C’est de ma faute, et je l’admets.

Je viens d’une famille en fissure. Non, mon enfance n’était pas remplie de pauvreté ou de violence, bien au contraire: j’étais sain et sauf, et on avait de l’argent. Je me souviens que j’étais très heureux et que la vie était bonne. La fissure dont je parle ne pouvait pas être vue à l’oeil nu et elle n’était pas immédiatement évidente. Elle n’était pas physique ou psychologique, mais culturelle. D’un côté, j’avais ma mère et sa famille qui sont francophones. J’imagine que c’était sa décision de m’apprendre le français. De l’autre côté, la famille de mon père est italienne. Il ne parle aucun français, mais il pensait lui aussi que c’était une bonne idée pour mon frère et moi d’être bilingues.

En réalité, je parlais le français bien avant que je puisse parler l’anglais. Mes premiers mots ont été en français et les premiers beaux souvenirs de ma vie furent passés au chalet de mon grand-père sur la Rivière des Français avec ma famille et mes cousins qui se parlaient tous en français. À cet age-là, je ne me suis jamais senti bizarre à parler français avec ma famille. C’était la réalité. C’était nous.

À la maison, je parlais en français avec ma mère et mes grand-parents, mais quand mon père était présent, on parlait l’anglais pour qu’il puisse comprendre. Quand on visitait la famille de mon père, c’était en anglais. Tous mes cousins italiens parlaient l’anglais et les sujets de conversation entre les adultes étaient souvent différents de ceux que j’entendais chez ma famille française. Les valeurs de famille semblaient être différentes elles aussi. Du côté français, on célébrait la joie de vivre, la religion et l’éducation et du côté italien, c’était l’argent. Comme cultures, deux côtés opposés du spectre. En rétrospective, je me suis toujours senti comme le mouton noir durant ces fêtes de famille italiennes et je n’ai jamais vraiment su pourquoi.

Je ne sais pas exactement quand tout a changé pour moi et pour nous. En grandissant, j’imagine que c’était les médias anglophones et les émissions de télévision en anglais qui ont changé ma personnalité. Petit à petit, dans la famille comme aux écoles, nous les jeunes, on commençait à se parler en anglais. On conversait en anglais de plus en plus et je me sentais de moins en moins confortable en français.

Par la cinquième ou sixième année d’école, durant la récréation, on se parlait complètement en anglais. Le seul français que l’on pouvait entendre était celui de la surveillante qui nous hurlait de parler français. D’une certaine manière, c’est devenu embarrassant de parler en français. À ce point là dans nos vies, ce n’était pas à nous de choisir un futur en français, notre sort était choisi par nos parents. Nous étions simplement en train de suivre leurs instructions.

Par le temps que je me suis trouvé au secondaire, j’étais si profondément enraciné dans mes passe-temps américains du skateboard, du graffiti et du punk rock que j’avais baissé le volume de la francophonie complètement, hors de ma vie personnelle. C’est vrai, j’allais à l’école secondaire Macdonald-Cartier, mais mon coeur était ailleurs. J’ai choisi de ne pas prendre part aux classes de musique et d’arts dramatiques même si j’y étais invité. D’une façon, je ne me sentais pas assez français. Ces élèves-là se parlaient en français hors de la classe, et moi j’avais de la misère. Honnêtement, j’avais de bonnes notes dans mes classes de français et on m’a même offert une bourse pour étudier au Collège Boréal. Je pouvais lire et écrire en français, mais je ne pouvais pas interagir en français. Je ne me souviens pas d’avoir parlé français dans les corridors ou dans la cafétéria. Malheureusement, il semble que tu peux quand même obtenir un diplôme sans même parler français hors des salles de classe.

Je dois dire qu’en réfléchissant, Macdonald-Cartier, ou Macjack comme on l’appelait, était une très bonne école. Il n’y avait pas beaucoup de cliques et tout le monde s’entendait bien. Si je devais tout recommencer, je ferais la même chose. Heureusement, j’ai su très tôt que je voulais aller au Collège Cambrian pour poursuivre des études en graphisme. Dans ma tête et dans mon esprit, j’ai pensé que je n’avais plus besoin de la francophonie. Après tout, je n’aurais pas besoin du français pour suivre mes rêves. L’industrie, ainsi que ma ville, semblait être exclusivement anglophone.

Pendant ce temps, mes parents se sont séparés et ma mère et mon père avaient de nouveaux partenaires. Le nouveau chum de ma mère était un homme égocentrique qui pensait que c’était irrespectueux de parler le français devant lui. Mon domicile était devenu anglais. Je ne parlais même plus français avec ma mère, même si elle essayait de me forcer.

Je l’admets, j’ai passé des années sans parler français. Au collège je n’ai pas dit un mot de français tout le temps que j’y étais. Durant les étés, j’allais en tournée avec mon band punk rock à travers les États-Unis et le Canada alors je ne voyais pas ma famille française. J’ai obtenu mon diplôme du Collège Cambrian et je me suis lancé directement sur le marché du travail.

Une journée, après avoir perdu mon emploi durant la crise économique de 2008, tout a changé.

J’ai décidé de fonder ma propre entreprise de design avec un ami et on a commencé, grâce à la recommandation d’un ami, à faire du travail pour le Carrefour francophone. C’était vraiment la première fois que j’ai vu avec mes propres yeux que le français se parlait dans la vraie vie à Sudbury, hors des classes et loin de la surveillante qui harcèle. J’ai senti la passion de la francophonie qui coulait en eux et ça m’a inspiré. De là on a rencontré plusieurs organismes francophones de Sudbury qui continuent à m’étonner. Ces gens ont souligné l’importance d’être francophone en Ontario. Ils m’ont montré que c’est possible de vivre en français même dans une société anglophone. Leurs objectifs font appel à moi. Surtout, ils ont réussi, sans même essayer, d’allumer en moi une étincelle de fierté. Là où les écoles ont échoué, ces organismes ont réussi. Mon esprit francophone est né.

J’aimerais dire que c’était la faute d’une école, des enseignants ou de la faute de mes parents si j’avais perdu mon français, mais en réalité, c’est la mienne. J’aimerais dire que c’est la ville de Sudbury qui m’a forcé à oublier ma langue maternelle, mais encore une fois, c’était de ma faute. Je reconnais mes propres échecs. Je reconnais aussi les mauvais choix que j’ai faits, mais je refuse d’accepter la défaite. Au fil des trois dernières années, j’ai fait un 180 complet. Je fais de mon mieux pour lire des livres francophones. Je fais de mon mieux pour écouter la musique et la radio francophone. Je fais de mon mieux pour contribuer à notre culture francophone avec ma firme de marketing — non pour l’argent, mais parce j’y tiens. C’est vrai, tu peux vivre à Sudbury sans entendre un mot de français. Je le sais. C’est comme ça que j’ai vécu pour plusieurs années. Maintenant, je réalise que c’est à moi, non seulement  de chercher la culture francophone, mais aussi de la créer. Parfois, dans les milieux professionnels, je sens que mon français est critiqué. À ces gens-là, je leur dis que je m’en fous. Je continue à m’améliorer, pas pour vous, mais pour moi et pour ma famille. Ça prend de l’effort, mais l’effort, j’en ai. Pour mon grand-père qui a soulevé une famille et établi une pratique de médecine francophone ici à Sudbury, je continue de l’avant en français moi aussi. Je fais ma part.

Je me pose la question : Quand décides-tu que tu es vraiment un francophone? Ce n’est pas un diplôme, une fleur de lys, une chanson de Paul Demers, un maudit drapeau vert et blanc ou une famille qui peut me rendre francophone — c’est ma décision de choisir de l’être. C’est à moi, et seulement à moi, de pratiquer, d’interagir et de vivre en français. Je décide de me battre pour la francophonie au nord de l’Ontario— non en accusant, mais en étant.