des griffes de Morphée pour qu’il ressente la liberté qui ne vient qu’en la réclamant. Pour le moment, le printemps n’est arrivé qu’au Québec. Mais les saisons ne connaissent pas les frontières.

Je ne sais pas vraiment où je veux en venir, à part vous faire part de quelques impressions. Pour les faits, il faudra aller ailleurs. Je vous laisse avec une chanson de notre chanteur populaire national, Damien Robitaille :


Photo: Steve Duchesne

Printemps érable 101

Cela fait déjà quelques mois que taGueule est en ligne. Cela fait un certain temps qu’on réfléchit à notre société sur plusieurs niveaux. On critique et on applaudit les institutions, les artistes, les politiciens, le organismes, etc. aux niveaux local, provincial et fédéral, toujours (dans la mesure du possible) en tentant de faire des liens avec l’Ontario français.

Également, vous avez sans doute remarqué que notre rythme de production a ralenti. On prend plus de temps à travailler nos idées, à réfléchir (pour ne pas gueuler dans le vide) et à peaufiner nos textes. On commence à comprendre les rouages de notre nouvelle bebelle, puis jusqu’à présent, ça roule en titi.

En même temps, si notre rythme de production a ralenti, c’est qu’on s’est branché sur le conflit social qui se passe au Québec depuis le mois de février. En créant taGueule, un des objectifs qu’on voulait atteindre était de ne jamais sombrer dans le nombrilisme. C’est à dire, s’il y’avait un évenement important qui se passait dans le monde qui n’était pas une question profondément franco-ontarienne, on voulait en parler malgré tout. De toute façon, une grande partie de nos collaborateurs sont étudiants, professeurs ou de jeunes professionnels récemment diplômés. Cette crise sociale (qui a vu ses débuts en tant que crise étudiante) nous intéresse. Impossible pour nous de continuer à se mettre le doigt dans ce qui semble être des petits paper-cuts franco-ontariens lorsqu’on les compare aux hémorragies de problèmes de nos voisins. Non seulement qu’une grande partie de ce que réclament les Québécois en ce moment s’applique également aux Franco-ontariens, mais elle s’applique aussi au monde occidental en général.

Depuis l’adoption de la loi 78 par l’Assemblée nationale du Québec le 18 mai, les manifestations quotidiennes se terminent de façon de plus en plus brutale. Les arrestations de masse, les plaintes d’agression sexuelle, des coups de matraque aux journalistes, la poivre de cayenne en pleine face, de la casse par des agitateurs (qui ne représentent pas la grande majorité des manifestants) mais et aussi par la police sont devenus des activités quotidiennes. Ce conflit n’est plus qu’une question étudiante, ce n’est plus qu’une question de droits de scolarité. Au contraire, c’est une question sociale, une critique d’une société néolibérale corrompue dans son ensemble.

Je pourrais m’étendre davantage sur le sujet, mais ceux que je voudrais convaincre me prendraient pour un petit socialiste de la go-gauche, et ceux qui m’écouteraient ont déjà entendu cette histoire. Ce que je voudrais faire au lieu, c’est de vous offrir un guide; une marche à suivre qui servirait à comprendre ce qui se passe au Québec (et qui commence à s’étendre partout au Canada). Les sources que je vous offre sont nécessairement subjectives (comme n’importe quelle source que vous lirez à n’importe quel sujet). Cela dit, elles vous offrent une vitrine sur ce qui se passe réellement en ce moment, chose que les médias traditionnels ont malheureusement très peu faite. À mon avis, cela vous permettra de formuler votre propre opinion en utilisant votre pensée critique.

Le petit guide du printemps érable 101

Par où commencer?

Twitter

Twitter. Vous savez, le médium de communication archaïque, à 140 caractères? Celui que vous n’avez jamais pris la peine de maîtriser? Eh bien oui, une grande partie de l’information relayée au sujet du conflit est transmise par Twitter en raison de sa simplicité. C’est que même sans un téléphone intelligent, Twitter vous permet de faire des mises à jour et à vous informer sur ce qui se passe autour du monde, instantanément. Je vous offre un guide complet sur l’utilisation de Twitter, ainsi qu’un guide de recherche pour suivre le conflit.

1) Suivez des utilisateurs intéressants et engagés. En voici quelques-uns: @GNadeauDubois (porte-parole de la CLASSE), @ASSEsolidarite (twitter officiel de la CLASSE), @ThomasGerbet (journaliste de Radio-Canada qui tweet souvent en direct des manifs avec des photos), @JoseeLegault (chroniqueuse politique au voir.ca), @SPVM (service de police de la ville de Montréal), @FEUQ (Fédération étudiante universitaire du Québec), @FECQ (Fédération étudiante collégiale du Québec).

2) Faites des recherches dans Twitter pour les #hashtags: #manifencours (pour les manifestations en cours), #casserolesencours (pour les casseroles en cours à partir de 20h à chaque soir), #ggi (acronyme pour la «Grève générale illimitée» qui a lieu en ce moment), #loi78 (pour suivre ce qui se passe par rapport à la loi et ses répercussions), #PrintempsErable (un joli jeu de mots sur le «printemps arabe» de 2011), #MapleSpread (to spread the Maple to our anglophone friends in the rest of Canada).

Livestream

CUTV (Concordia University TV) couvre les manifestations de Montréal en direct depuis le début. Étant la presse étudiante de l’Université Concordia, ils se font souvent prendre pour des manifestants (et traités ainsi; heureusement sur caméra). Ce qui est génial, c’est qu’on voit le conflit se dérouler devant nos yeux, en direct. Même si on ignore le journalisme qui est parfois médiocre et tout sauf neutre (être en ondes toute une soirée de temps, souvent de 14 h à 1 h du matin, et ce, depuis le début du conflit, c’est taxant), on voit immédiatement que ce conflit transcende la question des frais. Dès que le soleil tombe, les manifestants pacifiques font face à la police, souvent de façon assez brusque.

Pour écouter les manifestations en direct, vous n’avez qu’à cliquer sur l’écran en haut à gauche de cette page.

YouTube

Ici, vous pourrez vous rattraper sur tout ce que vous avez manqué. Je vous suggère quelques clips qui vous permettront de voir des exemples des abus dont je parlais tantôt. Bien que la plupart de ces clips semblent pencher du côté des manifestants, il faut se poser les questions suivantes:

Est-ce que parler à un policier mérite qu’on se fasse poivrer? Je croyais qu’il était dangereux de se servir de poivre de cayenne de façon aussi grossière

Est-ce que de barrer la route à un policier souhaitant décoller en voiture mérite qu’on se fasse lutter?

Est-ce que le fait de se faire lancer une chaise à partir d’une terrasse justifie le fait de lancer des gaz lacrymogènes à tous les clients qui s’y trouvent ET de leur relancer la chaise?

Qu’est-ce qui justifie le fait de donner de coups de matraque à des gens déjà par terre ou à une foule qui se disperse déjà?

En tout cas, si ce que vous aurez appris sur ces méthodes n’est pas assez pour vous convaincre qu’il y a quelque chose de profondément mal avec ce conflit, dites-vous qu’en Ontario, on paie déjà le double, voire le triple de ce que paient les étudiants qui ont déclenché cette crise. Dites-vous que selon les normes provinciales, les frais des étudiants augmenteront jusqu’à 5% l’an prochain. Dans une institution ontarienne relativement peu dispendieuse comme l’Université Laurentienne (±5900$ par année en 2011-2012) cela équivaut à environ 270$. On n’est franchement pas loin l’augmentation annuelle de 325$ à laquelle faisaient face les étudiants québécois n’est-ce pas? Je ne demande pas pourquoi les étudiants de l’Ontario n’ont pas encore agi de façon importante. Le discours des différences culturelles, budgétaires, etc., je l’ai déjà entendu. Ce que je me pose comme question, c’est plutôt pourquoi, même si l’accessibilité à l’éducation en Ontario est en pire état qu’au Québec, on se contente de ces réponses au lieu d’agir? Les Québécois ont entendu une grande partie de ces réponses-là aussi, ça ne les a pas empêchés, eux.

Si vous habitez la région de Sudbury, je vous invite à une première manifestation le 1er juin à 16 h, non seulement pour démontrer notre solidarité envers les étudiants québécois, mais également pour montrer à nos politiciens qu’on peut se mobiliser, que le même genre de conflit arrivera sous peu en Ontario s’ils n’agissent pas. Si non, je vous invite à vous informer sur ce qui se passe dans votre région et de commenter ci-bas. Si vous ne trouvez rien, c’est peut-être que vous êtes celui qui doit amorcer ce réveil de conscience…


Illustration : Mimi

Gaétan Maudit nous vole les mots de la bouche

Des fois, une situation est tellement complexe qu’on pense qu’on ne pourra jamais en comprendre l’ampleur.

Mais des fois on tombe sur Gaétan et il nous livre tout ça, ben tight.

Il l’a tout dit, mais j’ai l’impression qu’on n’a pas fini d’en parler.

Nous sommes solidaires avec les étudiants en grève

C’est aujourd’hui qu’a lieu la plus importante manifestation à date contre la hausse des frais de scolarité au Québec. taGueule en profite pour déclarer sa solidarité envers ceux qui ont décidé de défendre les choix de société du Québec.

Avec taGueule, on est assez explicite dans notre recherche d’une certaine objectivité pour la plateforme. Mais lorsqu’on se retrouve face à un mélange dangereux de répression économique, de rhétorique condescendante et de brutalité policière, on se permet de prendre position.

Les actions du gouvernement du Québec n’ont rien d’exceptionnel; elles s’inscrivent dans la réalité de notre époque, cette époque où des escrocs font tomber les banques, où on fraude des élections à coup de téléphone, et où on cherche à couper dans les dépenses publiques au nom de l’austérité. En ce sens, il est primordial que nous soyons conscients de ce qui se passe au Québec, si seulement pour dénoncer les difficultés auquel font face les étudiants qui tentent de manifester, et l’absurdité des mesures prises pour taire le mouvement.

Malgré les pressions de l’époque, les étudiants choisissent de prendre la rue pour défendre les choix de société qui leur sont chers. Et ils le payent cher.

Ils assument le fardeau que représente cette grève: leur éducation, leur réputation, et leur santé en souffrent, mais ils continuent à prendre la rue, si ce n’est que pour lutter contre l’attitude fermée, autocratique, et franchement inquiétante du gouvernement, des médias et des structures d’autorité. Ce n’est pas juste une grève, ce n’est pas juste une hausse, ce n’est pas juste du pepper spray dans la face ou un pont bloqué; c’est la légitimité de toute contestation sociale qui est en jeu.

Une solidarité avec le mouvement étudiant est une solidarité contre Harper, contre Wall Street, contre l’aliénation, contre les pressions sociales de ce monde qui rendent nécessaire la contestation et la désobéissance civile. C’est une solidarité contre le silence qu’on essaye trop souvent d’imposer à une génération contestataire. C’est une solidarité pour l’accès à l’éducation, mais aussi pour le droit de participer à la démocratie. C’est une solidarité pour dire qu’on est tannés de se laisser faire et de se laisser imposer un modèle de société par une génération déconnectée.

C’est une solidarité pour mettre fin au mythe que les problèmes québécois ne sont pas les nôtres.

“High tuition is not an economic necessity, as is easy to show, but a debt trap is a good technique of indoctrination and control. And resisting this makes good sense.”

— Noam Chomsky, 19 mars 2012

Montfort — Merci, mais non merci!

Il y a dix ans, les Franco-Ontariens de la région d’Ottawa gagnaient la bataille de l’Hôpital Monfort. Ils ont traîné le gouvernement Harris jusqu’en Cour supérieure de l’Ontario et lui ont donné la raclée qu’il méritait. Ils y ont gagné une institution qui ne cesse de grandir et d’offrir aux francophones de la région d’Ottawa des services exceptionnels incluant des innovations à la fine pointe de la science médicale. Bravo!

Mais il y a quinze ans, j’écrivais un éditorial dans le journal Le Voyageur dans lequel j’expliquais pourquoi je ne serais pas à la grande manifestation/lovefest qui s’est tenue le 22 mars 1997 au Centre civique d’Ottawa. Et comme rien n’a changé depuis, je me répéterai donc aujourd’hui.

Les Franco-Ontariens de la région d’Ottawa sont très forts quand vient le temps de nous faire croire que le moindre petit droit lésé chez eux affecte tout l’Ontario français. Mais ils sont visiblement absents quand vient le temps de défendre les droits des francophones ailleurs en province. C’est comme si, pour eux, l’Ontario français s’arrêtait à Arnprior. C’est comme si, parce qu’ils vivent dans la capitale nationale d’un pays bilingue, ils jugent tout accroc à leurs droits linguistiques comme un enjeu digne de l’intérêt national.

Sur ce dernier point, ils ont certainement raison. Tout affront aux droits des minorités linguistiques est un affront au pays entier. La seule chose que je leur reproche c’est de ne pas voir qu’il y a de tels accrocs partout au pays et qu’ils sont tout aussi importants que ceux qui affectent leur petite vie de fonctionnaires privilégiés.

Je comprends la fierté de ceux qui ont mené cette bataille victorieuse, mais je reproche aux organisateurs de cet anniversaire de dépenser autant d’énergie à se taper dans le dos alors que d’autres questions super importantes restent en suspens. Une capitale nationale bilingue peut-être? Une province bilingue maybe? Une université de langue française pour enfin finaliser un système d’éducation pour et par nous? Mais non, on est occupé à se souvenir d’une petite victoire locale. Où à ramasser de l’argent.

En terminant, je tiens à souligner toute l’appréciation que j’ai envers les gens qui ont mené cette bataille et envers tous ceux qui continuent à faire de Montfort une institution qui nous est source de fierté. Et j’ai des raisons personnelles qui motivent mon admiration. Il y a plus d’un an, ma fille a donné naissance à mon premier petit-fils à l’Hôpital Montfort. Ce fut une naissance difficile et maman et bébé y ont reçu des soins exceptionnels. Je suis un grand-papa reconnaissant.

J’enverrai donc probablement un chèque pour la cause, mais je ne participerai pas au lovefest. Je suis trop occupé à tenter d’améliorer l’avenir de mon petit-fils.


Photo: Manifestation SOS Montfort, Étienne Morin