Vers une république canadienne?

Cette semaine on célébrait le 30e anniversaire d’un événement très important dans l’histoire canadienne; le rapatriement de la Constitution canadienne. La Constitution, ainsi que la Charte canadienne des droits et libertés qui y est attachée, ont ouvert la porte à plusieurs jugements décisifs pour les Canadiens (entre autres, l’avortement, le mariage gai et la gestion francophone des conseils scolaires). Il est étonnant de constater que malgré l’avant-gardisme de la Charte et le potentiel réformateur du rapatriement, on ait permis à deux institutions politiques de survivre telles qu’elles étaient. Je parle de la Couronne et du Sénat. Même s’il serait facile de m’attaquer à l’inutilité et le manque de représentativité du Sénat, d’autres ont déjà entrepris ce débat et ce n’est pas ce qui m’intéresse. Je m’attarderai surtout à la Couronne.

Le Canada vit sous la monarchie depuis sa colonisation, de la Nouvelle-France à aujourd’hui. Malgré l’indépendance qu’a obtenue le peuple canadien, cette monarchie continue à flotter au-dessus des têtes de nos politiciens, comme un grand symbole colonial et conservateur. Dans notre société moderne, la monarchie n’est plus qu’une simple relique du passé. Elle n’a absolument aucune utilité, sauf celle d’excuse gouvernementale pour éviter d’investir de l’argent dans le peuple. Elle demeure aussi un moyen de démontrer la prétendue supériorité du peuple anglo-saxon sur tous les autres, dont les Canadiens français, les Autochtones et les immigrants qui, plus souvent qu’autrement, ne s’identifient pas du tout à cette vieille dame britannique. Après tout, il ne faut pas oublier qu’elle dirige l’Église anglicane et qu’elle a tout simplement eu la chance de naître au bon endroit au bon moment, ce qui va à l’encontre des principes d’égalité contenus dans la Charte. Pour certains Canadiens-anglais, la Reine continue à représenter un certain attachement à leur Mère Patrie. Par contre, dans une société de plus en plus multiculturelle, l’idée même d’un monarque ne représentant qu’un seul groupe de Canadiens devient de moins en moins pertinente. Cette division nuit à l’unité du peuple canadien et l’empêche d’aller vers l’avant pour construire un Canada nouveau et uni.

L’idée d’une république canadienne n’est ni nouvelle, absurde ou impossible. Il y a 175 ans, Mackenzie et Papineau, avec leurs rebelles, patriotes et frères chasseurs tant au Haut qu’au Bas Canada, se battaient déjà pour des républiques canadiennes. Ces idées n’étaient pas les plus populaires, mais de nos jours, la majorité de la population ne voit pas l’utilité de la monarchie pour le Canada, on s’en tape simplement. Abolir notre monarchie serait très simple, mais rendus là, ce serait le système pour le remplacer qui serait fortement débattu. Celui de l’Irlande est un modèle fort intéressant. Cette république fonctionne sous un système très semblable au nôtre, sauf qu’elle fait élire son Président par suffrage universel. Ce Président n’est en réalité qu’un Gouverneur Général élu. Alors, on peut se demander d’où viennent les idées des monarchistes qui pensent que l’abolition de la monarchie ne mènerait qu’au chaos et à l’incertitude. En effet, ces idées ne sont aucunement fondées sur des principes logiques et ne servent qu’à effrayer la population, puisque l’élection d’un Chef d’État canadien ne causerait pas plus de chaos que n’importe quelle autre élection, et, serait beaucoup moins arbitraire que la simple nomination d’un Gouverneur général. En adoptant un système républicain, le Canada deviendrait plus démocratique sur papier et démontrerait vraiment l’indépendance et l’unité du Canada, ainsi que son désir d’aller de l’avant sans être enchaîné par le passé.

Le plus beau dans tout ça c’est qu’on n’aurait même pas besoin de demander aux Français d’emprunter leur guillotine. On n’a qu’à arrêter de faire semblant que ce vieux système est utile et de s’en débarrasser pour de bon. Tout comme on a poliment demandé notre constitution, on pourrait surement demander notre propre souveraineté.

La langue, la clef du succès?

On commence finalement à parler ouvertement du fait que, côté culture, on encourage fréquemment la médiocrité en Ontario français. Il est vitalement important de rappeler, afin d’assurer la pérennité des arts, que ce n’est pas parce que c’est en français que c’est nécessairement bon. Alors qu’il semble évident que la langue n’a rien à voir avec la qualité d’un produit culturel, cette idée est loin d’être ancrée partout, par exemple auprès des divers organismes de la province qui se résignent encore à promouvoir des artistes par obligation. Il est également le temps d’avoir une discussion sérieuse sur les programmes postsecondaires francophones dans la province, car, à plusieurs égards, on perpétue aussi ce phénomène de médiocrité au niveau de l’éducation.

Disons les choses comme elles le sont. Ceux qui maîtrisent bien le français ont souvent moins de difficulté à progresser dans le cadre universitaire francophone ontarien peu importe s’ils sont réellement aptes à poursuivre des études. Dans plusieurs cas, les étudiants sont récompensés en fonction de leur niveau de langue et non selon leurs réelles capacités. Je comprends maintenant que je n’étais pas la candidate universitaire idéale et, pourtant, j’étais continuellement encouragée à poursuivre mes études.

Parler mieux français

J’ai toujours bien réussi à l’université, mais il faut dire qu’une très grande partie de ce succès était probablement basée sur ma capacité à m’exprimer en français. Malheureusement, cette habileté linguistique se mesurait principalement par un accent audible, qui, en réalité, n’avait aucune incidence sur ma compréhension de la matière enseignée. La preuve, c’est que je n’ai pas beaucoup développé mes habiletés pendant mon baccalauréat. D’ailleurs, j’ai eu énormément de rattrapage à faire en décidant de poursuivre des études supérieures. Non seulement j’avais adopté de mauvaises habitudes de travail, mais, étant donné que je ne m’étais jamais réellement donné la peine de comprendre ce qu’on m’enseignait, j’avais pris un retard considérable du côté théorique.

Il semble que pendant mes premières années d’études, tout ce que j’avais à faire était de polir mon vocabulaire de temps à autre. J’étais capable de m’exprimer clairement, ce qui facilitait du même coup ma capacité à intervenir à l’improviste dans les débats en classe. Bref, mon expérience en tant qu’étudiante en sciences sociales se résumait essentiellement à être capable de bien parler français. Il était facile pour moi de prétendre que j’avais toujours tout compris. Et ce bon français, je l’avais simplement acquis en grandissant dans une ville majoritairement francophone. Je n’étais pas tellement meilleure en grammaire que les autres, seulement, j’avais la facilité avec les mots; j’étais capable de rédiger des textes en utilisant efficacement mon dictionnaire de synonymes.

Bien maîtriser le français ne signifie pas toutefois qu’on a toutes les compétences requises pour bien réussir; la langue n’est qu’une des nombreuses aptitudes qu’il nous faut. J’ai l’impression d’avoir été récompensée de façon phénoménale pour mon niveau de langue pendant mes études. J’ai évidemment eu d’excellents profs, mais je me sentais peu motivée à faire l’effort que méritaient mes études puisque c’était rarement nécessaire. Pourtant, il y avait tellement d’étudiants plus ambitieux et, surtout, beaucoup plus passionnés que moi. Certains débordaient d’idées originales, mais ayant un peu de difficulté à s’exprimer, étaient parfois ignorés par des profs et par des gens comme moi, qui se félicitaient constamment de mieux parler français que les autres. Heureusement, avec les années, mon attitude a changé. J’ai enfin compris que le niveau de langue ne voulait absolument rien dire au sujet de la capacité d’une personne à pouvoir vivre en français. Mais ce constat, ce n’est pas tout le monde qui réussit à le faire. À ce jour, la hiérarchie arbitraire associée aux différents accents francophones demeure une problématique importante à l’échelle de la province opposant directement communautés, écoles et, faut-il le rappeler, élèves.

Je me souviendrai toujours comment les accents régionaux m’apparaissaient initialement étranges lors de mon arrivée dans la grande ville. À l’époque,  je ne connaissais pratiquement rien au sujet de l’Ontario français. Rien de l’histoire, rien des progrès législatifs, et, surtout, absolument rien des arts. J’avais en fait été très isolée dans ma petite ville francophone, où on nous rappelait fréquemment qu’on parlait mieux français qu’ailleurs en province. Mais qu’est-ce que ça signifie, concrètement, parler mieux? Est-ce que ça veut dire un isolationnisme profond? On peut dire que mes années universitaires ont été remplies de belles découvertes où j’ai finalement compris ce que signifiait vivre en situation minoritaire. Et, aujourd’hui, quand j’entends un accent ontarien, je me sens forcément nostalgique.


But I still got away with murder.

Soyons honnête, je sais que je n’ai pas travaillé particulièrement fort pendant mon baccalauréat. Alors que mes collègues œuvraient à terminer leurs travaux des semaines à l’avance, je commençais habituellement les miens la veille et j’étudiais rarement pour mes examens. Ce n’était pas parce que j’étais une élève surdouée avec une mémoire infaillible. Au contraire. J’oubliais ce que lisais au fur et à mesure que je le lisais. Je faisais souvent le strict minimum et je réussissais quand même à obtenir d’excellents résultats. À vrai dire, contrairement à la plupart de mes collègues, j’ai passé mon baccalauréat à faire la fête, à trinquer trois à quatre fois par semaine. Vous me direz que ce comportement est tout à fait normal pour une jeune étudiante habitant seule pour la première fois, mais une personne ayant de si mauvaises habitudes de travail n’aurait pas dû, en temps normal, être capable de continuer à réussir, particulièrement dans un contexte universitaire.

Il y a évidemment eu des exceptions; quelques cours où la matière était extrêmement intéressante et où je prenais plaisir à bien faire le travail demandé. Mais ces cours passionnants, je peux les compter sur une main. Règle générale,  je recevais quand même de bonnes notes pour des travaux qui, honnêtement, étaient affreux. Avec du recul, je peux dire que j’ai rarement mérité les notes que j’ai reçues, car on évaluait rarement, j’ai l’impression, ma compréhension globale. On peut presque dire que les évaluations étaient à l’occasion uniquement basées sur une comparaison des niveaux de langue. Plus il y avait des gens ayant de la difficulté en français, plus j’avais la chance d’obtenir une bonne note.  Combien de fois la fameuse bell curve m’a-t-elle aidée à obtenir de meilleurs résultats parce que trop d’étudiants avaient échoué? Probablement plus d’une vingtaine.

Pour en finir avec la médiocrité

À l’école, mes collègues me considéraient comme une étudiante modèle, qui réussissait bien et qui était aussi bonne en français. Sans le vouloir, je faisais partie d’une certaine élite. Cependant, à part assister régulièrement aux cours, je ne faisais rien de plus que les autres; même que j’en faisais moins. Se classer parmi les meilleurs de classe ne veut rien dire quand on a l’impression d’être continuellement en train de tricher le système. Autrefois, il me semble que l’élite franco-ontarienne était composée de gens qui, en plus d’avoir fréquenté l’université, œuvraient dans les professions libérales et s’impliquaient grandement dans la vie communautaire. Faut-il croire que cette élite a été remplacée?  J’ose espérer que non; parce que moi, je ne me sentirai jamais comme si j’en fais partie, du moins, pas avant d’avoir accompli quelque chose de concret.

Quand je repense à ces premières années universitaires, je regrette de ne pas m’être intéressée davantage à mes collègues, ceux qui, malgré leurs difficultés linguistiques, étaient clairement passionnés par la langue et la culture francophone. Quel courage de choisir, par exemple, de faire un baccalauréat entièrement en français lorsque notre famille est unilingue anglophone! Il faudrait féliciter davantage ces gens, car l’expertise, les connaissances et les habiletés ne devraient pas être uniquement mesurées selon le niveau du français. Il faut du temps pour apprendre et perfectionner une langue et c’est quelque chose qui se fait progressivement.

Je ne nie évidemment pas que la maîtrise de la langue demeure un outil important pour la réussite, mais, quelque part, il faut aussi rehausser les standards académiques en Ontario français. Il faut notamment cesser de mettre sur un piédestal ceux qui se débrouillent bien en français et arrêter de leur faire croire qu’ils sont naturellement bons à l’école.  Il faut créer un environnement favorisant l’apprentissage pour tous. S’il faut continuer à fournir des instruments permettant aux étudiants d’améliorer leur français à l’université, il faut aussi cesser de forcer ceux qui maîtrisent déjà les bases de la langue à suivre des cours de rattrapage, afin qu’ils puissent, eux aussi, continuer à se perfectionner. L’université ne devrait pas être facile.

J’ai fini par trouver un prof qui, heureusement, a vu à travers ma bullshit et m’a encouragée à me surpasser. Mais je me dis que j’ai eu de la chance. Plusieurs personnes continueront à croire que leur niveau de langue fait automatiquement d’eux de meilleurs candidats. Être bon en français ne fait pas obligatoirement de nous de grands académiques capables de participer adéquatement aux débats scientifiques. N’empêche que quelqu’un comme moi, n’aurait pas dû, à la fin, avoir accès si facilement aux études supérieures, la suite logique, pour quelqu’un qui avait tellement bien réussi.

Trop, c’est comme pas assez

Je suis une hybride, une métisse à la peau blanche.

Je suis, pour paraphraser une chanson de Jean Leloup, une fille d’Ottawa, grandi à Ste-Catherine, d’une mère franco-ontarienne et d’un père du bas de Lachine.

Trop québécoise pour les Canadians, trop ontarienne pour les Québécois, je suis entre deux chaises. Parfaitement bilingue, j’ai appris à parler l’anglais quand j’ai commencé à parler. Je suis donc trop anglaise pour les français, et trop française pour les anglais. Pas assez ontaroise, pas assez québécoise.

Je ne suis pas une vraie Québécoise selon les uns, je ne suis pas une vraie Canadienne selon les autres. Je suis une expatriée dans mon propre pays. Pourtant, sur papier, je suis la Canadienne modèle. Je suis le wet dream de Pierre Elliott Trudeau.

J’ai lu quelque part qu’on ne pouvait pas ne pas être indépendantiste si on connaissait bien son Histoire. Eh bien! Je connais mon Histoire sur le bout des doigts. Et parce que je connais mon Histoire, je ne suis pas souverainiste, ne le serai jamais. Être souverainiste, ce serait renier le pays de mes ancêtres, eux qui l’ont bâti, l’ont porté à bout de bras et me l’ont légué. Ce serait trahir leur mémoire. Être souverainiste, ce serait pour moi la même chose que déshériter mes enfants, les priver de leur bien le plus précieux. Ce serait écraser leur avenir. Être souverainiste, ce serait aussi renier une partie de moi-même, de mon identité.

Je crois au Canada, même si je ne crois pas au Canada ultra-militariste et born again de Stephen Harper. Les premiers ministres, les gouvernements, sont toujours remplacés, un jour ou l’autre. En attendant ce jour, je continue à bâtir ce pays, pour le léguer à mon tour à mes enfants.

N’en déplaise à ceux qui trouvent que je suis trop ceci, ou pas assez cela, je ne suis pas une french frog. Je ne suis pas une dead duck. Je ne suis pas une vendue, ni une colonisée. Je suis canadienne-française, et je le dis avec fierté.

S’aventurer dans la cour arrière de Patrick Watson

Patrick Watson
Adventures In Your Own Backyard
Secret City Records/Domino Records

Si taGueule publie une critique d’un album complètement en anglais, il faut que ce soit un maudit bon album. Eh bien, voici qu’arrive le tout nouvel album du montréalais Patrick Watson, Adventures In Your Own Backyard.

Après une nomination au prix Polaris pour chacun de ses deux plus récents albums (et une victoire d’ailleurs!), la barre était haute pour celui-ci et Watson ne déçoit pas une miette. Pour ce quatrième album, Patrick et sa formation ont enregistré l’album dans leur salle de répétition, d’où vient l’inspiration du titre de l’album. Comparé à Wooden Arms, son dernier album, Adventures In Your Own Backyard est un album moins éclectique, plutôt simple, mais toujours émouvant d’un bout à l’autre. C’est plus terre-à-terre et beaucoup plus axé sur les paroles et le chant.

L’album reprend le style pop/alternatif/folk/cinéma des dernières oeuvres de le formation. De la première piste, Lighthouse, avec son piano somptueux et une fin digne des meilleurs moments de splendeur, jusqu’aux dernières sombres notes de l’instrumental épilogue, Swimming Pools, l’album crée une atmosphère qui éclabousse en toute douceur. Il n’y a pas de chansons cheese, accrochantes ou emmerdeuses. Il n’y a que des simples mélodies permutées par la voix falsetto du chanteur, par des sons de trompettes et par des ambiances parfaitement placées. Les paroles de l’album racontent les ballades autour du voisinage, la campagne, l’amitié; l’album est quasiment un hommage à la vie chez lui au Québec. On dirait un miroir littéraire de The Suburbs d’Arcade Fire.

Patrick Watson célébra ce soir le lancement canadien de son album avec un troisième et dernier spectacle à guichet fermé au Théâtre Corona de Montréal. Pour le Canada et l’Europe continentale, un des albums les plus anticipés de l’année est finalement arrivée. L’album sortira le 20 avril en Allemagne et au Royaume-Uni, le 30 avril ailleurs sur la planète sauf aux États-Unis où ils devront attendre au 1er mai, un 24 heures de plus.

[h3]Pour les fans de[/h3]
Radiohead, Karkwa, Arcade Fire, The Cinematic Orchestra, Jimmy Hunt, City and Colour

[h3]Moments forts[/h3]
Lighthouse, The Quiet Crowd, Into Giants, Noisy Sunday

Comme une histoire d’amour

Entre deux langues à aimer d’amour vrai, c’est comme entre deux personnes. Il faut choisir. Vous me direz que les langues, ce n’est pas pareil. Une personne bilingue peut aimer les deux. Mais si le français se propose et l’anglais s’impose, si on peut dire non à l’une mais qu’on doive dire oui à l’autre, si le mariage est forcé alors que l’amour est libre, il n’y a que le français pour se laisser aimer. En Ontario, on parle anglais pour les autres et français pour soi. Une langue vous promet la petite vie ordinaire, l’autre, une aventure sentimentale.

Quand il est question de la qualité du français des Franco-Ontariens, nous balançons toujours entre deux attitudes : être exigeant ou être accueillant. À coups de règles de grammaire et de règle sur les doigts, nous risquons de perdre l’envie de parler français. Mais à force de laisser-faire, nous risquons de perdre la capacité de parler français. D’une manière ou l’autre, ce n’est pas le confort. Étourdis par ce balancement, beaucoup de nous finissons par croire n’être pas si français que ça. Voilà l’erreur à dénoncer pour révéler… le grand amour que nous vivons sans le savoir !

Notre sentiment de n’être pas assez bons en notre langue, c’est justement la preuve que nous l’aimons vraiment. Si elle nous laissait indifférents, nous n’aurions pas ce sentiment. Mais devant elle, nous sommes insatisfaits, intimidés, un peu honteux. Nous voudrions être meilleurs pour elle, à cause d’elle. Voyez-vous ? Nous sommes tous en amour sans le savoir ! Devant notre langue non conquise, nous doutons, craignons, hésitons, bafouillons. Nous ne savons que dire ou comment dire. Nous voudrions paraître à l’aise et confiants. Mais ce que à quoi nous aspirons nous fait sentir incapables et indignes. Nous pourrions fuir, la langue dans nos poches. Beaucoup le font. C’est dommage. Ils tournent le dos à la vie. Ils ratent une grande aventure sentimentale.

Car la langue, comme le grand amour, s’installe au centre du monde. Tout n’existe que par elle. Tu n’existes qu’en elle. Tu ne vois que par elle. Ce qui est beau vient d’elle. Comme le grand amour, la langue française en Ontario ne se vit pas paisiblement. Elle fait oser et douter. Elle donne envie de foncer et envie de fuir. Elle est exigeante, compliquée, difficile, imprévisible. Elle ne se donne pas facilement. Alors pourquoi vouloir d’elle ?

C’est pour être soi-même qu’on aime. C’est pour délivrer une présence autre et meilleure cachée en soi. Tout ça est fou. C’est est une croyance insensée, une erreur vraie, une illusion merveilleuse, un échec presque assuré. Être Franco-Ontarien, ce n’est pas normal. Ça ne vient pas tout seul et ça ne reste pas sans effort. Ce n’est pas ce qu’on est malgré soi, c’est qu’on est malgré tout. C’est ce qu’on ose parce qu’on devine que ça mène au bonheur. C’est ce qu’on fait parce qu’on sent qu’au fond, on le mérite.

Voilà le discours qu’il faudrait tenir de meilleure façon et sur un meilleur ton, pour dire aux enfants à l’école et aux adultes au travail que l’assimilation, c’est une bien triste erreur. Voilà ce qu’il suffit de comprendre pour que tout ce qui fait mal et ce qui va mal d’être Franco-Ontarien devienne comme un honneur et une drôle de joie. Être Franco-Ontarien, c’est comme vivre une histoire d’amour. Ce n’est pas reposant. Mais il n’y a pas plus bel espoir.


Ce texte fut publié dans le recueil de nouvelles De face et de billet, par Normand Renaud, aux éditions Prise de parole, 2002. Reproduit avec permission.

Photo: Serge Gainsbourg (français) et Jane Birkin (british), 1968

Flaherty à l’ONF : « Silence, on coupe! »

Les récentes compressions entreprises dans le budget Flaherty en avril 2012 constituent pour les francophones hors Québec une menace on ne peut plus importante contre l’avenir de ces communautés. Avec le risque de perdre l’une de nos institutions cinématographiques les plus importantes à l’ouest de l’Outaouais, il est important d’apporter la perspective d’une cinéaste sur ce budget fédéral.

L’État des lieux

Qu’en est-il des compressions qui concernent la production cinématographique chez les francophones? Le budget fédéral 2012 annonce, d’une part, des compressions de l’ordre de 191 millions de dollars à Patrimoine canadien. De son côté, le ministère a choisi de répartir ces compressions dans ses institutions à charge. De cette somme, c’est la Société Radio-Canada/CBC qui se voit grande perdante, avec 115 millions de dollars en compressions budgétaires. Du côté de Téléfilm Canada — le plus important bailleur de fonds canadien en matière de création cinématographique (La Sacrée en a profité, tout comme la majorité des longs-métrages québécois) —, l’enveloppe est coupée de 0,6 million de dollars. À l’Office national du film (ONF) du Canada, les compressions sont de l’ordre de 6,7 millions de dollars. Par conséquent, nos institutions et bailleurs de fonds ont la dure tâche de «couper dans le gras» (voire : la moelle) afin d’atteindre les objectifs prescrits par le ministre des Finances Jim Flaherty et de Pat Can. Le résultat? Élimination de 73 postes à l’ONF.

L’impact immédiat

De prime à bord, il faut comprendre la structure de l’ONF en français. Il existe une maison-mère à Montréal ainsi que deux studios régionaux : Acadie, et Ontario et Ouest. Il importe aussi à rappeler aux lecteurs qu’il existait, jusque dans les années soixante-dix, un Studio Ouest et Studio Ontarois, mais que la valse des compressions a forcé leur fusion.

Du côté du Studio Ontario et Ouest, ce sont deux postes clés qui sont éliminés avec les compressions. Compte tenu du fait qu’il n’y a que trois personnes travaillant au Studio, et que ces derniers ont la lourde charge d’administrer les projets de l’ONF à l’échelle de l’Ontario, de l’Ouest ainsi que du Grand Nord, toute coupe ayant pour objet d’éliminer des postes au bureau de Toronto ou dans le dessein de fusionner (encore une fois!) le Studio Ontario et Ouest avec le Studio Acadie est, pour le moins que l’on puisse dire, inquiétant.

Avec ces compressions, il ne resterait qu’une seule personne sur place en Ontario. Bien que, techniquement, cela réfute les allégations d’une fermeture du Studio, nul besoin d’un bac en gestion pour comprendre qu’un local vide avec une seule personne pour répondre à des téléphones indique, au final, que le Studio prendra la forme d’une coquille vide. Sans productrice sur les lieux, on est en droit de se questionner à savoir si le programme Tremplin existera toujours. D’ailleurs, comment espérer mettre sur pied les projets en partenariats avec la communauté — comme c’était le cas avec TonDoc et ses nombreux partenaires, dont Santé Canada, l’AFO, la FESFO et d’autres — sans productrice au bureau de Toronto?

Nous et notre avenir artistique

Au final, ce qu’il faut comprendre, c’est que ce sont nous, les jeunes, et les générations futures qui sont au point de perdre une importante institution, et c’est nous qui devrions nous indigner le plus. Quel autre producteur appuie de nouveaux réalisateurs avec leurs premières œuvres en région tout en leur payant un salaire adéquat? Quel autre producteur peut garantir une visibilité et une mise en marché pancanadien, et même international, de nos histoires?

Le Studio Ontario et Ouest offre aux nouveaux cinéastes une opportunité de prendre la parole, car souvent, vivant dans la francophonie minoritaire, nous avons de la difficulté à se faire entendre. Voilà le sort qui nous guette à demeurer complaisant face à cette situation budgétaire.


Recommandations de documentaires du programme Tremplin

Voici une liste de mes documentaires préférés du programme Tremplin. Le programme Tremplin permet aux réalisateurs d’une première ou seconde œuvre de mener à terme leur projet de documentaire. Il est important de noter que ces films auraient pu être réalisés par n’importe qui d’entre nous

Mon père, le roi

oehttp://www.onf.ca/selections/concours-tremplin-les-laureats/visionnez/mon_pere_le_roi/

Marie-France Guerrette, Alberta, 2010, 26 min 4 s.

Ce court métrage documentaire capte les souvenirs du fils et de l’ex-épouse d’un homme désormais devenu «roi» d’une secte religieuse. Avec la cinéaste, ils prennent la route pour visiter celui qui les a abandonnés 45 ans plus tôt.

360 degrés

oehttp://www.onf.ca/selections/concours-tremplin-les-laureats/visionnez/360_degres/

Caroline Monnet, Manitoba, 2008, 18 min 3 s.

Sébastien Aubin vit dans un loft à Winnipeg et occupe un emploi de graphiste. C’est aussi un Cri francophone de la nation d’Opaskwayak, au Manitoba. Parallèlement à sa vie professionnelle, il poursuit une quête spirituelle et identitaire. Son désir de transcender le concret l’a amené à apprendre la médecine traditionnelle autochtone.

Pour ne pas perdre le Nord

oehttp://www.onf.ca/selections/concours-tremplin-les-laureats/visionnez/pour_ne_pas_perdre_le_nord/

Sarah McNair-Landry, Nunavut, 2009, 21 min 32 s.

Malgré de grandioses paysages qui semblent encore vierges, le Nunavut n’échappe pas aux maux du reste de la planète. À Iqualuit, on compte deux dépotoirs remplis au-delà de leur capacité et la municipalité n’a aucun plan pour remédier au problème. Certains citoyens inquiets ont décidé d’agir.


Photo: Archives de l’ONF, 1940-1949

Canailles: Manger du bois

Le premier album de Canailles est un vrai cirque, un travelling freakshow avec la galerie de monstres pis toutte le kit. Imagine un groupe zydeco-bluegrass du fond d’un bayou qui tombe dans un dumpster du Plateau Mont-Royal. Ajoute Bernard Adamus à l’harmonica pis c’est dans l’sac. À coups de planche à laver et d’accordéon, de mandoline et de banjo, ces bâtardes ont réussi d’un sacré coup à immortaliser l’énergie carnavalesque de leur show sur bobine et ça goutte la bonne vieille gueule de bois.

L’ambiance est autant à la fête (R’tourne de bord) qu’à la peine (Muraille de Chine), autant cabaret (J’l’haïs) que trailer trash (Dans mon litte). Une chose est sure: Canailles rassemble… t’es drette là dans ‘marde avec eux.

En party, lors d’un dance-off entre Canailles et Daft Punk, je ne suis vraiment pas sûr qui gagnerait. L’autotune n’a rien sur ces voix qui faussent parfaitement et le yodeling pourrait tromper les gros synthés, finalement.

Je suis cette gang de mouffettes depuis longtemps. Leur EP, sorti en septembre 2010, est devenu un de mes albums fétiches et je n’ai jamais raté l’occasion de les voir en shows. Elles m’ont accompagné dans des moments de délire à la Townehouse à Sudbury, au festival Rivers & Sky sous un ciel étoilé avec une bouteille de Jameson trop vide et dans le vieux Noranda au Diable rond pendant le Festival de musique émergente… La gang de Canailles. Des vraies de vraies. Sales. Puantes. Pleines d’échardes.

Pogne-toi une p’tite cannisse de Febreeze, pèse play et tiens-toi bien!

Pour les fans de

Mara Tremblay, Bernard Adamus, Lisa LeBlanc, Québec Redneck Bluegrass Project, Tom Waits, Petunia, Lake of Stew

Les «réseaux parallèles» remis en cause

Cet article est paru le vendredi 6 avril 2012 dans le journal Le Droit. Le voici en intégrale tel qu’il est paru dans la version imprimée du journal.


Les «réseaux parallèles» remis en cause

«Le 26 juin 2030 n’était pas que la dernière journée de l’année scolaire; c’était la dernière journée d’existence des conseils scolaires francophones de l’Ontario. À partir de septembre prochain, l’éducation des Franco-Ontariens relèvera d’un nouveau réseau de commissions scolaires.»

C’est dans ce cadre futuriste que les blogueurs du webzine TaGueule.ca remettent en question l’existence de ces «deux réseaux de conseils parallèles, un catholique et un public, qui remplissent exactement le même mandat et qui ne font que diviser les francophones au lieu de les rassembler», affirme Félix Hallée-Théoret, un des éditeurs du billet paru dimanche.

L’équipe de TaGueule.ca cherchait depuis un bout de temps à lancer un débat sur la pertinence d’avoir deux réseaux d’écoles francophones «qui se battent pour recruter les mêmes élèves», déplore M. Hallée-Théoret.

La semaine dernière, le dépôt de l’ébauche budgétaire 2012 à Queen’s Park a donné au webzine les munitions nécessaires. Le gouvernement libéral de Dalton McGuinty ouvre toute grande la porte à la fusion de conseils scolaires, dans les régions où les effectifs sont en baisse. Les lois constitutionnelles de la province empêchent toutefois les fusions entre conseils catholiques et publics.

«Nos conseils francophones sont très grands, surtout dans le Nord. La distance est déjà un problème. Je ne vois franchement pas comment on pourrait faire des conseils plus grands. Tant qu’à vouloir fusionner des conseils pour économiser, pourquoi ne pas fusionner des conseils catholiques et publics ensemble», plaide M. Hallée-Théoret, joint par LeDroit à Sudbury.

Un sujet tabou

Le hic, c’est que depuis que l’ancien chef progressiste-conservateur John Tory s’est cassé les dents sur une question de financement des écoles confessionnelles, en 2007, très peu de politiciens à Queen’s Park osent aborder le sujet. Il n’y a que le Parti vert de l’Ontario qui parle ouvertement de l’abolition des conseils catholiques.

«Ce serait logique et financièrement plus responsable d’avoir un seul réseau de conseils scolaires anglophones, et un seul réseau francophone. Le système actuel est injuste à l’endroit des autres religions. Notre pays a deux langues officielles mais pas deux religions officielles», affirme au Droit le chef vert Mike Schreiner. Une fusion des conseils catholiques et publics se traduirait par une «meilleure qualité de l’enseignement», ajoute-t-il.

Ce n’est pas du tout l’avis de Carole Drouin, la directrice générale de l’Association franco-ontarienne des conseils scolaires catholiques. «Nous assisterions à une diminution de la qualité de l’enseignement. Le système catholique est le plus performant dans la province. Le gouvernement devrait regarder ailleurs pour trouver des économies», rétorque-t-elle.

«Ce n’est pas une attaque contre les catholiques», précise pour sa part M. Hallée-Théoret. L’enseignement religieux aurait toujours sa place dans les écoles, selon lui, même au sein d’un système exclusivement public.

Un chevauchement unique

L’Ontario est la seule province canadienne où se chevauchent deux réseaux scolaires francophones, et deux réseaux anglophones. Le Québec est passé d’un système d’éducation confessionnel à linguistique en 1998. Il lui a suffi d’amender ses lois constitutionnelles, à la suite d’une entente bilatérale avec Ottawa.

«Ce n’est plus vrai que les francophones de l’Ontario sont nécessairement tous catholiques, comme en 1867. Le fait d’avoir deux réseaux crée des divisions entre les Franco-Ontariens de souche et les nouveaux arrivants d’autres religions au lieu de créer une meilleure intégration», affirme au Droit le politologue Alexandre Brassard, directeur de recherche au collège Glendon de l’Université York, à Toronto.

L’Ontario montré du doigt par les Nations unies

Pas une, mais deux. C’est le nombre de fois que l’Ontario s’est fait taper sur les doigts par l’Organisation des Nations unies (ONU) parce que son système d’éducation viole le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Utiliser des derniers publics pour financer un réseau d’écoles confessionnelles va à l’encontre de l’accord ratifié par 160 pays, dont le Canada. «C’est en effet discriminatoire qu’un gouvernement favorise une seule religion au détriment des autres», commente le politologue Alexandre Brassard, du collège Glendon de l’Université York.

Le poids de l’ONU n’a toutefois rien de comparable à celui du lobby catholique à Queen’s Park, selon M. Brassard. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la question des écoles confessionnelles demeure un tabou, dit-il au Droit.

La directrice générale de l’Association franco-ontarienne des conseils scolaires catholiques, Carole Drouin, croit pour sa part que toute fusion administrative entrainerait de lourdes conséquences pour l’éducation de langue française. Elle note que les huit conseils catholiques et les quatre conseils publics francophones sont encore jeunes et «n’ont pas fini de s’établir». Les Franco-Ontariens ont obtenu la pleine gestion de leurs écoles en 1998, après des décennies de lutte.

Félix Hallée-Théoret, du webzine TaGueule.ca, affirme au contraire que les francophones pourraient être «des catalyseurs de changement» dans la province. «Le fruit est assez mûr pour qu’on en parle».


Photo: Archives, Le Droit

Ode à la cenne noire

Oh petit disque d’acier, de nickel et de cuivre,
Comme il est triste de savoir qu’on te délivre…
Certes! Tu alourdis mes poches en torieux
Tout en sonnant comme un carillon qui attire les quêteux…
J’entends ton tintement lorsque tu tombes par terre
Et mon regard te suit sous le comptoir où tu erres;
Oh! Combien de fois t’ai-je négligé
Alors que je te laissais simplement tomber!
Pourtant tu es mon brave et fidèle petit compagnon d’antan,
Avec toi je me croyais riche lorsque j’étais enfant.
Combien de fois t’ai-je cherché
Au fond de ma tirelire, sous le tapis de l’entrée,
Dans le tiroir à débarras et sous les coussins,
Afin d’en avoir assez m’acheter un cossin!
À l’université, au bac, je t’amassais,
Afin de payer une pizza que je voulais.
Dans mes disputes les plus tenaces,
Tu étais médiateur avec ton pile et ta face.
Oui, mon petit sous, mon centime, ma cenne,
Je réalise à quel point je t’aime!
Maintenant que la société a décidé de ton sort,
Je te fais part ici de mes remords.
À ta santé ce soir j’irai défendre ma raison,
Car comme le dit la chanson:
C’est avec des cennes qu’on se fait des piastre,
C’est avec des piastre qu’on se saoul la face!


Photo: Big Penny, Canadian Centennial Numismatic Parc, Sudbury, Ontario, 1967

Pour un système scolaire sans ségrégation religieuse

En septembre 2011, je publiais ce billet sur mon blogue alors que l’Ontario était à la veille d’élire un gouvernement minoritaire libéral. Ce gouvernement vient de livrer son premier budget, lequel touche certains intérêts des Franco-Ontariens. Puisque le budget Duncan mènera à des fusions géographiques de conseils scolaires, ma réflexion sur les politiques scolaires de la province prend une pertinence nouvelle.


Pour une rentrée scolaire sans ségrégation religieuse

Si vous avez des enfants, inutile de vous rappeler que la rentrée scolaire est arrivée. Vous avez déjà englouti des sommes folles pour les fournitures scolaires et les vêtements de vos petits anges. Vous avez probablement rencontré plusieurs enseignants et réglé les nombreux détails de l’inscription.

Une tracasserie supplémentaire se présente si vous habitez l’Ontario. Votre progéniture fréquentera-t-elle une école du réseau 1) francophone publique, 2) francophone catholique, 3) anglophone publique ou 4) anglophone catholique?

Ne riez pas. Les contribuables ontariens financent bel et bien quatre systèmes scolaires distincts. Vous pouvez l’imaginer, ce morcellement pose de sérieux problèmes de gestion. Les chevauchements de ces multiples réseaux coûteraient près de 500 million de dollars par année.

Cela provoque des situations absurdes. Lorsque le nombre d’enfants décline dans une petite communauté, cela cause souvent une sous-occupation à la fois dans l’école publique et dans l’école catholique. Au lieu de regrouper tous les élèves dans une seule école commune, les conseils scolaires se voient alors forcés de fermer toutes les écoles locales. Ce sont les enfants qui en subissent les conséquences. Ils sont séparés de leurs amis de quartier et se voient imposer de longs trajets quotidiens en autobus.

Une atteinte à l’égalité et à la liberté de conscience

Je ne plaiderai pas pour un système unique. L’éducation de langue française est essentielle pour la survie de la minorité francophone. C’est un élément central du pacte fondateur canadien et le résultat de la longue lutte historique des Franco-Ontariens. En revanche, la ségrégation religieuse n’est pas indispensable. Il y a d’autres endroits que l’école pour apprendre les dix commandements. La grande majorité des parents dans la grande majorité des pays occidentaux transmettent leur foi en privé.

En fait, il y a d’importants principes qui militent pour la déconfessionalisation des écoles ontariennes. Pourquoi financer les Catholiques mais exclure les Musulmans, les Juifs ou les Protestants? La pratique est foncièrement discriminatoire. Elle attaque aussi la liberté de conscience de sept millions de non-catholiques en les forçant à subventionner les enseignements du Vatican, tout en leur empêchant d’être embauché dans ce même réseau scolaire.

La Commission des droits de l’homme de l’ONU a dénoncé cette iniquité à deux reprises, en statuant que le système scolaire ontarien viole le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Nous nous retrouvons ainsi dans le même club que la Corée du Nord, le Soudan et la Chine.

Quand les évêques s’en mêlent

Ce qui aggrave les choses, c’est que les réseaux catholiques abusent fréquemment de leurs privilèges. Ils forcent leurs enseignants à se référer à la Bible et au Catéchisme dans les cours de chimie et de biologie et ils empêchent leurs pupilles de s’exprimer librement sur la question de l’avortement.

Le plus décevant, c’est peut-être l’insensibilité des écoles catholiques à l’égard de leurs élèves gais et lesbiens. On se rappellera que le Conseil de Durham s’est battu bec et ongle pour interdire à l’un de ses étudiants d’assister au bal de fin d’étude en compagnie de son amoureux. Plus récemment, le Conseil scolaire de Halton et l’école St. Joseph de Mississauga interdisaient aux élèves gais et lesbiens de former des groupes de support. Le Conseil de Dufferin-Peele a poussé le ridicule jusqu’à censurer les images d’arc-en-ciel, jugées «trop politiques».

Pis encore, le Toronto District Catholic Board vient d’adopter une résolution qui défie l’esprit de la directive d’équité et d’inclusion du Ministère de l’éducation en stipulant que «lorsqu’il y a un conflit apparent entre les droits confessionnels et d’autres droits, le conseil favorisera la protection des droits confessionnels». C’est ainsi que des dispositions adoptées en 1867 pour protéger une minorité sont perverties pour harceler une autre minorité.

Neutralité de l’État et intégration citoyenne

Je ne veux quand même pas pointer les Catholiques du doigt. Toutes les religions ont leurs caprices. C’est le principe même d’une école à la fois publique et religieuse qui est aberrant.

L’État ne peut sanctionner un crédo particulier. Il doit surplomber les innombrables visions rivales de la vie bonne. Pour que chacun puisse vivre selon ses convictions particulières, l’État ne peut promouvoir que les grands principes nécessaires au vivre-ensemble, à la démocratie et à la liberté.  L’éducation publique ne saurait servir à l’endoctrinement sectaire.

Le système actuel nuit aussi à l’intégration des nouveaux Canadiens. La province qui accueille le plus d’immigrants est aussi celle qui sépare ses enfants le plus gravement, en multipliant les ghettos scolaires. En quoi cette ségrégation religieuse contribue-t-elle à la formation d’une citoyenneté commune?  Insensée pour la majorité anglophone, cette mesure est suicidaire pour la minorité francophone. Les Franco-Ontariens ne peuvent se permettre de diluer leurs ressources et d’éparpiller leurs enfants.

L’immobilisme des partis politiques

La saine administration, les droits de la personne, le respect des minorités et l’intégration des immigrants sont autant de bonnes raisons de mettre fin à la ségrégation religieuse. Sondage après sondage, les Ontariens confirment leur appui à cette solution. Pourtant, la question reste taboue. À quelques jours de la campagne électorale provinciale, les chefs évitent le sujet comme la peste. Scrutez les plateformes politiques à la loupe: aucun n’y fait allusion.

L’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 protège le réseau catholique, c’est bien vrai, mais rien n’empêche l’Ontario de procéder à un amendement bilatéral avec Ottawa. La procédure est légitime, simple, et a été utilisée par le Québec et par Terre-Neuve-et-Labrador. Non, les obstacles ne sont pas légaux, mais politiques. En Ontario, la question des écoles séparées a été explosive en 1985 et en 2007 et les trois grands partis favorisent maintenant le statu quo.

Le Parti Conservateur est l’allié traditionnel des groupes religieux et il ne peut heurter cette base électorale en défendant la laïcité. John Tory croyait avoir trouvé une solution équitable lors des dernières élections, en promettant de financer les écoles de toutes les religions. La proposition a provoqué un tollé qui a largement contribué à sa défaite électorale. Son successeur, Tim Hudak, a bien appris la leçon et évite scrupuleusement le sujet.

Depuis le règne de Mitchell Hepburn, les Libéraux bénéficient habituellement du vote catholique. Ils appuient donc le système actuel. L’administration McGuinty a élaboré une excellente politique d’équité et d’inclusion dans les écoles mais n’a pas osé l’imposer aux écoles récalcitrantes. Quand à Andrea Horwath, elle se montre tout aussi réticente, peut-être à cause de l’influence des syndicats d’enseignants catholiques au sein du NPD.

La ségrégation religieuse de nos enfants est onéreuse, rétrograde et inéquitable. Il est grand temps de déconfessionaliser les écoles anglophones et francophones de l’Ontario. Les politiciens tenteront à tout prix d’éviter le sujet. À nous de les interpeller pendant cette campagne électorale.


Photo : Les élèves de la classe de sixième année à l’École Duhamel (Ottawa) vers 1940.