À l’enseigne de l’égalité

Dans le cadre du Salon du livre du Grand Sudbury, taGueule parrainera une table ronde sur l’absence du français dans la place publique le samedi 12 mai 2012 à 15 h. Ce n’est pas d’hier qu’on en discute : le 25 octobre 1999, Normand Renaud livrait ce billet en réaction à la nouvelle qu’une cour du Québec avait jugé inconstitutionnelle une section de la loi québécoise qui exige la prédominance du français dans l’affichage commercial. Curieusement, ça lui a fait penser au hockey.


Imaginez un tournoi de hockey entre deux équipes très inégales, non pas à cause de leur talent, mais à cause du règlement. Dans le tournoi que j’imagine, une équipe a droit à trente joueurs, et l’autre, à trois. Que voulez-vous, c’est la règle du jeu. La saison commence et l’inévitable arrive. Malgré les efforts héroïques des minoritaires, l’équipe favorisée mène bientôt au classement avec 909 victoires et 2 défaites. Mais le jeu est juste, car on en suit le règlement.

Tout ça dure longtemps, mais ne fait qu’un temps. À la longue, la grosse équipe trouve le jeu aussi injuste que la petite. À force de réduire ses adversaires en purée, on se beurre de purée soi-même. Ça, ça s’appelle la mauvaise conscience. On en perd jusqu’au goût de gagner.

Ce n’est qu’après tout ça qu’un beau jour, les maîtres du jeu décideront de changer la règle. C’est dur à admettre, mais ils l’admettent : leur règle est déréglée, leur justice est injuste, leur gloire est une honte. Ils proclament donc une nouvelle règle révolutionnaire : le jeu à forces égales. Mais s’ils changent la règle, ils se gardent bien de changer le compte des points. Les meneurs auront toujours droit à l’avance qu’ils ont gagné fair and square sous l’ancienne règle. Et que le jeu continue !

Ce qui paraît absurde en parlant du hockey ne l’est pas du tout en parlant de la société. À la fin du 20e siècle, le Canada est encore pour beaucoup le pays que son passé de privilèges britanniques a façonné. Ce n’est pas par accident que le Canada est aujourd’hui un pays anglais et que les Canadiens-Français, majoritaires au départ, sont minoritaires à l’échelle du pays et dans toutes les provinces sauf une. Ce n’est pas par accident que le principe qui a affirmé l’égalité des deux langues officielles a aussitôt infirmé les efforts faits au Québec pour effacer les acquis du nationalisme britannique d’hier. Si la majorité a changé les règles du jeu politique, ce n’était pas pour y perdre aux éliminatoires. Alors que l’affichage commercial en français est absent partout au Canada, les lois qui le favorisent dans la seule province où il existe sont combattues. La loi du Québec sur l’affichage en français passe pour un affront à la règle suprême, généreuse et moderne de la société canadienne : l’égalité des deux langues officielles. Elle mérite l’intervention de l’arbitre judiciaire et des punitions majeures pour rudesse.

Mais si le Canada veut vraiment la justice à l’avenir, il lui faut corriger l’injustice du passé. C’est ce que le Québec essaie de faire. C’est ce que le reste du Canada pourrait faire à sa manière. Les grandes villes bilingues du pays, Ottawa-Carleton et Sudbury en tête, pourraient se donner des politiques pour promouvoir l’affichage commercial en français. Étant donné qu’elles voudraient l’égalité de droit pour la minorité anglo-québécoise, ces villes pourraient exiger l’égalité de fait pour leur propre minorité franco-ontarienne. Elles pourraient combattre l’entorse à la règle de l’égalité, quand c’est l’indifférence du peuple et non la loi du peuple qui l’impose. Ce serait une manière de ramener à sa destinée bilingue un pays que le jeu du privilège britannique a si longtemps dévoyé.

Si le Québec agace tellement l’opinion canadienne, ce n’est pas parce qu’il maltraite sa minorité. C’est parce qu’il exerce à son tour et à son compte le plus arrogant des privilèges en politique : celui de fixer les règles du jeu. On a beau dire autrement, en matière d’affichage commercial, le principe canadien de la liberté est au service du privilège universel qu’est la loi du plus fort. Le Québec n’accepte pas de jouer ce jeu-là. Sa politique sur l’affichage loge à l’enseigne de l’égalité. C’est une enseigne française.

Lettre ouverte à l’Université d’Ottawa

Chère Université d’Ottawa,

Honte, désillusions, désenchantements, déception. Ce ne sont que quelques mots qui nous viennent à l’esprit en ce moment. Votre inaction sur le dossier de la désignation en vertu de la Loi sur les services en français (LSF) échappe à tout bon sens. Cette histoire est devenue ridicule. Vous êtes la risée de ministres, de la presse nationale, des professeurs et des experts reconnus dans le monde entier, et enfin par un corps étudiant comportant plusieurs dizaines de milliers de francophones et de francophiles. Vous vous amusez à vous vanter de votre «prestige», cependant, ce prestige n’est qu’un écran de fumée cachant un manque honteux de courage et de leadership.

Il y a plus de deux ans, l’honorable Michel Bastarache, B.A., LL.L., LL.B., DES, même CC (!), ancien juge de la Cour suprême du Canada (1997-2008), avocat-conseil au cabinet national Heenan Blaikie, récipiendaire de l’Ordre des francophones d’Amérique (1981), de la médaille du 125e anniversaire du Canada (1993), du titre de juriste de l’année décerné par l’Association des juristes d’expression française du Nouveau-Brunswick (1993), du Prix Boréal décerné par la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada (1995), de la médaille de Commandeur de l’Ordre de la Pléiade (1999), de la médaille d’Officier de la Légion d’honneur décernée par le gouvernement de la République française (2003), innovateur hors pair et expert reconnu à l’échelle internationale en matière de droits linguistiques, vous a rédigé un avis juridique recommandant la désignation. Vous l’avez payé 15 000 $. Vous l’avez ignoré.

Tout récemment, vous avez accepté d’être hôte d’un colloque célébrant les maints atouts et avantages de la LSF ainsi que le progrès de la communauté franco-ontarienne depuis son adoption il y a 25 ans. En accueillant des centaines de médias, de ministres, de leaders communautaires, de chefs d’entreprises, de professeurs et d’étudiants, vous avez clairement communiqué au public qu’une désignation en vertu de la LSF vous serait bénéfique. À notre avis, votre oisiveté perpétuelle rend l’ironie de tout ce spectacle encore plus abasourdissant.

De plus, vous insistez que vous posez des gestes concrets. Toutefois, la mission qui vous a été confiée par le peuple ontarien, soit de «favoriser le développement du bilinguisme du biculturalisme [et] de préserver et développer la culture française en Ontario» est périphérique à votre paresse institutionnalisée.  Ce sont plutôt le Collège Boréal, l’Université de Hearstl’Université Laurentienne et, tout dernièrement, la Cité Collégiale, qui posent des gestes concrets pour assurer l’avenir de la communauté d’expression française de l’Ontario. Ce sont ces institutions qui profiteront de la protection de la LSF.

Vous, l’Université d’Ottawa, notre alma mater, avez lâché la patate. Il est trop tard pour vous d’être leader dans la communauté franco-ontarienne et canadienne dans ce dossier. Vous ne pouvez maintenant que suivre l’exemple des institutions qui ont compris l’importance de se faire désigner.

Levez-vous, mettez vos culottes. Il y a maintenant 25 ans depuis que cette loi existe et il y a maintenant 25 ans que vous êtes assis sur vos pouces comme des fonctionnaires fainéants.  Il suffit simplement de mettre un formulaire à la poste. On vous donnera même le timbre.

Vite! Le temps file…

Veuillez agréer, chère Université d’Ottawa, nos sentiments les plus sincères.

 

Majid Charania, étudiant passant en 3e année (mais déjà en mode «finissant»)
Joseph Morin, finissant
Albert Nolette, finissant
Daniel Wirz, finissant


Caricature: Honteux, par Joseph Morin

Trop, c’est comme pas assez

Je suis une hybride, une métisse à la peau blanche.

Je suis, pour paraphraser une chanson de Jean Leloup, une fille d’Ottawa, grandi à Ste-Catherine, d’une mère franco-ontarienne et d’un père du bas de Lachine.

Trop québécoise pour les Canadians, trop ontarienne pour les Québécois, je suis entre deux chaises. Parfaitement bilingue, j’ai appris à parler l’anglais quand j’ai commencé à parler. Je suis donc trop anglaise pour les français, et trop française pour les anglais. Pas assez ontaroise, pas assez québécoise.

Je ne suis pas une vraie Québécoise selon les uns, je ne suis pas une vraie Canadienne selon les autres. Je suis une expatriée dans mon propre pays. Pourtant, sur papier, je suis la Canadienne modèle. Je suis le wet dream de Pierre Elliott Trudeau.

J’ai lu quelque part qu’on ne pouvait pas ne pas être indépendantiste si on connaissait bien son Histoire. Eh bien! Je connais mon Histoire sur le bout des doigts. Et parce que je connais mon Histoire, je ne suis pas souverainiste, ne le serai jamais. Être souverainiste, ce serait renier le pays de mes ancêtres, eux qui l’ont bâti, l’ont porté à bout de bras et me l’ont légué. Ce serait trahir leur mémoire. Être souverainiste, ce serait pour moi la même chose que déshériter mes enfants, les priver de leur bien le plus précieux. Ce serait écraser leur avenir. Être souverainiste, ce serait aussi renier une partie de moi-même, de mon identité.

Je crois au Canada, même si je ne crois pas au Canada ultra-militariste et born again de Stephen Harper. Les premiers ministres, les gouvernements, sont toujours remplacés, un jour ou l’autre. En attendant ce jour, je continue à bâtir ce pays, pour le léguer à mon tour à mes enfants.

N’en déplaise à ceux qui trouvent que je suis trop ceci, ou pas assez cela, je ne suis pas une french frog. Je ne suis pas une dead duck. Je ne suis pas une vendue, ni une colonisée. Je suis canadienne-française, et je le dis avec fierté.

Comme une histoire d’amour

Entre deux langues à aimer d’amour vrai, c’est comme entre deux personnes. Il faut choisir. Vous me direz que les langues, ce n’est pas pareil. Une personne bilingue peut aimer les deux. Mais si le français se propose et l’anglais s’impose, si on peut dire non à l’une mais qu’on doive dire oui à l’autre, si le mariage est forcé alors que l’amour est libre, il n’y a que le français pour se laisser aimer. En Ontario, on parle anglais pour les autres et français pour soi. Une langue vous promet la petite vie ordinaire, l’autre, une aventure sentimentale.

Quand il est question de la qualité du français des Franco-Ontariens, nous balançons toujours entre deux attitudes : être exigeant ou être accueillant. À coups de règles de grammaire et de règle sur les doigts, nous risquons de perdre l’envie de parler français. Mais à force de laisser-faire, nous risquons de perdre la capacité de parler français. D’une manière ou l’autre, ce n’est pas le confort. Étourdis par ce balancement, beaucoup de nous finissons par croire n’être pas si français que ça. Voilà l’erreur à dénoncer pour révéler… le grand amour que nous vivons sans le savoir !

Notre sentiment de n’être pas assez bons en notre langue, c’est justement la preuve que nous l’aimons vraiment. Si elle nous laissait indifférents, nous n’aurions pas ce sentiment. Mais devant elle, nous sommes insatisfaits, intimidés, un peu honteux. Nous voudrions être meilleurs pour elle, à cause d’elle. Voyez-vous ? Nous sommes tous en amour sans le savoir ! Devant notre langue non conquise, nous doutons, craignons, hésitons, bafouillons. Nous ne savons que dire ou comment dire. Nous voudrions paraître à l’aise et confiants. Mais ce que à quoi nous aspirons nous fait sentir incapables et indignes. Nous pourrions fuir, la langue dans nos poches. Beaucoup le font. C’est dommage. Ils tournent le dos à la vie. Ils ratent une grande aventure sentimentale.

Car la langue, comme le grand amour, s’installe au centre du monde. Tout n’existe que par elle. Tu n’existes qu’en elle. Tu ne vois que par elle. Ce qui est beau vient d’elle. Comme le grand amour, la langue française en Ontario ne se vit pas paisiblement. Elle fait oser et douter. Elle donne envie de foncer et envie de fuir. Elle est exigeante, compliquée, difficile, imprévisible. Elle ne se donne pas facilement. Alors pourquoi vouloir d’elle ?

C’est pour être soi-même qu’on aime. C’est pour délivrer une présence autre et meilleure cachée en soi. Tout ça est fou. C’est est une croyance insensée, une erreur vraie, une illusion merveilleuse, un échec presque assuré. Être Franco-Ontarien, ce n’est pas normal. Ça ne vient pas tout seul et ça ne reste pas sans effort. Ce n’est pas ce qu’on est malgré soi, c’est qu’on est malgré tout. C’est ce qu’on ose parce qu’on devine que ça mène au bonheur. C’est ce qu’on fait parce qu’on sent qu’au fond, on le mérite.

Voilà le discours qu’il faudrait tenir de meilleure façon et sur un meilleur ton, pour dire aux enfants à l’école et aux adultes au travail que l’assimilation, c’est une bien triste erreur. Voilà ce qu’il suffit de comprendre pour que tout ce qui fait mal et ce qui va mal d’être Franco-Ontarien devienne comme un honneur et une drôle de joie. Être Franco-Ontarien, c’est comme vivre une histoire d’amour. Ce n’est pas reposant. Mais il n’y a pas plus bel espoir.


Ce texte fut publié dans le recueil de nouvelles De face et de billet, par Normand Renaud, aux éditions Prise de parole, 2002. Reproduit avec permission.

Photo: Serge Gainsbourg (français) et Jane Birkin (british), 1968

Pourquoi je ne suis pas à La Nuit sur l’étang

Pour ma génération, La Nuit sur l’étang c’est un show rock parmi tant d’autres. C’est un show rock auquel on associe une certaine mythologie, puisqu’on nous dit que ça a déjà été autre chose qu’un simple show.

Ça a déjà été une soirée de party, un rassemblement, une célébration de l’art, de la musique, de la poésie, du théâtre. Me semble que c’était une façon de se faire notre propre Nuit de la poésie. Me semble que c’est censé représenter «la folie collective d’un peuple en party», non?

J’ai souvent ressenti un devoir, ou une obligation personnelle d’aller à La Nuit. Pas nécessairement pour les artistes, qui souvent ne m’intéressaient pas, mais pour avoir l’impression de participer à quelque chose. J’y allais, soit comme bénévole, soit comme consommateur, et j’étais souvent déçu. Pas nécessairement par les artistes, qui malgré leur anonymat relatif et/ou leur manque de compréhension du contexte donnaient des bonnes performances, mais par le manque de party, le manque de dynamisme, la banalité de la chose.

J’y allais, principalement (malheureusement) pour démontrer que les jeunes participaient encore à la culture franco-ontarienne.

Il y a quelques années que je ne suis pas allé à La Nuit sur l’étang. Ce n’est pas entièrement de ma faute, je n’habitais plus à Sudbury. Bien sûr, j’aurais pu faire la route et revenir voir ma famille pour une fin de semaine, mais tant qu’à faire 8 heures de route, je pouvais voir d’aussi bons, sinon de meilleurs shows à Montréal. D’après ce que m’ont raconté mes amis sudburois lors de mon exil, je n’ai pas manqué grand-chose. J’ai manqué quelques shows rock.

Revenu maintenant dans mon cratère, dans mon étang, dans mon talus de bleuets, je ne ressens plus ce besoin d’aller à La Nuit sur l’étang. Je ne ressens plus ce besoin de prouver que les jeunes s’impliquent; on l’a prouvé avec taGueule, on l’a prouvé avec des shows de Malajube, de Dumas, des Vulgaires Machins, on continue de le prouver et en ce sens, je ne suis plus aussi inquiet que je l’ai déjà été sur la place des jeunes dans la communauté. Mais à travers tout ça, notre folie collective ne passe plus que par La Nuit sur l’étang.

En cette 39ième Nuit sur l’étang, j’ai autre chose à faire. J’ai déjà vu en spectacle la plupart des artistes invités, et je n’ai pas envie de voir un show rock parmi tant d’autres.

Université du Québec à Sudbury

«Le Canada est à l’heure du choix. Ou bien le principe de l’égalité est traduit dans la réalité, c’est-à-dire dans la constitution et les institutions politiques du pays, ou bien l’on affirme ouvertement que l’égalité n’est pas possible et l’on reconnaît que Québec est le seul gouvernement qui soit apte à assurer le développement de la communauté française d’Amérique du Nord, même s’il encadre une partie de celle-ci seulement»

– Pour ne plus être sans pays, rapport du comité politique
de la Fédération des francophones hors-Québec, 1979

Ceux qui savent lire entre les lignes comprennent l’importance de cette phrase; on y affirmait de façon plus ou moins subtile qu’on devait choisir entre les philosophies fédéralistes de Trudeau et celles nationalistes de René Lévesque. On est en 1979, à l’aube du premier référendum du Québec. Ça ne fait pas longtemps que «Québécois» ça veut dire plus que «un gars qui vient de la ville de Québec». Le Québec est à l’ère des réformes, des projets de société, et de l’éveil culturel.

Le théorème de Thomas: Si les hommes définissent une situation comme réelle, alors elle est réelle dans ses conséquences

Plus de 30 ans après la publication du rapport, ce choix hante toujours les francophones hors-Québec.

D’un coté, le Canada, sous le leadership de Pierre Elliot Trudeau, a reconnu le français comme langue officielle partout au Canada, à titre égal devant la loi. Les choix politiques datant de cette période sont la fondation pour tous les fragiles acquis des communautés minoritaires du Canada, des jugements de la Cour Suprême et de Radio-Canada dans l’Ouest.

De l’autre coté, nos cousins québécois, pour des raisons qui leur sont propres, choisissent la deuxième option. Malgré la Reine sur leur argent, ils ont obtenu un certain niveau de souveraineté dans plusieurs domaines clés. Leurs choix de société réflètent qu’ils ont choisi la deuxième option dans le pari présenté par la FFHQ; que le gouvernement de Québec est le seul apte à assurer le développement du fait français en Amérique du Nord, même s’il n’encadre qu’une partie de celui-ci. Aujourd’hui, le Québec est devenu, dans les faits, une société distincte. La province du Québec n’a peut être pas le droit de se dire indépendante, mais le Québécois a certainement le droit se déclarer non-canadien. Même Harper le reconnait.

C’est bien beau tout ce blabla spéculatif. Arrivons à mon titre : Université du Québec à Sudbury.

Si, au lieu de s’obstiner à se séparer des Québécois, avec notre propre drapeau, nos propres institutions, nos propres comités, nos propres juges «bilingues»…, on s’était battu, en 1979, pour donner plus de pouvoir à ce gouvernement de Québec, pour se greffer à cette structure apte à protéger notre vitalité linguistique? Si on s’était battu, non pas pour le contrôle unilatéral de nos assises culturelles, mais plutôt pour un dialogue sain et une inclusion dans cette nouvelle société que l’on finissait justement d’imaginer? C’était bien trop dangereux que le Québec vienne s’imposer dans les compétences provinciales d’une autre province. L’Ontario n’avait pas envie de se faire assimiler, voyons donc!

Aujourd’hui, il est rendu beaucoup trop tard. Les deux modèles de société ont divergé, l’assimilation a décimé nos actifs, le nationalisme québécois a avorté le rêve du Canada français, et d’un coté ou de l’autre de la rivière des Outaouais, on arrive difficilement à se comprendre entre cousins, au niveau idéologique et linguistique, mais surtout sur le plan institutionnel. Peu importe la bonne volonté, le Franco-Ontarien et le Québécois vivent plus souvent qu’autrement un choc culturel la première fois qu’ils se rencontrent.

On s’est contentés, au lieu, face à l’abandon perçu de 90% de la nation, de se faire donner nos propres écoles, avec des curriculums traduits et des lois pour protéger les ayant-droits. Nos combats, pour les écoles, pour les conseils, pour les collèges, nous définissent aujourd’hui en tant que communauté. On ne sait pas grand-chose sur les Franco-Ontariens mais on sait qu’ils se battent pour leurs hôpitaux français, pour leurs collèges français et pour leurs écoles françaises. Comme l’a démontré un article publié au lancement de taGueule, la nécéssité et la possibilité d’une Université franco-ontarienne soulève encore des tollés.

Notre buddé Durham serait content

Selon moi, une telle université, c’est-à-dire pour les Franco-Ontariens, par les Franco-Ontariens, ne serait qu’un autre pas dans la mauvaise direction, un autre point de non-retour dans notre relation avec le Québec moderne. Un virage de plus vers le wet dream de Lord Durham.

Au lieu de s’obstiner à se doter d’une multitude d’institutions «à nous», pour s’inscrire dans la vision de Trudeau, pourquoi ne pas tenter d’harmoniser les systèmes d’éducation entre Québécois et FHQ, pour que partout au Canada, un francophone reçoive la même éducation? Pourquoi ne pas travailler sur une entente semblable à celle entre la France et le Québec pour qu’on puisse envoyer nos jeunes s’éduquer au Québec, dans leur patrie ancestrale? Pourquoi ne pas donner une désignation officielle de CÉGEP au Collège Boréal et à la Cité Collégiale? Pourquoi ne pas inclure la franco-ontarie dans le système universitaire bas-canadien, en adaptant le contexte et les conventions, mais en gardant le fond et le principe?

Les Gaspésiens n’ont pas «l’Université de la Gaspésie», le Lac-St-Jean n’a pas «l’Université des Saguenéens», mais plutôt l’Université du Québec à Rimouski et l’Université du Québec à Chicoutimi, respectivement. Je sais que ça ne se produira jamais, et je sais qu’il est trop tard pour espérer que cette idée attire un certain soutien populaire, mais reste que j’aimerais bien voir l’UQAS avant l’UFO.


Photo: Vue aérienne des installations de Vale à Sudbury, Bob Chambers/Kalmbach Publishing

ACFO du Grand Sudbury (1910-2010)

L’agence de transfert de courriels et de vente de marchandises franco-ontariennes, l’ACFO du Grand Sudbury, est morte de sénilité sans que personne s’en rende compte avant aujourd’hui. Son corps a été retrouvé, enseveli du drapeau franco-ontarien, sur le chantier de construction du Collège Boréal la nuit dernière. Le bureau du coronaire du Grand Sudbury a confirmé que l’autopsie indique que l’ACFO du Grand Sudbury est morte quelque temps à l’automne 2010 à l’âge de 100 ans.

L’ACFO du Grand Sudbury était principalement reconnue pour son prestigieux Prix de la Personnalité franco-ontarienne de l’année qu’elle décernait annuellement depuis 1983 à la personne ayant acheté le plus de drapeaux franco-ontariens. Un dîner de la francophonie en l’honneur de l’ACFO du Grand Sudbury sera présenté jeudi par la Coopérative funéraire du district de Sudbury. Heureusement, elle y avait déjà gagné une membriété gratuite.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, il n’est encore pas clair si le site Internet francoSudbury.com, le one-stop shoppe de la francophonie à Sudbury qu’elle maintenait, demeurera disponible. Toutefois, sa boutique de gugusses franco-drapeaux est toujours en ligne et servira à financer une fondation en son honneur.

Elle laisse également dans le deuil ses cousines : l’Assemblée de la francophonie ontarienne, l’Association des communautés francophones d’Ottawa, l’ACFO de Prescott et Russell, l’ACFO de Windsor-Essex-Kent, l’ACFO régionale de Hamilton, entre autres, autres, autres et autres. Elle est précédée dans la mort par l’ACFO régionale Supérieur-Nord qui s’est enlevée la vie en 2006.

La famille demande que l’on envoie que des fleurs vertes et blanches.

Les réseaux et la question identitaire

Il y a quelque temps, une amie montréalaise que je n’avais pas vue depuis longtemps me demandait si je suis encore nationaliste (québécois). Nous étions à Montréal. Comme tout bon visiteur bien éduqué j’ai essayé d’être aimable et poli. Mais j’avais beau chasser l’image de Pauline de ma tête, je n’ai pu réprimer un haussement d’épaule révélateur. L’amie semblait déçue:

– Tu avais pourtant des opinions solides dans le temps.

– Et bien, c’était il y a trente ans et puis, tu sais, aussi surprenant que cela puisse paraître, des idées il m’arrive encore d’en avoir une fois à tous les dix ans.

– Te sens-tu encore québécois?

J’ai soupiré. D’ennui. Puis l’amie a ajouté:

– Forcément, tu as voyagé, tu as vu d’autres cultures et t’es devenu un citoyen du monde.

Elle était cynique. Peu importe, j’ai l’habitude. Difficile de retourner au Québec sans me faire demander de décliner mon identité nationale. Ici, à Sudbury, on me demande parfois (pas souvent si on compare) si je comprends la culture franco-ontarienne. Je vais être franc: pas vraiment. Je ne me sentais pas vraiment biélorusse au Bélarus, ni azéri à Bakou. Mais mon amie déçue se trompait à mon sujet. Je reconnais que le processus de la globalisation est puissant mais l’identité globale ne me dit rien. Trop vaste pour ma petite vie qui se passe au sein de réseaux beaucoup plus précis. Ce ne sont pas des «communautés imaginées», comme dirait B. Anderson. B. Latour, un autre sociologue, parle de «réseaux» ou de «collectifs» où interagissent des acteurs humains et non-humains. Lorsque je pense à ma petite personne ces jours-ci, il y a trois «collectifs» qui me viennent à l’esprit. Ils s’activent tous ici, à Sudbury. Vous en faites aussi partie que vous soyez anglo ou franco, grand ou petit, noir, blanc, jaune ou rouge. C’est comme le smog, ces réseaux. C’est démocratique.

Le premier se compose de petites particules invisibles qui existent peut-être que dans ma tête d’inquiet qui se pose trop de questions. (Mon père, qui s’en posait peu, disait souvent que je me posait trop de questions). Bref, ces petites particules, réelles ou imaginaires, voyagent avec les vents et se posent au sol, généralement lorsqu’il pleut ou qu’il neige. C’est emmerdant parce qu’il pleut ou il neige souvent à Sudbury. Sans faire de bruit, ces petites vicieuses incolores et inodores se mêlent à l’eau et la nourriture. Dans le pire de mes cauchemars, elles cheminent jusque dans les corps de mes enfants. Elles sont radioactives, ces petites merdes que je ne peux pas saisir. Elles ont traversé l’océan pacifique pour se rendre jusqu’ici, à Sudbury. Si on pouvait lire leurs étiquettes, on verrait sans doute: Made in Japan. Et c’est gratuit. Une sorte de liquidation à ciel ouvert, si j’ose dire. Un bon exemple de ce que peut produire un mélange de privatisation et de science à vendre au plus offrant.

Mon immersion dans le deuxième «collectif» devrait pourtant me rassurer. Comme tous les autres gouvernements, le canadien a dit que ce n’était pas grave, qu’il ne fallait pas trop y penser à ces particules. Elles sont si petites et elles viennent de si loin, qu’ils ont dit. Les journalistes semblent avoir décidé de soutenir le gouvernement. Après nous avoir montré les même images pendant des jours et des jours, plus rien. Silence. Le film sur Fukushima est simplement terminé. Comme dans Hiroshima mon amour, tout rapport avec la réalité semble être devenu purement accidentel. Le plus difficile, c’est de ne pas l’oublier. C’est l’un des problèmes avec le silence. On oublie vite et facilement. Et les enfants de Sudbury continuent de manger et de respirer. Tout cela pourrait me rassurer. Il s’agirait de ne pas trop penser. Malheureusement, il y a l’affaire des «Robocalls». Cela me fait réfléchir. Qui est derrière Pierre Poutine? C’est la dernière histoire à la télé. Pourraient-ils nous mentir, tricher, ne pas respecter nos droits les plus fondamentaux? Vit-on encore en démocratie ici à Sudbury et là-bas à Montréal? Mais je pense beaucoup trop, sans doute. Et puis, il y aura peut-être le silence, une autre histoire et l’oubli.

Mais le principal problème pour les gens comme moi qui pensent trop, c’est que les espaces publics de réflexions critiques se font de plus en plus rares ici et maintenant. Je le sais. Je travaille dans un de ces espaces. Ici, à Sudbury. C’est une université. J’ai peur que cet espace soit en train d’être transformé en machine à produire de l’image et à ramasser du fric. Un espace de pouvoir et d’argent plutôt qu’un espace de réflexion et de délibérations rationnelles et égalitaires comme dirait le philosophe J. Habermas. Mais cela, on me dit d’y penser si je veux, mais de ne pas en parler. Cela pourrait nuire au marketing. Cela pourrait te mettre sur la liste noire, qu’on me dit aussi. D’autres m’ont dit qu’il n’y a rien à faire, que c’est la faute de la globalisation et du néolibéralisme. Ils ont peur, eux aussi.

Alors, qui suis-je? Cela dépend du «collectif» dans lequel je suis interactif. Parfois, je suis inquiet dans un réseau où s’activent, peut-être, des particules radioactives Made in Japan. Parfois, je reste bouche-bée devant des journalistes qui se taisent après en avoir parlé sans arrêt. Parfois, j’assiste, éberlué et décontenancé, au démantèlement tranquille d’un espace de réflexion au profit d’une logique se fondant uniquement sur l’image, l’argent et le pouvoir – comme si l’image, l’argent et le pouvoir pouvaient être des fins en soi. Il arrive aussi, comme en ce moment, que j’assiste à l’émergence de nouveaux espaces comme taGueule. Cela ne me donne pas vraiment d’identité hégémonique. Mais cela me rend fier d’être ici, avec vous. Cela me permet de trop penser, comme ils disent. De trop penser avec vous, ici et maintenant. Voilà qui je suis, en ce moment.


Photo: The waiting – anon, Hilarie Mais, 1986

Sorry, I Don’t Speak French: Anti-bilingualism Protest in Cornwall Demands “Equality For All”

Welcome to the first installment of Sorry I don’t speak French, taGueule’s way of opening dialogue between what are too often known as “two solitudes”  here in Canada. We will occasionally publish articles in English (or translate some of our hottest French articles) in order to seek out opinions from the anglophone community.


“Equality For All” ?

As you may have heard, bilingualism has been the target of the media in the last few months. Whether it was the Fraser institute’s report saying that bilingualism costs 2.4 billion dollars annually to maintain in Canada, the appointment of a unilingual justice to the Supreme Court, the appointment of a unilingual auditor general by Stephen Harper’s Conservatives, the Official Languages Act is taking a beating in comments sections in Sun Media sources across the country. More recently in Cornwall, protesters have taken action against what they claim are “unfair hiring policies” at Cornwall Community Hospital.

According to protestors, the hospital’s administration is only hiring bilingual nurses and letting go staff who are not because of its designation under the Ontario French-Language Services Act (also known as La loi sur les services en français or Loi 8). South Stormont’s city council (who relies on the Cornwall hospital) also decided to withold its annual $30 000 donation to the hospital for the same reason.

So What’s The Problem Here?

The protestors and the city of Stormont are missing the point. In a city like Cornwall, where 30% of the population is francophone, isn’t the additional skill of speaking French a desireable quality for a candidate applying to a nursing position? Consider the following. A middle-aged woman is rushed to the hospital yelling: “J’ai mal au cœur, j’ai mal au coeur!” A non-fully-bilingual nurse could misinterpret the woman saying “j’ai mal au cœur” as saying she has chest pain. While this is indeed a literal translation, French-speakers know that having “mal au cœur” actually means having abdominal pains. As it turns out, the woman’s appendix bursts and she requires immediate surgery. Do we really want a disproportionate number of unilingual nurses working at this hospital? Don’t agree? Why not listen to this CBC radio interview with the Mayor of South Stormont and the chair of the Cornwall Community Hospital and decide for yourself?

What’s the deal with the hypocrisy of the protestors? Slogans like “Equality for All” or “Fairness in Full-Time Positions. Education + Experience before Language” can be read on their signs. Surely, learning French isn’t added education or anything like that. If a unilingual francophone applied for the same position, he or she obviously wouldn’t be hired in a hospital where about 70% of the patients only speak English, that would be absurd! Where does the bigot at 1:30 in this video get off with his claims that a unilingual Canada would save billions of dollars? When did the francophones from Cornwall say they wanted a separate country? Isn’t the fact that the FLSA exists a testament to the fact that francophones are proud Canadians and wish to remain so? Isn’t the fact that they want to be served in their language in their homeland demonstrating their love for their country? Buddy, we live here too!

What’s up English Canada? I know people like this are the minority, but where did they come from? I’m not blaming you, but I’m curious. More importantly, what Canada did they grow up in? It sure as hell isn’t the same one I did.

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March 8th 2012, 11:32 pm edit: For anyone wondering whether or not the bilingualism policy means that all jobs be bilingual at the hospital, here is an official statement from the hospital stating otherwise.

Photo: Des manifestants dénoncent la nouvelle politique d’embauche de l’Hôpital de Cornwall, Radio-Canada

Le pouvoir de la parole

Après quelques jours de réflexion à propos de taGueule, la maudite Québécoise que je suis a décidé de joindre les rangs de la camaraderie tagueuloise.

Par définition, un camarade se dit d’une personne avec laquelle l’on partage un ou plusieurs centres d’intérêts. Quel soulagement de rencontrer d’autres grandes gueules prêtes à rejeter le statu quo et à réfléchir à haute voix, et ce, même si nous ne sommes pas tous en accord. L’uniformité n’a non seulement jamais été source de progrès mais est une invitation au désastre nederlandsegokken online casino parce qu’insidieusement elle paralyse tout sens critique de l’homme et ce dernier devient trop facilement manipulable.

Je réalise que taGueule représente plus qu’une plate-forme pour les opinions dissidentes. En fait, je considère le webzine comme un espace public, tel que définit par Jürgen Habermas, où les individus font usage de leur raison et s’approprient la sphère publique où s’exerce une critique contre l’État.

Dans notre cas, on remarquera que plusieurs vaches sacrées de l’Ontario français passeront sous le crible et non pas seulement le politique. Tant mieux, car on en a marre de tous ces discours désuets sur l’identité franco-ontarienne.