J’veux pu worryer mon brain avec ça…

Aujourd’hui, je vous parle de la «controverse» qui a eu lieu entourant le texte de Christian Rioux dans le Devoir. Vous l’avez déjà lu, celui où il s’empresse de traiter le chiac d’une «sous-langue d’êtres handicapés en voie d’assimilation». Bon. On est peut-être arrivés un peu en retard à la game, mais fuck it.

Pourquoi prenons-nous le temps de revenir sur un débat essentiellement clos (Rioux est dans les patates, c’est lui qui n’a pas compris)? Parce qu’on se sent obligé de le faire et parce que le français au Canada a d’autres chats à fouetter que celui-là. Rendu en 2012, on penserait qu’on serait rendu à un point où ce genre de texte ne paraîtrait jamais dans un des plus grands journaux du pays.

Peu importe, je ne suis pas sociolinguiste. Je suis un gars de Sudbury (d’Azilda!) qui a grandi avec une mère originaire de l’Abitibi (mais installée avec sa famille depuis l’âge de 5 ans à Sudbury… ses parents n’ayant toujours pas maîtrisé l’anglais) et un père originaire de Sudbury (d’Azilda!).

Si Rioux parle des Acadiens en tant qu’êtres handicapés, c’est qu’il considère le chiac comme étant une crutch. Mais comprend-il la réalité de l’Acadie? Comprend-il que dans le cas de certains Acadiens, ne pas parler le chiac chez soi, c’est l’équivalent d’un anglophone du Nouveau-Brunswick qui adopterait un accent britannique juste parce qu’il trouve son dialecte régional «inaccessible» pour les anglophones de l’Alberta?

Transposons-nous en Ontario français, plus spécifiquement à Sudbury (je me limite à Sudbury parce que je ne veux pas faire des généralisations grossières au sujet de régions qui me sont moins familières. Même Sudbury n’est pas monolithique à cet égard) où le français de la rue est essentiellement composé d’une majorité de mots français, (mais aussi de mots anglais) parfois familiers et détenant un mélange de syntaxe anglaise et française. Si un mot veut escaper en anglais par exemple, on ne se gêne pas de le dire pis de switcher back au français tusuite après. Nous, ces mots-là, on ne les voit pas en italiques dans nos têtes! On me prendra peut-être pour un clown, mais c’est comme ça que je parle avec ma famille, c’est comme ça que je parle avec ma blonde et c’est comme ça que je suis au naturel. Ça ne m’empêche pas de parler un français standard quand il le faut, ni d’écrire avec un niveau de langue digne d’être lu.

La réalité de nos milieux, minoritaires ou pas, fait en sorte qu’on fait des emprunts linguistiques, et ce, tant à Shédiac, qu’à Moncton, qu’à Chelmsford, qu’à Saint-Boniface et même qu’à Montréal ou à Québec. On s’en crisse pas mal, puis on se sent très bien dans notre peau.

Et ça va de même en anglais. Mise en situation : Je suis étudiant à la maîtrise en histoire à l’Université Laurentienne. Les étudiants du cycle supérieur partagent un bureau. Certains parmi eux étudient en français (2) et certains étudient en anglais (6). Quand je parle à mes collègues anglophones (du moins ceux qui ne comprennent pas le français, parce que certains d’entre-eux le comprennent et le parlent effectivement) je ne me gêne pas d’aller piger un mot en français s’il véhicule mieux l’idée que j’ai en tête. Parfois je dois l’expliquer, mais la plupart du temps, ils comprennent la nuance entre les deux mots. Tout le monde dort moins niaiseux en conséquence. Peut-être est-ce une réalité propre à mon milieu, mais le monde académique semble avoir tendance à emprunter aisément des mots comme l’establishment ou le globalism alors que des termes «équivalents» existent également en français. On ne se gêne pas non plus de citer des phrases entières dans des langues étrangères par crainte de déformer les idées de l’auteur initial au moment de la traduction!

Dans le texte de Joseph Edgar, publié le 5 novembre, il nous dit «Le chiac, c’est pas le français universel ». Mais là, le franglais de Sudbury, le joual de Rouyn, la langue de la rue de Montréal puis le làlàlage du Saguenay non plus.

Suivez-moi.

«Et si on veut participer à un monde francophone et se faire comprendre dans ce monde francophone, on pourrait peut-être songer à être un peu plus humble et faire un effort pour mieux se faire comprendre». Ici, je suis d’accord! Mais peut-on laisser de la place aux deux? Est-ce vraiment si inconcevable de maintenir son dialecte régional (dans une forme correcte… c’est-à-dire en évitant les calques et en conjuguant ses verbes correctement, etc.) tout en apprenant la «bonne façon» de dire quelque chose? Est-ce mal de continuer à rouler son R au moment d’une présentation si le vocabulaire et la syntaxe sont corrects?

Suis-je le seul à voir quelque chose de beau dans les régionalismes? Suis-je le seul à trouver ça cute d’entendre le «so-sisse» des Abitibiens ou bien le R roulé de Sturgeon Falls? Est-ce vraiment inconcevable de dire «ah vous dites « vidéo » au féminin? À Sudbury on le dit généralement au masculin» alors que ce ne soit pas nécessairement le cas dans le restant du monde?

On pourrait-ti arrêter de worryer nos brains avec ça pis juste vivre en paix?

Avant que tout’ disparaisse

« Les gouvernements nous insultont. Les ignorants nous disont qu’on parle mal, they can all go fuck themselves »

– Gérald Leblanc, Comme un otage du quotidien, 1981

Bon, le chiac redevient sujet de l’heure. Je dis bien « redevient » car, en voulez-vous des discours, des entrevues, des débats, des films, des articles et des thèses portant sur le chiac, il y en a des tonnes. Bien avant Carol Doucet, il y a eu de grands noms acadiens et non acadiens, artistes et académiciens, qui l’ont défendu, qui ont tenté de l’expliquer et le justifier à travers les temps. De Marguerite Maillet à Gérald Leblanc, de Raymond Guy Leblanc à France Daigle, de Marie-Jo Thério à moi-même quand j’étais tout jeune au sein du groupe Zéro˚Celsius et, enfin, jusqu’à Lisa LeBlanc et mes amis de Radio Radio, on a tous voulu défendre que le chiac est né d’une façon de faire survivre le français au sud-est du Nouveau-Brunswick et ailleurs, là où la majorité anglophone tentait et tente parfois encore aujourd’hui, en vain, de nous étouffer une fois pour toute. Nous avions tous raison de le justifier et les contributions des derniers jours à mettre les « élites » linguistiques à leurs places ont bien été menées par une nouvelle panoplie de sympathiques à la cause et parmi eux je tiens à féliciter Carol Doucet et Gabriel Malenfant pour avoir réussi à très bien participer à cette bataille dans des tribunes radiophoniques à très hautes cotes d’écoutes. Mais, en particulier, je veux souligner le texte écrit avec brio par Martin Leblanc Rioux publié sur le site web du Voir. Tout y est!

Par contre, pour qu’on ne se fasse pas trop d’illusions, je veux donner un petit reality check.

Lorsque nous parlons ou chantons en chiac, pour ou avec des gens qui ne connaissent pas cette façon de s’exprimer (donc presque 99% du reste du monde francophone) ils ne nous comprennent pas. Et dans les coulisses, dans les foules, aux shows de Radio Radio et Lisa LeBlanc et autres, j’entends souvent souvent «crisse c’est bon, mais qu’est-ce qu’ils disent?» Et moi, l’Acadien près d’eux, tente de leurs expliquer les petits codes qui sont imprégnés dans cette manière de dire. Mais, parfois, je laisse faire et je ris tout simplement. « What’s the point? Ils vont pas mieux comprendre. » Ils rient souvent eux aussi.

Donc oui, défendons le chiac. Parlons-le, chantons-le, écrivons-le, justifions-le. Mais, avant tout ça, assumons que lorsqu’on s’exprime de cette façon, la grande majorité du monde ne pogne qu’une partie des propos. En fait, le monde, plus souvent qu’autrement, ne prend malheureusement même pas la peine d’écouter et comprendre le fond du message et ils s’arrêtent à: « c’est cute, c’est drôle, c’est cool « . Ils aiment le feel, et souvent pour eux c’est assez. J’imagine mal le journaliste Christian Rioux fumer un p’tit joint dans son salon et groover aux sons tout court et trouver que le feel, c’est assez. C’est pour ça qu’il a été dans l’analyse sociolinguistique et non pas artistique. Mais en disant ça, j’assume connaître qui est vraiment Christian Rioux, comme lui assume connaître le sort et l’état actuel de l’Acadie.

oehttp://www.onf.ca/film/eloge_du_chiac

En gros, ce débat existe depuis le début des temps. Si on regarde le film Éloge du chiac à l’ONF, du cinéaste québécois Michel Brault, sorti en 1969, et que l’on compare le chiac de ce temps là au chiac d’aujourd’hui, M. Rioux n’a peut-être pas complètement tort de craindre le pire. En même temps qu’on proclame faussement que le français n’a jamais tant été en forme en Acadie du sud-est du Nouveau-Brunswick, à l’Île-du-Prince-Édouard et en Nouvelle-Écosse, la réalité est plutôt que le français se fait estomper par un chiac qui est de plus en plus parsemé de mots anglais. Et ça, vous pouvez tenter de le nier tant que vous voulez, vous êtes dans les patates! Ce n’est pas un jugement que je fais, mais un constat. Souvent, très très souvent, je vois des Acadiens « chiac » venir à Montréal et devenir frustrés que tous les Québécois pensent automatiquement qu’ils sont anglophones. Et au lieu de faire le « switch » au français universel, ils y vont avec l’anglais. Pas par malice, mais par l’impossibilité et parfois aussi le refus de s’exprimer à la Molière.

«Non, non man, tu get pas, j’parle right out le français!»

«Yes, but (h)I can speaked (h)english for you…»

«Non c’est alright, worry pas, stickons sur le français.»

«Stickons?»

«Euh… c’est right claire, stickons, get tu pas?»

«(H)uhm… sorry… what would you like (h)in your coffee?»

«Ahhhhh… OK… whatev… double-double!»

Nous avons raison de trouver ça «trou-de-tchu» de quelqu’un de dire que les Acadiens parlent mal, surtout quand ils mettent le blâme sur les artistes et leur donne la responsabilité d’assurer la survie d’une chose aussi grandiose qu’une langue. Un artiste n’a pas à porter et ne devrait jamais porter le fardeau d’assurer la survie de quoique ce soit! Ça c’est un jeu de bouc émissaire complètement mal mené qui ne fait que mettre de l’huile sur un feu brûlant. Par contre, nous n’avons pas raison de ne pas écouter et réfléchir un peu sur ce qu’ils nous disent ou essaient de nous dire dans leurs messages. Le chiac, c’est pas le français universel. Et si on veut participer à un monde francophone et se faire comprendre dans ce monde francophone, on pourrait peut-être songer à être un peu plus humble et faire un effort pour mieux se faire comprendre. Si on choisit de ne pas le faire, on doit complètement assumer les conséquences de cette décision et les réactions que ça peut déclencher. Sinon, nous sommes ceux qui forcent les autres à faire la majorité de l’effort. Nous devenons aussi nombrilistes que les autres. Pis ça c’est pas right. Pis si on ne fait pas l’effort et qu’ils ne nous comprennent pas, on n’a pas le droit de se pisser off. Point picot. C’est pas leur faute. Ils ne viennent pas de notre petit coin de la planète à 100 000 de population.

Mais, de toute façon, dans le gros portrait des choses, est-ce vraiment si important que ça défendre le français? Bottom line, peu importe ce que nous parlons, on va toujours réussir à manger, boire et dormir. La base. Et comme l’a dit le grand poète Christian Roy, pour établir l’autre base:

«Je ne comprends ta langue / que lorsque qu’elle tourne / autour de la mienne»

– Christian Roy

L’homo francophonensis ou l’histoire d’une coquille vide

Montréal, un 18 mars, il y a environ 5 ans. Nous sommes en plein défilé de la Saint-Patrick. Une journaliste est sur place pour décrire l’événement. Un travail impeccable, sauf pour une phrase qui m’avait, disons, agacé. En décrivant la foule qui s’était déplacée pour participer à la fête, elle tenait à souligner que toutes les communautés culturelles étaient représentées: «Il y avait des Irlandais, disait-elle, mais aussi des Écossais, des Haïtiens, des Chinois et des francophones…»

Ce n’était certainement pas la première fois qu’on me «francophonisait», mais c’est ce jour là que j’ai vraiment pris conscience de toute la portée de cette dernière invention de la rectitude politique. Le temps aurait pu enjoliver les choses et rendre le terme plus acceptable. Au contraire: ma «francophonité» m’irritait à l’époque. Aujourd’hui, elle me fâche. Pourquoi? Parce que le mot «francophone» réduit des millions de Canadiens français à un seul aspect de leur identité: la langue. Il fait du moine l’habit qu’il porte. Par ailleurs, le référant «francophone» n’est accepté que parce qu’il est utile, parce que la langue française est un outil de communication tangible et incontestablement unique en Amérique. Même les ténors de l’antinationalisme le plus primaire n’ont pas encore réussi à nous convaincre que la langue est une invention sociale.

La création de l’être «francophone» vide l’identité collective de près du quart de la population canadienne de toute sa substance. Tous les dictionnaires et tous les ouvrages de référence en témoignent. Leur définition du mot «francophone» est claire: «qui parle français». Rien sur les Franco-Ontariens, rien sur les Québécois, rien sur les Acadiens. Niet. Un francophone, ce n’est rien d’autre qu’un locuteur de la langue française. Bien entendu, le nom commun peut aussi se transformer en adjectif; il peut être attaché à un pays, ou à une nation. On peut parler d’un pays francophone par exemple, ou d’une nation francophone. Tout ce qu’il faut c’est qu’une partie au moins des gens auxquels ont fait référence parlent le français.

Mais voilà, au Canada, l’adjectif a pris la place du nom propre. Il a pris toute la place. Nous avons cessé d’être des gens «qui parlent le français» pour devenir strictement des… «parlent le français». Des francophones. Comme un Irlandais qui n’en est plus un parce qu’il parle anglais, ou gaélique. Il est anglophone, ou gaélophone. C’est vrai, il existe une différence importante: est Irlandais le citoyen de l’État d’Irlande, alors qu’il n’existe pas d’État souverain franco-ontarien, acadien ou québécois. Mais allez dire aux Cullen et aux O’Toole des États-Unis qu’ils ne sont pas irlandais parce que leur passeport n’est pas émis à Dublin. Allez dire aux Catalans qu’ils sont «catalophones» où tout simplement qu’ils ne sont pas catalans s’ils sont «hispanophones».

L’existence d’un État qui puisse donner corps à une identité nationale facilite certainement la définition d’une communauté. Reste qu’il est loin d’en être le seul élément constitutif. Même les plus farouches défenseurs du nationalisme dit «civique» le reconnaissent. Une certaine idée de la nation a traversé les siècles: celle qui se définit à travers une culture commune, une histoire commune, et un territoire commun. Canadien-français, vietnamien, gallois, arménien, bantou, wallon… La liste est longue comme l’Histoire du monde. Mais jamais jusqu’à maintenant un peuple ne s’était défini que par une langue.

Je suis francophone. Je suis un «qui parle français». Et si je parlais anglais? Je deviendrais alors un «qui parle anglais»? Non? Non. Je deviendrais alors un Canadian. C’est tout. Parce que cette façon de vouloir écraser notre identité nationale sous un vocable plus «inclusif» cache un profond malaise. Certains lui ont déjà donné un nom à ce malaise. L’historien Jacques Beauchemin l’a appelé «refus de soi».

Au Canada, la naissance du «francophone» comme référent identitaire quasi-exclusif est directement lié au déchirement du projet d’émancipation nationale: le mouvement indépendantiste québécois doit sa naissance à un désir de faire perdurer la «grande aventure des Français d’Amérique», des Canadiens français. Pourtant, déjà depuis la fin des années 1960, une frange toujours plus importante du mouvement a tenu à prendre ses distances par rapport au nationalisme dit «ethnique» canadien-français. Résultat: on vend l’identité «québécoise» plus civique, plus inclusive, dans l’optique de donner corps à une nation dont on nie l’existence. C’est l’aporie. Les Canadiens français nient leur existence propre pour continuer à exister! Le projet d’indépendance au Québec n’aurait aucun sens sans son moteur canadien-français ou franco-québécois, pour rester dans l’air du temps. D’ailleurs déjà, le mouvement commence à comprendre tout ce qu’il a perdu en troquant son héritage canadien-français pour le vocable plus «convenable» de francophone: sa raison d’être, et donc, son espoir de convaincre une majorité de Québécois d’adhérer à son projet.

Le Canada n’est pas le seul pays où l’on retrouve ce type de refus de soi motivé par un prétendu «patriotisme constitutionnel». L’Occident dans sa quasi-totalité est confronté à ce même «idéal civique» de l’identité nationale, totalement allergique à toute notion de communauté ancrée dans la mémoire, la culture et l’histoire. Né à gauche du spectre politique, c’est le rêve de l’égalité sans limite, quitte à nier l’histoire, l’héritage culturel, ou même jusqu’au bagage familial. Rien qui puisse provoquer le rejet de l’un, ou de l’autre, par l’un, ou par l’autre. Mais pour arriver à ce monde idéal de la feuille blanche, où tout individu peut se construire comme il le veut à partir de rien, il faut d’abord effacer tout relent d’Histoire. Tout ce qui pourrait créer un «nous» et un «eux»… Bref, purger toute la nation de sa substance pour ne laisser qu’une coquille vide.

C’est ça être francophone. C’est une coquille vide. C’est ce qui reste d’une communauté culturelle après que le vampire bien-pensant l’a vidée de toute sa substance culturelle et de toute sa mémoire. Fini le nationalisme trouble-fête qui vient ruiner la grande célébration du genre humain tout-le-monde-il-est-pareil-et-tout-le-monde-il-est-égal par le maintien d’une véritable diversité!

Oui! Le nationalisme est capable des pires crimes et des pires horreurs. Pas besoin de remonter très loin dans l’Histoire pour en avoir la preuve. Oui, l’idée est dangereuse, mais elle est aussi créatrice. Elle est aussi libératrice. L’art, les valeurs partagées, la mémoire collective: ce sont sans doute les dernières préoccupations des chiens et des chats, mais pour le genre humain, ce sont des planches de salut. En fait, notre attachement à ces abstractions est peut-être précisément ce qui fait de nous des Hommes.

J’ai peine à imaginer l’ennui d’un monde sans identité nationale «substantielle», sans histoire, sans mémoire et sans culture. Un monde sans «nous» fondé sur  l’utilitarisme, sur une langue pour nous comprendre, sur des lois pour ne pas nous taper dessus, et sur un territoire pour travailler et consommer. Et faire de l’argent. À mes yeux, dans sa définition actuelle être francophone c’est exactement ça. C’est réduire l’identité à un simple outil du vivre-ensemble. Ou plutôt, du vivre côte-à-côte.

Nous aurons un autre bel exemple de tout ce que je viens d’écrire à Toronto dans quelques jours, à l’occasion de la «Franco-Fête». Pour la fin de semaine du 24 juin. Eh oui! La Saint-Jean-Baptiste, c’était trop «canadien-français», c’était pas assez inclusif. La fête est devenue celle d’un peuple sans substance et sans mémoire. Et si l’idée vous prend de justifier cet abandon de la Saint-Jean parce qu’elle est devenue la «Fête nationale» des Québécois, ravisez-vous: 82% des Québécois sont aussi des Canadiens français confrontés à la même «francophonisation» de leur identité.

Mais prenez garde, chantres de la «francophonisation» du fait français en Amérique! Aussi nobles qu’aient été vos mobiles, l’enfer demeure pavé de bonnes intentions. À force de vouloir nier l’Histoire par souci d’inclusion, vous risquez de créer un mal plus grand encore que celui que vous souhaitiez éviter. Un retour du balancier. De Vancouver à St-John, sachez qu’ils sont encore nombreux ceux et celles qui savent très bien que la langue n’est pas la seule chose qu’ils partagent. Il ne suffit pas de nier l’existence d’un peuple pour le faire disparaître.

Leçon 5 : Bienvenue au « Tohu-bohu des lettres »

«Tohu-bohu au pays de lettres», on doit l’admettre, est notre livre préféré. Le texte de Josée Larocque est absolument extraordinairement bien écrit ; les illustrations de Christian Quesnel sont tout simplement merveilleuses. La maison Bouton d’or d’Acadie nous offre une belle découverte. Mais il y a plus encore. Ce livre représente une excellente introduction à la ponctuation pour les petits… et les grands. Vous aurez donc deviné qu’aujourd’hui les mamans canes veulent faire un petit brin de causette sur la ponctuation.

L’histoire raconte qu’au pays des lettres, rien ne va plus car les minuscules et les majuscules sont fâchées. Alors Monsieur Point, accompagné de ses amis Monsieur Point d’interrogation, monsieur Point d’exclamation et la petite virgule, consultent pour trouver une solution à la chicane des lettres. Vous remarquerez que les signes de ponctuation sont beaucoup plus intelligents que M. Charest… mais là n’est point notre propos.

Notons tout d’abord que la ponctuation tout comme les majuscules ne sont pas de jolies décorations que l’on peut mettre un peu partout telles les enluminures du Moyen-âge. La ponctuation fait partie intégrante de la grammaire dans la mesure où elle donne un sens à la phrase. Remarquez par exemple l’usage de la ponctuation dans les deux phrases suivantes:

Le premier ministre, dit l’étudiant, est un imbécile.

Le premier ministre dit: l’étudiant est un imbécile.

La ponctuation nous indique donc qui est l’imbécile (même si on sait tous qui c’est en réalité… mais là n’est point notre propos).

Autre exemple:

Gabriel continue la lutte. (Il s’agit là d’un constat).

Gabriel, continue la lutte. (Il s’agit là d’une injonction).

1. Quand faut-il mettre une majuscule?

Bien entendu, on met une majuscule au début d’une phrase qui se clôture par un point (tout simple, ou d’interrogation ou d’exclamation). Notez bien que l’on ne met pas de majuscule après deux points, contrairement à l’anglais, sauf si vous citez une phrase entre guillemets, qui, dans le texte original, aurait débuté une phrase et aurait donc eu une majuscule.

On met également une majuscule aux noms propres (prénoms, noms, villes, pays, marques). Une faute couramment commise concerne les nationalités. La règle est simple: les noms de nationalité prennent une majuscule; les adjectifs de nationalité n’en prennent pas (une fois encore contrairement à l’anglais). Donc:

Les étudiants québécois aiment beaucoup les casseroles.

Certains Québécois de plus de 50 ans se comportent comme des nantis.

Autre problème couramment rencontré: les mois de l’année ne prennent pas de majuscule (contrairement à l’anglais une fois de plus).

Le mardi 22 mai sera à marquer d’une pierre blanche.

2. Du bon usage de la virgule

Comme nous le raconte l’histoire, il y a plein d’ouvrières virgules mais il ne faut point trop les fatiguer. La virgule sert à séparer, dans la même phrase, des éléments de même nature ou de même fonction. En général, il n’est pas nécessaire de l’utiliser si vous vous servez d’une conjonction de coordination (mais, ou, et, donc, or, ni, car… l’autre jour, je l’ai rencontré M. Méouédonkornikar, très sympathique!). Bien sûr, la virgule sert aussi à faire une énumération:

Ce premier ministre est irrespectueux, hautain, arrogant et méchant.

Nota bene: nous voyons souvent des personnes utiliser des points-virgules dans le cas d’une énumération, c’est une erreur. Le point-virgule sert, comme la virgule, à séparer des éléments semblables mais bien plus long. Par exemple:

Ils n’étaient pas contents ; ils ont sorti leurs casseroles ; ils voulaient enfin se faire entendre.

La virgule est aussi souvent mise à contribution au début d’une phrase à la suite par exemple d’un complément circonstanciel.

De nos jours, il est de bon ton de prendre des marches nocturnes.

3. Quelques petits détails…

Il arrive que le point soit utilisé pour faire une abréviation… encore faut-il bien utiliser ces abréviations!

Ainsi, Monsieur peut être remplacé par «M.» et madame par «Mme». Pourquoi monsieur a-t-il un point et non madame? La règle est simple: si la dernière lettre de l’abréviation est la dernière lettre du mot complet (comme le –e de Madame), il n’y a pas de point. Si ce n’est pas la dernière lettre (-m n’est pas la dernière lettre de monsieur) alors il y a un point:

Mademoiselle – Mlle

Docteur – Dr

Docteure – Dre

Ibidem – Ibid.

Professeur – Prof.

Id est – i.e.

Une fois n’est pas coutume, les règles de l’anglais sont la cause de nos erreurs.

Revenons à M. Méouédonkornikar. Les conjonctions de coordination ne sont jamais précédées d’une virgule si elles relient deux phrases de même nature.

Ils sont venus, ils ont vu, ils ont vaincu.

En revanche, il peut y avoir une virgule s’il s’agit de lier deux propositions qui ont une nature différente.

Charest n’était que premier ministre, et pourtant les principes de droits pour lesquels le peuple québécois s’était battu étaient clairs et bien établis.

On peut aussi mettre une virgule si l’on veut insister sur le contraste ou l’opposition entre deux propositions.

Le premier ministre s’entête, et même se rend ridicule.

Allez! À vos casseroles!

Comprendre le Canada? C’est pas la peine.

On pense que ça ne nous touche pas de très près et pourtant. Le gouvernement Harper a annoncé récemment la suppression du programme «Comprendre le Canada – Études canadiennes», qui relève du Conseil international d’études canadiennes (CIEC). Cet organisme sans but lucratif vieux de 30 ans ayant des membres dans 39 pays rend ses comptes au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Des milliers de chercheurs membres du CIEC publient annuellement des centaines d’articles sur la société canadienne, en plus d’organiser des séminaires et colloques. La disparition de ce programme met le CIEC en péril.

Ça nous concerne comment, gens du Nord de l’Ontario, de l’Acadie ou d’ailleurs? Voyez ci-dessous. C’est la réaction désolée de la professeure Claudine Moïse, une chercheure en sociolinguistique qui a séjourné plusieurs fois au Canada (à Sudbury entre autres), et dont les recherches ont porté, par exemple, sur la construction de l’identité franco-ontarienne dans les discours. En somme, c’est une bête rare: une sympathisante des minorités francophones du Canada qui habite à Montpellier (France) et qui enseigne à Grenoble (France), autrement dit, une alliée à l’étranger comme il nous en faudrait bien plus. Or, avec la fin de ce programme, il y en aura désormais bien moins.


Sudbury, le CIEC et une histoire française… Fin du film.

Tout mon travail de recherche a commencé avec le Canada, et plus précisément avec Sudbury, un terrain que je suis allée explorer et qui m’a fait basculer; c’était en 1990, plus de vingt ans déjà. J’étais partie pour faire mon doctorat et la minorité franco-ontarienne s’est livrée. L’existence minoritaire, inconnue de ma vie de France, m’a transformée dans mes habitudes homogènes. C’est alors que j’ai glissé – quand d’aucuns penseront «riper» ou «déraper» -. Dans un temps lent, qui était le mien et celui de l’enquête, j’ai arpenté pendant six mois la ville d’hiver et de printemps de Sudbury pour faire de l’ethnographie sans le savoir: j’ai marché, regardé, noté, enregistré, rêvé, interprété. Sudbury m’a adoptée. J’étais partie avec une bourse du Conseil international d’études canadiennes, ou, pour le dire autrement, avec des fonds du gouvernement canadien.

J’ai donc fait mon doctorat, j’ai croqué puis dessiné mon sujet au fil des jours; j’ai essayé de rendre les paroles offertes en traçant les mises en discours de soi quand on est minoritaire. Comme les «hasards de la vie» sont les jeux de dés de nos détours intérieurs, ma vie résonnait et résonne encore du nord de l’Ontario. Ainsi, mon travail m’a portée à dépasser les simples enjeux académiques. Cette première partance intellectuelle a ébauché le canevas de mes premiers questionnements, que je n’ai pas lâchés depuis. Ils se sont imposés à moi à Sudbury, ville du nord de l’Ontario et ne m’ont pas quittée. Il se sont affirmés et affinés dans leur appréhension et leur résolution, les années passant. J’ai soutenu mon doctorat après du temps passé à Toronto auprès de collègues du Centre de Recherches en Éducation franco-ontarienne. Monica Heller et Normand Labrie notamment m’ont donné à comprendre les complexités langagières du Canada, ils m’ont offert tous les outils théoriques d’analyse pour parfaire mon chemin. J’ai passé cette année à Toronto grâce à des fonds du CIEC.

En 1999 je rendais à l’ambassade du Canada un rapport de 60 pages sur l’aménagement linguistique au Canada, j’avais obtenu une bourse du CIEC pour un complément de spécialisation. Je proposais pendant plusieurs années un séminaire à l’université d’Avignon où j’étais titulaire. Ce texte qui tentait de détricoter la complexité en ce domaine se voulait explicatif et pédagogique; il était l’aboutissement d’une année de réflexion et de séjours à Ottawa, notamment au sein du ministère Patrimoine canadien. Et le Canada et Sudbury se sont implantés dans cette université, il y a eu les cours et les séminaires, il y a eu pendant des années des ateliers d’écriture que nous organisions avec ma collègue et amie Hilligje Vant’ Land . Les étudiants ont plongé dans les variations outre Atlantique, ont lâché leur appréhension en écriture pour aller vers une écriture libérée avec Marguerite Andersen, André Carpentier, Robert Dickson, Jacques Godbout, Gérald Leblanc, Robert Marinier, Sylvie Massicotte ou Yvon Rivard. Ces ateliers étaient en partie financés par les Études canadiennes.

Après ma soutenance de thèse en 1995, j’ai continué à travailler sur le nord de l’Ontario. J’en avais besoin, intérieurement et intellectuellement. Et j’ai pris part sans hésiter un seul instant, et jusqu’à récemment encore, aux projets de recherche proposés par Monica Heller, qui ont toujours cherché à comprendre le changement des minorités linguistiques et culturelles au Canada face à la mondialisaiton. C’est avec elle, autour des projets, entre tâtonnements, échanges, travail en équipe, retours théoriques que s’est ébauchée mon évolution.

Dans une belle tradition ethnographique, nous sommes allés sur le terrain et avons débroussaillé notre champ, avons observé et interviewé. L’équipe a ramené pendant toutes ces années d’innombrables entrevues, davantage fragments d’enquête et éléments de nos regards croisés sur les changements en cours que traces analysées dans leur intégralité; je me consacrais au Nord, de Sudbury à Hearst, et, avec un collègue, Marcel Grimard, partais pour trois semaines d’été indien de 1998 sur les routes avec une question en tête, «c’est quoi être francophone dans le nord de l’Ontario ?». Comment, à l’heure de la mondialisation, se redéfinissent les appartenances, comment les détenteurs de pouvoir, les faiseurs d’action et d’idéologie vivent les changements identitaires, les restructurations étatiques et économiques, les enjeux linguistiques? Comment se construisent les discours en marge des discours hégémoniques? Nous avons mené une quarantaine d’entretiens, avec des agents des ministères, enseignants, entrepreneurs, artistes mais aussi d’anciens mineurs et des employés.

Nous avons roulé et vécu. Ce temps d’automne a été une façon de reprendre contact avec le nord de l’Ontario dans une période de mutation et de mondialisation. En résonance avec mon doctorat, j’ai perçu dans leur nouveauté les changements en cours. Rien n’aurait sans doute été pareil sans l’expérience antérieure, sans l’effet de palimpseste du terrain défriché quelques années auparavant, sans les signes qui surgissent au détour des évocations et des paysages en archipel. Le travail d’analyse s’imprègne des charnières et des sutures, des fracas et des naufrages, des déambulations et des rêveries d’une telle enquête, hors aussi de nos réflexions en chambre. J’ai pris beaucoup de notes.

Lors d’un second volet de ce projet, je gardais le nord de l’Ontario comme terrain, j’aurais pu choisir de percer davantage le monde artistique autour de festivals ou de scènes théâtrales; je décidai de me centrer sur le milieu touristique, alors en plein bouleversement et renouveau économique dans une perspective mondialisante. Et je repartis dans le Nord, accompagnée un temps par une collègue, Maïa Mayrymowich; c’était en juillet 2003, temps propice aux vacances et au vagabondage; je vécus les décors solitaires d’un tourisme en balbutiement. J’avais minutieusement préparé mes étapes et avais pris des contacts avec les faiseurs de promenades et d’aventures dans tout le Nord. Destination Nord, organisme chargé du développement du tourisme a été mon pôle ressource. J’ai rencontré les principaux acteurs à Kapuskassing, et j’ai alors mieux compris les enjeux, les limites et les missions à venir du développement touristique, objet de bien des espoirs d’une minorité mondialisée.

Tous ces différents projets et d’autres encore m’ont constituée, il y a toujours eu une participation des Études canadiennes; alors qu’aujourd’hui je suis Professeure des Universités à l’Université de Grenoble 3, je n’ai jamais arrêté avec le Canada, le Nord de l’Ontario puis plus récemment avec Moncton et l’Acadie. Toutes ces années passées à approfondir la connaissance des minorités francophones, toutes ces années à développer des cours, des activités dans l’université française, tous les étudiants qui sont partis eux-mêmes en stage, pour des recherches, pour des mémoires, tous les collègues français que j’ai sensibilisés sur des projets, tous ces échanges ont été possibles grâce à la volonté du gouvernement canadien via le CIEC. Les bourses octroyées ont permis de faire connaître les questions propres au Canada, de publier, de développer de l’humanité et des liens indéfectibles d’un bord à l’autre de l’océan mais aussi et tout simplement de favoriser des échanges et des investissements économiques qui ont dépassé les quelques sommes octroyées à ma petite personne.

Aujourd’hui le gouvernement canadien a décidé de tout simplement fermer les bureaux à Ottawa du CIEC. Il croit sans doute faire des économies pour «rationaliser les dépenses» et juguler le déficit. Sans parler des bénéfices humains et du rayonnement international, ce calcul à courte vue oublie qu’un dollar investi auprès d’un-e canadianiste passionné-e s’est démultiplié sans compter pour aller dans les caisses de ce même gouvernement. D’une façon ou d’une autre, cette décision est désolante d’inconscience et de bêtise.

Flaherty à l’ONF : « Silence, on coupe! »

Les récentes compressions entreprises dans le budget Flaherty en avril 2012 constituent pour les francophones hors Québec une menace on ne peut plus importante contre l’avenir de ces communautés. Avec le risque de perdre l’une de nos institutions cinématographiques les plus importantes à l’ouest de l’Outaouais, il est important d’apporter la perspective d’une cinéaste sur ce budget fédéral.

L’État des lieux

Qu’en est-il des compressions qui concernent la production cinématographique chez les francophones? Le budget fédéral 2012 annonce, d’une part, des compressions de l’ordre de 191 millions de dollars à Patrimoine canadien. De son côté, le ministère a choisi de répartir ces compressions dans ses institutions à charge. De cette somme, c’est la Société Radio-Canada/CBC qui se voit grande perdante, avec 115 millions de dollars en compressions budgétaires. Du côté de Téléfilm Canada — le plus important bailleur de fonds canadien en matière de création cinématographique (La Sacrée en a profité, tout comme la majorité des longs-métrages québécois) —, l’enveloppe est coupée de 0,6 million de dollars. À l’Office national du film (ONF) du Canada, les compressions sont de l’ordre de 6,7 millions de dollars. Par conséquent, nos institutions et bailleurs de fonds ont la dure tâche de «couper dans le gras» (voire : la moelle) afin d’atteindre les objectifs prescrits par le ministre des Finances Jim Flaherty et de Pat Can. Le résultat? Élimination de 73 postes à l’ONF.

L’impact immédiat

De prime à bord, il faut comprendre la structure de l’ONF en français. Il existe une maison-mère à Montréal ainsi que deux studios régionaux : Acadie, et Ontario et Ouest. Il importe aussi à rappeler aux lecteurs qu’il existait, jusque dans les années soixante-dix, un Studio Ouest et Studio Ontarois, mais que la valse des compressions a forcé leur fusion.

Du côté du Studio Ontario et Ouest, ce sont deux postes clés qui sont éliminés avec les compressions. Compte tenu du fait qu’il n’y a que trois personnes travaillant au Studio, et que ces derniers ont la lourde charge d’administrer les projets de l’ONF à l’échelle de l’Ontario, de l’Ouest ainsi que du Grand Nord, toute coupe ayant pour objet d’éliminer des postes au bureau de Toronto ou dans le dessein de fusionner (encore une fois!) le Studio Ontario et Ouest avec le Studio Acadie est, pour le moins que l’on puisse dire, inquiétant.

Avec ces compressions, il ne resterait qu’une seule personne sur place en Ontario. Bien que, techniquement, cela réfute les allégations d’une fermeture du Studio, nul besoin d’un bac en gestion pour comprendre qu’un local vide avec une seule personne pour répondre à des téléphones indique, au final, que le Studio prendra la forme d’une coquille vide. Sans productrice sur les lieux, on est en droit de se questionner à savoir si le programme Tremplin existera toujours. D’ailleurs, comment espérer mettre sur pied les projets en partenariats avec la communauté — comme c’était le cas avec TonDoc et ses nombreux partenaires, dont Santé Canada, l’AFO, la FESFO et d’autres — sans productrice au bureau de Toronto?

Nous et notre avenir artistique

Au final, ce qu’il faut comprendre, c’est que ce sont nous, les jeunes, et les générations futures qui sont au point de perdre une importante institution, et c’est nous qui devrions nous indigner le plus. Quel autre producteur appuie de nouveaux réalisateurs avec leurs premières œuvres en région tout en leur payant un salaire adéquat? Quel autre producteur peut garantir une visibilité et une mise en marché pancanadien, et même international, de nos histoires?

Le Studio Ontario et Ouest offre aux nouveaux cinéastes une opportunité de prendre la parole, car souvent, vivant dans la francophonie minoritaire, nous avons de la difficulté à se faire entendre. Voilà le sort qui nous guette à demeurer complaisant face à cette situation budgétaire.


Recommandations de documentaires du programme Tremplin

Voici une liste de mes documentaires préférés du programme Tremplin. Le programme Tremplin permet aux réalisateurs d’une première ou seconde œuvre de mener à terme leur projet de documentaire. Il est important de noter que ces films auraient pu être réalisés par n’importe qui d’entre nous

Mon père, le roi

oehttp://www.onf.ca/selections/concours-tremplin-les-laureats/visionnez/mon_pere_le_roi/

Marie-France Guerrette, Alberta, 2010, 26 min 4 s.

Ce court métrage documentaire capte les souvenirs du fils et de l’ex-épouse d’un homme désormais devenu «roi» d’une secte religieuse. Avec la cinéaste, ils prennent la route pour visiter celui qui les a abandonnés 45 ans plus tôt.

360 degrés

oehttp://www.onf.ca/selections/concours-tremplin-les-laureats/visionnez/360_degres/

Caroline Monnet, Manitoba, 2008, 18 min 3 s.

Sébastien Aubin vit dans un loft à Winnipeg et occupe un emploi de graphiste. C’est aussi un Cri francophone de la nation d’Opaskwayak, au Manitoba. Parallèlement à sa vie professionnelle, il poursuit une quête spirituelle et identitaire. Son désir de transcender le concret l’a amené à apprendre la médecine traditionnelle autochtone.

Pour ne pas perdre le Nord

oehttp://www.onf.ca/selections/concours-tremplin-les-laureats/visionnez/pour_ne_pas_perdre_le_nord/

Sarah McNair-Landry, Nunavut, 2009, 21 min 32 s.

Malgré de grandioses paysages qui semblent encore vierges, le Nunavut n’échappe pas aux maux du reste de la planète. À Iqualuit, on compte deux dépotoirs remplis au-delà de leur capacité et la municipalité n’a aucun plan pour remédier au problème. Certains citoyens inquiets ont décidé d’agir.


Photo: Archives de l’ONF, 1940-1949

Lisa LeBlanc : La torieuse

On l’a appelée la «Bernard Adamus féminine» et la «Diane Dufresne de Rosaireville».

Bullshit!

L’acadienne Lisa LeBlanc est une bébitte à part entière.

Originaire de Rosaireville, un village de 42 habitants au Nouveau-Brunswick, Lisa LeBlanc is the real deal. On attendait son premier album depuis longtemps, et my god, que ç’a valu l’attente. Réalisé par Louis-Jean Cormier (Karkwa), son premier opus est une charrue authentique, percutante et touchante qui torche d’un boutte à l’autre et qui ne laissera personne indifférent. Soit tu l’adores, soit tu l’get juste pas.

Armée d’un banjo, de boot spurs et d’une gueule en chiac rauque, on a affaire à une Lisa LeBlanc surprenante et mature (Ligne d’hydro), crue et poète (Motel), charmante et honnête (J’t’écris une chanson d’amour), tordante et puante (Aujourd’hui ma vie c’est d’la marde) et éternellement rough sur les bords (Câlisse-moi là). Belle surprise: entendre Louis-Jean Cormier chanter avec humilité «Au pire on riera ensemble. On mangera du Kraft Dinner. C’est tout c’qu’on a d’besoin.»

«Lisa LeBlanc n’a pas peur des mots, ce sont les mots qui ont peur d’elle.»

— Gilles Vigneault

La gagnante du grand Prix du Festival international de la chanson de Granby en 2010 auto-proclame son style musical le folk-trash, mais son attitude envers la musique ressemble beaucoup plus au punk qu’au folk (Chanson d’une rouspêteuse). Sa musique est un fuck you aux chansons fi-filles, au folk traditionnel et aux gens qui s’prennent trop au sérieux.

Lisa LeBlanc nous livre un premier album débordant d’honnêteté et rafraîchissant comme l’odeur du fumier au printemps.

L’album éponyme est sorti sous l’étiquette Bonsound Records et est disponible dès maintenant!

Pour les fans de

Bernard Adamus, Plume Latraverse, Marcel Martel, Canailles, Patrice Desbiens, Mononc’ Serge

Moments forts

Ligne d’hydro, Cerveau ramolli, Avoir su, Motel, Câlisse-moi là

Ode à la poutine, la vraie!

Avec tout le monde qui parle de Pierre Poutine et de Vladamir Poutine ces temps-ci, je commençais à avoir faim. J’avais le goût d’une bonne poutine. La vraie. L’originale. Patates frites fraîches. Sauce brune. Crottes de fromage skouick-skouick.

Mais trouver une vraie poutine est pas mal plus compliqué que je le pensais.

Nous vivons à une époque dangereuse, mesdames et messieurs. Des restaurants, d’un océan à l’autre, sont en train de commettre une fraude épouvantable! Ils vendent de la «poutine» qui ne mérite pas ce nom. Frites congelées, sauce purin, et l’ultime sacrilège, du fromage râpé.

Mais qui a inventé la poutine?

Warwick ou Drummondville? C’est un débat d’importance nationale au Québec.

Plusieurs communautés se battent pour le titre d’Inventeur de la poutine depuis 1957 (ou 1964, dépendant à qui tu le demandes).

« Les jeunes mélangeaient les frites et le fromage en grains dans le sac de papier et ensuite, ils y ajoutaient du ketchup ou du vinaigre. La sauce brune est venue après en même temps que le poulet BBQ. Le type de Drummondville disait qu’il avait parti ça en 1963. Qu’on dise ce qu’on voudra, ça me dérange pas. Tout ce que je peux dire c’est que je suis convaincu que la première poutine a été servie au Café Idéal de Warwick, une journée de fin d’août ou début septembre, en 1957. »

Fernand Lachance

L'inventure de la poutine

L’histoire la plus répandue est que ça serait Fernand Lachance qui aurait inventé la poutine accidentellement en 1957 dans son restaurant Le lutin qui rit à Warwick, Québec. Selon la légende, un de ses clients, Eddy Lainesse, aurait demandé à Fernand de mettre le casseau de fromage et le casseau de frites dans le même sac, auquel Fernand aurait répondu «Ça va faire une maudite poutine», voulant dire un méchant dégât.

Là, ça s’officialise un peu. Le Roy Jucep, restaurant de Drummondville, enregistre une marque de commerce se déclarant l’inventeur de la poutine. Jean-Paul Roy, propriétaire du restaurant en 1964, serait le premier à servir la poutine classique qu’on connaît aujourd’hui. Patates frites fraîches. Sauce brune. Crottes de fromage skouick-skouick. Selon monsieur Roy, le nom «poutine» viendrait d’une déformation du mot «pudding» et du surnom du cuisinier à l’époque, Ti-Pout. Le Roy Jucep serait donc le premier à commercialiser la poutine telle qu’on l’adore aujourd’hui.

Et ça finit pas là! Plusieurs autres se disent créateurs du fameux met national. La page Wikipédia hautement contestée en est la preuve. Chicanez-vous dans les commentaires. Je termine mon analyse des origines de la poutine là.

Larry’s vs. Riv’s

À 1h15 de route de Sudbury, à Sturgeon Falls, un village plus francophone que le Mile-End, les automobilistes de la 17 sont témoins d’une des plus importantes guerres dans l’histoire du Canada. Deux chipstands se battent à coup de pogos et de poutine depuis 25 ans. Tout le monde a sa préférence.

L’été dernier, j’attendais ma poutine au Larry’s quand j’ai aperçu Dominic Giroux, recteur de l’Université Laurentienne, qui attendait la sienne l’autre bord de la rue, au Riv’s. Nos regards se croisent. On est dans un vieux film western. Who’s gonna draw first? Nos mains flottent à quelques centimètres de nos hanches. Simultanément, on saute sur nos téléphones et on s’met à pitonner. À coup de 140 caractères, on s’tweet, on s’chicane et on s’obstine pour déterminer qui est du bon bord de la Main et qui dévorera la meilleure poutine?

Les temps ont changé, mais pas la poutine.

Des disco fries aux cheese fries

Ce que je demande c’est un retour à la poutine classique. Donc, je ne vais pas passer du temps sur les variantes… O.K. fine, il y en a des trop intéressantes à laisser passer.

Poutine italienne (avec sauce spaghetti), poutine mexicaine (avec carne asada, guacamole, crème aigre, fromage et pico de gallo), la dulton (avec saucisses ou boeuf haché), la galvaude (avec poulet et petits pois verts), poutine aux crevettes (de la Gaspésie, avec crevettes et sauce blanche au fromage), Smoked Meat poutine (duh!), poutine foie gras (frites belges, fromage du terroir et morceaux de fois gras), poutine ontarienne (ce que certains nomment la poutine au fromage râpé fait de, vous l’avez deviné, fromage râpé), etc.

En Acadie, il existe deux recettes de poutine. La poutine râpée et la poutine à trou qui est servie comme dessert. On va s’intéresser à la première.

La poutine râpée est considérée comme le plat national des Acadiens et se compare au Knödel dans la cuisine allemande. Elle est concoctée en combinant des patates cuites pilées et des patates crues. La substance est ensuite mottonnée en boules de la grosseur d’une pomme. On fourre du lard ou du porc là-dedans et on fait bouillir pendant 3 heures. C’est pas pantoute une poutine classique, mais maudit qu’ça m’donne la faim! Le stuff avec les fries y’appellent ça du «patachou» (du moins dans le coin du compté de Kent, Nouveau-Brunswick).

La poutine s’internationalise! La côte est des États a commencé à l’adopter sous le nom Disco Fries (ou Elvis Fries). Cette version de plus en plus populaire au New Jersey et à New York est faite de grosses frites, de sauce brune, et de fromage mozzarella.

J’ai beaucoup de respect pour une place comme le Frank’s Deli au centre-ville de Sudbury qui a assez de respect pour la poutine pour appeler la sienne Cheese Fries [our version of poutine]. Elle a deux des ingrédients nécessaires à une vraie poutine. Patates fraîches. Sauce brune. Mais elle utilise un mélange de cheddar et de suisse au lieu des curds classiques. Leurs Cheese Fries sont absolument écoeurantes (dans le  bon sens) mais c’est pas de la poutine et même eux le savent. J’applaudis ces institutions. Kudos!

La poutine comme arme politique

Je n’ai rien à ajouter.

À part peut-être ça…

Chambre des communes
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario)
K1A 0A9

Appelez-moi puriste, je m’en crotte

Je demande un retour à la définition traditionnelle de la poutine. Je n’ai rien contre les cheese fries, les disco fries, et toutes autres variantes exotiques, mais pour l’amour de la Ste-Sauce, n’appelez pas ça de la poutine! C’est un péché mortel!

Je propose que l’on corrige au gros stylo rouge les menus qui induisent en erreur et que l’on certifie les institutions qui font de la vraie poutine!

Vous, chers lecteurs, pouvez faire la certification des vraies poutines. Voici le certificat à imprimer en PDF. Soyez vigilant. Les patates frites doivent être fraiches, la sauce doit être chaude et le fromage doit être en crottes et faire skouick-skouick. Sans un de ces trois éléments, l’établissement ne peut pas être certifié. À vos fourchettes!

Nous ne reculerons pas devant aucune râpe! Sauce-sauce-sauce, solidarité! Patate un jour, poutine toujours!

Poutines hors Québec préférées

Leslie’s Charbroil & Grill, Sudbury, Ontario
9 Main Street East, Chelmsford, Ontario
JP’s, Chelmsford, Ontario
Poutine Palace, Azilda, Ontario
Larry’s Chip Stand, Sturgeon Falls, Ontario
Chez Nous, Timmins, Ontario
Murray’s Street, Ottawa, Ontario
Fritomania, Orléans, Ontario
Glen’s, Kanata, Ontario
Cantine Landriault, Alfred, Ontario
Casse-Croûte St-Albert, St-Albert, Ontario
Micko’s, Heast, Ontario
Ed’s Submarine, Moncton, Nouveau-Brunswick
La Maribel, Caraquet, Nouveau-Brunswick
La Bottine du Festival du Voyageur, Winnipeg, Manitoba
Garage Café, Winnipeg, Manitoba
Prospect Point, Vancouver, Colombie-Britannique

Votre poutine traditionnelle préférée n’est pas là? Commentez et je la rajouterai.

Nos poutines québécoises préférées

La Pataterie Hulloise, Hull, Québec
Chez Morasse, Rouyn-Noranda, Québec
La Banquise, Montréal, Québec
Prince Pizzeria, Sorel, Québec
Hôpital de Val d’Or, Val d’Or, Québec
Chez Ashton, Québec, Québec

Lectures recommandées

New York s’amuse à découvrir la poutine, Cyberpresse
MaPoutine.ca


Photo: Poutine is for lovers

Pourquoi certains espaces sont-ils moins diversifiés que d’autres?

Ceci est une réponse à l’article Immigration: le Nouveau-Brunswick est-il xénophobe? par David Caron publié le 22 février 2012.


C’est un drôle de titre qu’a choisi de donner David Caron à son article : le Nouveau-Brunswick est-il xénophobe. Drôle, premièrement, parce qu’il annonce qu’il parlera du Nouveau-Brunswick, mais parle essentiellement de l’Acadie, comme s’il s’agissait de la même chose. Deuxièmement, parce qu’à considérer les discours officiels de la province et de l’Acadie via son organe de représentation la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, on cherche en vain la moindre trace de xénophobie. Qui donc est xénophobe si ce ne sont pas les institutions publiques, les instances de représentation ? On comprend qu’un État puisse avoir des politiques « xénophobe » et on peut attribuer le qualificatif à la population qui les a votées. Il s’en suit généralement un devoir de mémoire. Mais il n’en est rien au Nouveau-Brunswick.

Les discours semblent plutôt faire consensus quant aux bienfaits de l’immigration : on veut que les immigrants viennent. La population de la province décline et vieillie et tous voient, francophones et anglophones, dans l’immigration une bouée de sauvetage, un moyen de garder peut-être pour quelque temps encore la tête hors de l’eau. Xénophobe, donc ? Les élites ne le sont très certainement pas. Est-ce à dire que la xénophobie serait à trouver dans le cœur et l’âme même de tout un chacun ? Et comme il est question d’Acadie dans le texte de Caron, se pourrait-il que l’individu Acadien, par un trait de caractère propre, soit xénophobe, avec preuve à la charge le faible taux d’immigration dans ses villes et villages ?

Une très inégale diversité

On dresse souvent un tableau homogène des communautés francophones hors Québec qui contraste avec le multiculturalisme canadien anglophone – car force est d’admettre au passage que c’est surtout en anglais que se vit le multiculturalisme. C’est un contraste pervers parce qu’il oppose une statistique décontextualisée (un taux d’immigrant de 19 % au pays) à des expériences concrètes et à des chiffres locaux (un taux d’immigrants de 4 % à Moncton). On omet les considérables disparités régionales, la différence entre les milieux urbains et ruraux, anglophones et francophones. Mais des décennies de discours multiculturel promu par le gouvernement ont donné l’impératif noble d’être mondialisés, ouverts sur la différence, quand bien même cette différence ne serait qu’hypothétique, ont donné l’image d’un Canada-mosaïque uniforme d’un océan à l’autre à l’autre.

Trudeau disait du Canada qu’il était le lieu d’un homme nouveau :

« Je crois fermement que les Canadiens sont en train de modeler une société dénuée de tout préjugé et de toute crainte, placée sous le signe de la compréhension et de l’amour, respectueuse de la personne et de la beauté »

Pierre-Elliott Trudeau

En devenant doctrine officielle, le multiculturalisme s’est fait, dans biens des villes et villages, valeur canadienne avant de devenir réalité sociologique et citoyenne. Certaines régions attendent d’ailleurs toujours. Si le NB ne compte que 4 % d’immigrants, contre la moyenne fédérale de 19 %, c’est sans doute, donc, que les habitants de ce coin de pays sont moralement reprochables, empreints encore de préjugés que n’auraient pas les Québécois, les Ontariens, les Britanno-Colombiens, bref les autres Canadiens. Mais ces statistiques canadiennes sont un peu trompeuses. Manifestement notre mosaïque n’est pas tissée du même fil partout.

Montréal, Toronto et Vancouver s’accaparent à elles seules plus des deux tiers des immigrants. Edmonton, Calgary, Victoria, Ottawa, Winnipeg suivent. Pour ne parler que de l’immigration au Québec, la région de Montréal attire trois quarts des nouveaux arrivants et la province s’accapare plus que sa part d’immigrants francophones.

Dès lors qu’on cesse de comparer une province majoritairement rurale ne comprenant que des villes de taille moyenne à une moyenne fédérale, une tout autre perspective se présente. La population combinée des trois principaux centres urbains du NB : Moncton, St-Jean et Fredericton (soit un total de 334 501 habitants) équivalent à trois des dix-neuf arrondissements de Montréal ! Et la province en entier compte moins d’habitants qu’Ottawa !

D’ailleurs, si l’on compare la situation des villes francophones de taille équivalente au pays – elles sont toutes au Québec sauf Sudbury, et j’ajoute St. John’s par souci de comparaison régionale – on se rend rapidement compte qu’elles ne sont pas, elles non plus, des oasis de diversité. En rafale, avec les taux d’immigrants :

  • Moncton – 3,4 %
  • Sudbury – 6,6 %
  • Lévis – 1,5 %
  • Trois-Rivières – 2,2 %
  • Saguenay – 1,1 %
  • Drummondville – 3 %
  • Saint-Jérôme – 2,7
  • Et à Terre-Neuve, St. John’s – 4 %

Ça commence à faire beaucoup de xénophobes, vous ne trouvez pas ?

L’immigration n’est pas qu’une question individuelle

Ceci étant dit, imputer le faible taux d’immigration (on en parle souvent comme si c’était un travers en soi) à l’ouverture de la « population d’accueil » revient à volontariser un peu trop le processus de migration et d’intégration, et à jeter du revers de la main une littérature entière consacrée aux déterminants sociaux et institutionnels de la « rétention ».

J’essayerai de donner deux éléments de réponse pour comprendre sociologiquement la question, d’autres diront le problème, de l’immigration au Nouveau-Brunswick.

Réseaux informels et complétude institutionnelle

Premièrement, les travaux inspirés par l’École de Chicago en sociologie – je pense, au Canada à Raymond Breton – ont démontré que le parcours d’un immigrant est fortement influencé par les ressources financières, politiques et symboliques dont dispose le groupe auquel il appartient et/ou s’identifie. C’est à lui que l’on doit le concept de « complétude institutionnelle » si utile depuis 40 ans pour les minorités francophones. On parvient, grâce à ce concept, à démontrer que les associations, les médias, les réseaux qui se construisent autour de groupes ethniques ou culturels contribuent non seulement à attirer les immigrants – les Haïtiens se dirigent essentiellement à Montréal et à Miami, les Turcs en Allemagne, les Sénégalais en France, les Chinois à Vancouver – mais déterminent en partie le parcours d’intégration des individus – les Juifs hassidiques d’Outremont ou les Acadiens de Moncton étant des exemples de complétude institutionnelle accomplie qui permet de contrer l’assimilation.

Plus un groupe dispose de ressources permettant à l’individu de satisfaire l’ensemble de ses besoins – commerces, emplois, religion, médias, associations –, plus il sera en mesure d’attirer des membres et moins les individus auront tendance à sortir du groupe et à se fondre dans le « melting pot » ; bref, plus y il a complétude institutionnelle, plus il y aura attraction et persistance de la différence. Sans présence institutionnelle il y a assimilation. Et pour un ensemble de raisons, de tels réseaux ethniques et culturels existent principalement dans les grandes villes, dans les centres économiques les plus dynamiques et sont le résultat d’un long processus ou des hasards migratoires (la migration massive qu’a causée la famine en Irlande au XIXe siècle a permis la mise en place relativement rapide de réseaux Irlandais dans plusieurs villes, notamment par le biais de l’Église catholique).

Le défi d’attirer et de retenir des immigrants est donc d’autant plus grand pour ces milieux plus ruraux, plus périphériques, éloignés des grands centres et de la vie économique. Ces lieux ne sont que rarement des points d’entrée, sont le plus souvent des lieux de transit – voir à ce sujet le film de Dufault et Godbout, Pour quelques arpents de neige qui démontre à merveille la logique de l’immigration et de l’intégration dans les années 1960 : les immigrants débarquent à Halifax et prennent le train vers Montréal. Les provinces maritimes ne seront qu’un espace à franchir, et les traces de cette logique se font encore sentir aujourd’hui.
oehttp://www.onf.ca/film/Pour_quelques_arpents_de_neige_/
Les immigrants qui arrivent dans ces lieux périphériques se retrouvent plus isolés, dans une économie moins diversifiée et une population tissée de liens différents, souvent plus intriqués que celle des grandes villes, à plus forte raison quand il s’agit de groupes eux-mêmes minoritaires. Le(s) tampon(s) qui ailleurs amorti(ssent) le choc d’intégration est moins épais, et parfois carrément inexistant. La pression est mise ailleurs, elle prend souvent une tournure plus personnelle.

Or, multiculturalisme officiel oblige, nous devons tous être ouverts, même si l’ouverture ne prend pour nous qu’un sens abstrait, parce que la diversité est absente de notre quotidien. La diversité devient un genre de conte de fées, de mythe où on imagine un peu bêtement que le contact entre Soi et l’Autre devrait se faire sans heurts, dans la bonne entente et l’harmonie parce que nous sommes tous « dénués de tout préjugé et de crainte ». Comme si nous devions toujours déjà être prêts à recevoir des immigrants, un peu comme nous nous attendons à ce que les immigrants nous arrivent déjà intégrés.

Un tel discours, pour vertueux qu’il soit, ressemble drôlement au discours néolibéral utopique d’une humanité réconciliée dans le marché, unie dans la consommation, dont les différences ne sont jamais de fond, mais de style. Et le style, c’est une question de marché. Alors qu’en réalité, il faut du temps, de l’accoutumance. La rencontre de l’Autre n’est pas toujours sans heurts et sans incompréhensions – en bons francophones, notre histoire faite de luttes pour la reconnaissance et l’égalité devrait nous le rappeler !

Devenir la minorité de la minorité sur un territoire contesté

Il y a ensuite le défi supplémentaire que représente l’immigration au sein de communautés linguistiques minoritaires. Quoi qu’en dise le manifeste de taGueule – « nous ne souffrons pas du syndrome minoritaire » – la minorité est un fait sociologique, elle représente un rapport particulier à un territoire, au pouvoir, à la langue, à la sphère publique, aux médias. Si nous pouvons, individuellement, tous être émancipés, il n’empêche que notre existence collective est irrémédiablement celle d’une minorité démographique ; la francophonie canadienne hors Québec ne cessera d’être minoritaire que le jour où elle cessera d’être francophone. Point.

Le défi qui se pose dans un tel contexte, et le NB en est un bon exemple, est le suivant : deux groupes linguistiques luttent pour l’attraction d’immigrants, deux groupes cherchent à mettre sur pied des structures d’accueil – les francophones veulent des immigrants francophones et les anglophones des immigrants anglophones, chacun cherche à attirer les allophones dans son camp et Dieu sait que la compétition est démesurée quand on se bat contre l’anglais – et cette concurrence inévitable fragmente ultimement les réseaux informels si importants pour l’intégration des nouveaux arrivants.

Le cas de Moncton est marquant : l’Université de Moncton, grâce à ses efforts actifs de recrutement, est parmi les plus diversifiées au pays – 15 % de sa population vient de l’international, contre une moyenne fédérale de 8 %. D’ailleurs, la province occupe le second rang en matière d’internationalisation des universités derrière la Colombie-Britannique. C’est donc que des étrangers viennent, mais ne restent pas. N’est-ce pas là la preuve de la « xénophobie » néo-brunswickoise ?

Un début d’explication se trouve peut-être dans le fait que les efforts faits par l’U de M sont contrés, en un sens, par ceux de la Ville de Moncton. L’U de M recrute en Haïti, au Maghreb et en Afrique de l’Ouest, tandis que la Ville de Moncton, elle, recrute essentiellement des immigrants investisseurs en Corée du Sud. L’espace du campus, qui demeure pour les communautés francophones l’un des chefs lieux de la diversité (à Saint-Boniface c’est le quart des étudiants qui viennent de l’international !), est sans rapport avec l’espace de la ville. Les réseaux internationaux qui se tissent d’un côté ne trouvent pas écho de l’autre. Les deux logiques sont concurrentes malgré elles, notamment parce que les francophones et les anglophones ne recrutent pas les mêmes immigrants – il suffit de faire un tour dans les universités des deux langues pour s’en rendre compte – et surtout, ils ne cultivent pas les mêmes attentes. Ils ne peuvent pas cultiver les mêmes attentes. On demande à l’immigrant francophone de participer à la vie de la communauté francophone, mais sa réalité doit transiger avec l’anglais. Cet équilibre constant n’est pas pour tout le monde, et n’est pas une réalité pour les immigrants qui font le choix de l’anglais. Il y a une asymétrie indéniable.

Et puis il y a la tentation du Québec, qui promet un contexte linguistique plus simple, une métropole multiculturelle et un fast track vers la résidence permanente. Le Nouveau-Brunswick, et en particulier l’Acadie, est en manque de moyens face à une telle concurrence.

Être… ici on le peut

Enfin, comme le souligne David Caron, la province se hisse au sommet d’un honteux palmarès, qui n’y est pas pour rien dans la situation et dont les premières victimes ne sont pas que les immigrants. Palmarès qui ne fait que rajouter à l’ironie du slogan de la province, payé au prix effarant de 1 million $  et qui a récemment été retiré, après une brève existence : « Être… ici on le peut ».

Bref, peut-être existe-t-il de la xénophobie dans la province (et j’aurais tendance à croire qu’elle est plutôt linguistique que raciale ou ethnique), mais l’hémorragie démographique à laquelle fait face la province s’expliquerait sans doute mieux par son économie chancelante, par son profond clivage intérieur entre les deux groupes linguistiques officiels, et par l’emprise de la famille Irving sur l’économie et la presse (une situation à peu près unique au sein des pays développés) qui rendent périphérique les débats publics et les choix de société, que par un défaut moral de sa population.

La province fait du sur place depuis trop longtemps, stagne dans ses divisions internes et dans son absence de vie civique significative. À moins qu’une nouvelle conscience citoyenne émerge et puisse se manifester dans des espaces publics ouverts, la province risque d’avoir autant de mal à accueillir des immigrants qu’à retenir sa population.

Mathieu Wade
Acadien, doctorant en sociologie à l’Université du Québec à Montréal


Photo: Pour quelques arpents de neige, ONF, 1962