Les autres l’emmerdent: ils coûtent trop cher

Depuis le printemps québécois qui perdure, il se manifeste bruyamment. On l’entend aussi fort que ces étudiants et les autres frappeurs de casserole. À coups de tweets et de petites phrases dans les courriers des lecteurs, il remplit l’espace public en devenir de ses mots afin de préserver le vide qu’il adore par-dessus tout.

Si je me souviens bien, j’ai lu quelque part qu’il nous vient des États-Unis. De la Californie, je crois. Je pense qu’il vient de bien plus loin. Au fond, son origine importe peu car, grâce à la démocratie qui l’exaspère,  il s’est propagé comme la peste sur le pauvre monde. Mais on ne peut pas vraiment le comprendre sans connaître sa nature profonde. C’est qu’il est d’abord et avant tout réactionnaire, ce créateur de trous noirs. Dire qu’il est réactionnaire est plus qu’une insulte; c’est un fait sociologique et historique. (J’utile des grands mots d’intellectuels comme «réactionnaire», «sociologique» et «historique» car cela aussi, ça le fait suer. Il transpire facilement, notre réactionnaire. Et sa présence fantomatique se fait sentir à des kilomètres à la ronde. Une odeur suffocante; une odeur qui pompe l’air plus qu’elle ne la pollue.)

Réactionnaire, donc, car il est né contre la modernité – celle du progrès, de la solidarité et de l’égalité. Il déteste notamment la solidarité. Il n’y a que des individus selon lui. Pas d’association, encore moins d’interdépendance. C’est qu’il conjugue seulement au «Je», le payeur de taxe. Il sait bien qu’il n’est pas seul au monde. Et c’est bien cela le problème. Sa nature d’animal social l’irrite au plus haut point. C’est que les autres, tous les autres, coûtent trop cher. Il rêve sans relâche d’être plus riche, mais il ne veut pas payer – comme il dit – pour les pauvres que ses fantasmes de richesse ne peuvent que créer. N’essayez pas de lui expliquer que l’enrichi doit être préservé de sa propre cupidité s’il veut garder ses biens si jalousement accumulés. Il se fout royalement des autres. Il se fiche de savoir si Keynes avait raison après la grande dépression des années 1930. Il ne veut rien savoir des bulles spéculatives. Il ne craint pas les révolutions. Il n’a aucune conscience historique et il n’en veut pas. Pour lui, la vie est simple: les autres coûtent. C’est tout. L’idée de congédier des employés et de couper à la hache et jusqu’à l’os l’excite au plus haut point. C’est un adepte de la «rationalisation des dépenses» (jamais les siennes, toujours celles des autres). Mais il a horreur des plaintes des malades qu’il cherche à soigner à coup de saignées. La voix des autres lui donne le goût du sang. Il veut du flic. Beaucoup de flics et encore plus de matraques, de gaz et de bras ou de bars cassés. Il veut une saignée qui se fasse dans l’ordre – un ordre des choses plutôt qu’une Cité des hommes et des femmes. Un ordre où il faut redresser à coup de barre de fer et de réformes «nécessaires» et donc indiscutables. Il fait davantage dans l’exigence que dans la délibération, le payeur de taxe. Lorsque son ordre des choses se fait attendre, lorsque les autres refusent d’être des investissements ou de la matière recyclable (ou jetable), le bruit des bottes le rassure, voire le fait jouir. Les bottes, les matraques et les prisons ne coûtent jamais trop chers pour le payeur de taxe.

En ce printemps québécois tumultueux, un printemps qui devient un été, le payeur de taxe a dit tout haut qu’il veut bien faire des enfants, mais à condition qu’ils ne lui coûtent rien. Qu’ils se démerdent, qu’ils investissent dans LEUR avenir. Bref, qu’ils dégagent au plus sacrant afin que le payeur de taxe et son épouse puissent enfin jouir de tout leur argent. (À moins que l’époux ou l’épouse devienne aussi trop dispendieux…) On peut bien lui rétorquer que sa progéniture pourrait également se définir comme des payeurs de taxe, mais aussi comme des payeurs de corruption, de hauts salaires injustifiables et d’égoïsme destructeur. On devrait lui dire que son manque total d’intelligence sociale nous coûte trop cher, à nous qui sommes d’abord et avant tout citoyens et citoyennes; à nous qui avons assez de maturité pour reconnaître que le monde ne tourne pas autour de nos désirs de consommation; à nous qui pourrions mieux vivre ensemble s’il finissait par grandir et finalement dépasser le stade égocentrique d’un enfant de deux ans. Est-ce aller trop loin que de lui suggérer de finalement dépasser la phase anale? Bah! Je veux bien lui laisser ses petits plaisirs clandestins à condition qu’il arrête de nous faire ch…

C’est cela le pire des dangers que nous fait courir le payeur de taxe. Il risque de tous nous entraîner dans son sillon – un mélange de phrases faciles et vulgaires, alimentées d’émotions menaçantes. C’est qu’il devient difficile à endurer le payeur de taxe. L’hiver risque d’être chaud s’il n’accepte pas d’être citoyen(ne).


Image : Hubris, Artact Qc

À l’enseigne de l’égalité

Dans le cadre du Salon du livre du Grand Sudbury, taGueule parrainera une table ronde sur l’absence du français dans la place publique le samedi 12 mai 2012 à 15 h. Ce n’est pas d’hier qu’on en discute : le 25 octobre 1999, Normand Renaud livrait ce billet en réaction à la nouvelle qu’une cour du Québec avait jugé inconstitutionnelle une section de la loi québécoise qui exige la prédominance du français dans l’affichage commercial. Curieusement, ça lui a fait penser au hockey.


Imaginez un tournoi de hockey entre deux équipes très inégales, non pas à cause de leur talent, mais à cause du règlement. Dans le tournoi que j’imagine, une équipe a droit à trente joueurs, et l’autre, à trois. Que voulez-vous, c’est la règle du jeu. La saison commence et l’inévitable arrive. Malgré les efforts héroïques des minoritaires, l’équipe favorisée mène bientôt au classement avec 909 victoires et 2 défaites. Mais le jeu est juste, car on en suit le règlement.

Tout ça dure longtemps, mais ne fait qu’un temps. À la longue, la grosse équipe trouve le jeu aussi injuste que la petite. À force de réduire ses adversaires en purée, on se beurre de purée soi-même. Ça, ça s’appelle la mauvaise conscience. On en perd jusqu’au goût de gagner.

Ce n’est qu’après tout ça qu’un beau jour, les maîtres du jeu décideront de changer la règle. C’est dur à admettre, mais ils l’admettent : leur règle est déréglée, leur justice est injuste, leur gloire est une honte. Ils proclament donc une nouvelle règle révolutionnaire : le jeu à forces égales. Mais s’ils changent la règle, ils se gardent bien de changer le compte des points. Les meneurs auront toujours droit à l’avance qu’ils ont gagné fair and square sous l’ancienne règle. Et que le jeu continue !

Ce qui paraît absurde en parlant du hockey ne l’est pas du tout en parlant de la société. À la fin du 20e siècle, le Canada est encore pour beaucoup le pays que son passé de privilèges britanniques a façonné. Ce n’est pas par accident que le Canada est aujourd’hui un pays anglais et que les Canadiens-Français, majoritaires au départ, sont minoritaires à l’échelle du pays et dans toutes les provinces sauf une. Ce n’est pas par accident que le principe qui a affirmé l’égalité des deux langues officielles a aussitôt infirmé les efforts faits au Québec pour effacer les acquis du nationalisme britannique d’hier. Si la majorité a changé les règles du jeu politique, ce n’était pas pour y perdre aux éliminatoires. Alors que l’affichage commercial en français est absent partout au Canada, les lois qui le favorisent dans la seule province où il existe sont combattues. La loi du Québec sur l’affichage en français passe pour un affront à la règle suprême, généreuse et moderne de la société canadienne : l’égalité des deux langues officielles. Elle mérite l’intervention de l’arbitre judiciaire et des punitions majeures pour rudesse.

Mais si le Canada veut vraiment la justice à l’avenir, il lui faut corriger l’injustice du passé. C’est ce que le Québec essaie de faire. C’est ce que le reste du Canada pourrait faire à sa manière. Les grandes villes bilingues du pays, Ottawa-Carleton et Sudbury en tête, pourraient se donner des politiques pour promouvoir l’affichage commercial en français. Étant donné qu’elles voudraient l’égalité de droit pour la minorité anglo-québécoise, ces villes pourraient exiger l’égalité de fait pour leur propre minorité franco-ontarienne. Elles pourraient combattre l’entorse à la règle de l’égalité, quand c’est l’indifférence du peuple et non la loi du peuple qui l’impose. Ce serait une manière de ramener à sa destinée bilingue un pays que le jeu du privilège britannique a si longtemps dévoyé.

Si le Québec agace tellement l’opinion canadienne, ce n’est pas parce qu’il maltraite sa minorité. C’est parce qu’il exerce à son tour et à son compte le plus arrogant des privilèges en politique : celui de fixer les règles du jeu. On a beau dire autrement, en matière d’affichage commercial, le principe canadien de la liberté est au service du privilège universel qu’est la loi du plus fort. Le Québec n’accepte pas de jouer ce jeu-là. Sa politique sur l’affichage loge à l’enseigne de l’égalité. C’est une enseigne française.

Pour un système scolaire sans ségrégation religieuse

En septembre 2011, je publiais ce billet sur mon blogue alors que l’Ontario était à la veille d’élire un gouvernement minoritaire libéral. Ce gouvernement vient de livrer son premier budget, lequel touche certains intérêts des Franco-Ontariens. Puisque le budget Duncan mènera à des fusions géographiques de conseils scolaires, ma réflexion sur les politiques scolaires de la province prend une pertinence nouvelle.


Pour une rentrée scolaire sans ségrégation religieuse

Si vous avez des enfants, inutile de vous rappeler que la rentrée scolaire est arrivée. Vous avez déjà englouti des sommes folles pour les fournitures scolaires et les vêtements de vos petits anges. Vous avez probablement rencontré plusieurs enseignants et réglé les nombreux détails de l’inscription.

Une tracasserie supplémentaire se présente si vous habitez l’Ontario. Votre progéniture fréquentera-t-elle une école du réseau 1) francophone publique, 2) francophone catholique, 3) anglophone publique ou 4) anglophone catholique?

Ne riez pas. Les contribuables ontariens financent bel et bien quatre systèmes scolaires distincts. Vous pouvez l’imaginer, ce morcellement pose de sérieux problèmes de gestion. Les chevauchements de ces multiples réseaux coûteraient près de 500 million de dollars par année.

Cela provoque des situations absurdes. Lorsque le nombre d’enfants décline dans une petite communauté, cela cause souvent une sous-occupation à la fois dans l’école publique et dans l’école catholique. Au lieu de regrouper tous les élèves dans une seule école commune, les conseils scolaires se voient alors forcés de fermer toutes les écoles locales. Ce sont les enfants qui en subissent les conséquences. Ils sont séparés de leurs amis de quartier et se voient imposer de longs trajets quotidiens en autobus.

Une atteinte à l’égalité et à la liberté de conscience

Je ne plaiderai pas pour un système unique. L’éducation de langue française est essentielle pour la survie de la minorité francophone. C’est un élément central du pacte fondateur canadien et le résultat de la longue lutte historique des Franco-Ontariens. En revanche, la ségrégation religieuse n’est pas indispensable. Il y a d’autres endroits que l’école pour apprendre les dix commandements. La grande majorité des parents dans la grande majorité des pays occidentaux transmettent leur foi en privé.

En fait, il y a d’importants principes qui militent pour la déconfessionalisation des écoles ontariennes. Pourquoi financer les Catholiques mais exclure les Musulmans, les Juifs ou les Protestants? La pratique est foncièrement discriminatoire. Elle attaque aussi la liberté de conscience de sept millions de non-catholiques en les forçant à subventionner les enseignements du Vatican, tout en leur empêchant d’être embauché dans ce même réseau scolaire.

La Commission des droits de l’homme de l’ONU a dénoncé cette iniquité à deux reprises, en statuant que le système scolaire ontarien viole le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Nous nous retrouvons ainsi dans le même club que la Corée du Nord, le Soudan et la Chine.

Quand les évêques s’en mêlent

Ce qui aggrave les choses, c’est que les réseaux catholiques abusent fréquemment de leurs privilèges. Ils forcent leurs enseignants à se référer à la Bible et au Catéchisme dans les cours de chimie et de biologie et ils empêchent leurs pupilles de s’exprimer librement sur la question de l’avortement.

Le plus décevant, c’est peut-être l’insensibilité des écoles catholiques à l’égard de leurs élèves gais et lesbiens. On se rappellera que le Conseil de Durham s’est battu bec et ongle pour interdire à l’un de ses étudiants d’assister au bal de fin d’étude en compagnie de son amoureux. Plus récemment, le Conseil scolaire de Halton et l’école St. Joseph de Mississauga interdisaient aux élèves gais et lesbiens de former des groupes de support. Le Conseil de Dufferin-Peele a poussé le ridicule jusqu’à censurer les images d’arc-en-ciel, jugées «trop politiques».

Pis encore, le Toronto District Catholic Board vient d’adopter une résolution qui défie l’esprit de la directive d’équité et d’inclusion du Ministère de l’éducation en stipulant que «lorsqu’il y a un conflit apparent entre les droits confessionnels et d’autres droits, le conseil favorisera la protection des droits confessionnels». C’est ainsi que des dispositions adoptées en 1867 pour protéger une minorité sont perverties pour harceler une autre minorité.

Neutralité de l’État et intégration citoyenne

Je ne veux quand même pas pointer les Catholiques du doigt. Toutes les religions ont leurs caprices. C’est le principe même d’une école à la fois publique et religieuse qui est aberrant.

L’État ne peut sanctionner un crédo particulier. Il doit surplomber les innombrables visions rivales de la vie bonne. Pour que chacun puisse vivre selon ses convictions particulières, l’État ne peut promouvoir que les grands principes nécessaires au vivre-ensemble, à la démocratie et à la liberté.  L’éducation publique ne saurait servir à l’endoctrinement sectaire.

Le système actuel nuit aussi à l’intégration des nouveaux Canadiens. La province qui accueille le plus d’immigrants est aussi celle qui sépare ses enfants le plus gravement, en multipliant les ghettos scolaires. En quoi cette ségrégation religieuse contribue-t-elle à la formation d’une citoyenneté commune?  Insensée pour la majorité anglophone, cette mesure est suicidaire pour la minorité francophone. Les Franco-Ontariens ne peuvent se permettre de diluer leurs ressources et d’éparpiller leurs enfants.

L’immobilisme des partis politiques

La saine administration, les droits de la personne, le respect des minorités et l’intégration des immigrants sont autant de bonnes raisons de mettre fin à la ségrégation religieuse. Sondage après sondage, les Ontariens confirment leur appui à cette solution. Pourtant, la question reste taboue. À quelques jours de la campagne électorale provinciale, les chefs évitent le sujet comme la peste. Scrutez les plateformes politiques à la loupe: aucun n’y fait allusion.

L’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 protège le réseau catholique, c’est bien vrai, mais rien n’empêche l’Ontario de procéder à un amendement bilatéral avec Ottawa. La procédure est légitime, simple, et a été utilisée par le Québec et par Terre-Neuve-et-Labrador. Non, les obstacles ne sont pas légaux, mais politiques. En Ontario, la question des écoles séparées a été explosive en 1985 et en 2007 et les trois grands partis favorisent maintenant le statu quo.

Le Parti Conservateur est l’allié traditionnel des groupes religieux et il ne peut heurter cette base électorale en défendant la laïcité. John Tory croyait avoir trouvé une solution équitable lors des dernières élections, en promettant de financer les écoles de toutes les religions. La proposition a provoqué un tollé qui a largement contribué à sa défaite électorale. Son successeur, Tim Hudak, a bien appris la leçon et évite scrupuleusement le sujet.

Depuis le règne de Mitchell Hepburn, les Libéraux bénéficient habituellement du vote catholique. Ils appuient donc le système actuel. L’administration McGuinty a élaboré une excellente politique d’équité et d’inclusion dans les écoles mais n’a pas osé l’imposer aux écoles récalcitrantes. Quand à Andrea Horwath, elle se montre tout aussi réticente, peut-être à cause de l’influence des syndicats d’enseignants catholiques au sein du NPD.

La ségrégation religieuse de nos enfants est onéreuse, rétrograde et inéquitable. Il est grand temps de déconfessionaliser les écoles anglophones et francophones de l’Ontario. Les politiciens tenteront à tout prix d’éviter le sujet. À nous de les interpeller pendant cette campagne électorale.


Photo : Les élèves de la classe de sixième année à l’École Duhamel (Ottawa) vers 1940.

Le cri de celles qu’on n’entend pas

 «Je n’ai jamais réussi à définir le féminisme. Tout ce que je sais, c’est que les gens me traitent de féministe chaque fois que mon comportement ne permet plus de me confondre avec un paillasson.»
– Rebecca West

Pour plusieurs, notre combat est archaïque, désuet, voire démodé. On nous traite de radicales, de «chialeuses professionnelles», d’enragées ou de frustrées. On nous accuse d’haïr les hommes, de vouloir «dominer le monde», d’être hystériques. Nombreux sont ceux et celles qui n’osent joindre nos rangs de peur de subir les préjugés négatifs associés à notre cause. D’autres croient que nous perdons tout simplement notre temps puisque les femmes auraient déjà atteint «l’égalité totale» au sein de la société canadienne. Somme toute, notre discours semble déranger et on aimerait bien nous faire taire.

Alors, pourquoi être féministe aujourd’hui ? Pour moi, la réponse est simple :

[arrow-list]
[li]Parce qu’encore, en 2012, les femmes subissent de nombreuses injustices.[/li]
[li]Parce qu’elles sont toujours obligées de se battre pour le respect de leurs droits fondamentaux.[/li]
[li]Parce qu’elles représentent la moitié de l’humanité et que la société ne semble pas entendre leurs voix…[/li]
[/arrow-list]

Si vous n’êtes pas convaincu.e.s, lisez les données ci-dessous attentivement…

Au Nouveau-Brunswick, en dépit de leur éducation, leurs compétences et leur expérience de travail, les femmes gagnent toujours moins que leurs confrères masculins. En 2009, dans cette province, les femmes gagnaient en moyenne 86,8% de ce que gagnaient les hommes, un écart de 13,2%.

De plus, au Nouveau-Brunswick., le revenu moyen des femmes est de 22 875$, 67% du revenu des hommes (34 321$). Le revenu moyen des femmes autochtones est de 17 650$. La plupart des femmes qui ont un emploi travaillent à temps plein (78%) mais bien plus de femmes que d’hommes ont un emploi à temps partiel (22% contre 9,5%).

70 % des femmes occupent des postes à prédominance féminine dans les secteurs de l’enseignement, les soins infirmiers et professions du domaine de la santé, le travail de bureau ou administration, les ventes et services. Pendant longtemps, on leur a relégué ce travail, puisqu’on considérait que c’était leur rôle «instinctif» de s’occuper des personnes âgées, de gérer l’éducation des enfants et les tâches ménagères. Avec le temps, on a intériorisé cette division du travail et elle est devenue naturelle pour la société.

Mentionnons aussi qu’en raison des inégalités économiques, les femmes sont souvent les premières victimes de la pauvreté. En 2001, on comptait 32 734 familles monoparentales au Nouveau-Brunswick. Et dans 84 % des cas, le chef de famille monoparentale était une femme. En 1999 au Nouveau-Brunswick, le revenu moyen d’une famille monoparentale dirigée par une femme s’élevait à 20 484 $, comparativement à 29 358 $ si elle était dirigée par un homme. En 2007, presque une mère seule sur trois (30%) au N.-B., et une sur quatre au Canada (23%) vivaient sous le seuil de la pauvreté. Il est inacceptable que tant de femmes et d’enfants vivent dans la misère aujourd’hui…

D’autre part, il semble rester beaucoup de chemin à faire pour que les femmes aient le plein contrôle de leur corps et de leur sexualité. La preuve : le dossier de l’avortement demeure très controversé et revient souvent faire les manchettes dans la province et au pays. Les conservateurs fédéraux de Stephen Harper ont d’ailleurs encore récemment tenté d’adopter un projet de loi pour limiter ce droit fondamental, reconnu dans la Constitution canadienne. Le fait de mettre un enfant au monde ou non est une décision très délicate et personnelle, qui peut grandement affecter la vie d’une femme. Pourtant, ce sujet semble toujours être au cœur des débats publics. L’Église et les groupes pro-vie n’ont pas de gêne à dicter aux femmes ce qu’elles peuvent et ne peuvent pas faire de leur propre corps.

Pour ma part, j’attends toujours le jour où on imposera aux hommes de se faire faire des vasectomies afin de contrôler les naissances ! J’attends toujours aussi le jour où les militants pro-vie se battront pour aider les mères monoparentales qui vivent dans la pauvreté et leurs enfants déjà nés…

Il semble toujours y avoir la règle du «deux poids, deux mesures» en ce qui a trait à la sexualité des femmes. Un homme qui assume pleinement sa sexualité et qui a de nombreuses partenaires sexuelles est souvent considéré comme un héros, un gars «viril» alors qu’une femme qui adopte le même comportement se fait traiter de pute ou de salope…

Partout, dans les magazines, à la télévision, au cinéma, on continue de présenter les femmes comme des objets qui n’ont comme seul rôle de séduire et de plaire. On leur fait comprendre qu’elles n’ont pas à être intelligentes et à penser, en autant qu’elles soient belles ! Elles doivent faire énormément d’efforts pour être à la hauteur des standards de beauté et de minceur. La popularité de la chirurgie plastique et des traitements au Botox a d’ailleurs explosé au cours des dernières années. J’ai parfois l’impression que les femmes n’existent qu’à travers leur corps. On détermine leur valeur d’après leur poids. Si elles sont grosses ou moches, elles n’existent pas, n’ont pas de valeur.

Même phénomène en politique : on ne juge pas les candidates selon leurs programmes politiques, mais selon leurs vêtements et leur apparence… Vous n’avez qu’à regarder la situation chez nos voisins américains pour en témoigner… Les remarques des commentateurs républicains au sujet des femmes me font frémir… À les écouter, on se croirait au Moyen Âge !

Et comme on pouvait s’y attendre, les femmes demeurent aussi sérieusement sous-représentées dans les structures du pouvoir politique et de la prise de décision à l’échelle locale, provinciale et nationale.

[arrow-list]
[li]À l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, seulement 13% des députés étaient des femmes en janvier 2010, le plus faible taux parmi les provinces. Au niveau national, la proportion de femmes à la Chambre des communes stagne autour d’un sur cinq depuis une quinzaine d’années. À la fin de 2009, le Canada se classait 47ième parmi 187 pays pour la proportion de femmes élues au Parlement national.[/li]
[li]Un déséquilibre grave persiste au sein de certains organismes d’intérêt aux femmes, surtout dans les domaines du développement économique, des ressources naturelles et de l’emploi.[/li]
[/arrow-list]

Cette appropriation du corps de la femme semble aussi donner libre cours à la violence. Les statistiques, bien que sous-évaluées, en disent long : près de la moitié des femmes du Nouveau-Brunswick, soit 46 %, auraient vécu au moins un incident d’abus physique ou sexuel depuis l’âge de 16 ans. Dans 84 % des accusations de harcèlement (harcèlement criminel) déposées au Nouveau-Brunswick entre le 1er avril 2000 et le 31 mars 2001, les victimes étaient des femmes (source: Service d’information juridique du Nouveau-Brunswick).

Comment est-il possible qu’en 2012, nous en soyons encore là ? Au Canada, les femmes se battent depuis plus de 60 ans pour qu’on reconnaisse leurs droits fondamentaux. Et pourtant, il semblerait que le combat soit toujours à recommencer. On entend tous les gouvernements parler de l’importance du respect des droits de l’homme et de la démocratie. Mais est-ce que les droits de l’Homme excluent ceux des femmes ? Ces dernières sont fatiguées de crier dans le désert. Combien de temps devrons-nous encore attendre pour qu’on entende notre voix ?

Je vous laisse avec quelques citations intéressantes sur le féminisme :

«Il y a des femmes sur terre depuis la création du monde, elles sont l’un des deux sexes fondateurs de notre espèce, les hommes ont 50% de sang de femme qui coule dans leurs veines; et pourtant, nous pouvons facilement voir sans sourciller tout un bulletin de nouvelles sans qu’y apparaisse un seul visage de femme. Ce sont encore des hommes qui tiennent les caméras, choisissent les plans et ce qu’on nous donne à voir.» – Hélène Pedneault

«Une moitié de l’espèce humaine est hors de l’égalité, il faut l’y faire rentrer : donner pour contrepoids au droit de l’homme le droit de la femme.» – Victor Hugo


Image: Nature Girls (Jumping Janes), Martha Rosler, 1966–72