Vivre en français – le 11 janvier 1971

On a trouvé ceci, et on trouve que 40 ans plus tard, on est encore en train parler des mêmes maudits enjeux. Quand l »auteur parle de télévision, pensons plutôt à Internet. Quand il parle de Canadiens-français catholiques, pensons aux Franco-ontariens «pure-laine». Quand il parle de sauver la «race», pensez à nous qui essayons de «sauver la culture» en l’institutionnalisant.  Quand vous voyez 1971, pensez à 2013. Ensuite, pensez à 2051. Nous, dans 40 ans, on aimerait bien ça pouvoir dire qu »on a progressé. 


Vivre en français

Le Voyageur, le 11 janvier 1971

Le passé n »a rien de particulièrement impressionnant pour les jeunes d »aujourd »hui, eux que la télévision, entre autres, a formé à l »actuel et au raisonnablement possible, eux à qui la télévision offre de faire valoir immédiatement leurs idées ou réalisations pour autant que celles-ci s »insèrent naturellement dans un contexte à la fois utile et humanitaire.

Et, pour ces mêmes jeunes, l »enseignement à outrance, l »enseignement «coûte que coûte» de divers principes d »où brille par son absence toute connotation actuelle, n »a pas plus de valeur ou de signification qu »un éléphant dans un bol de soupe.

Ça, ce sont des comportements observables, qui ne sont pas sujets à discussion. Devant eux, on adopte deux attitudes : bien on regarde, on cherche, et l »on comprend ou alors on fait l »autruche et, forcément on ne comprend rien à rien.

Pour la jeunesse franco-ontarienne, ces problèmes d »incompréhension – déjà lourds à assumer – se doublent d »un autre, non moins lourd à supporter : celui des instruments naturels de communication et de la langue en particulier.

Pour un jeune Franco-Ontarien, parler français ça veut souvent dire faire un effort. Probablement que si la chose était possible, il trouverait plus aisé de parler «mathématique». En tout cas, il lui est plus naturel de parler en anglais. Et comment oserait-on lui reprocher ce comportement qu »il tient de la nature même de son environnement? Communiquer, comme on s »en doute bien, c »est essentiel. Et probablement que le jeune Franco-Ontarien trouve plus de bonheur à mal communiquer en anglais [certaines choses changent, quand même!] qu »à ne pas réussir à communiquer du tout en français!

De bonnes âmes de patriotisme tout imbues, tentent malgré tout de sauver la «race», ignorantes toutefois des données élémentaires capables de stimuler véritablement le désir chez ces jeunes de tout d »abord, vouloir vivre en français, et, ensuite, de faire les efforts nécessaires pour normaliser une situation que l »histoire a laissé se détériorer.

Encore en 1971, on fait appel à «la fierté d »être un Canadien catholique d »expression française». Puis sans faire ni un ni deux, on se gargarise à pleine gorge des nobles motifs qui devraient assurer la naissance et l »explosion de cette fierté : «notre passé: nos aïeux et leur oeuvre; notre survivance; nous-mêmes et nos qualités; notre mission et la Providence»!

Et voilà qu »on se surprend ensuite à ne pas comprendre cette jeunesse qui online casino nederlandsegokken s »entête à ne pas vouloir être fière! Quelle ingratitude, en effet! «Nous portons bien haut le flambeau et l »idéal de la race, et voilà que cette jeunesse pour qui nous le faisons nous trahit, ajoutant à cela l »arrogance d »un sourire narquois qui pourrait nous faire croire que ce que nous disons ou faisons relève de l’imbécillité pure».

De l »imbécilité, assurément non. Mais l »intransigeance de la jeunesse face à ses propres valeurs, fait que trop souvent elle crée l »intolérance face à celles de ceux qui l »ont précédée.

Et l »on peut se demander à ce point-ci, qui doit faire l »effort de comprendre qui. La réponse semble évidente.

Véritable effort de compréhension, voilà sûrement l »essentiel. Compréhension de la jeunesse elle-même, compréhension surtout du contexte qui la forme et dans lequel elle doit vivre. Compréhension, entre autres, d »un fait capital : les valeurs et les instruments traditionnels, à plusieurs niveaux et particulièrement à celui de la langue pour les Franco-Ontariens, n »ont plus d »impact – si toutefois ils en ont jamais eu!

Les valeurs du passé? Non. Ce sont les valeurs du temps actuel, de l »Action actuelle qu »il faut faire ressortir. Et, quand c »est nécessaire, favoriser cette action actuelle, animer le dynamisme de cette jeunesse.

Il n »y a vraiment plus qu »une fierté que cette jeunesse-là peut acquérir, et c »est la fierté d »elle-même, de ses propres actes : c »est la marque de notre temps. Le reste devient accessoire et s »acquiert au gré des besoins, des gestes, des réflexions.

– Hubert Potin, éditeur en chef du journal Le Voyageur, 1971


Dans la vie, il y a des choses qui ne changent jamais.

Le Règlement XVII: un arrêté lourd de conséquences

Aujourd’hui, lendemain de la Saint-Jean Baptiste, l’Ontario français reconnaît le 100e anniversaire du Règlement XVII, un arrêté de Queen’s Park qui visait à imposer l’enseignement de toutes les matières scolaires en anglais et limiter l’usage du français à quelques heures par jour en première et deuxième années exclusivement.

En juin 1912, les Conservateurs venaient d’être élus à Ottawa et réélus à Queen’s Park. À la suite d’une campagne francophobe, le gouvernement de James Whitney sentait qu’il avait le mandat de «résoudre» le «problème» des nouveaux arrivants qui avaient migré vers la province «loyaliste» dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Les 200 000 Canadiens-français composaient maintenant des majorités dans les cantons de Prescott, Russell, Nipissing et Temiskaming et avaient modifié le caractère des paroisses et des localités. Le sentiment d’«invasion», mais aussi le refus chez les Canadiens anglais de reconnaître une dualité quelconque (linguistique ou culturelle) moussa la volonté d’assimiler les gens de souche française comme n’importe quelle autre minorité ethnique. Pourtant, au Québec, une sorte de «réserve» pour les Canadiens-français, les Anglo-Protestants, minoritaires, s’attendaient à pouvoir gérer leurs écoles autonomes que le nombre le justifie ou non.

Le Règlement XVII a été dénoncé farouchement par l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario naissante, mais surtout par quelques commissions scolaires, des paroisses canadiennes-françaises, des parents, des instituteurs et des élèves. La mise en vigueur du Règlement en 1913 eut pour effet de suspendre le financement et de congédier les enseignantes qui insistaient de transmettre leur matière en français. Alors que les écoles du sud-ouest ont fléchi sous la pression de Queen’s Park et de leur évêque Michael Fallon, les écoles d’Ottawa et de l’est ont résisté par des manifestations, des chasses aux inspecteurs, des souscriptions auprès du Québec pour payer les enseignantes, des délégations furent envoyées à Rome et à Londres pour convaincre l’Église et le Conseil privé du bien-fondé du refus, sans compter les nombreuses répliques écrites et orales des Canadiens-français envers leurs coreligionnaires d’origine irlandaise qui voyaient chez eux des «foreign customs» ou un «racial mad party». Les écoles du nord ont aussi résisté à leur manière. À Sudbury, la Commission des écoles séparées a divisé les écoles mixtes, ouvrant des écoles distinctes «pour» les Canadiens-français qui disaient respecter le Règlement et ne sortaient leur anglais que lorsque l’inspecteur leur rendait visite.

On connaît la suite. Après le déploiement d’arguments pédagogiques, économiques, politiques et religieux auprès de l’Église, Queen’s Park et la société civile canadienne-anglaise, mais aussi l’ouverture d’une école pédagogique française (1923) et les gestes visant à convaincre les Ontariens qu’ils pourraient s’en sortir comme des héros du bon-ententisme, l’Ontario français a obtenu gain de cause. En novembre 1927, Toronto suspendait le Règlement, non pas parce qu’il reconnaissait la dualité du Canada ou la légitimité des Canadiens-français sur son sol, mais parce que le Règlement n’avait pas favorisé le bon apprentissage de l’anglais selon les méthodes employées par les nouvelles institutrices formées à l’école pédagogique (qui était toujours entièrement financée par l’Église et l’Université d’Ottawa). La conclusion du Ministre de l’Éducation à la fin du périple était que l’anglais serait enseigné toutes les années de l’instruction primaire dans les écoles «bilingues» et que d’autres matières pourraient être enseignées en français sans que cela nuise à l’apprentissage. «The official language of the province will be properly taught», concluait-il.

Cet épisode rappelle la précarité de l’existence de l’Ontario français, mais aussi les séquelles dont nous ressentons encore les effets. Il est difficile de déterminer combien de jeunes ont été perdus aux mains d’un système scolaire anglicisant. Les écoles primaires «bilingues» ne devinrent françaises qu’en 1963 (ce qui exigeait toujours l’enseignement de l’anglais, mais seulement à partir de la troisième année) et des écoles secondaires publiques françaises ne furent financées qu’à partir de 1969. Certains élèves du secondaire (par exemple, à Sault-Sainte-Marie, Hornepayne et Espanola) attendent toujours un édifice où ils seront autonomes et n’auront pas à subir la discrimination d’une majorité qui ne comprend pas la nécessité ou le sens d’une école indépendante. La grande majorité des Franco-Ontariens «parlent l’anglais de toute façon», estime-t-on, sans prendre en compte qu’ils l’ont acquis par obligation ou par osmose.

Durant les négociations pour un renouveau constitutionnel au début des années 1980, la dualité culturelle semblait seulement faire du chemin au Nouveau-Brunswick où le premier ministre Richard Hatfield reconnut l’égalité du français et de l’anglais et des deux cultures fondatrices du pays. Le Québec optait de plus en plus pour l’unilinguisme, même si les acquis de sa minorité anglophone n’ont jamais été menacés. L’Ontario, pour sa part, cherchait à plaire à son partenaire de la Confédération en faisant des gestes de bonne foi envers sa minorité canadienne-française (la construction de nouvelles écoles, l’obtention des services juridiques, la proclamation de la Loi sur les services en français – LSF), mais le premier ministre de l’époque, Bill Davis, a toujours refusé de reconnaître l’égalité du français par crainte d’un «ressac anglophone» dans sa province. Même Bob Rae avait promis de reconnaître l’égalité du français. Cela dit, il n’a pas posé de gestes concrets pendant son mandat (1990-1995).

Les exemples de ce refus persistent, que ce soit dans le cadre de la lutte pour faire flotter le drapeau franco-ontarien à l’hôtel de ville de Sudbury (2003), lutte pendant laquelle le député provincial Rick Bartolucci avait déclaré candidement que hisser ce drapeau exigerait que ceux de l’Italie et de tous les autres pays flottent à côté de lui (!). Et n’oublions pas le récent conflit à l’hôpital de Cornwall (2012) où des municipalités et des citoyens avaient suspendu leur financement à l’institution en raison de la désignation bilingue de nouveaux postes tel qu’exigé par la LSF. L’idée que l’Ontario français fasse partie d’une des deux nations majeures du Canada ou que sa population constitue une minorité nationale (avec les Québécois, les Acadiens et les autres Francos) au même titre que les peuples indigènes peine toujours à faire du chemin auprès de la population générale. L’Ontario n’est jamais parvenu à reconnaître une autonomie aux Franco-Ontariens (hormis la gestion scolaire obtenue en 1998) ou une égalité par rapport à la majorité anglophone. Les concessions à la minorité que les Orangistes avaient qualifiées de «un-British» continuent d’être vues ainsi par trop de gens. La majorité canadienne a beau adhérer à un bilinguisme symbolique, elle continue de refuser la substance de la dualité et celle des minorités nationales.

Les luttes étudiantes au Québec : 1956-2012

Certes, le Code du travail du Québec ne s’applique pas aux étudiantes et aux étudiants en grève et, en ce sens, ils ne peuvent pas être considérés comme des salariés. Pourtant, comme les 20 000 professeures et professeurs de cégeps, les 45 000 employées et employés de la fonction publique ou les 90 000 enseignantes et enseignants des commissions scolaires, pour ne nommer que ceux-là, les étudiantes et les étudiants constituent une catégorie sociale dont les conditions de vie sont largement tributaires des relations, souvent conflictuelles, qu’elle entretient avec l’État québécois.

Depuis la prise en charge de l’Éducation par l’État au début des années 1960, celui-ci en est venu à jouer un rôle déterminant dans le mode de vie des étudiantes et étudiants de l’enseignement supérieur. Les transferts en nature (le financement des frais de scolarité) et en espèces (le programme d’aide financière aux études) sont, en effet, au cœur de la structuration de la réalité financière quotidienne d’un nombre important d’étudiantes et d’étudiants, comme en témoignent les statistiques et les revendications du mouvement étudiant au cours des cinquante dernières années.

À l’automne 2010, il y avait 180 436 étudiantes et étudiants inscrits dans les collèges et 275 472 dans les universités au Québec. Les dépenses globales de l’État par étudiant s’élevaient à 12 756 $ au collégial et à 29 242 $ à l’université1. En 2009-2010, l’aide totale accordée aux étudiantes et aux étudiants en vertu du programme d’aide financière aux études s’élevait à 876,7 millions $. 21,3 % des étudiantes et des étudiants du réseau collégial et 38,9 % de celles et ceux du réseau universitaire bénéficiaient d’une aide. Au total, près de 142 000 étudiantes et étudiants ont bénéficié du programme de prêts et bourses2.

Mais, et c’est ici que ça compte, ces transferts en nature et en espèces occupent, depuis le début des années 1960, une place centrale dans la structure du revenu des étudiantes et des étudiants. En effet, en moyenne, entre le début des années 1960 et le début des années 2000, le quart du revenu disponible des étudiantes et des étudiants provient de l’aide financière aux études. Ce qui en fait, après les revenus tirés d’un travail rémunéré, la deuxième source de revenus en importance3.

Il n’est donc pas surprenant de constater que les luttes étudiantes, surtout depuis la réforme du programme de prêts et bourses en 1966 sous le gouvernement de l’Union nationale, tournent presque essentiellement autour du gel des frais de scolarité et de la bonification du programme d’aide financière aux études.

Le mouvement étudiant québécois déclenche dix grèves générales entre 1956 et 2012. Et si les organisations étudiantes à l’origine de ces mobilisations se sont succédé au cours de cette période, leurs revendications sont demeurées les mêmes. Ainsi, le mouvement étudiant revendique l’abolition ou le gel des frais de scolarité (1958, 1968, 1974, 1978, 1986, 1990, 1996 et 2012). La bonification du programme des prêts et bourses est aussi au cœur des luttes étudiantes au cours de cette période. Le mouvement étudiant réclame entre autres l’instauration d’un présalaire (1956, 1978), la diminution du montant des prêts au profit d’une augmentation de celui des bourses (1968, 1974, 1978, 1988 et 2005), l’abolition de la contribution parentale et de celle de la conjointe ou du conjoint (1974 et 1978) et, de façon générale, la fin de l’endettement étudiant.

À travers leurs moyens d’action, leurs modes d’organisation et leurs revendications, les étudiantes et les étudiants ne visent pas seulement une accessibilité plus grande aux études supérieures et un élargissement des droits sociaux qui sont rattachés à leur statut, mais surtout une contestation des normes régissant leur existence au cours de cet instant précis de leur vie, car, et on l’a vu, les transferts de l’État en enseignement supérieur jouent un rôle déterminant sur le mode de vie d’un nombre significatif d’étudiantes et d’étudiants. Par conséquent, lorsque l’État décide de modifier unilatéralement le financement de l’éducation supérieure, par un dégel des frais de scolarité ou par une modification du programme d’aide financière aux études, il affecte profondément les façons de vivre, comme se loger, se vêtir et se nourrir, des étudiantes et des étudiants.

Somme toute, tout comme les autres groupes sociaux qui négocient leurs conditions de vie avec l’État, les étudiantes et les étudiants forment une catégorie sociale qui défend ses intérêts face à un État qui, trop souvent, définit seul les contours de leurs conditions de vie.


Quelques jalons historiques : 1956-2012

Octobre 1956

1 000 étudiantes et étudiants marchent sur le Parlement à Québec. Elles et ils revendiquent l’abolition des frais de scolarité et du système de prêt étudiant, l’institution d’un présalaire étudiant et, plus largement et à plus long terme, la gratuité scolaire à tous les niveaux d’enseignement.

Mars 1958

Environ 21 000 étudiantes et étudiants universitaires sont en grève générale illimitée pour dénoncer le gouvernement de Maurice Duplessis qui refuse de négocier. Parallèlement, une étudiante (Francine Laurendeau) et deux étudiants (Jean-Pierre Goyer et Bruno Meloche) occupent les bureaux du premier ministre.

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Septembre 1961

Adoption par l’Association générale des étudiants de l’Université de Montréal (AGEUM) de la charte de l’étudiant universitaire. Il s’agit d’une adaptation québécoise de la Charte de Grenoble du mouvement étudiant français. Selon certains, c’est la naissance du syndicalisme étudiant.

13 mai 1964

Création du ministère de l’Éducation à la suite des travaux de la commission Parent.

Novembre 1964

Fondation, au Centre social de l’Université de Montréal, de l’Union générale des étudiants du Québec (UGEQ). La nouvelle organisation revendique l’abolition des frais de scolarité, la reconnaissance des étudiantes et des étudiants comme de jeunes travailleurs intellectuels ayant droit à un salaire, la cogestion et la création de nouvelles institutions publiques.

Octobre 1968

Le 12 octobre, une quinzaine de cégeps, certaines facultés et certains départements universitaires sont en grève générale illimitée pour réclamer une meilleure planification de l’accessibilité au marché du travail, la gratuité scolaire, la création d’une deuxième université de langue française à Montréal, la bonification du programme des prêts et bourses, la cogestion et l’abolition de la politique des présences obligatoires au cégep.

Le 21 octobre, 10 000 étudiantes et étudiants participent à une manifestation à Montréal. Celle-ci est suivie d’une nouvelle vague de grèves et d’occupations en novembre. Des lock-out sont décrétés aux cégeps Édouard-Montpetit, de Chicoutimi et de Jonquière.

À la suite de cette mobilisation, les frais de scolarité sont gelés jusqu’en 1990.

Mars à septembre 1969

Dissolution de l’UGEQ, de l’AGEUM et de l’Association des étudiants de l’Université Laval (UGEL). Certains leaders du mouvement étudiant d’octobre 1968 considèrent, malgré les gains, que cette mobilisation fut un échec.

Automne 1974

Un premier mouvement de grève s’amorce le 9 octobre aux cégeps de Rosemont, de Joliette, de Rouyn-Noranda, de Saint-Hyacinthe et de Saint-Jean pour réclamer le retrait des tests d’aptitude aux études universitaires (TAEU). Le gouvernement du Québec retire les TAEU.

En novembre, une nouvelle mobilisation voit le jour au cégep de Rimouski afin d’abolir les frais de scolarité et d’améliorer le système des prêts et bourses (suppression de la contribution parentale et de celle du conjoint, diminution de la contribution de l’étudiante et de l’étudiant et diminution du montant maximum du prêt de 700 $ à 500 $). Le mouvement de grève gagne rapidement du terrain et une trentaine de cégeps y adhèrent, en plus de certaines écoles secondaires et des départements universitaires. Environ 100 000 étudiantes et étudiants sont alors en grève.

Dans la semaine du 9 au 14 décembre, la police antiémeute intervient dans plusieurs cégeps, à la demande des administrations locales qui tentent de briser la grève par le recours au lock-out.

22 mars 1975

Fondation de l’Association générale des étudiantes et étudiants du Québec (ANEEQ) à l’Université Laval.

Automne 1978

En abandonnant ses promesses électorales en matière d’éducation (gratuité scolaire à tous les niveaux et instauration d’un présalaire pour les étudiantes et les étudiants), le gouvernement péquiste mobilise les troupes étudiantes.

Le 7 novembre 1978, les étudiantes et les étudiants du cégep de Rimouski votent pour la grève générale illimitée. Elles et ils sont suivis quelques jours plus tard par celles et ceux de Chicoutimi et de La Pocatière. Le 23 novembre, on compte une trentaine d’établissements impliqués dans le mouvement. Le même jour, une manifestation de 1 500 personnes, qui se tient devant les bureaux du ministère de l’Éducation à Montréal, se transforme en occupation improvisée.

Les étudiantes et les étudiants de l’UQAM rejoignent le mouvement. C’est la première fois qu’une université est complètement fermée en raison de cet exercice du droit de grève. Plusieurs départements des sciences humaines des universités de Montréal et de Laval décident aussi de joindre le mouvement.

Au total, plus de 100 000 étudiantes et étudiants des collèges et des universités sont en grève générale. Elles et ils réclament l’abolition des frais de scolarité, l’abolition de la contribution parentale et de celle du conjoint, l’abolition de l’endettement étudiant, la diminution de la contribution étudiante et, à moyen terme, la gratuité scolaire intégrale.

Automne 1986

Le 7 octobre 1986, les étudiantes et les étudiants du Vieux-Montréal amorcent un mouvement de grève et revendiquent le maintien du gel des frais de scolarité jusqu’à la fin du mandat du gouvernement Bourassa, le retrait des frais afférents à l’université et une réforme du programme d’aide financière aux études.

Le mouvement regroupe environ 25 associations, dont une seule universitaire, l’Association générale des étudiants de l’Université du Québec à Montréal (AGEUQAM). Plusieurs départements de l’Université de Sherbrooke votent pour la grève, mais les autres composantes ne suivent pas, ce qui empêche le débrayage.

Le 22 octobre 1986, le gouvernement s’engage à maintenir le gel des frais jusqu’en 1989, mettant fin au mouvement.

Automne 1988

Le 26 octobre, plus de 100 000 cégépiennes et cégépiens amorcent une grève de trois jours dans 23 des 44 établissements du Québec pour réclamer une amélioration du régime des prêts et bourses. Cinq autres établissements se joignent par la suite au mouvement.

Le 29 octobre, l’Association nationale des étudiants et étudiants du Québec (ANEEQ) se prononce en faveur du déclenchement d’une grève générale illimitée. Le mouvement s’enclenche avec le ralliement d’une vingtaine d’associations étudiantes, mais certaines, collégiales, s’y opposent.

Le mouvement décline et l’ANEEQ met fin à la grève le 13 novembre. Les cours reprennent dans les cégeps, mais la grève déclenchée le 2 novembre par les 12 000 étudiantes et étudiants des sciences humaines, arts et lettres de l’UQAM se poursuit pendant trois jours.

1990

L’Association nationale des étudiantes et des étudiants du Québec (ANEEQ) et la nouvelle Fédération des étudiantes et étudiants du Québec (FEEQ, qui deviendra plus tard la FEUQ) lancent un mouvement pour s’opposer au dégel des frais de scolarité (les frais universitaires, qui sont de 540 $ – gelés depuis 20 ans – devaient passer à 890 $ l’année suivante, puis à 1240 $ l’année d’après).

Même si la majorité des associations étudiantes n’ont pas obtenu le mandat de grève, les étudiantes et les étudiants en sciences humaines et en arts et lettres de l’UQAM débrayent le 13 mars. Ils sont suivis le lendemain par les étudiantes et les étudiants du Cégep de Rimouski et de l’Université du Québec à Rimouski, ainsi que par celles et ceux des cégeps de Saint-Laurent, de Joliette et de Rosemont.

Plusieurs manifestations, parfois accompagnées d’arrestations, marquent les journées de protestation. Au plus fort de la mobilisation, seulement une douzaine de cégeps et trois universités (l’UQAM, l’UQAR et l’Université de Montréal) étaient en grève. Le mouvement perd de son importance et ne réussit pas à faire fléchir le gouvernement.

1993

Dissolution de l’ANEEQ.

Automne 1996

Les étudiantes et les étudiants du cégep Maisonneuve déclenchent une grève générale, le 23 octobre, pour protester, notamment, contre la possibilité que le gouvernement péquiste hausse les frais de scolarité à l’université et augmente les frais afférents au cégep.

Les cégeps du Vieux-Montréal et Marie-Victorin emboîtent le pas. La Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) décident, le 31 octobre, de se joindre au mouvement, qui s’étendra alors à plusieurs établissements.

Le 8 novembre, 23 cégeps sont en grève, soit plus de 60 000 étudiantes et étudiants sur un total de 165 000. Les étudiantes et les étudiants de McGill, de l’Université de Montréal, de Concordia et de l’UQAM rejoignent le mouvement.

La ministre de l’Éducation, Pauline Marois, annonce, dix jours plus tard, le gel des frais de scolarité à l’université et le maintien du plafond des frais afférents au cégep. Le mouvement prend fin le 25 novembre après une vingtaine de jours de grève.

Hiver 2001

Fondation de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) au cégep de Valleyfield.

Hiver 2005

Six cégeps et une douzaine d’associations étudiantes universitaires entrent en grève générale illimitée le 21 février afin de protester contre la conversion de 103 millions $ de bourses en prêts. Environ 185 000 étudiantes et étudiants sont en grève au plus fort de la mobilisation.

La FEUQ et la FECQ en arrivent finalement, après près de 6 semaines de grève, à une entente de principe avec le ministère de l’Éducation, qui consiste à réinvestir 482 millions de dollars de prêts en bourse, pour les cinq prochaines années. Le retour des 103 millions de dollars est promis pour 2006. La FEUQ invite alors ses membres à accepter l’offre pour mettre fin à la grève tandis que la FECQ qualifie l’offre de suffisamment intéressante. La Coalition de l’association pour une solidarité syndicale étudiante élargie (CASSÉÉ), qui a été exclue des négociations avec le gouvernement, invite ses membres à rejeter l’offre de principe et à continuer les moyens de pression.

Sur les 185 000 étudiantes et étudiants ayant participé au mouvement de grève générale illimitée, 110 000 votent contre l’entente, alors que 75 000 l’acceptent. La majorité des associations membres de la FECQ et de la FEUQ entérine toutefois l’entente de principe, d’où l’arrêt rapide de leurs moyens de pression, alors que bon nombre d’associations membres de la CASSÉÉ poursuivent la grève jusqu’au 14 avril.

Hiver et Printemps 2012

Le 13 février, des associations étudiantes lancent un mouvement de grève pour contrer la décision du gouvernement du Québec d’augmenter annuellement de 325 $ les droits de scolarité dans les universités, et ce, pendant cinq ans.

La grève est déclenchée le 13 février 2012 par l’Association des chercheuses et chercheurs étudiants en sociologie de l’Université Laval et le Mouvement des étudiantes et des étudiants en service social de l’Université Laval. Ils sont suivis dès le lendemain par les facultés des sciences humaines, de science politique, de droit et d’arts de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Le 16 février, le Cégep du Vieux-Montréal est le premier à rentrer en grève suivi, le 20 février, par d’autres cégeps qui viennent grossir les rangs des grévistes, qui se chiffrent à ce moment à plus de 30 000. Le 27 février, de nombreuses associations se joignent au mouvement. Il y a plus de 65 000 étudiantes et étudiants en grève. Le 5 mars 2012, le mouvement regroupe environ 123 300 étudiantes et étudiants en grève générale illimitée et plus de 9 500 étudiants ont ce mandat en poche. Le nombre d’étudiantes et d’étudiants en grève atteint son sommet le 22 mars : 309 000 étudiantes et étudiants sont en grève. Cependant, plusieurs de celles-ci et ceux-ci sont en grève limitée en raison de la manifestation nationale du 22 mars, qui mobilise plus de 200 000 personnes.

La grève étudiante est principalement coordonnée par la Coalition large de l’ASSÉ (CLASSE), par la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et par la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ).

En dépit de cette mobilisation historique – la plus imposante et la plus longue – la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Line Beauchamp, refuse de négocier avec les organisations étudiantes et nie le processus démocratique à l’œuvre dans les différentes assemblées générales. Le 17 avril 2012, plus de 170 000 étudiantes et étudiants sont toujours en grève.

Au cours de la semaine du 23 avril, il y a eu des discussions entre les leaders étudiants et les délégués gouvernementaux pour abaisser les tensions. Invoquant des incidents lors d’une manifestation le 24 avril à Montréal, la Ministre Beauchamp exclut la CLASSE des pourparlers. En réaction, les leaders de la FEUQ et de la FECQ ont suspendu les discussions avec le gouvernement. Cela a créé une réaction de frustration et une série de 3 manifestations nocturnes se sont déroulées le 24, 25 et 26 avril. La manifestation du 24 avril a été marquée par d’autres actes de vandalisme, commis par un petit groupe des Blacks Bloc, et des arrestations. Néanmoins, les marches se sont déroulées pour la plupart dans le calme.

Le vendredi 27 avril à 11 heures, Jean Charest convoque les médias en conférence de presse pour divulguer l’offre faite aux étudiantes et étudiants. La proposition comprend l’étalement des hausses sur 7 ans, mais aussi son indexation, et un élargissement de l’accès aux prêts étudiants. Cette offre, perçue par la majorité des étudiantes et es étudiants comme une insulte, entraîne une 4e manifestation nocturne consécutive. Le lendemain soir, pour leur 5e manifestation nocturne d’affilée à Montréal, les participantes et participants voient à désormais désapprouver quiconque voudrait s’adonner à la casse. Le 30 avril, une septième manifestation nocturne consécutive a lieu sous le thème d’un «carnaval nocturne» : les participantes et participants sont déguisés et pacifiques. Une autre a également lieu le même jour : la «manifestation lumino-silencieuse», qui se déroule en silence. Pour un neuvième soir de suite à Montréal, le 2 mai, la marche se déroule dans la calme, les manifestantes et manifestants se dirigent vers la résidence privée du premier ministre, où ils font un sit-in, plusieurs déguisés richement, en guise de dérision. Leur principal slogan : «Manif chaque soir, jusqu’à la victoire». Ce jour-là, le ministre des Finances déclarait compter sur les élections plutôt que sur des discussions, afin de régler le conflit, toute négociation étant impossible, selon lui. Le 3 mai, une dixième manifestation nocturne a lieu, certaines manifestantes et manifestants sont déguisés en zombies, d’autres sont presque nus, plusieurs se rendent jusqu’à la résidence du maire de Montréal, qui voudrait leur interdire le port de masques. En date du 14 mai, ces manifestations continuent de se dérouler chaque soir, le compte est donc de 21 manifestations nocturnes.

En raison des manifestations quotidiennes à Montréal, le PLQ décide de déplacer à Victoriaville son Conseil général qui s’ouvre le vendredi 4 mai 2012 à 19 h.

Peu avant l’ouverture du Conseil, le gouvernement Charest décide de convoquer, à Québec, les représentants des quatre groupes d’associations d’étudiantes et d’étudiants, les chefs des centrales syndicales, les recteurs d’université et de la Fédération des cégeps, avec le négociateur en chef du gouvernement ainsi que les ministres Line Beauchamp et Michelle Courchesne, pour conclure une entente de principe visant un retour à la normale. Les représentantes et représentants entament des pourparlers en fin d’après-midi.

Au même moment, à Victoriaville, plusieurs dizaines d’autobus remplis de manifestantes et manifestants se rendent sur place, à environ un à deux kilomètres du palais des congrès. Elles et ils marchent jusqu’à ce lieu où se tenait le Conseil et, moins d’une heure après le début des manifestations, il y a des affrontements entre des manifestantes et manifestants et l’escouade anti-émeute de la Sûreté du Québec. Les négociations à Québec sont alors brièvement interrompues pour permettre aux leaders étudiants de lancer un appel au calme, avec diffusion immédiate jusque sur les réseaux sociaux.

Les affrontements font plusieurs blessés, incluant 3 policiers. Deux manifestants blessés reposent dans un état critique à l’hôpital, dont un étudiant qui perd l’usage d’un œil.

Quelques jours plus tard, deux partis d’opposition, Québec solidaire et le Parti québécois réclament, en vain, la tenue d’une enquête publique indépendante sur le comportement policier lors de la manifestation de Victoriaville. Le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, leur réplique de s’en remettre au commissaire à la déontologie policière.

Le samedi 5 mai, après 22 heures consécutives de négociation, les représentantes et représentants des différents groupes en viennent à une entente de principe, qui stipule que la hausse des «droits de scolarité» s’applique, mais que si des coupures dans les «droits afférents» (frais institutionnels obligatoires) ont lieu, cela pourrait laisser inchangé le total de la facture à payer par les étudiantes et étudiants. À cette fin, l’entente prévoit la création d’un Conseil provisoire des universités (CPU) pour étudier la possibilité de revoir les dépenses universitaires avant 2013. Cette entente est plutôt perçue par les leaders étudiants non pas comme une entente officielle, mais comme une «feuille de route» à soumettre au vote libre des différentes associations étudiantes, de sorte que la grève générale illimitée demeure jusqu’à nouvel ordre. Mais, le parti au pouvoir se fait aussitôt triomphaliste, proclamant que, par l’entente obtenue, le «Québec maintient intégralement les hausses» et le premier ministre, Jean Charest, tient les étudiantes et les étudiants responsables de la durée du conflit. Plusieurs étudiantes et étudiants sur les réseaux sociaux disent que l’entente de principe est une «arnaque» et une «grossièreté». Tous les signes laissent donc croire que l’«offre» sera rejetée par les étudiants. L’impasse est confirmée en moins d’une semaine : les assemblées de chacune des quatre associations rejettent la proposition et la ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, se dit prête à ajouter des précisions à l’entente, mais «veut éviter que les gestes qu’elle pose soient perçus comme un «recul» par l’opinion publique», ajoutant (en maintenant sa demande monétaire) que «personne n’a à abandonner ses revendications pour autant».

Au milieu de l’après-midi du lundi 14 mai 2012, à la 14e semaine de grève étudiante, la ministre de l’Éducation et vice-première ministre du Québec annonce sa démission de la vie politique. De son propre aveu, elle espère que cette décision «servira d’électrochoc» en vue de régler le conflit étudiant. Pourtant, dans la matinée, elle avait tenue une conférence téléphonique avec les leaders et porte-parole des quatre groupes d’associations étudiantes, sans faire référence à cette possible éventualité.

Afin de mettre fin au conflit qui oppose le mouvement étudiant au gouvernement du Québec, ce dernier décide de déposer une Loi spéciale (Loi 78) qui, selon la plupart des acteurs de la société québécoise,  limite les libertés civiles, menace la démocratie et qui, de surcroît, bâillonne les enseignantes et les enseignants des cégeps. Il est on ne peut plus clair, depuis le dépôt du projet de loi spéciale le 17 mai dernier, que le premier ministre du Québec, Jean Charest, n’est ni le premier ministre de la Jeunesse ni celui de la négociation, mais bien celui de la répression tous azimuts.

Références

1. MELS, Indicateurs de l’éducation – édition 2011, MELS, secteur des politiques, de la recherche et des statistiques, p. 23.

2. Ibid., p. 46.

3. Voir : J. Brazeau, Les résultats d’une enquête auprès des étudiants dans les universités de langue française du Québec, Montréal, Département de sociologie de l’Université de Montréal, 1962 ; Robert Ayotte, Budget de l’étudiant des niveaux collégial et universitaire, Québec, Ministère de l’Éducation, direction générale de la planification, 1970 ; Bureau de la statistique du Québec, Enquête sur le mode de vie des étudiants du post-secondaire, Québec, BSQ, 1986; Fédération universitaire du Québec, Étude sur les sources et les modes de financement des étudiants de premier cycle, Québec, FEUQ, 2010.

Mario Beauchemin, La centralité de l’État providence dans le mode de vie des étudiantes et étudiants universitaires au Québec : 1950-1985, Québec, Université Laval, 1991, 139 p.

Benoît Lacoursière, «Brève histoire du mouvement étudiant», Revue Ultimatum, 2005-2006.

Radio-Canada : Les grèves étudiantes au Québec : quelques jalons

Wikipédia : Grève étudiante québecoise de 2005

Wikipédia : Grève étudiante québecois de 2012


Image: Francine Laurendeau, Jean-Pierre Goyer et Bruno Meloche occupent les bureaux du premier ministre

Trop, c’est comme pas assez

Je suis une hybride, une métisse à la peau blanche.

Je suis, pour paraphraser une chanson de Jean Leloup, une fille d’Ottawa, grandi à Ste-Catherine, d’une mère franco-ontarienne et d’un père du bas de Lachine.

Trop québécoise pour les Canadians, trop ontarienne pour les Québécois, je suis entre deux chaises. Parfaitement bilingue, j’ai appris à parler l’anglais quand j’ai commencé à parler. Je suis donc trop anglaise pour les français, et trop française pour les anglais. Pas assez ontaroise, pas assez québécoise.

Je ne suis pas une vraie Québécoise selon les uns, je ne suis pas une vraie Canadienne selon les autres. Je suis une expatriée dans mon propre pays. Pourtant, sur papier, je suis la Canadienne modèle. Je suis le wet dream de Pierre Elliott Trudeau.

J’ai lu quelque part qu’on ne pouvait pas ne pas être indépendantiste si on connaissait bien son Histoire. Eh bien! Je connais mon Histoire sur le bout des doigts. Et parce que je connais mon Histoire, je ne suis pas souverainiste, ne le serai jamais. Être souverainiste, ce serait renier le pays de mes ancêtres, eux qui l’ont bâti, l’ont porté à bout de bras et me l’ont légué. Ce serait trahir leur mémoire. Être souverainiste, ce serait pour moi la même chose que déshériter mes enfants, les priver de leur bien le plus précieux. Ce serait écraser leur avenir. Être souverainiste, ce serait aussi renier une partie de moi-même, de mon identité.

Je crois au Canada, même si je ne crois pas au Canada ultra-militariste et born again de Stephen Harper. Les premiers ministres, les gouvernements, sont toujours remplacés, un jour ou l’autre. En attendant ce jour, je continue à bâtir ce pays, pour le léguer à mon tour à mes enfants.

N’en déplaise à ceux qui trouvent que je suis trop ceci, ou pas assez cela, je ne suis pas une french frog. Je ne suis pas une dead duck. Je ne suis pas une vendue, ni une colonisée. Je suis canadienne-française, et je le dis avec fierté.

Naissance de l’université de Sudbury : une minorité remise à sa petite place

Le 5 septembre 1997. L’Université de Sudbury profitait de la rentrée universitaire pour souligner le 40e anniversaire de sa fondation. CBON diffusait ce matin-là une émission en direct du salon Canisius. J’y ai lu ce billet en ondes et devant public. 


Il y a ceux qui font l’histoire et ceux qui la subissent ; il y a ceux qui l’écrivent et ceux la lisent. Dernièrement, j’ai lu l’histoire des débuts de l’université de Sudbury et j’ai bien vu qui l’a subie. Le bel édifice où nous sommes ce matin m’a l’air maintenant d’un monument à la mémoire de notre impuissance politique de minoritaires. Car entre l’université dont on a rêvé et celle qu’on a eue, il y a quarante ans, il y a de grosses différences.

L’histoire raconte que dans les années cinquante, les jésuites se préparaient à ouvrir à Sudbury une université catholique et française. Celle-ci devait venir agrandir l’œuvre traditionnelle du collège classique du Sacré-Cœur, en place depuis 1913. Or, des comités d’autres églises protestantes et d’autres villes nord-ontariennes, qui étaient loin d’avoir un passé éducationnel aussi solide, ont réclamé l’égalité. Voilà tout ce qu’il fallait pour brouiller l’eau politique et noyer le poisson.

Cependant, les francophones avaient encore dans leur jeu une très bonne carte. En fait, c’était une bonne charte, celle du collège du Sacré-Cœur. Dans cette charte, il y avait une clause qui lui donnait le droit de créer au besoin une université. L’histoire raconte qu’un jour, en 1955, une délégation de Sudbury – le père Alphonse Raymond, Gaston Vincent et d’autres – sont allés à Toronto mettre leur charte sous le nez du ministre de l’Éducation.

Voilà donc l’action qui explique qu’en 1957, et pour trois ans, l’université de Sudbury a existé indépendamment de toute autre institution… et malheureusement, de toute subvention. C’est là que le gouvernement tenait la bonne carte ! Pour emporter la main, il a fait jouer sa fameuse balance politique, qui n’est pas toujours celle de la justice. Dans un plateau, on a mis les cinquante années d’expérience du collège du Sacré-Cœur, l’existence de l’université de Sudbury comme un fait accompli et les centaines de milliers de dollars de dons déjà faits pour une université française. Dans l’autre plateau, on a mis les autres groupes sans pareille préparation, qui ont pourtant pesé tout aussi lourd. Toronto a ainsi eu la partie facile : Non, on ne donnera pas de subvention à une université catholique, car il faudrait alors en donner aux autres. Et avant qu’on puisse revenir lui parler d’une université française laïque, le gouvernement a balancé sous le nez de tout le monde un gros chèque à l’ordre de tous ceux qui voudraient s’unir.

Tout d’un coup, une page de l’histoire a vite tourné. De nouveaux négociateurs jésuites, aux noms Belcourt et Bouvier, se sont fermement convertis. Ils ont soutenu que la plupart des Canadiens-Français voulaient en fait la cohabitation bilingue, que ceux qui avaient tant oeuvré pour une université sous gouverne française avaient mal visé, que l’université de Sudbury devait se fondre docilement dans l’université Laurentienne bilingue.

La suite est bien connue. Les anglophones ont mis la loi du nombre de leur bord. Les programmes français ont piétiné, les programmes anglais se sont multipliés. Dans l’université qu’ils avaient créée, les Canadiens-Français ont été avalés. Voilà donc l’histoire d’une minorité ambitieuse remise à sa petite place. Mais dans cette histoire d’échec politique, un passage détonne : celui où par la force d’un vieux document légal, on a eu, pour un moment, une université française.

Quarante ans plus tard, la gestion de l’éducation française entre français est un droit acquis en Ontario. Nos écoles secondaires sont françaises, nos conseils scolaires sont français. Au postsecondaire, nos collèges comme le Boréal sont français. Seules nos universités restent bilingues, comme des fossiles vivants. Dans ce contexte, l’université de Sudbury pourrait-elle poser de nouveau son grand geste d’hier ? Dans ses tiroirs, nous dit l’histoire, elle a une deuxième charte qui n’a jamais servi. C’est la charte d’un certain collège Lalemant qui n’a jamais existé. Cette charte pourrait-elle servir à accélérer l’histoire ? Pourrait-elle servir à fonder l’université de l’Ontario français ? Et si une charte n’est pas le bon moyen, comme en 1955, l’Université de Sudbury pourrait-elle prendre le leadership autrement ? Voilà de bonnes questions posées au mauvais endroit. Car il y a 40 ans, on a déjà enterré un rêve d’université française, ici même, sous les pierres de l’université de Sudbury. Son fantôme ne semble pas hanter les lieux.

Les historiens disent que l’histoire a tendance à se répéter, surtout quand on l’a oubliée. Aujourd’hui, je vous l’ai rappelée.


Ce texte fut publié dans le recueil de nouvelles De face et de billet, par Normand Renaud, aux éditions Prise de parole, 2002. Reproduit avec permission.

Aparté – La paix éternelle

Lundi 19 mars 2007, six heures cinquante-cinq!

Le train ne part jamais avant d’avoir obtenu son bloc et, lorsqu’il l’obtient, il n’a pas le choix, il s’éloigne forcément du quai. Jusqu’à tout dernièrement, je ne savais pas de quoi il s’agissait, car l’expression anglaise « block and tackle » me bloquait littéralement l’esprit. Si l’anglais s’insinue parfois entre nous et la réalité, il nous permet aussi de traverser le miroir, de voir et de décrire l’envers du décor. Dans le Never Neverland de mon monde parfaitement bilingue, j’imaginais un système de poulies et de « blocks » qui s’activait automatiquement au son du sifflet du conducteur, telles les immenses machines sur lesquelles s’articulent les décors mobiles au théâtre. Mais, dans le réel, il n’y a aucun palan qui tire les trains de cour à jardin et encore moins de l’intérieur à l’extérieur de la gare. Il s’agit plutôt d’un bloc horaire qui permet à l’ingénieur de lancer son train sur le réseau ferroviaire avec l’assurance qu’il ne rencontrera pas une autre locomotive sur son chemin… de fer. Un train qui manque son bloc doit attendre qu’une autre case horaire se libère; il est en attente comme un mourant que l’on arrache à la mort, il n’est qu’en sursis.

Dieu n’est pas un aiguilleur ni un régisseur, il ne décide de rien, le destin est une invention commode de l’homme, comme l’horaire d’un train, pour l’aider à accepter l’inévitable, c’est-à-dire la finalité de sa propre vie. Lorsque la mort se glisse dans le corps d’un grand malade, le sujet devient l’objet, il passe la parole à gauche, au narrateur qui, dans les circonstances, passe de l’imparfait au passé simple.

Je me demande comment Robert Dickson se porte. Hier, à grands coups d’imparfait, on m’a annoncé qu’il était sur son lit de mort. Dans la mesure du possible, il semble que Robert a choisi le lieu de son départ. Il s’est retiré dans sa maison jaune, dans sa petite chacunière accrochée au roc noir du Bouclier canadien, celle-là même qui surplombe un merveilleux jardin que plusieurs femmes ont mis à leurs mains. C’est dans ce décor, le sien, qu’il s’est présenté aux portes de l’absurde.

Il n’était pas pratiquant – il préférait l’écriture aux incantations, les métaphores aux bénédictions, les figures de style aux formules magiques. Il a voulu tout finir en beauté, dans son écritoire, sans importuner qui que ce soit.

Le train s’ébranle, le ciel est sombre et bas, des pans de nuages tiennent lieu de frises théâtrales et, comme il se doit, des voiles lourds et violets recouvrent les figurants de ce sanctuaire littéraire. Deus ex machina, au lointain le ciel s’ouvre, serait-ce la main de Dieu qui intervient? De puissants rayons de soleil, véritables jets de lumière, tombent et se détachent en clair-obscur sur une toile de fond urbaine. Saint-Henri, le quartier de Gabrielle Roy, s’embourgeoise au rythme des usines qui se transforment en condos. Sur cette grande scène, au travers des nuages, un seul et unique follow spot solaire illumine l’enseigne de la manufacture des Farines Five Rose qui, en plein jour, perd son charme nocturne, son ascendant et son auréole poétique, ses néons rouges n’étant pas aussi lumineux que le soleil.

J’entends des cloches…

Pourtant, il n’est que sept heures, l’angélus du matin a sonné et midi est encore loin. Des cloches? Serait-ce le grincement des roues et le crissement des wagons, la plainte du fer qui roule de plus en plus vite sur un chemin de fer qui tiendrait lieu de cloche?

On n’a pas démoli l’ancien pont tournant du canal Lachine. Il est toujours là, entouré d’eau, suspendu en position « off » au-dessus de son pilastre de béton. Je voyage en classe confort. De mon hyperbole économique, je crois apercevoir de la slague entre les traverses des rails. Le préposé m’offre un café. Ce n’est qu’un café filtre mais, au-dessus du fumet, l’horizon s’estompe… Tristesse et glissement de conscience : jadis, le café que Robert me servait dans sa Cuisine de la poésie avait une odeur d’Expresso italien et un arrière-goût d’herbes de Provence.

La poésie nous permet de voyager plus vite qu’un train et même d’abolir l’horizon… Absence, silence, souvenance… Un bloc horaire, une parenthèse anachronique s’ouvre pour me laisser voir, là-bas, au-dessus de la gare de triage de Sudbury, un homme poète qui, accoudé au parapet d’un pont, regarde, hume et écoute les convois ferroviaires. Sur un fond brun de rouille, d’odeur de mine, de minerai noir et nickelé, de mazout, de charbon et de sueur d’homme. Le Vieux Pont de fer de Sudbury est si loin, perdu dans le temps… et pourtant si proche, car grâce à la poésie, un long trait d’union de fer métonymique le relie aux voyageurs qui roulent sous le Sudbury Iron Bridge. Un ange passe, le temps se referme sur lui-même et il me semble que j’entends au-dessus de moi voleter l’Imaginaire d’un poète mourant, d’un homme en voie de partance.

Quand Paul-André est mort, je demeurais sur la rue Nelson, à deux pas de chez Robert Dickson, à trois pas du Pont de fer. Je l’ai appris immédiatement, car quelques minutes après sa mort, son âme angoissée planait au-dessus de mon lit tandis que la lame de la grande Faucheuse tournoyait au-dessus de sa dépouille. Les suicidés ne meurent pas en paix. Leur trop grande douleur reste vive et douloureuse; orpheline, elle squatte dans quiconque est proche de la dépouille.

En ce lundi… tout est si tranquille que je pressens qu’en amont un autre poète a pris le train en même temps que moi, je sais qu’il est parti vers Pouce coupé, vers les montagnes Rocheuses, vers les pêches miraculeuses des lacs du Grand Nord. Là où il n’y a pas de limite de pêche, là où il n’y a qu’une seule langue poétique. Ces amis n’ont pas à craindre : son âme, elle repose en paix, bientôt ils se rassembleront pour lui souhaiter ce qu’elle a déjà… la paix éternelle.

Requiescat in pace
Robert Dickson
1944-2007


Ce texte paraîtra en avril 2012 dans Le grand livre aux Éditions Prise de parole.

Photo: Jules Villemaire

La trahison québécoise, un mythe canadien-français

Aux États généraux du Canada français de l’automne 1967, presque cent pour cent des délégués du Québec et une petite minorité d’Acadiens ont appuyé une motion favorable au droit du Québec, « territoire national des Canadiens français », à l’autodétermination; les délégués de l’Ouest et de l’Ontario, s’ils ne se sont pas abstenus de voter, s’y sont opposés aux deux tiers environ. On a souvent dit, avec un sens du dramatique, que le Canada français était mort cette journée-là, ou plus exactement que les nationalistes québécois avaient trahi les minorités françaises des autres provinces.

Hors Québec, le récit de la trahison du Canada français par le Québec relève de la vérité historique. Cette trahison est en quelque sorte devenue la blessure fondamentale, une trahison symboliquement équivalente, dans la mémoire, à la déportation des uns et à la conquête des autres. Nul n’a donc été surpris de lire l’expression de ce mythe sur taGueule dans les premières heures, les premiers jours tout au plus, qui ont suivi la renaissance du site. (Note pour les curieux: c’était dans un des commentaires en réponse à l’article du 21 février sur l’université franco-ontarienne.)

Le succès du récit de l’abandon québécois des Canadiens français, et des Franco-Ontariens par la même occasion, s’explique à la fois par son extrême simplicité narrative et sa grande utilité en tant que symbole identitaire. Sur le plan narratif, son simplisme tient dans sa caractérisation sans nuance des personnages : d’un côté les bons, les victimes, les généreux qui tendaient la main; de l’autre les méchants, les bourreaux, les égoïstes qui ont refusé la main tendue. Sur le plan identitaire, ce récit est utile parce qu’il fournit aux Franco-Ontariens un repoussoir, cet Autre dont tout groupement par référence a besoin pour se rappeler ce qu’il n’est pas.

Mais le Canada français a-t-il eu la consistance, la solidité qu’on lui attribue, et l’avait-il encore en 1967? Si oui, peut-on vraiment croire, alors, que son destin se soit joué à l’occasion d’une assemblée populaire, les fameux États généraux du Canada français? Et si la réponse est non, à quoi ce manque de consistance tenait-il?

1. Le Canada Français, le discours et l’agir

Au milieu des années 1970, le sociologue Jean-Paul Hautecœur avait soulevé une certaine controverse en publiant L’Acadie du discours, un essai arguant – je simplifie énormément – que l’Acadie était sans consistance réelle, n’existant que dans les multiples discours à son sujet. Si je ne crois pas, pour les raisons que j’exposerai brièvement ci-dessous, qu’on puisse soutenir un tel argument au sujet du Canada français, je mentionne quand même ce livre parce qu’il nous rappelle de toujours distinguer deux ordres de réalité, celui du monde palpable et celui du discours.

Je dirai d’emblée que le Canada français fut d’abord une abstraction, une idée née de la volonté des anglophones d’assimiler sa minorité de langue française. Au début du XIXe siècle, en effet, au temps des luttes patriotes et réformistes du Bas-Canada, la notion de Canada français n’existait pas. Deux facteurs clés ont toutefois contribué à son invention : les effets d’une forte immigration en provenance des îles britanniques et l’union politique du Bas-Canada et du Haut-Canada. Devenus majoritaires et maîtres incontestés du jeu politique, et par surcroît en processus de détachement par rapport à la Grande-Bretagne (gouvernement responsable, 1848), les Britanniques du Canada-Uni ont commencé à employer le nom Canadians pour se nommer eux-mêmes, accolant du même coup à leurs voisins celui de French Canadians pour bien s’en distinguer. Il faut le souligner : s’il y avait un French Canada et des French Canadians, il n’y avait pas d’English Canada, ni d’English Canadians. Si les Canadiens anglais existent aujourd’hui, c’est parce que les nationalistes québécois les ont inventés.

Le French Canada a pris corps à mesure que les francophones ont intériorisé l’identité que les anglophones leur avaient attribuée. Petit à petit, les premiers Canadiens se sont faits canadiens-français, un processus dont le sociologue Fernand Dumont a magistralement retracé les étapes dans son livre Genèse de la société québécoise. En s’appropriant le nom et l’identité que la majorité leur donnait, ils ont aussi dû se construire une nouvelle référence commune et s’imaginer un nouveau territoire symbolique. L’essence de ce Canada français émergeant s’est résumée au partage de la langue française, de la foi catholique, d’un passé pétri d’héroïsme pieux et de traditions populaires (jamais très clairement énumérées).

Cette construction intellectuelle a eu du succès. Beaucoup l’ont trouvée réconfortante. Le Canada français servit de refuge contre le monde dominé par l’Anglo-Protestant; il fut un prix de consolation pour ceux que l’hégémonie anglo-saxonne bloquait dans leur ascension sociale, politique ou économique. Qu’on ne s’y trompe pas : la petite élite sociale composée de l’évêque, du député, du médecin et de l’avocat avait tout intérêt à croire au Canada français, à le promouvoir et à lui donner corps, car en faisant sa promotion, en lui donnant consistance, c’est sa propre position sociale prééminente qu’elle promouvait et reconduisait. L’invention des Canadians est ainsi devenue une self-fulfilling prophecy à partir du moment où les descendants des premiers Canadiens en ont accepté l’existence. De fait, à force de chercher de multiplier les initiatives pour lui donner corps, on est bel et bien parvenu à donner une certaine consistance à ce Canada français, à ce nouveau groupement par référence qui s’étirait bien au-delà de la vallée du Saint-Laurent, territoire historique des premiers Canadiens. On citera à témoin le chapelet de réseaux associatifs et institutionnels qui se sont développés au fil des ans et des générations. Soucieuse de maintenir sa position dominante au sein de ce groupement référentiel, l’élite sociale du Canada français n’a d’ailleurs pas ménagé les efforts pour étoffer ces réseaux, veillant même à rattraper jusqu’en Nouvelle-Angleterre ceux et celles qui s’en étaient extraits en émigrant.

2. Le Canada Français à l’épreuve du changement social

Loin d’avoir été imperméable au changement social induit par la modernité, malgré ce qu’on a souvent dit, le Québec francophone fut au contraire aspiré par celui-ci, participant aux grands mouvements et s’inscrivant dans les grands courants. La complexité et la force d’entraînement du changement social qui découlaient de ces courants ont donné du fil à retordre aux chantres du Canada français. Personne, en effet, n’était soit au Canada français, soit ailleurs; les références des uns et des autres se mélangeaient, s’emmêlaient. À la ville – entendons Montréal et, dans une moindre mesure, Québec –, le discours paternaliste sur l’existence d’une communauté homogène, pieuse et soudée depuis la Nouvelle-France se heurtait à la présence d’une immigration européenne bigarrée et aux bouleversements causés par le progrès technique.

Les célébrations du Canada français avaient beau se multiplier et résonner, d’autres forces étaient en action. L’idée voulant qu’une communauté de langue française puisse croître, prospérer et vivre en tant que nation ailleurs qu’au Québec se voyait constamment mettre à mal sur les fronts politique, économique et juridique, notamment. Les efforts concertés des catholiques irlandais et des protestants pour éliminer le français en dehors du Québec avaient de quoi ébranler les plus idéalistes. L’indépendance du Québec – ce rêve un peu fou hérité des Patriotes – fut régulièrement remise à l’avant-plan : par Jules-Paul Tardivel dans son roman Pour la patrie en 1895, par le député Joseph-Napoléon Francœur dans une motion législative en 1917, par la revue L’Action nationale en 1922 et encore par les corporatistes des Jeunesses patriotes dans les années 1930. Le discours ambiant sur la valeur de l’identité nationale canadienne-française n’empêcha pas ces gens, à la lumière des faits qui leur paraissaient les plus significatifs, d’imaginer en toute bonne foi, pour eux-mêmes et leurs descendants, un avenir qui passerait par le charcutage du territoire de référence du Canada français.

3. Le provincialisme canadien et l’intégration continentale

Il n’y eut pas que les rebuffades politiques, économiques et juridiques qui lézardèrent le bel édifice du Canada français fait de passé, de langue, de foi et de traditions. D’autres causes ont agi, que je présenterai ci-dessous. Les deux premières nous renvoient au développement du provincialisme au Canada et la troisième à l’intégration continentale nord-américaine par la culture populaire.

Premièrement, les politiques sociales d’après-guerre ont eu pour effet d’accentuer la présence du gouvernement provincial dans la vie des citoyens. En 1945, une fois la paix revenue, le Canada a pris le virage du keynésianisme en matière socioéconomique. Les gouvernements ont mis sur pied un authentique État-Providence, investissant massivement afin de multiplier les services sociaux et d’améliorer les conditions de vie générales de leurs populations. (Ce fut moins vrai au Québec, mais cela est sans importance pour ce texte.) En vertu des compétences exclusives en matière d’affaires sociales que leur reconnaissait l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, les gouvernements provinciaux ont acquis une place considérable dans la vie des citoyens. Dans la même veine, en éducation cette fois, Sudbury vit le collège Sacré-Cœur, établissement chargé d’assurer la reproduction sociale de l’élite franco-ontarienne sudburoise, se transformer en université bilingue et initier la création de l’Université Laurentienne afin de pouvoir accéder indirectement à du financement provincial pour ses activités. Pour les Franco-Ontariens, en santé, en éducation et en d’autres domaines encore, les appels à Queen’s Park ont remplacé les campagnes de souscription populaire d’antan organisées par le curé ou avec sa bénédiction. Du coup, la solidarité nationale canadienne-française devint moins nécessaire ou urgente, donc plus susceptible de s’étioler.

Deuxièmement, la démocratisation de la voiture et l’expansion du réseau routier ont fait en sorte de progressivement relier les grandes villes, les petites villes et les villages. Le nombre de véhicules immatriculés en Ontario a grimpé de 4 200 environ, en 1910, à plus de 562 000, en 1930. Dans le cas particulier de la région de Sudbury, une route entre Sault-Sainte-Marie et Ottawa, accessible aux Sudburois, existait déjà début des années 1930. Quant au lien routier avec Toronto, on a fini de l’asphalter dans les années 1950. Sous l’effet des nombreux chantiers du ministère provincial de la Voirie ou des Transports, chaque grande ville s’est muée en pieuvre aux tentacules de bitume, attirant vers elle les plus petites agglomérations. Toronto l’est devenue pour Sudbury et Sudbury pour la myriade de petites villes et de villages tout autour. De moins en moins isolées, les petites localités canadiennes-françaises du Nord de l’Ontario se sont vues rattacher à un territoire toujours plus vaste, plus uni et plus anglo-saxon; de nouvelles lignes de communication se sont ouvertes; les distances se sont estompées; les morceaux plus ou moins épars de l’écoumène ontarien se sont liés les uns aux autres. Dans cette foulée, le contact avec l’Anglais s’est accru là même où il avait naguère été quasiment inexistant. En décloisonnant les petites enclaves francophones, l’asphaltage des routes et la multiplication des voitures ont participé à réorienter leur destin et celui de tous les Franco-Ontariens.

Troisièmement, enfin, la radio et la télévision se sont instituées dans la vie des francophones d’Ontario en anglais principalement, quand ce ne fut pas exclusivement. Cette implantation dans les mœurs s’est notamment traduite par une incursion de la culture populaire étatsunienne et Canadian dans le quotidien. La radio canadienne s’est développée à compter de 1922. La première station sudburoise permanente vit le jour au milieu des années trente. À partir de 1947, du français fut occasionnellement entendu sur les ondes d’une station bilingue. La première station entièrement francophone, propriété de Baxter Ricard et affiliée à Radio-Canada, n’a commencé à diffuser qu’en 1957. En ce qui concerne la télévision, elle s’est implantée en anglais à Sudbury à l’automne 1953, un an à peine après son inauguration officielle au Canada. En français, Ottawa a eu son antenne radio-canadienne en 1955, mais le Nord et le reste de la province ont dû attendre plusieurs années.

4. La trahison et le confort de la victime

Personne n’a abandonné ou trahi qui que ce soit lors des États généraux du Canada français. Ce jour de novembre 1967 a fait comprendre et admettre aux plus lucides que les horizons des différentes communautés ne se rejoignaient plus, si tant est qu’ils l’eussent déjà fait ailleurs que dans le discours.

La thèse de la trahison du Québec est néanmoins populaire parce qu’elle autorise un récit victimaire. Se poser en victime, c’est se donner le droit de se plaindre, d’exiger des comptes, des réparations et de l’attention. C’est s’autoriser à justifier sa médiocrité, ses ratés, ses carences. Comme ces Québécois qui aiment bien attribuer leurs divers ratés à l’abandon par la France, à la Conquête, à la domination anglaise ou à Ottawa, des Franco-Ontariens aiment casser du sucre sur le dos des Québécois, surtout s’ils sont nationalistes ou souverainistes, pour expliquer ou excuser l’anglicisation galopante de leur communauté. Et pourquoi s’en priveraient-ils, d’ailleurs? Ils trouveront toujours au Québec des alliés complaisants qui, par attachement sincère ou intéressé au Canada, diaboliseront le mouvement d’émancipation nationale que les Québécois ont hérité des Patriotes ou le réduiront qui à de l’étroitesse d’esprit, qui à de l’ignorance, qui encore à de l’ethnicisme. Le fils de Sudbury qui contrôle le journal La Presse depuis 1967 – quel hasard! – abat d’ailleurs une besogne admirable à cet effet.

Paradoxalement, le ressentiment antiquébécois des Franco-Ontariens est à la mesure de leur désir de reconnaissance aux yeux des Québécois. C’est une donnée normale et habituelle du rapport entre minorité et majorité, facilement observable au Québec à l’égard du Canada et de la France et au Canada à l’égard des États-Unis. Le dur désir de durer, celui-là même qui, de l’autre côté de l’Outaouais, maintient actuelle l’idée d’indépendance, garde en vie le feu du Canada français en Ontario. C’est pour cela que, malgré son caractère de farce politique, la reconnaissance symbolique par la Chambre des Communes d’une sorte de nation ethnique québécoise au sein du Canada uni en 2006 a suscité l’opposition de 77 % des francophones hors Québec et même d’un peu plus encore de Franco-Ontariens. C’est aussi pour cela que, dans la foulée de cette pantalonnade parlementaire, l’hebdomadaire sudburois Le Voyageur a appelé de ses vœux à la reconnaissance d’une nation canadienne-française dont personne, je présume, ne saurait dire en quoi elle consiste. La vigueur de l’opposition franco-ontarienne avait quelque chose de ridicule dans la mesure où les Franco-Ontariens pratiquent eux-mêmes, à l’échelle de leurs moyens limités, un type de souverainisme identique par nature à celui des Québécois. (J’y reviendrai dans un prochain texte.)

Le dur désir de durer, disais-je un peu plus haut. Tout semble toujours y ramener quand on est francophone en Amérique.