Lettre aux éditeurs: À qui revient la responsabilité?

Si mon enfant ne sait pas ou ne veut pas s’exprimer en français, c’est de la faute des enseignants et des enseignantes. Si nos élèves préfèrent s’exprimer en anglais, c’est à cause de nos directions et de nos conseils qui ne nous appuient pas. Si on ne veut pas parler français, c’est à cause des systèmes de valorisation comme L’étoile du mois ou les Franco-primes,… et bla bla bla! Il faut arrêter de publier des articles biaisés qui ne montrent qu’une facette du problème.

La réalité est qu’il manque certains éléments importants à notre équation. Les parents, la famille, ainsi que la communauté existent aussi. Avec le monde de l’éducation, ils jouent un rôle primordial pour que nos jeunes développent un sentiment d’appartenance face à leur langue et à leur culture.

Il est juste de dire que l’école doit inclure dans sa programmation des évènements, activités, groupes de musique, troupes de théâtre, choix de lecture, choix de musique, tournois sportifs et ainsi de suite. Et à l’école élémentaire? Il est possible d’organiser des jeux de balles, de cordes, de marelle ainsi que de développer du vocabulaire sportif et d’encourager (sans punir) qu’il soit employé dans la cour d’école. De plus, le personnel enseignant et non enseignant doivent aussi se montrer authentique dans leur façon de promouvoir leur culture. Et surtout, ils doivent s’exprimer en français dans l’école, entre collègues et devant les élèves. Malheureusement, les jeunes enseignants semblent pour la plupart négligeants de ce côté. Pourquoi? Je pense sérieusement que les conseils scolaires francophones ne se donnent pas la peine d’embaucher des enseignants convaincus ni, si on peut se permettre l’expression, « la crème de la crème ». On se contente de prendre les premiers venus avec une éducation qui laisse à désirer et, zéro ou peu d’expérience, car voyez-vous, on économise ainsi en n’ayant pas à les payer aussi cher qu’on rémunérerait un enseignant ou une enseignante ayant un certain montant d’années d’expérience. De plus il serait de mise d’affirmer que l’École des Sciences de l’éducation ne fournit pas les outils nécessaires ni la formation aux sujets qui seraient aptes à créer des éducateurs imprégnés de la culture et de la langue française (même s’ils ne sont pas eux-mêmes franco-ontariens car ceux-ci doivent aussi connaître notre culture s’ils veulent enseigner dans nos écoles). Lorsque les éducateurs ne sont pas authentiques dans leur appartenance et leur fierté franco-ontarienne, comment peuvent-ils transmettre quelque chose d’aussi important aux jeunes?

Cela dit, n’oublions pas le rôle des parents dans cette histoire. Ces derniers sont souvent les premiers à blâmer les écoles et les enseignants de ne pas relever le défi: « c’est à cause de l’école si nos enfants ne veulent pas s’exprimer en français! » Sûrement en partie. Or, si le parent ne fournit pas à son enfant l’occasion de vivre sa culture en l’accompagnant à des spectacles de musique, des pièces de théâtre, des activités communautaires et sportives dans sa langue, comment développera-t-il un sens d’appartenance et de fierté? Voudra-t-il s’exprimer en français si ses parents ne le font même pas? Le folklore, les traditions, les mets et recettes,… franco-ontariens et canadiennes-françaises occupent une grande place pour nous et si on a perdu ou oublié ces choses et bien elles se retrouvent! Et voilà le rôle de notre communauté francophone. C’est à elle que revient la responsabilité de retracer, d’organiser de telles activités et d’inviter la communauté à y participer.

Voilà! Ce n’est pas en se blâmant l’un l’autre qu’on arrivera à rendre vivante notre francophonie, mais en se responsabilisant et en travaillant ensemble! Ce n’est qu’à partir de ce moment que nos enfants auront une chance de survivre et de vivre fièrement leur langue et leur culture franco-ontarienne si riche en expériences de vie et si belle dans toutes ses saveurs.

A word to the students of collège Boréal

It’s my pleasure this morning to say a few words to the young men and women who are studying in this fine new college. I’ll say them in the language in which most of you seem more comfortable, judging from what I’ve heard in the halls and the cafeteria.

Yes sir, you see it coming and you’re right. The blame, the sermon, the self-righteous talking down. But before you tune me out, here’s something for you to hit me with. I admit that I’m in no position to blame you for something I was doing myself when I was your age. I grew up here in Sudbury, like many of you. And like most of you, English was the language I felt good with. English was the way to sound like a man without sounding like my parents or my teachers. So I spoke English to everyone, except when forced otherwise. That was the way to be myself. If I’m not mistaken, you are all speaking English right now for that same reason : to be yourselves. I remember the feeling. It’s such a strong one that you don’t feel even the least bit out of place when you walk around laughing and talking English in the halls of a French school.

Mais un jour, j’ai eu l’intuition de ce qui m’arrivait en vérité. J’étais loin de me donner ma propre personnalité, d’exercer ma liberté, d’avoir l’air confiant en parlant l’anglais. En vérité, je faisais docilement ce que la société voulait que je fasse. Je n’essayais pas d’être moi-même. J’essayais d’être comme tout le monde.

À l’époque, je faisais comme vous mes études postsecondaires. Je voyais vite venir le temps où j’allais devoir savoir qui j’étais vraiment, si je voulais trouver ma place et mon salaire. J’osais peut-être aussi rêver, un peu, de faire une différence dans mon petit coin de pays et d’aider à bâtir un monde meilleur. C’est là que j’ai commencé à voir mes parents canadiens-français d’un autre oeil. C’est là aussi que j’ai commencé à voir plus clairement l’histoire de mon peuple. La misère économique qui l’a poussé à émigrer dans le Nord ontarien. Les pressions qu’il a subies de partout pour abandonner le français. Les efforts qu’il a maintenus sans grand succès pendant cent ans pour donner à ses enfants au moins des écoles françaises, au moins ça. En fin de compte, j’ai compris d’où je venais. J’ai compris où je m’en allais. Et j’ai compris qu’en parlant tout le temps anglais, je tournais au ridicule un courage que j’étais encore loin d’avoir montré moi-même.

Students of collège Boréal, I suspect you feel uncomfortable hearing me speaking English to you so publicly, so officially, on French radio for all to hear. I’m doing it in the hope it might help you realize how out of place you sound speaking English in this building, of all places, after so many people worked so hard for so many years to make this beautiful, ultra-modern, high-tech French language college a reality, for you.

I know you can very well do without my respect or anyone else’s. After all, you are your own man, your own woman. You don’t need to be told what to think and how to behave. You’re living life on your own terms. That’s what I thought I was doing too, before I realized that I still had some growing up to do. I hope to meet some of you some day down the road. But I would have so much enjoyed meeting you now. I somehow had hoped that you would all be different than I was at your age.

Qui parle français en Ontario ? C’est triste à dire. Il y a de petits enfants, il y a des adultes, mais entre les deux, il n’y a pas de jeunesse. Celle qui fait du bruit. Celle qui fait du fun. Celle qui fait de la vie. Ça manque beaucoup. Ça pourrait être vous.


Le 3 octobre 1997. Depuis son ouverture en 1994, le collège Boréal avait occupé des locaux de fortune. Le matin de l’ouverture officielle de son nouveau campus, j’ai livré ce billet en ondes depuis le hall d’entrée, d’où CBON Bonjour diffusait une émission en direct. Un peu ironiquement, j’ai adapté ma langue et mon langage à mon public.

Ce texte fut publié dans le recueil de nouvelles De face et de billet, par Normand Renaud, aux éditions Prise de parole, 2002. Reproduit avec permission.

Vous avez dit schizophrénie linguistique?

Ce qui m’a le plus surprise il y a dix ans quand je suis arrivée au Canada, ce sont toutes ces histoires sur les langues officielles, on s’entend, il y en a que deux au Canada mais oh boy que cela me semblait compliqué. Une décennie plus tard, je ne comprends toujours pas. Pourquoi certains francophones font une crise quand leurs gamins parlent l’anglais (regardez les débats sur l’introduction de l’anglais intensif au Québec, ou chez nous les discussions sur le fait de parler anglais dans les couloirs des écoles francos)?

Pourquoi mes étudiants anglophones me répètent ad nauseam qu’ils ne parlent pas un crisse de mot de français malgré toutes les heures passées à l’école à l’apprendre? Au passage, qu’est-ce qu’ils croient, que c’est facile d’apprendre l’anglais??? (En tout cas moi aucun progrès en vue après 10 ans…).

En France, j’ai connu des couples mixtes dont les enfants étaient parfaitement bilingues, et que je te parle allemand avec maman et français avec papa, ou arabe et français. J’ai même eu un chum qui parlait italien avec sa maman, anglais avec son papa et français comme tout le monde. Je n’avais jamais rencontré de mi-lingues ou de schizophrènes linguistiques. A l’école, j’ai appris l’anglais, le latin, l’espagnol et le russe; mon frère, lui, il a fait anglais, latin, allemand et italien. On se débrouille toujours avec notre français, enfin je crois, vous me laisserez savoir.

Cette question m’est revenue à l’esprit lors d’un récent voyage au Sénégal. L’amie avec qui j’étais parle : wolof (ça c’est la langue véhiculaire du Sénégal), peul, malinké, toucouleur, bambara, et bien sûr français (la langue de l’école) et l’anglais (à Sudbury, elle a vite compris qu’elle n’avait pas le choix!). Au Sénégal, le français est la langue officielle et il y a six autres langues qui sont reconnues langues nationales. Bien d’autres sont parlées. Alors je me suis demandée : c’est quoi notre problème???

Bon OK, le premier président c’était Léopold Sédar Senghor, un des plus grands poètes francophones à mes yeux (et je ne suis pas la seule), alors bon ça en jette et ça doit aider… nous au Canada, on aimerait juste que nos politiciens aient déjà lu un poème dans leur vie, mais bon cela ne peut être l’explication… Bah non, comme vous le savez, le Sénégal n’est pas une exception, en fait beaucoup de pays ont plusieurs langues officielles et personnes ne fait de brouhaha… bah sauf le Canada et la Belgique!

Mais je reviens à mon amie. Elle n’est pas exceptionnelle (enfin si, mais ce n’est pas de ça qu’on parle), durant les cinq jours que j’ai passés dans son village assise sur ma paillasse à trier des arachides, palabrer ou piller des arachides (crisse de peanuts!), j’en ai rencontré du monde. Les gens s’arrêtent prendre un thé et palabrer. Je ne comprenais rien bien sûr mais l’oreille s’affine au fil du temps ou une situation vous indique que ce locuteur n’est pas peul (la langue maternelle au sens propre de mon amie, bah en fait non sa vraie langue maternelle, c’en est une autre parlée comme uniquement dans son village, le peul c’est la langue principale dans laquelle elle a grandi car c’est sa langue paternelle!). Alors j’ai posé des questions. Honnêtement, ils pensaient que je venais de la planète Mars et pas simplement parce que j’étais la seule toubab dans le coin. À peu près tout le monde dans le village parlent peul, malinké ou toucouleur car on s’habitue, on côtoie des gens qui parlent différentes langues depuis toujours, donc on les a apprises au fil du temps.

La règle de politesse est la suivante : on parle dans la langue de son groupe mais on comprend la langue de l’autre qui peut parler dans sa langue. Bref, les gens sont naturellement multilingues et sains d’esprit. On est loin de l’idée de la langue véhiculaire wolof parlée à Dakar ou du français appris à l’école, mais ces langues-là aussi ils les parlent et les comprennent. J’ai compris alors assise dans la terre battue, adossée à une case et entourée de chèvres paisibles, pourquoi Senghor avait toute sa vie défendu la langue française, la francophonie comme « idéal » et non comme « idéologie »; pourquoi le ministre de De Gaulle, l’académicien, et le premier président du Sénégal libre avait aussi été le chantre de la négritude. Parce qu’il s’agit bien d’une culture commune, d’un idéal commun, d’un respect commun entre les peuples et non d’une question linguistique.

La linguistique, ce n’est que de la technique; ce n’est pas l’Homme, ce n’est pas la culture. C’est l’homo faber avec son outil versus l’homo sapiens qui pense. Alors allons-nous continuer longtemps à jouer à l’homo faber?