Lettre ouverte à l’Université d’Ottawa

Chère Université d’Ottawa,

Honte, désillusions, désenchantements, déception. Ce ne sont que quelques mots qui nous viennent à l’esprit en ce moment. Votre inaction sur le dossier de la désignation en vertu de la Loi sur les services en français (LSF) échappe à tout bon sens. Cette histoire est devenue ridicule. Vous êtes la risée de ministres, de la presse nationale, des professeurs et des experts reconnus dans le monde entier, et enfin par un corps étudiant comportant plusieurs dizaines de milliers de francophones et de francophiles. Vous vous amusez à vous vanter de votre «prestige», cependant, ce prestige n’est qu’un écran de fumée cachant un manque honteux de courage et de leadership.

Il y a plus de deux ans, l’honorable Michel Bastarache, B.A., LL.L., LL.B., DES, même CC (!), ancien juge de la Cour suprême du Canada (1997-2008), avocat-conseil au cabinet national Heenan Blaikie, récipiendaire de l’Ordre des francophones d’Amérique (1981), de la médaille du 125e anniversaire du Canada (1993), du titre de juriste de l’année décerné par l’Association des juristes d’expression française du Nouveau-Brunswick (1993), du Prix Boréal décerné par la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada (1995), de la médaille de Commandeur de l’Ordre de la Pléiade (1999), de la médaille d’Officier de la Légion d’honneur décernée par le gouvernement de la République française (2003), innovateur hors pair et expert reconnu à l’échelle internationale en matière de droits linguistiques, vous a rédigé un avis juridique recommandant la désignation. Vous l’avez payé 15 000 $. Vous l’avez ignoré.

Tout récemment, vous avez accepté d’être hôte d’un colloque célébrant les maints atouts et avantages de la LSF ainsi que le progrès de la communauté franco-ontarienne depuis son adoption il y a 25 ans. En accueillant des centaines de médias, de ministres, de leaders communautaires, de chefs d’entreprises, de professeurs et d’étudiants, vous avez clairement communiqué au public qu’une désignation en vertu de la LSF vous serait bénéfique. À notre avis, votre oisiveté perpétuelle rend l’ironie de tout ce spectacle encore plus abasourdissant.

De plus, vous insistez que vous posez des gestes concrets. Toutefois, la mission qui vous a été confiée par le peuple ontarien, soit de «favoriser le développement du bilinguisme du biculturalisme [et] de préserver et développer la culture française en Ontario» est périphérique à votre paresse institutionnalisée.  Ce sont plutôt le Collège Boréal, l’Université de Hearstl’Université Laurentienne et, tout dernièrement, la Cité Collégiale, qui posent des gestes concrets pour assurer l’avenir de la communauté d’expression française de l’Ontario. Ce sont ces institutions qui profiteront de la protection de la LSF.

Vous, l’Université d’Ottawa, notre alma mater, avez lâché la patate. Il est trop tard pour vous d’être leader dans la communauté franco-ontarienne et canadienne dans ce dossier. Vous ne pouvez maintenant que suivre l’exemple des institutions qui ont compris l’importance de se faire désigner.

Levez-vous, mettez vos culottes. Il y a maintenant 25 ans depuis que cette loi existe et il y a maintenant 25 ans que vous êtes assis sur vos pouces comme des fonctionnaires fainéants.  Il suffit simplement de mettre un formulaire à la poste. On vous donnera même le timbre.

Vite! Le temps file…

Veuillez agréer, chère Université d’Ottawa, nos sentiments les plus sincères.

 

Majid Charania, étudiant passant en 3e année (mais déjà en mode «finissant»)
Joseph Morin, finissant
Albert Nolette, finissant
Daniel Wirz, finissant


Caricature: Honteux, par Joseph Morin

A word to the students of collège Boréal

It’s my pleasure this morning to say a few words to the young men and women who are studying in this fine new college. I’ll say them in the language in which most of you seem more comfortable, judging from what I’ve heard in the halls and the cafeteria.

Yes sir, you see it coming and you’re right. The blame, the sermon, the self-righteous talking down. But before you tune me out, here’s something for you to hit me with. I admit that I’m in no position to blame you for something I was doing myself when I was your age. I grew up here in Sudbury, like many of you. And like most of you, English was the language I felt good with. English was the way to sound like a man without sounding like my parents or my teachers. So I spoke English to everyone, except when forced otherwise. That was the way to be myself. If I’m not mistaken, you are all speaking English right now for that same reason : to be yourselves. I remember the feeling. It’s such a strong one that you don’t feel even the least bit out of place when you walk around laughing and talking English in the halls of a French school.

Mais un jour, j’ai eu l’intuition de ce qui m’arrivait en vérité. J’étais loin de me donner ma propre personnalité, d’exercer ma liberté, d’avoir l’air confiant en parlant l’anglais. En vérité, je faisais docilement ce que la société voulait que je fasse. Je n’essayais pas d’être moi-même. J’essayais d’être comme tout le monde.

À l’époque, je faisais comme vous mes études postsecondaires. Je voyais vite venir le temps où j’allais devoir savoir qui j’étais vraiment, si je voulais trouver ma place et mon salaire. J’osais peut-être aussi rêver, un peu, de faire une différence dans mon petit coin de pays et d’aider à bâtir un monde meilleur. C’est là que j’ai commencé à voir mes parents canadiens-français d’un autre oeil. C’est là aussi que j’ai commencé à voir plus clairement l’histoire de mon peuple. La misère économique qui l’a poussé à émigrer dans le Nord ontarien. Les pressions qu’il a subies de partout pour abandonner le français. Les efforts qu’il a maintenus sans grand succès pendant cent ans pour donner à ses enfants au moins des écoles françaises, au moins ça. En fin de compte, j’ai compris d’où je venais. J’ai compris où je m’en allais. Et j’ai compris qu’en parlant tout le temps anglais, je tournais au ridicule un courage que j’étais encore loin d’avoir montré moi-même.

Students of collège Boréal, I suspect you feel uncomfortable hearing me speaking English to you so publicly, so officially, on French radio for all to hear. I’m doing it in the hope it might help you realize how out of place you sound speaking English in this building, of all places, after so many people worked so hard for so many years to make this beautiful, ultra-modern, high-tech French language college a reality, for you.

I know you can very well do without my respect or anyone else’s. After all, you are your own man, your own woman. You don’t need to be told what to think and how to behave. You’re living life on your own terms. That’s what I thought I was doing too, before I realized that I still had some growing up to do. I hope to meet some of you some day down the road. But I would have so much enjoyed meeting you now. I somehow had hoped that you would all be different than I was at your age.

Qui parle français en Ontario ? C’est triste à dire. Il y a de petits enfants, il y a des adultes, mais entre les deux, il n’y a pas de jeunesse. Celle qui fait du bruit. Celle qui fait du fun. Celle qui fait de la vie. Ça manque beaucoup. Ça pourrait être vous.


Le 3 octobre 1997. Depuis son ouverture en 1994, le collège Boréal avait occupé des locaux de fortune. Le matin de l’ouverture officielle de son nouveau campus, j’ai livré ce billet en ondes depuis le hall d’entrée, d’où CBON Bonjour diffusait une émission en direct. Un peu ironiquement, j’ai adapté ma langue et mon langage à mon public.

Ce texte fut publié dans le recueil de nouvelles De face et de billet, par Normand Renaud, aux éditions Prise de parole, 2002. Reproduit avec permission.

La grenouille sans le bœuf

Cette réflexion sur la place publique du drapeau franco-ontarien est parue originalement dans le journal Le Voyageur en février 2009. Dans l’esprit de la relance de taGueule, la voici en intégrale.


La grenouille sans le bœuf

L’Ontario français est à l’ère des drapeaux. Il y en a des petits, il y a en a des gros. Il y en a des sobres devant les caisses populaires, Le Voyageur, les écoles françaises, le Centre de santé communautaire, sur les joues des enfants le 25 septembre et à la St-Jean, sur des épinglettes et même en étiquettes sur le dos des livres franco-ontariens en bibliothèque. Notre drapeau a même un livre qui lui est consacré et qui en fait l’étonnante histoire et le récit d’un symbole loin d’avoir fait l’unanimité à son origine. Comme le drapeau canadien!

De l’AFO à la FESFO en passant par le chapelet de sites franco.com en Ontario, Montfort et L’écho d’un peuple, aucune institution franco-ontarienne, tant s’en faut, n’omet d’arborer fièrement le drapeau franco-ontarien. En ce sens, comme tout drapeau, il remplit admirablement bien sa fonction : il fédère.

Même les francos d’Ottawa n’ont pas manqué de s’en servir pour ériger leurs monuments de la francophonie. Ce récent accès de fierté, manifesté par l’érection de drapeaux géants, était une réponse forte à un contexte particulier à Ottawa : cette ville ne veut pas s’avouer francophone. C’est une honte nationale et la population francophone de la grande région a réagit fortement à ce mauvais vent : nous sommes ici et d’ici, fiers, debout et in your face!

C’est pourquoi je pardonne la laideur des monuments et l’ostentation qui les accompagne. À un moment donné, il faut dire «whoa!». Avec un monument, on avait compris, avec six, je me suis dit «je ne suis pas sourd, pis j’en r’viens bien des stèles funéraires et des pierres tombales géantes, on n’est pas mort encore!».

À Sudbury, j’aurais souhaité qu’on aille un pas plus loin qu’Ottawa dans l’expression de notre fierté. Après tout, le maire John Rodriguez a hissé unilatéralement le drapeau à l’hôtel de ville et en a reconnu le statut officiel. Moi, ça me suffit et je passerais volontiers à un autre combat. Que d’autres éprouvent le besoin de redire «icitte, c’est chez nous» et d’inculquer cette fierté à la population et surtout à la jeunesse, je peux comprendre l’enjeu de la démonstration. Et sincèrement je les en félicite.

Or, j’entends dans le vent qu’on voudrait monter un autre drapeau, encore plus gros que tous les autres. Là, messieurs dames, on entre dans une autre logique qui n’a rien à voir avec la fierté et encore moins la dignité. On appelle ça de la pantométrie et on glisse vers un curieux penchant pour les records. Ma foi dit Lafontaine : «La grenouille qui voulait devenir plus grosse que le bœuf». Il y a des enflures qu’il vaut mieux ne pas contracter. L’enflure du drapeau, c’est comme de l’enflure verbale : plus personne n’écoute quand tu cries.

Malgré toute cette fierté affichée, des pièges nous guettent : le piège de rester en surface, le piège de banaliser à force de dire qu’on a non seulement un drapeau, mais qu’il est gros, et surtout le piège de n’avoir à offrir que peu de choses à voir. Quand vous allez à Québec allez-vous voir flotter le drapeau québécois ou le château Frontenac? À Ottawa, les Japonais s’arrêtent-ils sous l’araignée géante de Louise Bourgeois ou sous le drapeau franco-ontarien? À Toronto, vous vous faites photographier assis à côté du bronze de Glenn Gould ou sous le drapeau de l’Ontario… avec un chandail des Leafs devant le vieux Gardens? Passons…

Enfin, donner à voir n’est pas tout et attirer les touristes non plus. Il me semble que si l’Ontario français veut participer à quelque fanfare des nations que ce soit, il faudra s’élever au niveau de l’art. Et si cet art était public et franco-ontarien, ma foi, les drapeaux auraient une raison de plus de flotter sans même risquer de nous éclabousser de viscères de batraciens!

Le Collège Boréal a vu juste en annonçant récemment un vrai monument commandé à l’artiste Colette Jacques. Je souhaite de tout cœur que cette initiative culturelle ouvre un nouveau chapitre sur nos représentations collectives. Et pourquoi pas un bronze du folkloriste Germain Lemieux sur le bord d’une route qu’il a sillonnée avec son enregistreuse? On lui fera porter un chandail du Canadien… Devenu vieux, j’aurai de quoi conter.