Comme une histoire d’amour

Entre deux langues à aimer d’amour vrai, c’est comme entre deux personnes. Il faut choisir. Vous me direz que les langues, ce n’est pas pareil. Une personne bilingue peut aimer les deux. Mais si le français se propose et l’anglais s’impose, si on peut dire non à l’une mais qu’on doive dire oui à l’autre, si le mariage est forcé alors que l’amour est libre, il n’y a que le français pour se laisser aimer. En Ontario, on parle anglais pour les autres et français pour soi. Une langue vous promet la petite vie ordinaire, l’autre, une aventure sentimentale.

Quand il est question de la qualité du français des Franco-Ontariens, nous balançons toujours entre deux attitudes : être exigeant ou être accueillant. À coups de règles de grammaire et de règle sur les doigts, nous risquons de perdre l’envie de parler français. Mais à force de laisser-faire, nous risquons de perdre la capacité de parler français. D’une manière ou l’autre, ce n’est pas le confort. Étourdis par ce balancement, beaucoup de nous finissons par croire n’être pas si français que ça. Voilà l’erreur à dénoncer pour révéler… le grand amour que nous vivons sans le savoir !

Notre sentiment de n’être pas assez bons en notre langue, c’est justement la preuve que nous l’aimons vraiment. Si elle nous laissait indifférents, nous n’aurions pas ce sentiment. Mais devant elle, nous sommes insatisfaits, intimidés, un peu honteux. Nous voudrions être meilleurs pour elle, à cause d’elle. Voyez-vous ? Nous sommes tous en amour sans le savoir ! Devant notre langue non conquise, nous doutons, craignons, hésitons, bafouillons. Nous ne savons que dire ou comment dire. Nous voudrions paraître à l’aise et confiants. Mais ce que à quoi nous aspirons nous fait sentir incapables et indignes. Nous pourrions fuir, la langue dans nos poches. Beaucoup le font. C’est dommage. Ils tournent le dos à la vie. Ils ratent une grande aventure sentimentale.

Car la langue, comme le grand amour, s’installe au centre du monde. Tout n’existe que par elle. Tu n’existes qu’en elle. Tu ne vois que par elle. Ce qui est beau vient d’elle. Comme le grand amour, la langue française en Ontario ne se vit pas paisiblement. Elle fait oser et douter. Elle donne envie de foncer et envie de fuir. Elle est exigeante, compliquée, difficile, imprévisible. Elle ne se donne pas facilement. Alors pourquoi vouloir d’elle ?

C’est pour être soi-même qu’on aime. C’est pour délivrer une présence autre et meilleure cachée en soi. Tout ça est fou. C’est est une croyance insensée, une erreur vraie, une illusion merveilleuse, un échec presque assuré. Être Franco-Ontarien, ce n’est pas normal. Ça ne vient pas tout seul et ça ne reste pas sans effort. Ce n’est pas ce qu’on est malgré soi, c’est qu’on est malgré tout. C’est ce qu’on ose parce qu’on devine que ça mène au bonheur. C’est ce qu’on fait parce qu’on sent qu’au fond, on le mérite.

Voilà le discours qu’il faudrait tenir de meilleure façon et sur un meilleur ton, pour dire aux enfants à l’école et aux adultes au travail que l’assimilation, c’est une bien triste erreur. Voilà ce qu’il suffit de comprendre pour que tout ce qui fait mal et ce qui va mal d’être Franco-Ontarien devienne comme un honneur et une drôle de joie. Être Franco-Ontarien, c’est comme vivre une histoire d’amour. Ce n’est pas reposant. Mais il n’y a pas plus bel espoir.


Ce texte fut publié dans le recueil de nouvelles De face et de billet, par Normand Renaud, aux éditions Prise de parole, 2002. Reproduit avec permission.

Photo: Serge Gainsbourg (français) et Jane Birkin (british), 1968

Naissance de l’université de Sudbury : une minorité remise à sa petite place

Le 5 septembre 1997. L’Université de Sudbury profitait de la rentrée universitaire pour souligner le 40e anniversaire de sa fondation. CBON diffusait ce matin-là une émission en direct du salon Canisius. J’y ai lu ce billet en ondes et devant public. 


Il y a ceux qui font l’histoire et ceux qui la subissent ; il y a ceux qui l’écrivent et ceux la lisent. Dernièrement, j’ai lu l’histoire des débuts de l’université de Sudbury et j’ai bien vu qui l’a subie. Le bel édifice où nous sommes ce matin m’a l’air maintenant d’un monument à la mémoire de notre impuissance politique de minoritaires. Car entre l’université dont on a rêvé et celle qu’on a eue, il y a quarante ans, il y a de grosses différences.

L’histoire raconte que dans les années cinquante, les jésuites se préparaient à ouvrir à Sudbury une université catholique et française. Celle-ci devait venir agrandir l’œuvre traditionnelle du collège classique du Sacré-Cœur, en place depuis 1913. Or, des comités d’autres églises protestantes et d’autres villes nord-ontariennes, qui étaient loin d’avoir un passé éducationnel aussi solide, ont réclamé l’égalité. Voilà tout ce qu’il fallait pour brouiller l’eau politique et noyer le poisson.

Cependant, les francophones avaient encore dans leur jeu une très bonne carte. En fait, c’était une bonne charte, celle du collège du Sacré-Cœur. Dans cette charte, il y avait une clause qui lui donnait le droit de créer au besoin une université. L’histoire raconte qu’un jour, en 1955, une délégation de Sudbury – le père Alphonse Raymond, Gaston Vincent et d’autres – sont allés à Toronto mettre leur charte sous le nez du ministre de l’Éducation.

Voilà donc l’action qui explique qu’en 1957, et pour trois ans, l’université de Sudbury a existé indépendamment de toute autre institution… et malheureusement, de toute subvention. C’est là que le gouvernement tenait la bonne carte ! Pour emporter la main, il a fait jouer sa fameuse balance politique, qui n’est pas toujours celle de la justice. Dans un plateau, on a mis les cinquante années d’expérience du collège du Sacré-Cœur, l’existence de l’université de Sudbury comme un fait accompli et les centaines de milliers de dollars de dons déjà faits pour une université française. Dans l’autre plateau, on a mis les autres groupes sans pareille préparation, qui ont pourtant pesé tout aussi lourd. Toronto a ainsi eu la partie facile : Non, on ne donnera pas de subvention à une université catholique, car il faudrait alors en donner aux autres. Et avant qu’on puisse revenir lui parler d’une université française laïque, le gouvernement a balancé sous le nez de tout le monde un gros chèque à l’ordre de tous ceux qui voudraient s’unir.

Tout d’un coup, une page de l’histoire a vite tourné. De nouveaux négociateurs jésuites, aux noms Belcourt et Bouvier, se sont fermement convertis. Ils ont soutenu que la plupart des Canadiens-Français voulaient en fait la cohabitation bilingue, que ceux qui avaient tant oeuvré pour une université sous gouverne française avaient mal visé, que l’université de Sudbury devait se fondre docilement dans l’université Laurentienne bilingue.

La suite est bien connue. Les anglophones ont mis la loi du nombre de leur bord. Les programmes français ont piétiné, les programmes anglais se sont multipliés. Dans l’université qu’ils avaient créée, les Canadiens-Français ont été avalés. Voilà donc l’histoire d’une minorité ambitieuse remise à sa petite place. Mais dans cette histoire d’échec politique, un passage détonne : celui où par la force d’un vieux document légal, on a eu, pour un moment, une université française.

Quarante ans plus tard, la gestion de l’éducation française entre français est un droit acquis en Ontario. Nos écoles secondaires sont françaises, nos conseils scolaires sont français. Au postsecondaire, nos collèges comme le Boréal sont français. Seules nos universités restent bilingues, comme des fossiles vivants. Dans ce contexte, l’université de Sudbury pourrait-elle poser de nouveau son grand geste d’hier ? Dans ses tiroirs, nous dit l’histoire, elle a une deuxième charte qui n’a jamais servi. C’est la charte d’un certain collège Lalemant qui n’a jamais existé. Cette charte pourrait-elle servir à accélérer l’histoire ? Pourrait-elle servir à fonder l’université de l’Ontario français ? Et si une charte n’est pas le bon moyen, comme en 1955, l’Université de Sudbury pourrait-elle prendre le leadership autrement ? Voilà de bonnes questions posées au mauvais endroit. Car il y a 40 ans, on a déjà enterré un rêve d’université française, ici même, sous les pierres de l’université de Sudbury. Son fantôme ne semble pas hanter les lieux.

Les historiens disent que l’histoire a tendance à se répéter, surtout quand on l’a oubliée. Aujourd’hui, je vous l’ai rappelée.


Ce texte fut publié dans le recueil de nouvelles De face et de billet, par Normand Renaud, aux éditions Prise de parole, 2002. Reproduit avec permission.

Leçon 2 : les pronoms personnels

La plume des canes est une chronique régulière par trois mamans qui savent qu’il ne faut pas trop compter sur le système d’éducation pour que leurs enfants apprennent les règles de base de la grammaire française. 


Aujourd’hui, on fait un petit tour avec les pronoms, les personnels: je, tu, il, elle, nous, vous, ils, elles. Jusque là c’est facile. Vous avez remarqué dans la leçon 1, que les mots ne changent pas dépendamment de leur fonction, c’est surtout leur place dans la phrase qui change. Toutefois, il y a des langues (comme le latin, l’allemand ou le russe) où la fonction du mot est indiquée par une différente terminaison, peu importe l’ordre des mots dans la phrase. On appelle ces langues, des langues à déclinaison. Vous allez nous dire, « c’est ben beau, mais WTF? »… Bah le problème, c’est que le français, ça vient pas mal du latin, et pis on a gardé des drôles d’affaires.

Exemples

Elle parle au chien.
Elle me parle. (Et non « elle parle à moi. »)

Ah, ah!!!

En fait, nos pronoms personnels changent de forme suivant leur fonction : sujet, COD, ou COI.

Voici le tableau :

[hl-yellow]Sujet[/hl-yellow] [hl-green]COD[/hl-green] [hl-blue]COI[/hl-blue]

[hl-yellow]Je[/hl-yellow] [hl-green]Me[/hl-green] [hl-blue]Me[/hl-blue]
[hl-yellow]Tu[/hl-yellow] [hl-green]Te[/hl-green] [hl-blue]Te[/hl-blue]
[hl-yellow]Il[/hl-yellow] [hl-green]Le[/hl-green] [hl-blue]Lui[/hl-blue]
[hl-yellow]Elle[/hl-yellow] [hl-green]La[/hl-green] [hl-blue]Lui[/hl-blue]
[hl-yellow]Nous[/hl-yellow] [hl-green]Nous[/hl-green] [hl-blue]Nous[/hl-blue]
[hl-yellow]Vous[/hl-yellow] [hl-green]Vous[/hl-green] [hl-blue]Vous[/hl-blue]
[hl-yellow]Ils[/hl-yellow] [hl-green]Les[/hl-green] [hl-blue]Leur[/hl-blue]
[hl-yellow]Elles[/hl-yellow] [hl-green]Les[/hl-green] [hl-blue]Leur[/hl-blue]

Exemples

Je vois un chien = Je le vois.
Il parle à sa sœur = Il lui parle.
Tu entends les enfants jouer. = Tu les entends jouer.
Elle a acheté des bonbons aux enfants pour la fête. = Elle leur a acheté des bonbons pour la fête.

(Et si on pousse le vice : Elle les leur a achetés pour la fête.
Alors là, ça se complique, restez brancher pour la leçon numéro 3.)

Deux pronoms personnels un peu particuliers : en, et y

EN remplace beaucoup de choses :
Du, de la, des

J’ai des bonbons. = J’en ai.
Elle a de la farine. = Elle en a.
Nous mangeons du pain. = Nous en mangeons.

Moins de, plus de, trop de, assez de, beaucoup de

J’ai moins d’argent qu’elle. = J’en ai moins qu’elle.
Elle a beaucoup de frères. = Elle en a beaucoup.
Il parle trop de sexe. = Il en parle trop.

Quand on veut garder, un chiffre, ou certains, d’autres, plusieurs, etc.

J’ai deux filles. = J’en ai deux.
Nous avons certains vices. = Nous en avons certains.
Il a plusieurs blondes. = Il en a plusieurs.

Y remplace un mot qui n’est pas une personne et qui commence par : au, à la, aux, dans

Je vais au bureau de poste. = J’y vais.
Tu vas à la librairie. = Tu y vas.
Elle va aux matchs des Canadiens. = Elle y va.
Ils sont dans le champ. = Ils y sont.

Utilité de cette leçon

1. Tout d’abord, cela fait partie des curiosités de notre langue (la langue anglaise partage la même d’ailleurs!)

2. Ensuite, on entend souvent les gens confondre « le ou la » avec « lui », et « les » avec « leur ». En fait, cela suppose de bien connaître ses verbes et surtout de savoir s’ils sont directs ou indirects.

3. Par ailleurs, à l’écrit, il arrive souvent que les gens ne sachent pas s’il faut écrire « leur » le pronom ou « leurs », l’adjectif possessif.

Exemple

Je parle aux garçons = Je leur parle. (Ici, « leur » est le pronom personnel, qui ne prend jamais de –s). Mais :
Je lave leurs affaires. Je parle leur langue. (Dans ce cas, « leurs » et « leur » sont des adjectifs possessifs. Le truc : essayez de remplacer par « me » COD du pronom personnel je, « ma, mon, mes », adjectifs possessifs).
Je me parle. Je lave mes affaires. Je parle ma langue.

4. Nous sommes au regret de vous annoncer que la semaine prochaine, la leçon 3 portera sur l’accord du participe passé. Sans maîtrise, compréhension, vision claire de ces affaires de pronoms, pour les participes, vous êtes faites!

Nous ne fournissons ici que quelques règles de base. Les pronoms personnels sont bien plus complexes que cela. Pour ceux et celles qui voudraient en savoir plus, on a trouvé un site intéressant.

À la fin de la leçon, vous pouvez faire des tests en ligne!