L’éléphant dans l’école

C’est l’éléphant dans la salle. Il est impossible à ignorer. On chuchote souvent dans son dos. Pas vraiment par peur. Car parfois, il est vrai, on en parle de vive voix. Toutefois, c’est généralement sans grande conviction, avec une certaine lassitude. Il fait partie du paysage. Il semble immuable. On s’y est habitué. On a nommé, bien sûr, la division du système scolaire ontarien en une branche publique et une branche catholique.

Voilà des années qu’un débat sur le sujet mijote en Ontario français… mais à feu bas. TFO vient tout juste de soulever le couvercle en espérant, on suppose, provoquer une discussion. taGueule salue l’initiative, et veut bien aider à brasser ce breuvage suspect. S’il y a un sujet sur lequel il est nécessaire, pour les Franco-Ontariens, d’avoir un débat de société dans le sens le plus civil du terme, c’est celui-ci. Les positions sont déjà polarisées. C’est un thème qui touche au personnel. On l’avoue – oui, nous – qu’un coup de gueule, ici, pourrait faire plus de tort que de mal. Reste à voir s’il y a moyen d’avancer ensemble, de rompre l’immobilisme qui sévit depuis des décennies. Visionner cette vidéo serait un bon départ.

La fusion des conseils scolaires devient finalement réalité

Grand Sudbury – Les élèves de la région de Sudbury avaient beaucoup à célébrer hier.

Le 26 juin 2030 n’était pas que la dernière journée de l’année scolaire; c’était la dernière journée d’existence des conseils scolaires francophones de l’Ontario. À partir de septembre prochain, l’éducation des Franco-Ontariens relèvera d’un nouveau réseau de commissions scolaires. Cette union surprenante entre les conseils scolaires catholique et publique existants est le résultat d’une grève générale en 2027 de tous les élèves, parents, professeurs, et personnel de soutien des écoles de la région qui réclamaient une réforme de l’éducation franco-ontarienne.

Cette unification, qui semblait impossible il y a seulement quatre ans, est maintenant un fait, et les chantiers de construction s’activent dans tous les coins de la ville. Des modifications seront apportées à 10 écoles primaires de la région du Grand Sudbury, afin d’accommoder environ le double du nombre d’élèves par école. Tous les postes d’enseignants seront maintenus, et la nouvelle commission s’est également engagé à créer 20 nouveaux postes par an pour les 5 prochaines années afin d’accommoder cet influx d’élèves. Le nombre d’écoles primaires francophones de la région passera de 26 à 10, sans toutefois changer le nombre d’élèves par classe.

Pour les écoles secondaires, c’est une réduction plus importante; deux seules écoles desserviront la région du Grand Sudbury, soit une au centre-ville de Sudbury et l’autre à Blezard Valley qui desservira la Vallée.

Premières pelletées de terre aux É.s. Robert-Dickson et É.s. J.-G.-Chuck-Labelle

La nouvelle école secondaire à multiple pavillons dans le Moulin à Fleur portera le nom du poète Robert Dickson. L’ancien Collège Notre-Dame servira de pavillon des sciences et des mathématiques. Le pavillon Sacré-Coeur sera rénové (la dernière fois, c’était lors de la fondation de l’École secondaire du Sacré-Coeur en 2003) et on en triplera la capacité. L’École secondaire Macdonald-Cartier, autre lieu imaginé de la nouvelle école, sera rénovée et deviendra une tour de bureau abritant la nouvelle commission scolaire et aura également un théâtre à l’étage principal.

La nouvelle école à Blezard Valley portera le nom de Jean Guy «Chuck» Labelle, musicien d’Azilda et récipiendaire de l’Oscar pour la meilleure chanson dans le dernier film de la réalisatrice Suri Cruise. Labelle est décédé l’an dernier lors d’un tragique accident de tondeuse à gazon.

Selon un porte-parole au nom da la nouvelle commission scolaire, cette densité d’étudiants permettra de faire baisser les taux d’assimilation.

«Ça va vraiment faire baisser les taux d’assimilation. On est toute ben ben content.»

– Marie-Noëlle Dubé-Rivard-Deschampain-Turcotte

Le Ministre de l’Éducation a aussi confirmé plus tôt cette semaine l’intégration des écoles d’immersion dans le système francophone tel que demandé par les grévistes. Cette intégration facilitera le transfert d’élèves maitrisant mal le français vers le système d’immersion . Le même principe s’appliquera également dans l’autre direction, et le système d’immersion servira à intégrer les francophiles dans la communauté francophone.

La nouvelle commission scolaire, toujours sans nom, a jusqu’en septembre 2032 pour compléter le processus d’amalgamation des écoles publiques et catholiques entamé en 2028.

Ce phénomène, qu’on appelle maintenant le printemps franco-ontarien, était caractérisé par une série de grèves et de pressions de la part des francophones qui demandaient des reformes sur la place des francophones dans la société ontarienne. Le gouvernement a cédé lorsqu’un mouvement anglophone parallèle s’est joint aux pressions des francophones pour une réforme en éducation. Ce qui semblait ridicule il y a seulement 4 ans, devient aujourd’hui une réalité.


Photo: Des éleves d’écoles élémentaires célèbrent leure victoire hier dans le stationnement du Home Dépot.

L’école française: une bonne école d’immersion

Je suis élève d’une école secondaire catholique du centre-sud de l’Ontario.

Ceci est mon appel à l’aide.

Au moment d’écrire cet article, je me vois entouré d’élèves et de personnels d’écoles qui semblent vouloir traverser la ligne entre une école de langue française et une école d’immersion. Dresser une ligne claire semble être notre plus grand défi aujourd’hui.

Voici, puisque pour plusieurs (moi inclus jusqu’à récemment), la différence entre une école de langue française et une école d’immersion est floue. Une école d’immersion a pour objectif de transmettre le français comme mode de communication verbale et écrite. Et, soyons honnêtes, la plupart accomplissent à merveille leur mandat. De ces écoles, plusieurs élèves en ressortent épatés par une nouvelle langue qui leur est donnée. Malheureusement, ce n’est pas le cas dans les écoles dites «de langue française»!

La problématique est la suivante: des huit écoles secondaires de mon conseil scolaire, il y en a une seule qui peut se dire forte culturellement. J’envie les élèves qui y étudient. Une sur huit? 12,5%? Pitoyable. Il se peut bien que celle-là soit la seule à pouvoir mériter le titre d’école de langue française.

Revenons aux définitions. Une école de langue française a pour mandat de transmettre la culture francophone, en particulier au secondaire, puisqu’arrivé là, le français devrait être une méthode de communication maîtrisée par les élèves. Nous savons bien que ce n’est pas le cas, du moins pas dans le centre-sud, mais on crée certainement une belle image. L’enseignant dans une école d’immersion donne 100% de son temps payé à transmettre le savoir (donc le matériel du curriculum) aux élèves. L’enseignant d’une école de langue française est sensé donner 50% de son temps afin de remettre aux élèves le même savoir. L’autre 50% est la fameuse ligne, celle qui différencie les francophones des anglophones qui ont eu la chance d’apprendre la langue de Molière: c’est la transmission de la culture.

Et elle ne s’effectue pas.

Quand les membres du personnel, enseignant et non, parlent entre eux dans une autre langue que le français, et pire, qu’ils parlent aux élèves de la même façon, comment est-ce qu’une école peut oser s’appeler une école de langue française? Les élèves s’en foutent, les enseignants s’en foutent, la direction s’en fout, tout le monde s’en fout!

Cependant, cela n’est pas pour dire que personne n’ose contrer le système plutôt que de le respecter. Il y a en effet certains enseignants qui constatent cette réalité et la jugent inacceptable. Il y a des étudiants, comme moi-même, qui font face à cette adversité et se relèvent à chaque fois que quelqu’un nous demande «Why are you speaking French at school?», mais nous sommes dans la minorité. En effet, en 2009, seulement 31% des élèves du secondaire de mon conseil ont rapporté qu’ils parlaient souvent en français à l’école. Nous avons complètement perdu notre sens d’appartenance à l’école. Différents des autres uniquement par la langue dans laquelle nous choisissons de nous exprimer, nous sommes maintenant des rejets sociaux. Il nous arrive souvent de penser à changer d’école, afin de finalement trouver un espace francophone sécuritaire, où nous ne recevrons plus de menaces, plus de «Go back to Québec!» Mais on comprend que notre avenir consistera en une bataille pour une école de laquelle je graduerai l’an prochain, pour une école qui s’en fout, pour une école qui ne cesse de nous pousser à terre.

Mais on se lève, et on se lèvera encore et encore, afin de ne jamais laisser notre chère culture tomber. Mais nous avons besoin d’aide. Le sud est trop souvent négligé par la FESFO, qui se dit la voix des jeunes Franco-Ontariens. Une ruée vers la francophonie se réalisera bientôt: il s’agit simplement de montrer aux élèves et aux enseignants à quel point la culture tombe dans une catégorie marquée «indispensable».

Je ne prétends pas être parfait. Je parle en anglais à l’école, et même si je le fais moins qu’en français, oui, je le fais. Mais je l’accepte. D’autres, non. Je ne serai jamais parfait, ni moi, ni mes compatriotes. Dans ce milieu, ce serait littéralement impossible. Et l’impossible, on ne l’atteindra jamais, mais il nous sert de lanterne.

L’ennemi parmi nous

On a beau critiquer les actions originaires de la communauté anglophone de l’Ontario, mais ce serait oublier un grand problème existant chez les jeunes Franco-Ontariens. Si ce n’est pas la réalité de toute la province, ce l’est au moins dans la région de Toronto, où cohabitent deux conseils scolaires de langue française. De l’extérieur, ces bâtisses représentent tous les exploits et les sacrifices des Canadiens français s’étant battus pour leurs droits, des Patriotes à nos jours. On s’attend alors à y retrouver des jeunes fiers de leur langue, de leur culture et de leur héritage. Malheureusement, on sait bien que les apparences sont très souvent trompeuses, comme dans ce cas. En y posant pied, on n’entend pas un seul mot de français de la part des élèves. En effet, c’est l’anglais, et même parfois l’arabe, qui y est la langue d’usage. James Whitney, le Premier Ministre de l’Ontario qui a fait passer le célèbre Règlement 17, en serait très fier.

Il est vrai qu’autrefois l’ennemi du Canadien français était l’Orangiste, mais de nos jours, il est son propre ennemi. Pourrait-on vraiment dire que tous les élèves de ces écoles dites francophones sont des Franco-Ontariens? Aucunement. Ce serait une terrible insulte envers tous ceux et celles qui ont tant fait pour les droits des Canadiens français, mais surtout des Franco-Ontariens. Tandis que certains renient leur héritage francophone, d’autres le dissimulent. Ce n’est qu’une petite minorité qui s’affirme et se dit fière. Évidemment, ce n’est pas facile pour eux, se retrouvant comme victimes dans l’institution qui se devait de les protéger. Ils se font ouvertement appelés « fags » et on les critique pour leur choix linguistique pas « cool », mais qui est, après tout, le leur.

Si un étudiant francophone voulant s’exprimer dans la langue de ses aïeuls dans une école francophone se fait demander : « Why are you speaking french? », alors comment peut-on espérer une solidarité franco-ontarienne? Si un étudiant demandant à son enseignant d’éducation physique s’il peut regarder une vidéo d’exercices en français se retrouve sur le banc dans ses équipes sportives, comment peut-on croire que ces écoles promeuvent vraiment notre culture et notre langue? Si un enseignant crie après une élève de neuvième année ayant demandé de regarder une vidéo en français et qu’elle en pleure, peut-on espérer un meilleur avenir pour notre minorité? Si, dans une école, un élève ne peut être lui-même sans être persécuté, arrêtons de dire que tout va bien et cherchons des solutions.


Photo : Archives de la ville de Toronto